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EN VOYAGE. SIMPLES NOTES

À l’encontre de beaucoup de personnes que je pourrais nommer, je préfère m’introduire dans un compartiment déjà presque plein que dans un autre qui serait à peu près vide.

Pour plusieurs raisons.

D’abord, ça embête les gens.

Êtes-vous comme moi ? j’adore embêter les gens, parce que les gens sont tous des sales types qui me dégoûtent.

En voilà des sales types, les gens !

Et puis, j’aime beaucoup entendre dire des bêtises autour de moi, et Dieu sait si les gens sont bêtes ! Avez-vous remarqué ?

Enfin, je préfère le compartiment plein au compartiment vide, parce que ce manque de confortable macère ma chair, blinde mon cœur, armure mon âme, en vue des rudes combats pour la vie (struggles for life).

Voilà pourquoi, pas plus tard qu’avant-hier, je pénétrais dans un wagon où toutes les places étaient occupées, sauf une dont je m’emparai, non sans joie.

Une seconde raison (et c’est peut-être la bonne) m’incitait à pénétrer dans ce compartiment plutôt que dans un autre, c’est que les autres étaient aussi bondés que celui-là.

Cet événement, auquel j’attache sans doute une importance démesurée, se passait à une petite station dont vous permettrez que je taise le nom, car elle dessert un pays des plus giboyeux et encore peu exploré.

Parmi les voyageurs de mon wagon, je citerai :

Deux jeunes amoureux, grands souhaiteurs de tunnels, la main dans la main, les yeux dans les yeux. Une idylle !

Cela me rappelle ma tendre jouvence. Une larme sourd  de mes yeux et, après avoir trembloté un instant à mes cils, coule au long de mes joues amaigries pour s’engouffrer dans les broussailles de ma rude moustache.

Continuez, les amoureux, aimez-vous bien, et toi, jeune homme, mets longtemps ta main dans celle de ta maîtresse, cela vaut mieux que de la lui mettre sur la figure, surtout brutalement.

À côté des amants s’étale un ecclésiastique gras et sans distinction, sur la soutane duquel on peut apercevoir des résidus d’anciennes sauces projetées là par suite de négligences en mangeant.

À votre place, monsieur le curé, je détournerais quelques fonds du denier de saint Pierre pour m’acheter des serviettes.

Près de l’ecclésiastique, un jeune peintre très gentil, dont j’ai fait la connaissance depuis.

Beaucoup de talent et très rigolo.

Près de la portière, un monsieur et son fils.

Le monsieur frise la quarantaine, le petit garçon a vu s’épanouir, cette année, son sixième printemps. Pauvre petit bougre !

Le père profite des heures de voyage pour inculquer la grammaire à son rejeton. lis en sont au pluriel, au terrible pluriel.

Les mots en ail aussi, excepté éventail et quelques autres dont la souvenance a disparu de mon cerveau.

Quand l’infortuné crapaud s’est fourré dans sa pauvre petite caboche la règle et ses exceptions, le professeur passe aux exemples, et c’est là qu’il apparaît dans toute sa beauté.

L’enfant tient une ardoise sur ses genoux et un crayon à la main.

– Tu vas me mettre ça au pluriel.

– Oui, papa.

– Fais bien attention.

– Oui, papa.

– Le chacal, cet épouvantail du bétail, s’introduit dans un soupirail.

À ce moment, le jeune peintre me regarde, je regarde le jeune peintre, et, malgré mon sang-froid bien connu, j’éclate de rire et lui aussi.

Le père-professeur, tout à sa leçon, ne devine pas la cause de notre hilarité et continue :

– Voici maintenant les mots en ou, dont certains prennent au pluriel un s, d’autres un x.

J’attends l’exemple. Il ne tarde pas :

– Le pou est le joujou et le bijou du sapajou.

Le petit fait une distribution judicieuse d’s et d’x, et nous passons à la géographie.

Non, vous n’avez pas idée de la quantité énorme de fleuves qui se jettent dans la Méditerranée !

Il me semble que, de mon temps, il n’y en avait pas tant que ça.

Mon ami l’artiste me demande gravement comment, recevant toute cette eau, la Méditerranée ne déborde pas.

Je lui fais cette réponse classique : que la Providence a prévu cette catastrophe et mis des éponges dans la mer.

Le petit, qui nous a entendus, demande à son père si c’est vrai.

Le père, interloqué, hausse imperceptiblement les épaules, ne répond pas, et déclare la leçon terminée.

Encouragés par ce résultat, nous tâchons d’inculquer au petit garçon quelques faux principes.

– Savez-vous, mon jeune ami, pourquoi la mer, bien qu’alimentée par l’eau douce des rivières, est salée ?

– Non, monsieur.

– Eh bien, c’est parce qu’il y a des morues dedans.

– Ah !

– Et l’ardoise que vous avez là sur vos genoux, savez-vous d’où elle vient ?

– Non, monsieur.

– Eh ! elle vient d’Angers, et c’est même pour ça que le métier de couvreur est si dangereux.

À ce moment, le père intervient et nous prie de ne pas fausser le jugement de son fils.

Nous répliquons avec aigreur :

– Avec ça que vous n’êtes pas le premier à le lui fausser, quand vous lui faites écrire que les poux sont les joujoux et les bijoux des sapajous ! Si vous croyez que ça ferait plaisir à Buffon d’entendre de telles hérésies !

Nous entrons en gare.

Il était temps !

LE CHAMBARDOSCOPE

Je ne me rappelle plus, mais je crois bien que ce fut le jeune duc Honneau de la Lunerie qui s’écria :

– Non, l’homme n’est pas un animal ou, si c’est un animal, c’est un animal supérieur.

Sur ce dernier mot, Laflemme perdit patience :

– Un animal supérieur, l’homme ! … Voulez-vous avoir mon opinion sur l’homme ?

– Volontiers, Laflemme.

– L’homme est une andouille, la dernière des andouilles.

– Et la femme ?

– La femme en est l’avant-dernière.

– Tu es dur pour l’humanité, Laflemme.

– Pas encore assez ! C’est précisément l’humanité qui a perdu l’homme. Dire que cet idiot-là aurait pu être le plus heureux des animaux, s’il avait su se tenir tranquille. Mais non, il a trouvé qu’il n’avait pas assez contre lui de la pluie du ciel, du tonnerre de Dieu, des maladies, et il a inventé la civilisation.

– Pourtant, Laflemme…. interrompit le jeune duc Honneau de la Lunerie.

– Il n’y a pas de pourtant, duc Honneau ! véhémenta Laflemme. La civilisation, qu’est-ce que c’est, sinon la caserne, le bureau, l’usine, les apéritifs, et les garçons de banque ?

« L’homme est si peu le roi de la Nature, qu’il est le seul de tous les animaux qui ne puisse rien faire sans payer. Les bêtes mangent à l’œil, boivent à l’œil…, aiment à l’œil…

– Je te ferai remarquer, Laflemme, que beaucoup d’humains ne se gênent pas pour pratiquer cette dernière opération le plus ophtalmiquement du monde. Il existe même certains quidams qui en tirent de petits bénéfices.

– Parfaitement ! mais de quel opprobre l’humanité ne couvre-t-elle pas ces êtres ingénieux et charmants ! Je reviens à la question. Avez-vous jamais vu un daim se ruiner pour une biche ? Le cochon le plus dévoyé ne peut-il pas se livrer à toutes ses cochonneries sans qu’un de ses confrères, déguisé en sergent de ville ou en huissier, ne vienne lui présenter un mandat d’arrêt ou un billet à ordre ?… Dites-le moi franchement, qui de vous peut se vanter d’avoir assisté au spectacle d’une sarigue tirant un sou de sa poche !

Pas un de nous ne releva le défi. Laflemme avait décidément raison : l’homme était un animal inférieur.

Le jeune duc Honneau de la Lunerie lui-même semblait écrasé sous l’éloquence documentaire de notre brave ami Laflemme.

Notre brave ami Laflemme n’était pas, comme on pourrait le croire, un paradoxal fantaisiste, un creux théoricien.

À peine au sortir de l’enfance, et même un peu avant, il avait mis en pratique ses théories sur la méprisabilité du travail.

Sa devise favorite était : On n’est pas des bœufs. Son programme : Rien faire et laisser dire.

La manifestation de ces farouches révolutionnaires qui réclamaient huit heures de travail par jour lui arracha de doux sourires, et il félicita de tout son cœur les gardiens de la paix (sic) qui assommèrent ces formidables idiots.

Laflemme ne possédait aucune fortune personnelle ou autre. Employé nulle part, il eût été mal venu à réclamer des appointements.

L’horreur instinctive qu’il avait de la magistrature en général et de Mazas en particulier le maintint dans le chemin d’une vertu relative.

Il lui arriva souvent d’emprunter des sommes qu’il négligea de rendre, mais toujours à des gens riches que ces transactions ne pouvaient gêner (une certaine sensibilité native lui tenant lieu de conscience).

Entre-temps, il exécutait des besognes pitoyablement rémunératrices, mais coûtant si peu d’efforts, comme, par exemple, des romans pour le compte de M. Richebourg.

Un de ceux qu’il écrivit, dans ces conditions, est resté gravé au plus creux de tous les cœurs vraiment concierges. Il s’appelait, si mes souvenirs sont exacts :

La Belle Cul-de-Jatte

ou la Fille du Fou mort-né.

Tout l’argent que lui rapporta cette œuvre sensationnelle passa, d’ailleurs, à l’entretien d’une charmante jeune femme de Clignancourt, qu’il possédait pour maîtresse, et à qui sa taille exiguë avait valu le sobriquet de la môme Zéro-Virgule-Cinq.

Malgré ses faibles dimensions, la môme Zéro-Virgule-Cinq était douée d’appétits cléopâtreux, et le pauvre Laflemme dut la céder un beau soir, pour dix sous, à un Russe ivre-mort.

L’hiver approchait.

Laflemme, assez frileux de sa nature, et dégoûté de patauger dans la boue frigide de Paris alors qu’il fait si beau soleil dans le Midi, résolut d’aller passer l’hiver à Nice.

Il fit ses malles, lesquelles consistaient en une valise surannée, enleva la petite aiguille d’une vieille montre en nickel qu’il avait, mit la grande aiguille sur 6 heures et prit le train de Nice.

 

Encore peu de monde à Nice : la saison commençait à peine.

Laflemme s’installa dans un hôtel confortable, et, dès le premier dîner qu’il fit à la table d’hôte, intéressa vivement les voyageurs.

La conversation était tombée, comme il arrive à toutes les tables d’hôte de Nice, chaque jour que Dieu fait, sur le fameux tremblement de terre de 1886.

(À Nice, on ne connaît que quatre sujets de conversation : la roulette de Monte-Carlo, le tremblement de terre de 86, les gens de marque arrivant ou partant, et la joie généreuse qu’on éprouve à avoir chaud quand les Parisiens grelottent.)

– Le tremblement de terre ! dit Laflemme d’une voix douce, mais bien articulée. Les gens qui en seront victimes désormais, c’est qu’ils le voudront bien.

On dressa l’oreille d’un air interrogateur.

– Parfaitement, puisque la science permet maintenant de prévoir la catastrophe vingt-quatre heures avant son explosion.

Pour le coup, tous les dîneurs se suspendirent aux lèvres de Laflemme.

– Comment ! vous ne connaissez pas le chambardoscope, cet instrument inventé par un prêtre irlandais ?

Aucun de ces messieurs et dames ne connaissait le chambardoscope.

Laflemme sortit sa fameuse vieille montre de nickel.

– Vous voyez, ça n’est pas bien compliqué. L’instrument ressemble un peu à une montre, à cette différence près qu’il ne comporte qu’une aiguille. L’intérieur consiste en un appareil extrêmement sensible aux courants telluriques qui travaillent le sol. La façon de s’en servir est des plus simples. Vous placez l’instrument à plat, comme ceci, de façon que l’aiguille soit bien dans l’axe du méridien, comme cela. Si l’aiguille se maintient sur le chiffre 6, rien à craindre. Si l’aiguille incline à droite du 6, c’est qu’on a affaire à des courants telluriques positifs. Si, au contraire, elle se dirige à gauche, cela annonce des courants telluriques négatifs, plus dangereux que les autres.

Tous les yeux se fixaient, attentifs, sur l’aiguille, qui se maintint impassiblement au chiffre 6.

– Nous pouvons dormir sur nos deux oreilles, conclut gaiement Laflemme.

À partir de ce jour, Laflemme fut l’enfant gâté de l’hôtel. Au déjeuner, au dîner, il devait sortir son chambardoscope.

– Encore rien aujourd’hui ! Allons, ça va bien !

Et les visages de refléter la sérénité.

Le matin du septième jour, Laflemme descendit plus tôt que de coutume. Il prit en particulier le patron de l’hôtel.

– Ayez la bonté de me préparer ma note. Je télégraphie à Paris pour qu’on m’envoie de l’argent, et je file ce soir.

– Qu’y a-t-il donc ?

– Voyez plutôt.

La chambardoscope marquait 9,5. Courants telluriques négatifs, les pires de tous ! Ça n’allait pas traîner.

Le patron blêmit.

– Surtout, n’en dites rien à personne… Votre instrument peut se tromper.

– Mon devoir me commande d’avertir tout le monde.

– N’en faites rien, je vous en conjure.

Et le pauvre homme blêmissait toujours. Cette révélation, c’était l’hôtel vidé sur l’heure, la saison perdue, la ruine !

– Tenez, monsieur Laflemme, voici votre note acquittée, faites-moi l’amitié de partir tout de suite.

– Mais je n’ai pas d’argent pour le voyage.

– Voici deux cents francs, mais partez sans rien dire.

Laflemme mit gravement la note acquittée dans son portefeuille, les dix louis dans son porte-monnaie et prit le train.

Il passa une délicieuse journée à Cannes et revint, le soir même, s’installer dans un excellent hôtel de Nice – pas le même, bien entendu.

Le chambardoscope excita le même intérêt dans ce nouvel endroit que le précédent.

Je ne fatiguerai pas le lecteur au récit monotone des aventures de Laflemme dans les hôtels de Nice.

Qu’il vous suffise de savoir que le coup du chambardoscope ne rata jamais.

La roulette de Monte-Carlo, touchée de tant d’ingéniosité, se transforma en alma parens pour Laflemme, qui revint, au printemps, gros, gras, souriant et non dénué de ressources.

C’est à ce moment-là qu’il ajouta à sa devise favorite, un peu triviale, de : On n’est pas des bœufs, celle, plus élégante et néodarwinienne, de : Truc for life !

UNE INVENTION. MONOLOGUE POUR CADET

Si quelqu’un m’avait dit que je ferais une invention, j’aurais été bien étonné ! Et, vous savez…. pas une de ces petites inventions de rien du tout, non… une invention sérieuse.

Je ne dis pas que ce soit une de ces inventions qui bouleversent un siècle, non, mais…

C’est drôle comme ça vous vient, une invention … au moment où on s’y attend le moins !

C’est l’histoire de l’œuf de Christophe Colomb ! …

Colomb ne pensait pas plus à découvrir l’Amérique qu’à rien du tout… Voilà que ses yeux tombent sur un œuf dur… Alors, il se dit : … Je ne me rappelle pas ce qu’il s’est dit, mais enfin ça lui a donné l’idée de découvrir l’Amérique.

Mon invention, à moi, ne m’est pas venue comme ça.

Il n’y a pas d’œuf dur dans la mienne.

Je ne pose pas, moi ! Je n’ai pas un esprit en coup de foudre, mais j’ai de la logique, une logique serrée, une de ces logiques… serrées

Voilà comment je l’ai trouvée, mon invention.

Il pleuvait à verse, une de ces pluies ! Ah ! quel joli temps !

Auprès de ce temps-là, le déluge universel aurait pu être considéré comme de la sécheresse.

Justement j’avais une course pressée. Je me trouvais sous les arcades de la rue de Rivoli…

Et je me disais : Quel dommage que toutes les rues de Paris ne soient pas bâties comme la rue de Rivoli…

On s’en irait au sec, sous les arcades, où l’on voudrait. Ce serait charmant ! … Si j’étais le gouvernement, je forcerais les propriétaires à bâtir leurs maisons avec des arcades.

Ce ne serait peut-être pas libéral.

Non, pas d’arcades, mais qu’est-ce qui empêcherait les boutiquiers de tendre devant leurs boutiques des toiles qui abriteraient les passants ?

La Chambre ferait une loi pour forcer les commerçants à dresser des tentes pendant la pluie.

Puis, tout à coup… vous me suivez bien, n’est-ce pas ?… Je vais vous faire assister (solennel) à la genèse de mon idée… Je me suis dit : Mais pourquoi chaque citoyen n’aurait-il pas sa petite tente à lui ? Une petite toile soutenue par des bâtons légers, du bambou, par exemple, qu’on porterait soi-même, au-dessus de sa tête, pour se garantir de la pluie.

Mon invention était faite !… Il ne restait plus qu’à la rendre pratique.

Voilà ce que j’ai imaginé :

Figurez-vous une étoffe…. soie, alpaga, ce que vous voudrez…. taillée en rond et tendue sur des tiges en baleine. Toutes ces tiges sont réunies au centre, autour d’un petit rond de métal qui glisse le long d’un bâton, comme qui dirait une canne.

Quand il ne pleut pas, les baleines sont couchées le long du manche avec l’étoffe… Dans ce cas-là, vous vous servez de mon appareil comme d’une canne.

Crac ! il pleut ! … Vous poussez le petit étui le long du manche… Les baleines se tendent, l’étoffe aussi… Vous interposez cet abri improvisé entre vous et le ciel, et vous voilà garanti de la pluie.

Ça n’est pas plus difficile que ça, mais il fallait le trouver.

Je vous fais le pari qu’avant trois mois mon instrument est dans les mains de tout le monde.

On pourra en établir à tous les prix, en coton pour les classes ouvrières, en soie pour les personnes aisées.

Ce n’est pas le tout d’inventer, il faut baptiser son invention.

J’avais songé à des mots grecs, latins, comme on fait dans la science. Puis, j’ai réfléchi que ce serait prétentieux.

Alors je me suis dit : Voyons… j’ai fait une invention simple, donnons-lui un nom simple. Mon appareil est destiné à parer à la pluie, je l’appellerai Parapluie.

Mais je cause, je cause. Je vais prendre mon brevet au ministère, je n’ai pas envie qu’on me vole mon idée. Car, vous savez, quand une idée est dans l’air, il faut se méfier.

LE TEMPS BIEN EMPLOYÉ

À cette époque-là – voilà bien une pièce de dix ans ; comme le temps passe ! –, je payais mon loyer à des intervalles inégaux, mais peu rapprochés.

Ça n’a pas beaucoup changé depuis, mais maintenant, j’ai une bonne propriétaire qui se contente de me dire entre-temps :

– Eh bien ! monsieur A …, pensez-vous à moi ?

– Mais oui, madame C …, lui souris-je irrésistiblement, je n’arrête pas d’y penser.

Et elle reprend, douloureuse :

– C’est que je suis bien gênée, en ce moment.

– Pas tant que moi, madame C…, pas tant que moi !

À l’époque dont je parle, je me trouvais en proie à un propriétaire qui ne se fit aucun scrupule d’éparpiller aux quatre vents des enchères publiques mon mobilier hétéroclite et mes collections (provenant en grande partie d’objets dérobés).

Je ne fis ni une ni deux, et, dégoûté du Quartier latin, j’allai me nicher dans le premier hôtel venu du quartier Poissonnière, parfaitement inconnu de moi, d’ailleurs.

Maison calme, patriarcale, habitée par des gens qu’on ne rencontrait jamais dans les escaliers et qui se couchaient à des heures incroyables de nuit peu avancée.

J’en rougissais.

J’avais beau rentrer comme les poules, c’était toujours moi le dernier couché.

Je ne connaissais pas mes colocataires, mais leurs chaussures n’avaient aucun mystère pour moi.

À la lueur de mes allumettes-bougies (de contrebande), je les connus et les reconnus, sans jamais me tromper.

Par exemple, je savais que le 7 chaussait couramment de gros brodequins en cuir fauve, tandis que le 12 avait adopté la bottine en chevreau à boutons.

Et toutes ces chaussures, rangées sur leur paillasson respectif, me semblaient, dans la nuit des couloirs, autant de muets reproches.

– Comment ! disaient les bottines à élastiques du 3, tu rentres seulement et voici l’aurore.

Les souliers vernis du 14. reprenaient

– Vil débauché, d’où viens-tu ? Du tripot, sans doute, ou de quelque endroit pire encore !

Et je m’enfuyais, confus, par les couloirs ténébreux.

Une seule consolation m’était réservée. un paillasson qui ne m’insultait pas.

Non pas qu’il fût jamais veuf de cuir, au contraire, toujours deux paires, une de femme, une d’homme. Celle de femme, jolie, minuscule, adorablement cambrée et visiblement toujours au service des mêmes petits pieds.

Celle d’homme, ondoyante, diverse et jamais la même que la veille ou le lendemain.

Des fois, bottes élégantes ; d’autres jours, solides chaussures à cordons ; ou bien larges souliers plats, pleins de confort.

Mais toujours de la bonne cordonnerie cossue.

Les hommes se renouvelaient, et on devinait en eux des gaillards à leur aise.

Et, en somme, se renouvelaient-ils tant que ça ? Pas tant que ça, car, à force d’habitude, j’arrivai à les reconnaître et à savoir leur jour.

Ainsi, les solides chaussures passaient sur le paillasson infâme la nuit du mardi au mercredi.

La nuit du mercredi au jeudi était réservée aux bottes fines, et ce fut toujours le dimanche soir que je remarquai les larges souliers plats.

Un seul jour de la semaine, ou plutôt une seule nuit, les jolies petites bottines restaient seules.

Et ce qu’elles avaient l’air de s’embêter, les pauvres petites !

Souvent j’eus l’idée de leur proposer ma société, mais je ne les connaissais vraiment pas assez pour ça.

Et régulièrement, toutes les nuits du jeudi, les petites bottines se morfondaient en leur pitoyable solitude.

Je n’avais jamais vu la dame hospitalière, mais je grillais du désir d’entrer en relations avec elle ; ses bottines étaient si engageantes !

Et un beau jour, dans l’après-midi, je frappai à la porte.

Une manière de petite bourgeoise infiniment jolie, un peu trop sérieuse peut-être, vint m’ouvrir.

Je crus m’être trompé, mais un rapide coup d’œil sur les bottines me rassura : c’était bien la personne.

J’incendiai mes vaisseaux et déclarai ma flamme.

Elle écouta ma requête avec un petit air grave, en bonne commerçante qui recevrait une commande et se verrait désolée de la refuser :

– Je suis navrée, monsieur, impossible… Tout mon temps est pris.

– Pourtant, insistai-je, le jeudi ?

Elle réfléchit deux secondes.

– Le jeudi ? J’ai mon cul-de-jatte.