Tasuta

Les compagnons de Jéhu

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Kuhu peaksime rakenduse lingi saatma?
Ärge sulgege akent, kuni olete sisestanud mobiilseadmesse saadetud koodi
Proovi uuestiLink saadetud

Autoriõiguse omaniku taotlusel ei saa seda raamatut failina alla laadida.

Sellegipoolest saate seda raamatut lugeda meie mobiilirakendusest (isegi ilma internetiühenduseta) ja LitResi veebielehel.

Märgi loetuks
Šrift:Väiksem АаSuurem Aa

Mais sans doute tous ces bruits, fondés on non, n'avaient aucune influence sur le cavalier mystérieux; car, ainsi que nous l'avons dit, quoique neuf heures sonnassent à Bourg, et que, par conséquent, il fît nuit close, il arrêta son cheval à la porte du monastère abandonné, et, sans mettre pied à terre, tirant un pistolet de ses fontes, il frappa du pommeau contre la porte trois coups espacés à la manière des francs-maçons.

Puis il écouta.

Un instant il avait douté qu'il y eût réunion à la chartreuse, car, si fixement qu'il eût regardé, si attentivement qu'il eût prêté l'oreille; il n'avait vu aucune lumière, n'avait entendu aucun bruit.

Cependant, il lui sembla qu'un pas circonspect s'approchait intérieurement de la porte.

Il frappa une seconde fois avec la même arme et de la même façon.

– Qui frappe? demanda une voix.

– Celui qui vient de la part d'Élisée, répondit le voyageur.

– Quel est le roi auquel les fils d'Isaac doivent obéir?

– Jéhu.

– Quelle est la maison qu'ils doivent exterminer?

– Celle d'Achab.

– Êtes-vous prophète ou disciple?

– Je suis prophète.

– Alors, soyez le bienvenu dans la maison du Seigneur, dit la voix.

Aussitôt les barres de fer qui assuraient la massive clôture basculèrent sur elles-mêmes, les verrous grincèrent dans les tenons, un des battants de la porte s'ouvrit silencieusement, et le cheval et le cavalier s'enfoncèrent sous la sombre voûte qui se referma derrière eux.

Celui qui avait ouvert cette porte, si lente à s'ouvrir, si prompte à se refermer, était vêtu de la longue robe blanche des chartreux, dont le capuchon, retombant sur son visage, voilait entièrement ses traits.

VII – LA CHARTREUSE DE SEILLON

Sans doute, de même que le premier affilié rencontré sur la route de Sue par celui qui venait de se donner le titre de prophète, le moine qui avait ouvert la porte n'occupait qu'un rang secondaire dans la confrérie car, saisissant la bride du cheval, il le maintint tandis que le cavalier mettait pied à terre, rendant ainsi au jeune homme le même service que lui eût rendu un palefrenier.

Morgan descendit, détacha la valise, tira les pistolets de leurs fontes, les passa à sa ceinture, près de ceux qui y étaient déjà, et, s'adressant au moine d'un ton de commandement

– Je croyais, dit-il, trouver les frères réunis en conseil.

– Ils sont réunis, en effet, répondit le moine.

– Où cela?

– Dans la Correrie; on a vu, depuis quelques jours, rôder autour de la chartreuse des figures suspectes, et des ordres supérieurs ont ordonné les plus grandes précautions.

Le jeune homme haussa les épaules en signe qu'il regardait ces précautions comme inutiles, et, toujours du même ton de commandement:

– Faites mener ce cheval à lécurie et conduisez-moi au conseil, dit-il.

Le moine appela un autre frère aux mains duquel il jeta la bride du cheval, prit une torche qu'il alluma à une lampe brûlant dans la petite chapelle que l'on peut, aujourd'hui encore, voir à droite sous la grande porte, et marcha devant le nouvel arrivé.

Il traversa le cloître, fit quelques pas dans le jardin, ouvrit une porte conduisant à une espèce de citerne, fit entrer Morgan, referma aussi soigneusement la porte de la citerne qu'il avait refermé celle de la rue, poussa du pied une pierre qui semblait se trouver là par hasard, démasqua un anneau et souleva une dalle fermant l'entrée d'un souterrain dans lequel on descendait par plusieurs marches.

Ces marches conduisaient à un couloir arrondi en voûte et pouvant donner passage à deux hommes s'avançant de front.

Nos deux personnages marchèrent ainsi pendant cinq à six minutes, après lesquelles ils se trouvèrent en face d'une grille. Le moine tira une clef de dessous sa robe et l'ouvrit. Puis, quand tous deux eurent franchi la grille et que la grille se fut refermée:

– Sous quel nom vous annoncerai-je? demanda le moine.

– Sous le nom de frère Morgan.

– Attendez ici; dans cinq minutes je serai de retour.

Le jeune homme fit de la tête un signe qui annonçait qu'il était familiarisé avec toutes ces défiances et toutes ces précautions. Puis il s'assit sur une tombe – on était dans les caveaux mortuaires du couvent – , et il attendit.

En effet, cinq minutes ne s'étaient point écoulées, que le moine reparut.

– Suivez-moi, dit-il: les frères sont heureux de votre présence; ils craignaient qu'il ne vous fût arrivé malheur.

Quelques secondes plus tard, frère Morgan était introduit dans la salle du conseil.

Douze moines l'attendaient, le capuchon rabattu sur les yeux; mais, dès que la porte se fut refermée derrière lui et que le frère servant eut disparu, en même temps que Morgan lui-même ôtait son masque, tous les capuchons se rabattirent et chaque moine laissa voir son visage.

Jamais communauté n'avait brillé par une semblable réunion de beaux et joyeux jeunes gens.

Deux ou trois seulement, parmi ces étranges moines, avaient atteint l'âge de quarante ans.

Toutes les mains se tendirent vers Morgan; deux ou trois accolades furent données au nouvel arrivant.

– Ah! par ma foi, dit l'un de ceux qui l'avaient embrassé le plus tendrement, tu nous tires une fameuse épine hors du pied: nous te croyions mort ou tout au moins prisonnier.

– Mort, je te le passe, Amiet; mais prisonnier, non, citoyen, comme on dit encore quelquefois – et comme on ne dira bientôt plus, j'espère – il faut même dire que les choses se sont passées de part et d'autre avec une aménité touchante: dès qu'il nous ont aperçus, le conducteur a crié au postillon d'arrêter; je crois même qu'il a ajouté: «Je sais ce que c'est». – Alors, lui ai-je dit, si vous savez ce que c'est, mon cher ami, les explications ne seront pas longues. – L'argent du gouvernement? a-t-il demandé. – Justement, ai-je répondu. Puis, comme il se faisait un grand remue-ménage dans la voiture: «Attendez, mon ami, ai-je ajouté; avant tout, descendez, et dites à ces messieurs, et surtout à ces dames, que nous sommes des gens comme il faut, qu'on ne les touchera pas – ces dames, bien entendu – et que l'on ne regardera que celles qui passeront la tête par la portière.» Une s'est hasardée, ma foi! il est vrai qu'elle était charmante… Je lui ai envoyé un baiser; elle a poussé un petit cri et s'est réfugiée dans la voiture, ni plus ni moins que Galatée; mais comme il n'y avait pas de saules, je ne l'y ai pas poursuivie. Pendant ce temps, le conducteur fouillait dans sa caisse en toute hâte, et il se hâtait si bien, qu'avec l'argent du gouvernement, il m'a remis, dans sa précipitation, deux cents louis appartenant à un pauvre marchand de vin de Bordeaux.

– Ah! diable! fit celui des frères auquel le narrateur avait donné le nom d'Amiet, qui probablement, comme celui de Morgan, n'était qu'un nom de guerre, voilà qui est fâcheux! Tu sais que le Directoire, qui est plein d'imagination, organise des compagnies de chauffeurs qui opèrent en notre nom, et qui ont pour but de faire croire que nous en voulons aux pieds et aux bourses dès particuliers, c'est-à-dire que nous sommes de simples voleurs.

– Attendez donc, reprit Morgan, voilà justement ce qui m'a retardé; j'avais entendu dire quelque chose de pareil à Lyon, de sorte que j'étais déjà à moitié chemin de Valence quand je me suis aperçu de l'erreur par l'étiquette. Ce n'était pas bien difficile, il y avait sur le sac, comme si le bonhomme eût prévu le cas: Jean Picot, marchand de vin à Fronsac, près Bordeaux.

– Et tu lui as renvoyé son argent?

– J'ai mieux fait, je le lui ai reporté.

– À Fronsac?

– Oh! non, mais à Avignon. Je me suis douté qu'un homme si soigneux devait s'être arrêté à la première ville un peu importante pour prendre des informations sur ses deux cents louis. Je ne me trompais pas: je m'informe à l'hôtel si l'on connaît le citoyen Jean Picot; on me répond que non seulement on le connaît, mais qu'il dîne à table d'hôte. J'entre. Vous devinez de quoi l'on parlait: de l'arrestation de la diligence. Jugez de l'effet de lapparition! le dieu antique descendant dans la machine ne faisait pas un dénouement plus inattendu. Je demande lequel de tous les convives s'appelle Jean Picot; celui qui porte ce nom distingué et harmonieux se montre. Je dépose devant lui les deux cents louis en lui faisant mes excuses, au nom de la société, de l'inquiétude que lui ont causée les compagnons de Jéhu. J'échange un signe d'amitié avec Barjols, un salut de politesse avec l'abbé de Rians, qui étaient là; je tire ma révérence à la compagnie et je sors. C'est peu de chose; mais cela m'a pris une quinzaine d'heures: de là le retard. J'ai pensé que mieux valait être en retard et ne pas laisser sur nos traces une fausse opinion de nous. Ai-je bien fait, mes maîtres?

La société éclata en bravos.

– Seulement, dit un des assistants, je trouve assez imprudent, à vous, d'avoir tenu à remettre l'argent vous-même au citoyen Jean Picot.

– Mon cher colonel, répondit le jeune homme, il y a un proverbe d'origine italienne qui dit: «Qui veut va, qui ne veut pas envoie.» Je voulais, j'ai été.

– Et voilà un gaillard qui, pour vous remercier, si vous avez un jour la mauvaise chance de tomber entre les mains du Directoire, se hâterait de vous reconnaître; reconnaissance qui aurait pour résultat de vous faire couper le cou.

– Oh! Je l'en défie bien de me reconnaître.

– Qui l'en empêcherait?

– Ah çà! mais vous croyez donc que je fais mes équipées à visage découvert? En vérité, mon cher colonel, vous me prenez pour un autre. Quitter mon masque, c'est bon entre amis; mais avec les étrangers, allons donc. Ne sommes-nous pas en plein carnaval? Je ne vois pas pourquoi je ne me déguiserais pas en Abellino ou en Karl Moor, quand MM. Gohier, Sieyès, Roger Ducos, Moulin et Barras se déguisent en rois de France.

 

– Et vous êtes entré masqué dans la ville?

– Dans la ville, dans l'hôtel, dans la salle de la table d'hôte. Il est vrai que, si le visage était couvert, la ceinture était découverte, et, comme vous voyez, elle était bien garnie.

Le jeune homme fit un mouvement qui écarta son manteau, et montra sa ceinture, à laquelle étaient passés quatre pistolets et suspendu un court couteau de chasse.

Puis, avec cette gaieté qui semblait un des caractères dominants de cette insoucieuse organisation:

– Je devais avoir l'air féroce, n'est-ce pas? Ils m'auront pris pour feu Mandrin descendant des montagnes de la Savoie. À propos, voilà les soixante mille francs de Son Altesse le Directoire.

Et le jeune homme poussa dédaigneusement du pied la valise qu'il avait déposée à terre et dont les entrailles froissées rendirent ce son métallique qui indique la présence de l'or.

Puis il alla se confondre dans le groupe de ses amis, dont il avait été séparé par cette distance qui se fait naturellement entre le narrateur et ses auditeurs.

Un des moines se baissa et ramassa la valise.

– Méprisez l'or tant que vous voudrez, mon cher Morgan, puisque cela ne vous empêche pas de le recueillir; mais je sais de braves gens qui attendent les soixante mille francs que vous crossez dédaigneusement du pied, avec autant d'impatience et d'anxiété que la caravane égarée au désert attend la goutte d'eau qui lempêchera de mourir de soif.

– Nos amis de la Vendée, n'est-ce pas? répondit Morgan; grand bien leur fasse! Les égoïstes, ils se battent, eux. Ces messieurs ont choisi les roses et nous laissent les épines. Ah çà! mais ils ne reçoivent donc rien de l'Angleterre?

– Si fait, dit gaiement un des moines; à Quiberon, ils ont reçu des boulets et de la mitraille.

– Je ne dis pas des Anglais, reprit Morgan, je dis de lAngleterre.

– Pas un sou.

– Il me semble, cependant, dit un des assistants, qui paraissait posséder une tête un peu plus réfléchie que celles de ses compagnons, il me semble que nos princes pourraient bien envoyer un peu d'or à ceux qui versent leur sang pour la cause de la monarchie! Ne craignent-ils pas que la Vendée finisse par se lasser, un jour ou l'autre, d'un dévouement qui, jusqu'au- jourd'hui, ne lui a pas encore valu, que je sache, même un remerciement?

– La Vendée, cher ami, reprit Morgan, est une terre généreuse et qui ne se lassera pas, soyez tranquille; d'ailleurs, quel serait le mérite de la fidélité, si elle n'avait point affaire à lingratitude? Du moment où le dévouement rencontre la reconnaissance, ce n'est plus du dévouement: c'est un échange, puisqu'il est récompensé. Soyons fidèles toujours, soyons dévoués tant que nous pourrons, messieurs, et prions le ciel qu'il fasse ingrats ceux auxquels nous nous dévouons, et nous aurons, croyez- moi, la belle part dans lhistoire de nos guerres civiles.

À peine Morgan achevait-il de formuler cet axiome chevaleresque et exprimait-il un souhait qui avait toute chance d'être accompli, que trois coups maçonniques retentirent à la même porte par laquelle il avait été introduit lui-même.

– Messieurs, dit celui des moines qui paraissait remplir le rôle de président, vite les capuchons et les masques; nous ne savons pas qui nous arrive.

VIII – À QUOI SERVAIT LARGENT DU DIRECTOIRE

Chacun s'empressa d'obéir, les moines rabattant les capuchons de leurs longues robes sur leurs visages, Morgan remettant son masque.

– Entrez! dit le supérieur.

La porte s'ouvrit et l'on vit reparaître le frère servant.

– Un émissaire du général Georges Cadoudal demande à être introduit, dit-il.

– A-t-il répondu aux trois mots d'ordres?

– Parfaitement.

– Qu'il soit introduit.

Le frère servant rentra dans le souterrain, et, deux secondes après, reparut, conduisant un homme qu'à son costume il était facile de reconnaître pour un paysan, et à sa tête carrée, coiffée de grands cheveux roux, pour un Breton.

Il s'avança jusqu'au milieu du cercle sans paraître intimidé le moins du monde, fixant tour à tour ses yeux sur chacun des moines et attendant que lune de ces douze statues de granit rompît le silence.

Ce fut le président qui lui adressa la parole:

– De la part de qui viens-tu? lui demanda-t-il.

– Celui qui m'a envoyé, répondit le paysan, m'a commandé, si l'on me faisait une question, de dire que je venais de la part de Jéhu.

– Es-tu porteur d'un message verbal ou écrit?

– Je dois répondre aux questions qui me seront faites par vous et échanger un chiffon de papier contre de largent.

– C'est bien; commençons par les questions: où en sont nos frères de Vendée?

– Ils avaient déposé les armes et n'attendaient qu'un mot de vous pour les reprendre.

– Et pourquoi avaient-ils déposé les armes?

– Ils en avaient reçu l'ordre de S. M. Louis XVIII.

– On a parlé d'une proclamation écrite de la main même du roi.

– En voici la copie.

Le paysan présenta le papier au personnage qui linterrogeait.

Celui-ci louvrit et lut:

«La guerre n'est absolument propre qu'à rendre la royauté odieuse et menaçante. Les monarques qui rentrent par son secours sanglant ne peuvent jamais être aimés: il faut donc abandonner les moyens sanglants et se confier à l'empire de l'opinion, qui revient d'elle-même aux principes sauveurs. Dieu et le roi seront bientôt le cri de ralliement des Français; il faut réunir en un formidable faisceau les éléments épars du royalisme, abandonner la Vendée militante à son malheureux sort, et marcher dans une voie plus pacifique et moins incohérente. Les royalistes de l'Ouest ont fait leur temps, et l'on doit s'appuyer enfin sur ceux de Paris, qui ont tout préparé pour une restauration prochaine…»

Le président releva la tête, et, cherchant Morgan d'un oeil dont son capuchon ne pouvait voiler entièrement léclair:

– Eh bien, frère, lui dit-il, j'espère que voilà ton souhait de tout à l'heure accompli, et les royalistes de la Vendée et du Midi auront tout le mérite du dévouement.

Puis, abaissant son regard sur la proclamation, dont restaient quelques lignes à lire, il continua:

«Les Juifs avaient crucifié leur roi, depuis ce temps ils errent par tout le monde: les Français ont guillotiné le leur, ils seront dispersés par toute la terre.

«Datée de Blankenbourg, le 25 août 1799, jour de notre fête, de notre règne le sixième.

«Signé: Louis_._»

Les jeunes gens se regardèrent.

– Q_uos vultperdere Jupiter dementat_! dit Morgan.

– Oui, dit le président; mais, quand ceux que Jupiter veut perdre représentent un principe, il faut les soutenir, non seulement contre Jupiter, mais contre eux-mêmes. Ajax, au milieu de la foudre et des éclairs, se cramponnait à un rocher, et, dressant au ciel son poing fermé, disait: «jéchapperai malgré les dieux…»

Puis, se retournant du côté de l'envoyé de Cadoudal:

– Et à cette proclamation qu'a répondu celui qui t'envoie?

– À peu près ce que vous venez de répondre vous-même. Il m'a dit de venir voir et de m'informer de vous si vous étiez décidés à tenir malgré tout, malgré le roi lui-même.

– Pardieu! dit Morgan.

– Nous sommes décidés, dit le président.

– En ce cas, dit le paysan, tout va bien. Voici les noms réels des nouveaux chefs et leurs noms de guerre; le général vous recommande de ne vous servir le plus possible dans vos correspondances que des noms de guerre: c'est le soin qu'il prend lorsque, de son côté, il parle de vous.

– Vous avez la liste? demanda le président.

– Non; je pouvais être arrêté, et la liste eût été prise.

Écrivez, je vais vous dicter.

Le président s'assit à sa table, prit une plume et écrivit sous la dictée du paysan vendéen les noms suivants:

«Georges Cadoudal, Jéhu ou la Tête-ronde; Joseph Cadoudal, Judas Macchabée; Lahaye Saint-Hilaire, David; Burban Malabry, Brave-la-Mort; Poulpiquez, Royal-Carnage; Bonfils, Brise- Barrière; Dampherné, Piquevers; Duchayla, la Couronne; Duparc, le Terrible; la Roche, Mithridate; Puisage, Jean le Blond

– Voilà les successeurs des Charrette, des Stofflet, des Cathelineau, des Bonchamp, des d'Elbée, des la Rochejacquelein et des Lescure! dit une voix.

Le Breton se retourna vers celui qui venait de parler:

– S'ils se font tuer comme leurs prédécesseurs, dit-il, que leur demanderez-vous?

– Allons, bien répondu, dit Morgan; de sorte…?

– De sorte que, dès que notre général aura votre réponse, reprit le paysan, il reprendra les armes.

– Et si notre réponse eût été négative…? demanda une voix.

– Tant pis pour vous! répondit le paysan; dans tous les cas, linsurrection était fixée au 20 octobre.

– Eh bien, dit le président, le général aura, grâce à nous, de quoi payer son premier mois de solde. Où est votre reçu?

– Le voici, dit le paysan tirant de sa poche un papier sur lequel étaient écrits ces mots:

«Reçu de nos frères du Midi et de l'Est, pour être employée au bien de la cause, la somme de: «GEORGES CADOUDAL,

«Général en chef de l'armée royaliste de Bretagne.»

La somme, comme on voit, était restée en blanc.

– Savez-vous écrire? demanda le président.

– Assez pour remplir les trois ou quatre mots qui manquent.

– Eh bien, écrivez: «Cent mille francs.»

Le Breton écrivit; puis, tendant le papier au président:

– Voici le reçu, dit-il; où est l'argent?

– Baissez-vous, et ramassez le sac qui est à vos pieds; il contient soixante mille francs.

Puis, s'adressant à un des moines:

– Montbar, où sont les quarante autres mille? demanda-t-il.

Le moine interpellé alla ouvrir une armoire et en tira un sac un peu moins volumineux que celui qu'avait rapporté Morgan, mais qui, cependant, contenait la somme assez ronde de quarante mille francs.

– Voici la somme complète, dit le moine.

– Maintenant, mon ami, dit le président, mangez et reposez-vous;

demain, vous partirez.

– On m'attend là-bas, dit le Vendéen; je mangerai et je dormirai sur mon cheval. Adieu, messieurs, le ciel vous garde!

Et il s'avança, pour sortir, vers la porte par laquelle il était entré.

– Attendez! dit Morgan.

Le messager de Georges s'arrêta.

– Nouvelle pour nouvelle, fit Morgan; dites au général Cadoudal que le général Bonaparte a quitté l'armée d'Égypte, est débarqué avant-hier à Fréjus et sera dans trois jours à Paris. Ma nouvelle vaut bien les vôtres; qu'en dites-vous?

– Impossible! s'écrièrent tous les moines d'une voix.

– Rien n'est pourtant plus vrai, messieurs; je tiens la chose de notre ami le Prêtre, qui l'a vu relayer une heure avant moi à Lyon et qui l'a reconnu.

– Que vient-il faire en France? demandèrent deux ou trois voix.

– Ma foi, dit Morgan, nous le saurons bien un jour ou l'autre; il est probable qu'il ne revient pas à Paris pour y garder lincognito.

– Ne perdez pas un instant pour annoncer cette nouvelle à nos frères de l'Ouest, dit le président au paysan vendéen: tout à lheure je vous retenais; maintenant, c'est moi qui vous dis: «Allez!»

Le paysan salua et sortit; le président attendit que la porte fût refermée:

– Messieurs, dit-il, la nouvelle que vient de nous annoncer frère

Morgan est tellement grave, que je proposerai une mesure spéciale.

– Laquelle? demandèrent d'une seule voix les compagnons de Jéhu.

– C'est que l'un de nous, désigné par le sort, parte pour Paris, et, avec le chiffre convenu, nous tienne au courant de tout ce qui se passera.

– Adopté, répondirent-ils.

– En ce cas, reprit le président, écrivons nos treize noms, chacun le sien, sur un morceau de papier; mettons-les dans un chapeau, et celui dont le nom sortira partira à l'instant même.

Les jeunes gens, d'un mouvement unanime, s'approchèrent de la table, écrivirent leurs noms sur des carrés de papier qu'ils roulèrent, et les mirent dans un chapeau.

Le plus jeune fut appelé pour être le prête-nom du hasard.

Il tira un des petits rouleaux de papier et le présenta au président, qui le déplia.

– Morgan, dit le président.

– Mes instructions, demanda le jeune homme.

– Rappelez-vous, répondit le président, avec une solennité à laquelle les voûtes de ce cloître prêtaient une suprême grandeur, que vous vous appelez le baron de Sainte-Hermine, que votre père a été guillotiné sur la place de la Révolution et votre frère tué à l'armée de Condé. Noblesse oblige! voilà vos instructions.

– Et pour le reste, demanda le jeune homme.

 

– Pour le reste? dit le président, nous nous en rapportons à votre royalisme et à votre loyauté.

– Alors, mes amis, permettez-moi de prendre congé de vous à l'instant même; je voudrais être sur la route de Paris avant le jour, et j'ai une visite indispensable à faire avant mon départ.

– Va! dit le président en ouvrant ses bras à Morgan; je t'embrasse au nom de tous les frères. À un autre je dirais: «sois brave, persévérant, actif!» à toi je dirai: «Sois prudent!»

Le jeune homme reçut l'accolade fraternelle, salua d'un sourire ses autres amis, échangea une poignée de main avec deux ou trois d'entre eux, s'enveloppa de son manteau, enfonça son chapeau sur sa tête et sortit.