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Le chemin qui descend

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Puis elle continua tout haut:

– Nous allons jusqu'à la plage…

– Vous savez que le sentier est très difficile, taillé à peu près à pic dans la falaise!

– Qu'est-ce que cela fait? dit-elle, insouciante. Ce sera plus amusant!

Il insista:

– Vous n'allez pas vous tuer?.. Avoir le vertige?

Dans les yeux qui s'attachaient à son visage, elle planta ses larges prunelles qui ignoraient la peur des êtres et des choses:

– Jamais je n'ai le vertige. J'ai une tête très solide. Pourquoi en doutez-vous? Ai-je donc l'air d'une femmelette?

– Pas du tout. Vous avez plutôt la mine d'un jeune garçon très résolu.

– Je ne me doutais pas que j'étais si masculine!

– J'ai dit que vous aviez une mine résolue de jeune garçon; mais je ne vous trouve pas masculine!.. Oh! non, pas du tout!

Elle eut une imperceptible contraction des sourcils, hérissée tout de suite, devant la banalité du compliment possible. Et sans répondre, elle s'engagea dans l'étroit sentier qui dévalait jusqu'aux roches du rivage.

C'était vrai que le chemin constituait un vrai casse-cou; très étroit, pierreux, campé au bord du vide, abrupt de plus en plus, à mesure qu'il s'enfonçait vers le sable.

Mais Claude ne s'en embarrassait guère; le pied sûr, elle descendait, souple et ferme, de cette allure vive qui lui était propre, sans s'occuper de son compagnon qui la suivait en silence, attentif à la surveiller; lui aussi, avec une adresse d'alpiniste.

– Prenez garde! lui jeta-t-il seulement comme ils approchaient de la plage. Ici cela devient tout à fait laborieux! Voulez-vous ma main?

– Ce serait bien inutile; merci!.. Je suis accoutumée à me tirer d'affaire toute seule.

Elle descendait, sans peine apparente, en effet, à travers les éboulis, les degrés de plus en plus hauts qui formaient des semblants de marches… D'un dernier bond, elle sauta sur le sable enfin atteint; et, se retournant, attendit son compagnon qui arrivait derrière elle, plus lent mais le pied aussi adroit, l'allure aussi libre.

Il sourit de la voir qui le regardait avec une attention un peu curieuse au fond des prunelles et l'accueillait d'une exclamation moqueuse:

– Eh bien, malgré vos craintes, nous ne sommes morts ni l'un ni l'autre… Et nous sommes fiers de nous! n'est-ce pas?

– Très fiers! approuva-t-il du même ton qu'elle avait eu. Mais vous aviez raison, vous n'avez pas besoin de secours… Est-ce que dans la vie, comme dans les sentiers de falaise, vous ne comptez que sur vous seule?

– Mais… heureusement!.. oui.

– Même dans votre carrière?

– Dans ma carrière, je compte beaucoup sur moi-même… Mais je sais qu'il me faut aussi compter, non pas sur, mais avec les autres.

– Et vous comptez?..

– Que vous êtes curieux!

– Oh! vraiment?.. Je suis confus alors…

Il le disait, mais l'était si peu que Claude se mit à rire:

– Oui, vraiment… Mais vous venez de me procurer une telle promenade, que je vous dois bien une réponse en guise de remerciement. Eh bien, les gens très sages… – comprenez, très avisés!.. – qu'il m'arrive comme à tout le monde de fréquenter, prétendent que je manque de souplesse et devrais apprendre l'art des courbettes. Mais j'espère bien que je l'ignorerai toujours! Je suis pour cela à bonne école, auprès d'Élisabeth Ronal. Depuis ma petite enfance, je la vois prêcher et pratiquer l'indépendance que je trouve, comme elle, le bien par excellence.

Entre ses dents, elle l'entendit murmurer:

– L'indépendance! Est-ce que jamais l'on est indépendant?..

– Bah! quand on le veut fortement!.. Regardez comme la mer nous en donne l'exemple… Comme elle vient vers nous, impérieuse, sans s'occuper de nos chétives présences, qu'elle culbuterait sans même les soupçonner en allant droit vers son but…

– Oui… mais nous ne sommes pas la mer! fit-il un peu ironique.

– Non, nous sommes des volontés conscientes.

Il la regarda curieusement. Elle ne prenait plus garde à lui. Elle s'avançait vers la mer, à travers le chaos des roches, insouciante du sol détrempé par le choc furieux des vagues qui s'écrasaient sur leurs têtes déchiquetées. Tout au bord de l'eau haletante, elle s'arrêta seulement, les mains tendues vers la poussière d'écume qui jaillissait des remous; ses yeux erraient sur l'immense horizon où, lointaines, des voiles passaient, blanches dans la lumière.

Une rafale plus violente fit sauter jusqu'à son visage quelques gouttelettes qui mouillèrent sa bouche. Alors, instinctivement, elle promena le bout de sa langue sur ses lèvres humides, pour recueillir la saveur de la mer.

– Vous avez soif? questionna près d'elle la voix railleuse de Raymond de Ryeux. Alors, nous pouvons remonter. J'ai fait placer votre goûter dans l'auto.

Elle se mit à rire:

– Quelle bonne idée vous avez eue là! Remontons… Prosaïquement, j'ai une faim dévorante!.. Vous, pas?

– Moi?.. Eh bien… moi, aussi!.. Je vous préviens que la remontée va être plus dure encore que la descente. Aussi, je passe en avant.

– Soit, si vous voulez..

Il avait raison, l'escalade était laborieuse; car il ne s'agissait plus de sauter, mais de se hisser sur les vagues degrés, si hauts que, très difficilement, une femme pouvait les gravir. Raymond de Ryeux, qui montait le premier, entendit soudain le rire de Claude. Avec une mine dépitée, elle regardait l'obstacle à franchir, un fragment de roche qui barrait le sentier et qu'il fallait escalader… Il redescendit de quelques pas et se rapprocha d'elle.

– Voyons, ne soyez pas orgueilleuse! Donnez-moi la main. Nous irons ainsi beaucoup plus vite… Montrez-vous une enfant obéissante!

Une enfant!.. A cette appellation paternelle, l'indéfinissable sourire courut sur ses lèvres. Si peu, elle était, et se savait une enfant, même auprès de cet homme, qui avait cependant le double de son âge! Et taquine, elle jeta:

– J'aime mieux aller seule, je vous l'ai déjà dit.

Mais au même instant où elle parlait, une grosse pierre s'ébranlait sous son pied. Une seconde, elle chancela. Aussitôt, elle sentit sa main saisie par la main ferme de Raymond de Ryeux, et de telle sorte, qu'elle comprit qu'il ne la lâcherait point.

– Allons, pas d'imprudence inutile! fit-il avec une sorte de rudesse impérieuse. Vous m'êtes confiée… Je vous rendrai votre liberté seulement quand ce passage sera traversé. Tenez, mettez votre pied là… Puis ici… Bien. Maintenant, un vrai bond pour grimper cet échelon…

Comme il lui commandait, elle s'élança, amusée de subir cette volonté qui s'imposait à la sienne. L'élan avait été si vif qu'elle vint se heurter contre lui, qui fut frôlé tout entier par le jeune corps souple.

Elle éclata de rire et s'exclama:

– Oh! pardon!.. Je vous ai trop bien obéi!

Une seconde, pas même une seconde, il la retint ainsi tout près de lui; – peut-être simplement parce que l'espace était bien étroit où ils se trouvaient réunis, dans le sentier qui surplombait la mer…

Mais tout de suite, elle jeta, la voix un peu mordante:

– Eh! bien, nous n'avançons plus?

– Mais si…

Sans lâcher la main qu'il sentait frémir, impatiente, dans la sienne, il reprit la montée qui devenait, de minute en minute, plus facile.

– Maintenant, merci… Je puis bien aller seule. Je préfère, dit-elle, impérative à son tour.

Cette fois, aussitôt, il desserra sa solide étreinte.

– Allez…

– Pas bien loin!.. Nous arrivons!

En effet, adroits comme ils l'étaient tous deux, ils eurent vite gravi la dernière pente, et ils furent sur la lande déserte où le vent écrasait l'herbe courte.

– Eh! bien, nous voilà encore arrivés sans aventure fâcheuse, malgré vos appréhensions! lança-t-elle, un peu railleuse.

– Des appréhensions bien vaines, je le reconnais. C'est que je ne suis pas habitué à de si vaillante compagne de promenade.

– Mme de Ryeux n'est pas marcheuse…

– Oh! pas du tout, articula-t-il, avec une conviction ironique. Si elle s'était trouvée, pour ses péchés, sur cette lande déserte, sûrement elle n'aurait pas imaginé même qu'on pût s'engager dans le sentier de chèvre que nous venons d'arpenter. Et maintenant, goûtons, voulez-vous?

– Oui. Nous restons ici?

– A moins que vous ne préfériez aller ailleurs? Je prends le panier…

Elle le laissa faire; cela lui semblait tout simple qu'il la servît; et son féminisme prenait un inconscient plaisir à ce que l'homme sentît, même en cette menue circonstance, qu'il n'était pas le maître.

Pourtant, quand il revint, l'instinct de la «ménagère» se réveilla en elle; vive, elle ouvrit le panier pour excursion qui enfermait, avec le goûter lui-même, tous ses accessoires, théière, bouilloire, tasses, assiettes, même thermos… Elle commençait à sortir les bibelots. Il l'arrêta:

– Vous n'avez pas peur du vent, ici? Vous n'aurez pas froid?

– Froid!.. Oh! non!.. Je n'ai pas froid du tout… Voyez comme mes mains sont chaudes!

Elle les lui tendait, d'un geste franc de camarade. Il les prit et les souleva un peu vers ses lèvres; elles étaient longues, fines, très soignées, l'annulaire droit serti par un seul jonc d'or où s'enchâssait une large chrysolithe.

– Puis-je?.. Me permettez-vous?..

– Non, certes, fit-elle, presque raide, avec un froncement des sourcils, qui, une seconde, rendit son visage dur. J'ai horreur du flirt et de tout ce qui en approche.

– Alors, mettons que je n'ai rien dit.

Et aussitôt, il laissa les mains retomber.

– C'est cela. N'oubliez pas que je ne suis rien d'autre qu'une compagne de passage… Je puis dire, plus justement, un compagnon, puisque vous trouvez que j'ai l'air d'un jeune garçon…

– Pas toujours! prononça-t-il brièvement. Vous devez être, ou vous serez… une dangereuse androgyne…

 

– Dangereuse?

– Oui, pour les pauvres diables qui, bénévolement, se laisseront attirer par vous.

– Vers moi, corrigea-t-elle; mais pas, par moi! Et contre mon gré!

– Quel air de protestation!

– Je ne proteste pas. Je vous livre tout simplement mon idée bien sincère. J'aime trop mon indépendance pour ne pas la défendre contre toutes les intrusions. Voilà. Et maintenant, si nous goûtions?

Il se mit à rire de son accent de gamine affamée. Il prenait le thermos.

– Du thé, voulez-vous?

– Oh! oui, ce sera délicieux!

– Alors, je vais vous installer.

– Où?.. Vous seriez bien en peine…

– Non… dans l'auto…

– Comme une vieille dame?.. Jamais de la vie! Voici ma tasse. Versez-moi ce bienheureux thé; et je vais le prendre là, debout, devant la mer… la mer que dans si peu de jours, je ne vais plus voir!

– Vous êtes fâchée de rentrer à Paris?

– Navrée!

– Pourquoi? questionna-t-il hardiment.

– Pour tant de raisons!..

– Qui sont des secrets?

– Non… Mais je suis un livre à serrure; et je n'ai pas pour habitude d'en donner la clef aux étrangers.

Il ne se laissa pas désarçonner; et gaiement, il prononça:

– Ici, nous sommes en dehors des habitudes.

– C'est vrai… Ce n'est pas l'usage, vous avez raison, qu'une jeune personne s'en aille courir les routes et goûter, sur une falaise déserte, avec un monsieur inconnu.

– Pas inconnu du tout. Vous savez très bien qui je suis…

– Oui… je sais… un peu…

Elle ne poursuivit pas. Elle se souvenait du jugement de Mlle de Villebon, et une indéfinissable expression détendait la ligne ferme de ses lèvres.

Il le remarqua aussitôt.

– Vous avez entendu dire du mal de moi, n'est-ce pas?

Elle mordait son sandwich à belles dents, et négligemment, elle laissa tomber:

– Non… pas du mal!

– Pas du bien, sûrement!

– Ni du bien ni du mal… La vérité, tout uniment, ce me semble…

– Voulez-vous me dire ce que c'était?

Elle rit et but une gorgée du thé brûlant.

– Bien sûr que non! D'ailleurs, je ne m'occupe jamais que de ma propre impression.

– Et quelle est votre impression? Est-ce que vous consentiriez à ouvrir la serrure pour me la confier?.. puisque je suis en cause…

– Je pense que vous êtes très curieux…

– Non!.. simplement, j'aime à m'instruire.

– Sur ce qui se passe dans le cerveau, ou le cœur, des gens que vous rencontrez!..

– Oh! pas de tous!.. Oh! non!.. Encore un sandwich?

– Oui… Ne me trouvez pas une affreuse gourmande. Mais cet air délicieux m'a donné un appétit de loup.

– A moi aussi!.. Alors dévorons! Heureusement, le maître d'hôtel de ma mère a été généreux! Seulement, je fais très mal mon service… J'aurais dû vous offrir une assiette et une fourchette pour manger vos sandwiches, tenir devant vous ladite assiette…

– Un soin bien inutile que vous auriez pris là! Je suis si habituée à me nourrir «en camp volant»… Que de fois, il m'est arrivé de déjeuner comme cela, debout, d'une tasse de lait et d'un petit pain, dans quelque modeste crèmerie.

Il la regarda, presque choqué; mais l'élégante originalité du visage dissipa aussitôt l'impression.

– Ça devait être bien désagréable! remarqua-t-il seulement, très convaincu.

A son tour, elle lui jeta un coup d'œil de sincère surprise:

– Qu'est-ce que cela peut bien faire?.. Est-ce que vous êtes un sybarite?

– Déplorablement… oui, je le crains… Et je n'ai pas envie du tout de me corriger!.. Mon excuse, c'est que depuis ma plus tendre jeunesse, on m'a donné, sur ce chapitre, de très fâcheuses habitudes. Ainsi, j'ai été amené à croire impossible – sauf nécessité absolue! – de manger autrement que devant une table correctement dressée, ayant derrière moi un serviteur, non moins correct, pour me présenter ma pitance… C'est ridicule, mais c'est comme cela… Peut-être, pour cette raison, je ne vous vois pas du tout, avec votre visage, à la Vinci, dans une honnête crèmerie!.. J'aime même mieux ne pas penser que vous pouvez vous trouver dans un pareil cadre!

– Pourquoi?

– Parce qu'il vous va fort mal!.. Je vous avoue mes faiblesses. Ne vous moquez pas de moi!

– Que vous êtes donc «homme du monde»! Moi, je ne suis pas une femme du monde; c'est pourquoi, sans doute, la crèmerie me laisse indifférente.

– Vous n'êtes pas une femme du monde? Qu'êtes-vous donc, alors?.. Voulez-vous me le dire, puisqu'il est convenu que je suis curieux…

– Ce que je suis?.. Une femme qui gagne sa vie!

– Eh! bien, je vous en adresse mon très respectueux compliment d'être inférieur qui ne sait que dépenser l'argent, à lui légué par sa famille.

– Je suppose que c'est là une agréable situation!.. Mais tout de même, vous avez raison, une situation un peu inférieure!.. Je me demande comment un homme qui pourrait devenir quelque chose, se contente d'être une inutilité de luxe!

Une fibre tressaillit en lui. Il lui était désagréable que cette singulière petite fille le jugeât une nullité; d'autant qu'elle avait parlé ni rude ni agressive, seulement un peu dédaigneuse.

Et impatient, il jeta:

– A quoi bon compliquer la vie d'obligations que rien n'impose?

– Rien, peut être, sauf le désir de posséder une valeur personnelle!

Il rit, avec une mine de confusion voulue:

– Je suis très paresseux et tout à fait dépourvu d'ambition. J'avoue qu'il me suffit d'être un pauvre clubman trouvant intérêt à son écurie de courses, et encore à toute sorte de distractions et plaisirs, plus ou moins frivoles, je le reconnais… En toute humilité, je dois confesser que jamais, il ne m'est venu la prétention de valoir quelque chose!..

– Ah? fit-elle, brièvement. Mais je suppose que vous plaisantez! Autrement…

– Vous vous arrêtez?.. Quoi? autrement… Dites… Je veux savoir ce que vous pensez sur mon compte…

– Autrement, je dirais: «tant pis pour vous», s'il en est ainsi!..

Il comprit très bien qu'elle le jugeait avec sa rigueur de femme consciente des difficultés et du prix de la lutte pour la vie qu'il ignorait lui-même… Et aussi avec l'intransigeance des êtres jeunes. Pourtant, il interrogea, mi-dépité, mi-intéressé:

– Est-ce que vous parlez sérieusement?.. ou bien pour me faire honte?.. Vous savez comment on en use avec les petits?

– Je suis très sincère.

– Ah!.. Eh bien, à mon tour de dire «tant pis»! Alors, vous, mademoiselle, vous vous mouvez dans l'existence, attentive toujours à suivre un idéal que vous prétendez atteindre?

A sa profonde surprise, elle ne répondit pas tout de suite; et l'accent était un peu étrange quand elle dit enfin:

– Jusqu'ici, oui, il en a été ainsi pour moi.

– Jusqu'ici?..

Elle haussa les épaules.

– Sait-on jamais l'avenir!

Puis, brusquement, elle fit quelques pas en avant vers la mer. Il ne la suivit pas. De nouveau, il la regardait curieux, et avec le même plaisir des yeux; mais, en lui, demeurait une sorte d'impatience devant la sévère impertinence de son jugement sur lui, qu'il devinait trop bien. Ce en quoi, il voyait juste. Toutefois, chez elle aussi, il y avait de la curiosité. Ce Raymond de Ryeux lui paraissait un type un peu particulier, de cette phalange des gens du monde qu'elle englobait dans un impitoyable dédain. Plus intelligent, semblait-il, que la plupart, cependant; et elle s'amusait de sa galanterie caressante, comme des imprévus de leur situation, sur cette lande isolée. Les hommes qui l'approchaient d'ordinaire, chez Mme Ronal, étaient plus austères ou plus rudes. Avec ses camarades du Conservatoire, c'était autre chose encore… Celui-ci était d'espèce différente…

Comme elle ne bougeait pas, il appela:

– Je crois qu'il faudrait songer au retour, mademoiselle.

– Déjà?..

Vivement, elle avait tourné vers lui un visage déçu; et il oublia son impatience.

Il dit aussitôt:

– Nous resterons autant que vous voudrez!

– Alors, encore quelques minutes de grâce; et puis, en gens bien sages, nous partirons! C'est réellement exquis, cet espace, ce vent, cette solitude, ce silence!

– Ce silence… Hum! nous n'étions pas silencieux tout à l'heure! J'ai même entendu de dures vérités!

Une courte flamme monta aux joues de Claude.

– Prenez-les pour ce qu'elles valent, venues d'une étrangère dont l'opinion n'a cure pour vous. Mais vous avez raison, ma franchise a été malhonnête… Et je m'en excuse!

Maintenant elle souriait un peu, de son sourire indéfinissable où il y avait une ironie à peine voilée. Et il remarqua, un peu âpre:

– Vos lèvres seules s'excusent de votre sévérité; mais votre pensée les désavoue.

Elle rit franchement:

– Je tâche d'être polie comme une dame du monde… et comme une personne reconnaissante de la délicieuse promenade qu'elle vous doit…

– Oh! je vous en prie…

– Mais si… Mais si!.. Je suis trop ravie pour n'être pas très reconnaissante… Et, à mon tour, je voudrais vous être agréable… Mais comment?.. Est-ce que vous aimez beaucoup la musique?..

– La bonne, oui, ardemment!..

Elle glissa, taquine:

– Autant que vos chevaux de courses?.. Eh bien, puisque mon jeu, entendu par hasard, vous a plu, voulez-vous que, en rentrant, je vous joue une page quelconque, à votre choix, pourvu qu'elle soit belle?.. Je n'ai – et je le regrette fort!.. – rien de mieux à vous offrir… seulement une bonne intention…

Il eut l'air si sincèrement ravi, qu'elle comprit combien elle était tombée juste.

– Oh! la bonne pensée! Vraiment, vous daigneriez me faire ce grand, très grand plaisir? Je n'aurais jamais osé vous demander de me le procurer!.. Et pourtant, j'en avais bien envie!.. Que vous êtes délicieuse d'avoir deviné… Rentrons vite!.. Mais, où jouerez-vous?

Elle réfléchit une seconde.

– Dans notre «home» à cette heure, ce ne sera pas bien agréable, les petites seront là!.. Voulez-vous entrer à l'église où je joue chaque dimanche? Je monterai à l'orgue. Vous écouterez dans les rangs des fidèles absents… Et puis… et puis, je disparaîtrai… sans que nous nous revoyions… parce que les paroles ne valent rien après la musique. Ne le trouvez-vous pas aussi? Quand je peux, je les fuis toujours!.. Mon programme vous va?

– Je n'ai qu'à l'accepter… Sans quoi, je m'insurgerais contre la conclusion que vous lui donnez!.. Si vous vous y refusez, nous ne nous reverrons pas aujourd'hui… parce que je n'ai pas le droit de vous imposer mes remerciements, hommages, etc.!.. Mais, dans la suite, il en sera autrement? N'est-ce pas?.. Maintenant que je vous connais, je ne me résignerais pas à vous dire un adieu définitif.

– Nous reverrons-nous?.. C'est possible mais c'est peu probable!.. Nous n'aurons sans doute ni raison, ni occasion pour cela… Nous suivons des routes toutes différentes.

La voix de contralto reprenait ses notes brèves.

Il s'inclina:

– Ce sera comme vous déciderez…

Elle laissa tomber légèrement:

– Bien entendu!.. La chose est convenue, partons!.. Obéissons à l'austère sagesse.

Railleur à son tour, il acheva:

– Pour valoir…

– Dites pour le plaisir de nous sentir bien les maîtres de notre volonté, corrigea-t-elle, vive. Et puis, maintenant, il faut remballer tous les ustensiles du goûter… puisque le «correct serviteur» nous manque!

Il s'apprêtait à l'aider.

– Non, vous n'y connaissez rien! J'en suis sûre! Laissez-moi faire…

Avec une adresse de femme habituée à se servir, elle rangeait les étincelants bibelots. Alors, sans insister, il prépara sa machine et revint seulement pour fermer et soulever le panier de paille qu'il plaça dans la caisse de l'auto.

Puis il prononça:

– Tout est prêt… Voulez-vous que nous repartions?

– Oui, puisqu'il le faut!

– Mettez votre plaid… Le soleil baisse, il ne va pas faire chaud… Étendez cette fourrure sur vos genoux… Ah! attendez que j'attache votre châle par une épingle pour que le vent ne l'écarte pas.

– Oh! merci, je puis bien…

– Non… Laissez-moi faire, enfant volontaire.

– Soit… Comme vous aimez à servir les femmes! Mme de Ryeux doit être une personne terriblement dorlotée!

– Ma femme?.. Non, je ne la dorlote guère… Elle se charge si bien de se dorloter elle-même que je réserve mes soins pour les étrangères.

Claude ne répondit pas. Elle pensait que Mlle de Villebon avait dit vrai. Le ménage de Ryeux n'était pas très amoureux.

Il sauta près d'elle. Alors elle dit:

– Et maintenant, nous ne parlons plus!

– Convenu! fit-il inclinant la tête.

Et la course fantastique recommença. Le soleil s'était voilé sous les nuées plus épaisses que, sans relâche, les rafales apportaient du large. La mer était toute grise, maintenant, soulevée en crêtes écumantes.

 

Claude, ressaisie par la griserie de la vitesse, contemplait, les yeux songeurs, la fuite éperdue des landes assombries, la mer menaçante, les pauvres villages écrasés sous leurs toitures basses, où les vieux n'étaient plus assis devant le seuil de granit. De nouveau, ils traversèrent Gruchy, entrevirent le Millet de pierre dressé devant le paysage qu'il a aimé… Puis ce fut Landemer… Et du sommet de la côte, apparut le merveilleux horizon de mer, de falaises, la ligne de la côte qui fuyait jusqu'aux plus lointaines profondeurs du ciel tourmenté.

Alors seulement Raymond de Ryeux parla:

– Nous nous arrêtons à l'église?

– Non, il faut que j'aille à Capelle chercher mon violon.

– Allons… Je vous attendrai…

Mais elle secoua négativement la tête.

– Pour que mes doigts ne tremblent pas, il faut que je me repose un instant. Ne m'attendez pas. Capelle est si près de l'église que j'irai très bien à pied. Dans trois quarts d'heure, je serai à l'orgue.

– Bien sûr?.. insista-t-il, avec une sourde irritation de devoir la laisser partir.

– Mais certainement, bien sûr, je vous ai promis… Puisque nous nous quittons, je vous fais mes adieux et vous remercie encore beaucoup… ah! oui, beaucoup… Cette journée aura été une des meilleures de mes vacances… Et mes regrets aussi d'avoir été peut-être, pour votre goût, trop franche dans mes jugements…

– Habitude salutaire, espérons-le pour ceux qui parlent et pour ceux qui écoutent, riposta-t-il flegmatique, un peu railleur à son tour… Peut-être, un jour, ferai-je mon profit de vos conseils. Car tout arrive!

– Oh! jamais je n'ai eu, dans la cervelle, l'idée de vous donner l'ombre même d'un conseil. A quel titre, grand Dieu!.. Au revoir… Et merci encore!

– Au revoir, vous avez dit… Je retiens la promesse… Car, moi aussi, j'ai passé un inoubliable après-midi…

Elle lui avait tendu la main d'un geste de camarade, comme sur la falaise. Cette fois, sans demander de permission, il porta à ses lèvres les doigts dégantés et sa bouche experte appuya un baiser sur la peau tiède.

Puis, vif, sans attendre qu'elle eût protesté, il remonta dans l'auto et dit:

– A tout à l'heure. Je vais vous attendre!