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Les Trois Mousquetaires

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– Au revoir, mon oublieuse.

– À demain, mon ange !

– À demain, flamme de ma vie !»

 CHAPITRE XXX. MILADY

D’Artagnan avait suivi Milady sans être aperçu par elle : il la vit monter dans son carrosse, et il l’entendit donner à son cocher l’ordre d’aller à Saint-Germain.

Il était inutile d’essayer de suivre à pied une voiture emportée au trot de deux vigoureux chevaux. D’Artagnan revint donc rue Férou.

Dans la rue de Seine, il rencontra Planchet, qui était arrêté devant la boutique d’un pâtissier, et qui semblait en extase devant une brioche de la forme la plus appétissante.

Il lui donna l’ordre d’aller seller deux chevaux dans les écuries de M. de Tréville, un pour lui d’Artagnan, l’autre pour lui Planchet, et de venir le joindre chez Athos, – M. de Tréville, une fois pour toutes, ayant mis ses écuries au service de d’Artagnan.

Planchet s’achemina vers la rue du Colombier, et d’Artagnan vers la rue Férou. Athos était chez lui, vidant tristement une des bouteilles de ce fameux vin d’Espagne qu’il avait rapporté de son voyage en Picardie. Il fit signe à Grimaud d’apporter un verre pour d’Artagnan, et Grimaud obéit comme d’habitude.

D’Artagnan raconta alors à Athos tout ce qui s’était passé à l’église entre Porthos et la procureuse, et comment leur camarade était probablement, à cette heure, en voie de s’équiper.

«Quant à moi, répondit Athos à tout ce récit, je suis bien tranquille, ce ne seront pas les femmes qui feront les frais de mon harnais.

– Et cependant, beau, poli, grand seigneur comme vous l’êtes, mon cher Athos, il n’y aurait ni princesses, ni reines à l’abri de vos traits amoureux.

– Que ce d’Artagnan est jeune !» dit Athos en haussant les épaules.

Et il fit signe à Grimaud d’apporter une seconde bouteille.

En ce moment, Planchet passa modestement la tête par la porte entrebâillée, et annonça à son maître que les deux chevaux étaient là.

«Quels chevaux ? demanda Athos.

– Deux que M. de Tréville me prête pour la promenade, et avec lesquels je vais aller faire un tour à Saint-Germain.

– Et qu’allez-vous faire à Saint-Germain ?» demanda encore Athos.

Alors d’Artagnan lui raconta la rencontre qu’il avait faite dans l’église, et comment il avait retrouvé cette femme qui, avec le seigneur au manteau noir et à la cicatrice près de la tempe, était sa préoccupation éternelle.

«C’est-à-dire que vous êtes amoureux de celle-là, comme vous l’étiez de Mme Bonacieux, dit Athos en haussant dédaigneusement les épaules, comme s’il eût pris en pitié la faiblesse humaine.

– Moi, point du tout ! s’écria d’Artagnan. Je suis seulement curieux d’éclaircir le mystère auquel elle se rattache. Je ne sais pourquoi, je me figure que cette femme, tout inconnue qu’elle m’est et tout inconnu que je lui suis, a une action sur ma vie.

– Au fait, vous avez raison, dit Athos, je ne connais pas une femme qui vaille la peine qu’on la cherche quand elle est perdue. Mme Bonacieux est perdue, tant pis pour elle ! qu’elle se retrouve !

– Non, Athos, non, vous vous trompez, dit d’Artagnan ; j’aime ma pauvre Constance plus que jamais, et si je savais le lieu où elle est, fût-elle au bout du monde, je partirais pour la tirer des mains de ses ennemis ; mais je l’ignore, toutes mes recherches ont été inutiles. Que voulez-vous, il faut bien se distraire.

– Distrayez-vous donc avec Milady, mon cher d’Artagnan ; je le souhaite de tout mon coeur, si cela peut vous amuser.

– Écoutez, Athos, dit d’Artagnan, au lieu de vous tenir enfermé ici comme si vous étiez aux arrêts, montez à cheval et venez vous promener avec moi à Saint-Germain.

– Mon cher, répliqua Athos, je monte mes chevaux quand j’en ai, sinon je vais à pied.

– Eh bien, moi, répondit d’Artagnan en souriant de la misanthropie d’Athos, qui dans un autre l’eût certainement blessé, moi, je suis moins fier que vous, je monte ce que je trouve. Ainsi, au revoir, mon cher Athos.

– Au revoir», dit le mousquetaire en faisant signe à Grimaud de déboucher la bouteille qu’il venait d’apporter.

D’Artagnan et Planchet se mirent en selle et prirent le chemin de Saint-Germain.

Tout le long de la route, ce qu’Athos avait dit au jeune homme de Mme Bonacieux lui revenait à l’esprit. Quoique d’Artagnan ne fût pas d’un caractère fort sentimental, la jolie mercière avait fait une impression réelle sur son coeur : comme il le disait, il était prêt à aller au bout du monde pour la chercher. Mais le monde a bien des bouts, par cela même qu’il est rond ; de sorte qu’il ne savait de quel côté se tourner.

En attendant, il allait tâcher de savoir ce que c’était que Milady. Milady avait parlé à l’homme au manteau noir, donc elle le connaissait. Or, dans l’esprit de d’Artagnan, c’était l’homme au manteau noir qui avait enlevé Mme Bonacieux une seconde fois, comme il l’avait enlevée une première. D’Artagnan ne mentait donc qu’à moitié, ce qui est bien peu mentir, quand il disait qu’en se mettant à la recherche de Milady, il se mettait en même temps à la recherche de Constance.

Tout en songeant ainsi et en donnant de temps en temps un coup d’éperon à son cheval, d’Artagnan avait fait la route et était arrivé à Saint-Germain. Il venait de longer le pavillon où, dix ans plus tard, devait naître Louis XIV. Il traversait une rue fort déserte, regardant à droite et à gauche s’il ne reconnaîtrait pas quelque vestige de sa belle Anglaise, lorsque au rez-de-chaussée d’une jolie maison qui, selon l’usage du temps, n’avait aucune fenêtre sur la rue, il vit apparaître une figure de connaissance. Cette figure se promenait sur une sorte de terrasse garnie de fleurs. Planchet la reconnut le premier. «Eh ! monsieur dit-il s’adressant à d’Artagnan, ne vous remettez-vous pas ce visage qui baye aux corneilles ?

– Non, dit d’Artagnan ; et cependant je suis certain que ce n’est point la première fois que je le vois, ce visage.

– Je le crois pardieu bien, dit Planchet : c’est ce pauvre Lubin, le laquais du comte de Wardes, celui que vous avez si bien accommodé il y a un mois, à Calais, sur la route de la maison de campagne du gouverneur.

– Ah ! oui bien, dit d’Artagnan, et je le reconnais à cette heure. Crois-tu qu’il te reconnaisse, toi ?

– Ma foi, monsieur, il était si fort troublé que je doute qu’il ait gardé de moi une mémoire bien nette.

– Eh bien, va donc causer avec ce garçon, dit d’Artagnan, et informe-toi dans la conversation si son maître est mort.»

Planchet descendit de cheval, marcha droit à Lubin, qui en effet ne le reconnut pas, et les deux laquais se mirent à causer dans la meilleure intelligence du monde, tandis que d’Artagnan poussait les deux chevaux dans une ruelle et, faisant le tour d’une maison, s’en revenait assister à la conférence derrière une haie de coudriers.

Au bout d’un instant d’observation derrière la haie, il entendit le bruit d’une voiture, et il vit s’arrêter en face de lui le carrosse de Milady. Il n’y avait pas à s’y tromper. Milady était dedans. D’Artagnan se coucha sur le cou de son cheval, afin de tout voir sans être vu.

Milady sortit sa charmante tête blonde par la portière, et donna des ordres à sa femme de chambre.

Cette dernière, jolie fille de vingt à vingt-deux ans, alerte et vive, véritable soubrette de grande dame, sauta en bas du marchepied, sur lequel elle était assise selon l’usage du temps, et se dirigea vers la terrasse où d’Artagnan avait aperçu Lubin.

D’Artagnan suivit la soubrette des yeux, et la vit s’acheminer vers la terrasse. Mais, par hasard, un ordre de l’intérieur avait appelé Lubin, de sorte que Planchet était resté seul, regardant de tous côtés par quel chemin avait disparu d’Artagnan.

La femme de chambre s’approcha de Planchet, qu’elle prit pour Lubin, et lui tendant un petit billet :

«Pour votre maître, dit-elle.

– Pour mon maître ? reprit Planchet étonné.

– Oui, et très pressé. Prenez donc vite.»

Là-dessus elle s’enfuit vers le carrosse, retourné à l’avance du côté par lequel il était venu ; elle s’élança sur le marchepied, et le carrosse repartit.

Planchet tourna et retourna le billet, puis, accoutumé à l’obéissance passive, il sauta à bas de la terrasse, enfila la ruelle et rencontra au bout de vingt pas d’Artagnan qui, ayant tout vu, allait au-devant de lui.

«Pour vous, monsieur, dit Planchet, présentant le billet au jeune homme.

– Pour moi ? dit d’Artagnan ; en es-tu bien sûr ?

– Pardieu ! si j’en suis sûr ; la soubrette a dit : “Pour ton maître.” Je n’ai d’autre maître que vous ; ainsi… Un joli brin de fille, ma foi, que cette soubrette !»

D’Artagnan ouvrit la lettre, et lut ces mots :

«Une personne qui s’intéresse à vous plus qu’elle ne peut le dire voudrait savoir quel jour vous serez en état de vous promener dans la forêt. Demain, à l’hôtel du Champ du Drap d’Or, un laquais noir et rouge attendra votre réponse.»

«Oh ! oh ! se dit d’Artagnan, voilà qui est un peu vif. Il paraît que Milady et moi nous sommes en peine de la santé de la même personne. Eh bien, Planchet, comment se porte ce bon M. de Wardes ? il n’est donc pas mort ?

– Non, monsieur, il va aussi bien qu’on peut aller avec quatre coups d’épée dans le corps, car vous lui en avez, sans reproche, allongé quatre, à ce cher gentilhomme, et il est encore bien faible, ayant perdu presque tout son sang. Comme je l’avais dit à monsieur, Lubin ne m’a pas reconnu, et m’a raconté d’un bout à l’autre notre aventure.

– Fort bien, Planchet, tu es le roi des laquais ; maintenant, remonte à cheval et rattrapons le carrosse.»

Ce ne fut pas long ; au bout de cinq minutes on aperçut le carrosse arrêté sur le revers de la route, un cavalier richement vêtu se tenait à la portière.

La conversation entre Milady et le cavalier était tellement animée, que d’Artagnan s’arrêta de l’autre côté du carrosse sans que personne autre que la jolie soubrette s’aperçût de sa présence.

 

La conversation avait lieu en anglais, langue que d’Artagnan ne comprenait pas ; mais, à l’accent, le jeune homme crut deviner que la belle Anglaise était fort en colère ; elle termina par un geste qui ne lui laissa point de doute sur la nature de cette conversation : c’était un coup d’éventail appliqué de telle force, que le petit meuble féminin vola en mille morceaux.

Le cavalier poussa un éclat de rire qui parut exaspérer Milady.

D’Artagnan pensa que c’était le moment d’intervenir ; il s’approcha de l’autre portière, et se découvrant respectueusement :

«Madame, dit-il, me permettez-vous de vous offrir mes services ? Il me semble que ce cavalier vous a mise en colère. Dites un mot, madame, et je me charge de le punir de son manque de courtoisie.»

Aux premières paroles, Milady s’était retournée, regardant le jeune homme avec étonnement, et lorsqu’il eut fini :

«Monsieur, dit-elle en très bon français, ce serait de grand coeur que je me mettrais sous votre protection si la personne qui me querelle n’était point mon frère.

– Ah ! excusez-moi, alors, dit d’Artagnan, vous comprenez que j’ignorais cela, madame.

– De quoi donc se mêle cet étourneau, s’écria en s’abaissant à la hauteur de la portière le cavalier que Milady avait désigné comme son parent, et pourquoi ne passe-t-il pas son chemin ?

– Étourneau vous-même, dit d’Artagnan en se baissant à son tour sur le cou de son cheval, et en répondant de son côté par la portière ; je ne passe pas mon chemin parce qu’il me plaît de m’arrêter ici.»

Le cavalier adressa quelques mots en anglais à sa soeur.

«Je vous parle français, moi, dit d’Artagnan ; faites-moi donc, je vous prie, le plaisir de me répondre dans la même langue. Vous êtes le frère de madame, soit, mais vous n’êtes pas le mien, heureusement.»

On eût pu croire que Milady, craintive comme l’est ordinairement une femme, allait s’interposer dans ce commencement de provocation, afin d’empêcher que la querelle n’allât plus loin ; mais, tout au contraire, elle se rejeta au fond de son carrosse, et cria froidement au cocher :

«Touche à l’hôtel !»

La jolie soubrette jeta un regard d’inquiétude sur d’Artagnan, dont la bonne mine paraissait avoir produit son effet sur elle.

Le carrosse partit et laissa les deux hommes en face l’un de l’autre, aucun obstacle matériel ne les séparant plus.

Le cavalier fit un mouvement pour suivre la voiture ; mais d’Artagnan, dont la colère déjà bouillante s’était encore augmentée en reconnaissant en lui l’Anglais qui, à Amiens, lui avait gagné son cheval et avait failli gagner à Athos son diamant, sauta à la bride et l’arrêta.

«Eh ! Monsieur, dit-il, vous me semblez encore plus étourneau que moi, car vous me faites l’effet d’oublier qu’il y a entre nous une petite querelle engagée.

– Ah ! ah ! dit l’Anglais, c’est vous, mon maître. Il faut donc toujours que vous jouiez un jeu ou un autre ?

– Oui, et cela me rappelle que j’ai une revanche à prendre. Nous verrons, mon cher monsieur, si vous maniez aussi adroitement la rapière que le cornet.

– Vous voyez bien que je n’ai pas d’épée, dit l’Anglais ; voulez-vous faire le brave contre un homme sans armes ?

– J’espère bien que vous en avez chez vous, répondit d’Artagnan. En tout cas, j’en ai deux, et si vous le voulez, je vous en jouerai une.

– Inutile, dit l’Anglais, je suis muni suffisamment de ces sortes d’ustensiles.

– Eh bien, mon digne gentilhomme, reprit d’Artagnan choisissez la plus longue et venez me la montrer ce soir.

– Où cela, s’il vous plaît ?

– Derrière le Luxembourg, c’est un charmant quartier pour les promenades dans le genre de celle que je vous propose.

– C’est bien, on y sera.

– Votre heure ?

– Six heures.

– À propos, vous avez aussi probablement un ou deux amis ?

– Mais j’en ai trois qui seront fort honorés de jouer la même partie que moi.

– Trois ? à merveille ! comme cela se rencontre ! dit d’Artagnan, c’est juste mon compte.

– Maintenant, qui êtes-vous ? demanda l’Anglais.

– Je suis M. d’Artagnan, gentilhomme gascon, servant aux gardes, compagnie de M. des Essarts. Et vous ?

– Moi, je suis Lord de Winter, baron de Sheffield.

– Eh bien, je suis votre serviteur, monsieur le baron, dit d’Artagnan, quoique vous ayez des noms bien difficiles à retenir.»

Et piquant son cheval, il le mit au galop, et reprit le chemin de Paris.

Comme il avait l’habitude de le faire en pareille occasion, d’Artagnan descendit droit chez Athos.

Il trouva Athos couché sur un grand canapé, où il attendait, comme il l’avait dit, que son équipement le vînt trouver.

Il raconta à Athos tout ce qui venait de se passer, moins la lettre de M. de Wardes.

Athos fut enchanté lorsqu’il sut qu’il allait se battre contre un Anglais. Nous avons dit que c’était son rêve.

On envoya chercher à l’instant même Porthos et Aramis par les laquais, et on les mit au courant de la situation.

Porthos tira son épée hors du fourreau et se mit à espadonner contre le mur en se reculant de temps en temps et en faisant des pliés comme un danseur. Aramis, qui travaillait toujours à son poème, s’enferma dans le cabinet d’Athos et pria qu’on ne le dérangeât plus qu’au moment de dégainer.

Athos demanda par signe à Grimaud une bouteille.

Quant à d’Artagnan, il arrangea en lui-même un petit plan dont nous verrons plus tard l’exécution, et qui lui promettait quelque gracieuse aventure, comme on pouvait le voir aux sourires qui, de temps en temps, passaient sur son visage dont ils éclairaient la rêverie.

CHAPITRE XXXI. ANGLAIS ET FRANÇAIS

L’heure venue, on se rendit avec les quatre laquais, derrière le Luxembourg, dans un enclos abandonné aux chèvres. Athos donna une pièce de monnaie au chevrier pour qu’il s’écartât. Les laquais furent chargés de faire sentinelle.

Bientôt une troupe silencieuse s’approcha du même enclos, y pénétra et joignit les mousquetaires ; puis, selon les habitudes d’outre-mer, les présentations eurent lieu.

Les Anglais étaient tous gens de la plus haute qualité, les noms bizarres de leurs adversaires furent donc pour eux un sujet non seulement de surprise, mais encore d’inquiétude.

«Mais, avec tout cela, dit Lord de Winter quand les trois amis eurent été nommés, nous ne savons pas qui vous êtes, et nous ne nous battrons pas avec des noms pareils ; ce sont des noms de bergers, cela.

– Aussi, comme vous le supposez bien, Milord, ce sont de faux noms, dit Athos.

– Ce qui ne nous donne qu’un plus grand désir de connaître les noms véritables, répondit l’Anglais.

– Vous avez bien joué contre nous sans les connaître, dit Athos, à telles enseignes que vous nous avez gagné nos deux chevaux ?

– C’est vrai, mais nous ne risquions que nos pistoles ; cette fois nous risquons notre sang : on joue avec tout le monde, on ne se bat qu’avec ses égaux.

– C’est juste», dit Athos. Et il prit à l’écart celui des quatre Anglais avec lequel il devait se battre, et lui dit son nom tout bas.

Porthos et Aramis en firent autant de leur côté.

«Cela vous suffit-il, dit Athos à son adversaire, et me trouvez-vous assez grand seigneur pour me faire la grâce de croiser l’épée avec moi ?

– Oui, monsieur, dit l’Anglais en s’inclinant.

– Eh bien, maintenant, voulez-vous que je vous dise une chose ? reprit froidement Athos.

– Laquelle ? demanda l’Anglais.

– C’est que vous auriez aussi bien fait de ne pas exiger que je me fisse connaître.

– Pourquoi cela ?

– Parce qu’on me croit mort, que j’ai des raisons pour désirer qu’on ne sache pas que je vis, et que je vais être obligé de vous tuer, pour que mon secret ne coure pas les champs.»

L’Anglais regarda Athos, croyant que celui-ci plaisantait ; mais Athos ne plaisantait pas le moins du monde.

«Messieurs, dit-il en s’adressant à la fois à ses compagnons et à leurs adversaires, y sommes-nous ?

– Oui, répondirent tout d’une voix Anglais et Français.

– Alors, en garde», dit Athos.

Et aussitôt huit épées brillèrent aux rayons du soleil couchant, et le combat commença avec un acharnement bien naturel entre gens deux fois ennemis.

Athos s’escrimait avec autant de calme et de méthode que s’il eût été dans une salle d’armes.

Porthos, corrigé sans doute de sa trop grande confiance par son aventure de Chantilly, jouait un jeu plein de finesse et de prudence.

Aramis, qui avait le troisième chant de son poème à finir, se dépêchait en homme très pressé.

Athos, le premier, tua son adversaire : il ne lui avait porté qu’un coup, mais, comme il l’en avait prévenu, le coup avait été mortel. L’épée lui traversa le coeur.

Porthos, le second, étendit le sien sur l’herbe : il lui avait percé la cuisse. Alors, comme l’Anglais, sans faire plus longue résistance, lui avait rendu son épée, Porthos le prit dans ses bras et le porta dans son carrosse.

Aramis poussa le sien si vigoureusement, qu’après avoir rompu une cinquantaine de pas, il finit par prendre la fuite à toutes jambes et disparut aux huées des laquais.

Quant à d’Artagnan, il avait joué purement et simplement un jeu défensif ; puis, lorsqu’il avait vu son adversaire bien fatigué, il lui avait, d’une vigoureuse flanconade, fait sauter son épée. Le baron, se voyant désarmé, fit deux ou trois pas en arrière ; mais, dans ce mouvement, son pied glissa, et il tomba à la renverse.

D’Artagnan fut sur lui d’un seul bond, et lui portant l’épée à la gorge :

«Je pourrais vous tuer, monsieur, dit-il à l’Anglais, et vous êtes bien entre mes mains, mais je vous donne la vie pour l’amour de votre soeur.»

D’Artagnan était au comble de la joie ; il venait de réaliser le plan qu’il avait arrêté d’avance, et dont le développement avait fait éclore sur son visage les sourires dont nous avons parlé.

L’Anglais, enchanté d’avoir affaire à un gentilhomme d’aussi bonne composition, serra d’Artagnan entre ses bras, fit mille caresses aux trois mousquetaires, et, comme l’adversaire de Porthos était déjà installé dans la voiture et que celui d’Aramis avait pis la poudre d’escampette, on ne songea plus qu’au défunt.

Comme Porthos et Aramis le déshabillaient dans l’espérance que sa blessure n’était pas mortelle, une grosse bourse s’échappa de sa ceinture. D’Artagnan la ramassa et la tendit à Lord de Winter.

«Et que diable voulez-vous que je fasse de cela ? dit l’Anglais.

– Vous la rendrez à sa famille, dit d’Artagnan.

– Sa famille se soucie bien de cette misère : elle hérite de quinze mille louis de rente : gardez cette bourse pour vos laquais.»

D’Artagnan mit la bourse dans sa poche.

«Et maintenant. mon jeune ami, car vous me permettrez, je l’espère, de vous donner ce nom, dit Lord de Winter, dès ce soir, si vous le voulez bien, je vous présenterai à ma soeur, Lady Clarick ; car je veux qu’elle vous prenne à son tour dans ses bonnes grâces, et, comme elle n’est point tout à fait mal en cour, peut-être dans l’avenir un mot dit par elle ne vous serait-il point inutile.»

D’Artagnan rougit de plaisir, et s’inclina en signe d’assentiment.

Pendant ce temps, Athos s’était approché de d’Artagnan.

«Que voulez-vous faire de cette bourse ? lui dit-il tout bas à l’oreille.

– Mais je comptais vous la remettre, mon cher Athos.

– À moi ? et pourquoi cela ?

– Dame, vous l’avez tué : ce sont les dépouilles opimes.

– Moi, héritier d’un ennemi ! dit Athos, pour qui donc me prenez-vous ?

– C’est l’habitude à la guerre, dit d’Artagnan ; pourquoi ne serait-ce pas l’habitude dans un duel ?

– Même sur le champ de bataille, dit Athos, je n’ai jamais fait cela.»

Porthos leva les épaules. Aramis, d’un mouvement de lèvres, approuva Athos.

«Alors, dit d’Artagnan, donnons cet argent aux laquais, comme Lord de Winter nous a dit de le faire.

– Oui, dit Athos, donnons cette bourse, non à nos laquais, mais aux laquais anglais.»

Athos prit la bourse, et la jeta dans la main du cocher :

«Pour vous et vos camarades.»

Cette grandeur de manières dans un homme entièrement dénué frappa Porthos lui-même, et cette générosité française, redite par Lord de Winter et son ami, eut partout un grand succès, excepté auprès de MM. Grimaud, Mousqueton, Planchet et Bazin.

Lord de Winter, en quittant d’Artagnan, lui donna l’adresse de sa soeur ; elle demeurait place Royale, qui était alors le quartier à la mode, au n° 6. D’ailleurs, il s’engageait à le venir prendre pour le présenter. D’Artagnan lui donna rendez-vous à huit heures, chez Athos.

 

Cette présentation à Milady occupait fort la tête de notre Gascon. Il se rappelait de quelle façon étrange cette femme avait été mêlée jusque-là dans sa destinée. Selon sa conviction, c’était quelque créature du cardinal, et cependant il se sentait invinciblement entraîné vers elle, par un de ces sentiments dont on ne se rend pas compte. Sa seule crainte était que Milady ne reconnût en lui l’homme de Meung et de Douvres. Alors, elle saurait qu’il était des amis de M. de Tréville, et par conséquent qu’il appartenait corps et âme au roi, ce qui, dès lors, lui ferait perdre une partie de ses avantages, puisque, connu de Milady comme il la connaissait, il jouerait avec elle à jeu égal. Quant à ce commencement d’intrigue entre elle et le comte de Wardes, notre présomptueux ne s’en préoccupait que médiocrement, bien que le marquis fût jeune, beau, riche et fort avant dans la faveur du cardinal. Ce n’est pas pour rien que l’on a vingt ans, et surtout que l’on est né à Tarbes.

D’Artagnan commença par aller faire chez lui une toilette flamboyante ; puis, il s’en revint chez Athos, et, selon son habitude, lui raconta tout. Athos écouta ses projets ; puis il secoua la tête, et lui recommanda la prudence avec une sorte d’amertume.

«Quoi ! lui dit-il, vous venez de perdre une femme que vous disiez bonne, charmante, parfaite, et voilà que vous courez déjà après une autre !»

D’Artagnan sentit la vérité de ce reproche.

«J’aimais Mme Bonacieux avec le coeur, tandis que j’aime Milady avec la tête, dit-il ; en me faisant conduire chez elle, je cherche surtout à m’éclairer sur le rôle qu’elle joue à la cour.

– Le rôle qu’elle joue, pardieu ! il n’est pas difficile à deviner d’après tout ce que vous m’avez dit. C’est quelque émissaire du cardinal : une femme qui vous attirera dans un piège, où vous laisserez votre tête tout bonnement.

– Diable ! mon cher Athos, vous voyez les choses bien en noir, ce me semble.

– Mon cher, je me défie des femmes ; que voulez-vous ! je suis payé pour cela, et surtout des femmes blondes. Milady est blonde, m’avez-vous dit ?

– Elle a les cheveux du plus beau blond qui se puisse voir.

– Ah ! mon pauvre d’Artagnan, fit Athos.

– Écoutez, je veux m’éclairer ; puis, quand je saurai ce que je désire savoir, je m’éloignerai.

– Éclairez-vous», dit flegmatiquement Athos.

Lord de Winter arriva à l’heure dite, mais Athos, prévenu à temps, passa dans la seconde pièce. Il trouva donc d’Artagnan seul, et, comme il était près de huit heures, il emmena le jeune homme.

Un élégant carrosse attendait en bas, et comme il était attelé de deux excellents chevaux, en un instant on fut place Royale.

Milady Clarick reçut gracieusement d’Artagnan. Son hôtel était d’une somptuosité remarquable ; et, bien que la plupart des Anglais, chassés par la guerre, quittassent la France, ou fussent sur le point de la quitter, Milady venait de faire faire chez elle de nouvelles dépenses : ce qui prouvait que la mesure générale qui renvoyait les Anglais ne la regardait pas.

«Vous voyez, dit Lord de Winter en présentant d’Artagnan à sa soeur, un jeune gentilhomme qui a tenu ma vie entre ses mains, et qui n’a point voulu abuser de ses avantages, quoique nous fussions deux fois ennemis, puisque c’est moi qui l’ai insulté, et que je suis anglais. Remerciez-le donc, madame, si vous avez quelque amitié pour moi.»

Milady fronça légèrement le sourcil ; un nuage à peine visible passa sur son front, et un sourire tellement étrange apparut sur ses lèvres, que le jeune homme, qui vit cette triple nuance, en eut comme un frisson.

Le frère ne vit rien ; il s’était retourné pour jouer avec le singe favori de Milady, qui l’avait tiré par son pourpoint.

«Soyez le bienvenu, monsieur, dit Milady d’une voix dont la douceur singulière contrastait avec les symptômes de mauvaise humeur que venait de remarquer d’Artagnan, vous avez acquis aujourd’hui des droits éternels à ma reconnaissance.»

L’Anglais alors se retourna et raconta le combat sans omettre un détail. Milady l’écouta avec la plus grande attention ; cependant on voyait facilement, quelque effort qu’elle fît pour cacher ses impressions, que ce récit ne lui était point agréable. Le sang lui montait à la tête, et son petit pied s’agitait impatiemment sous sa robe.

Lord de Winter ne s’aperçut de rien. Puis, lorsqu’il eut fini, il s’approcha d’une table où étaient servis sur un plateau une bouteille de vin d’Espagne et des verres. Il emplit deux verres et d’un signe invita d’Artagnan à boire.

D’Artagnan savait que c’était fort désobliger un Anglais que de refuser de toaster avec lui. Il s’approcha donc de la table, et prit le second verre. Cependant il n’avait point perdu de vue Milady, et dans la glace il s’aperçut du changement qui venait de s’opérer sur son visage. Maintenant qu’elle croyait n’être plus regardée, un sentiment qui ressemblait à de la férocité animait sa physionomie. Elle mordait son mouchoir à belles dents.

Cette jolie petite soubrette, que d’Artagnan avait déjà remarquée, entra alors ; elle dit en anglais quelques mots à Lord de Winter, qui demanda aussitôt à d’Artagnan la permission de se retirer, s’excusant sur l’urgence de l’affaire qui l’appelait, et chargeant sa soeur d’obtenir son pardon.

D’Artagnan échangea une poignée de main avec Lord de Winter et revint près de Milady. Le visage de cette femme, avec une mobilité surprenante, avait repris son expression gracieuse, seulement quelques petites taches rouges disséminées sur son mouchoir indiquaient qu’elle s’était mordu les lèvres jusqu’au sang.

Ses lèvres étaient magnifiques, on eût dit du corail.

La conversation prit une tournure enjouée. Milady paraissait s’être entièrement remise. Elle raconta que Lord de Winter n’était que son beau-frère et non son frère : elle avait épousé un cadet de famille qui l’avait laissée veuve avec un enfant. Cet enfant était le seul héritier de Lord de Winter, si Lord de Winter ne se mariait point. Tout cela laissait voir à d’Artagnan un voile qui enveloppait quelque chose, mais il ne distinguait pas encore sous ce voile.

Au reste, au bout d’une demi-heure de conversation, d’Artagnan était convaincu que Milady était sa compatriote : elle parlait le français avec une pureté et une élégance qui ne laissaient aucun doute à cet égard.

D’Artagnan se répandit en propos galants et en protestations de dévouement. À toutes les fadaises qui échappèrent à notre Gascon, Milady sourit avec bienveillance. L’heure de se retirer arriva. D’Artagnan prit congé de Milady et sortit du salon le plus heureux des hommes.

Sur l’escalier il rencontra la jolie soubrette, laquelle le frôla doucement en passant, et, tout en rougissant jusqu’aux yeux, lui demanda pardon de l’avoir touché, d’une voix si douce, que le pardon lui fut accordé à l’instant même.

D’Artagnan revint le lendemain et fut reçu encore mieux que la veille. Lord de Winter n’y était point, et ce fut Milady qui lui fit cette fois tous les honneurs de la soirée. Elle parut prendre un grand intérêt à lui, lui demanda d’où il était, quels étaient ses amis, et s’il n’avait pas pensé quelquefois à s’attacher au service de M. le cardinal.

D’Artagnan, qui, comme on le sait, était fort prudent pour un garçon de vingt ans, se souvint alors de ses soupçons sur Milady ; il lui fit un grand éloge de Son Éminence, lui dit qu’il n’eût point manqué d’entrer dans les gardes du cardinal au lieu d’entrer dans les gardes du roi, s’il eût connu par exemple M. de Cavois au lieu de connaître M. de Tréville.

Milady changea de conversation sans affectation aucune, et demanda à d’Artagnan de la façon la plus négligée du monde s’il n’avait jamais été en Angleterre.

D’Artagnan répondit qu’il y avait été envoyé par M. de Tréville pour traiter d’une remonte de chevaux et qu’il en avait même ramené quatre comme échantillon.

Milady, dans le cours de la conversation, se pinça deux ou trois fois les lèvres : elle avait affaire a un Gascon qui jouait serré.

À la même heure que la veille d’Artagnan se retira. Dans le corridor il rencontra encore la jolie Ketty ; c’était le nom de la soubrette. Celle-ci le regarda avec une expression de mystérieuse bienveillance à laquelle il n’y avait point à se tromper. Mais d’Artagnan était si préoccupé de la maîtresse, qu’il ne remarquait absolument que ce qui venait d’elle.