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Micah Clarke – Tome I. Les recrues de Monmouth

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– Quoi, Salomon! repris-je. Un marin anglais a-t-il jamais craint un ennemi, avec ou sans jupons?

– Non, que je sois maudit si j'ai peur! dit Salomon en se carrant. Jamais un seul Espagnol, diable ou hollandais! Donc en avant sur elle!

Et en disant cela, il pénétra dans le cottage, et me laissa debout à la porte à claire-voie du jardin, où j'étais diverti autant que vexé de voir mes réflexions interrompues.

Et, en effet, le marin n'eut pas des peines bien grandes à faire agréer sa demande.

Il manœuvra de manière à capturer sa prise, pour employer son propre langage.

J'entendis du jardin le bourdonnement de sa voix rude, puis un carillon de rire aigu finissant par un petit cri.

Cela signifiait sans doute qu'on se serrait de près.

Puis, il y eut un court instant de silence, et enfin je vis un mouchoir blanc s'agiter à la fenêtre, et je m'aperçus que c'était Phébé en personne qui le faisait voltiger.

Bah! c'était une fille pimpante, à l'âme tendre, et au fond du cœur, je fus enchanté que le vieux marin eût près de lui, pour le soigner, une telle compagne.

Ainsi donc voilà un excellent ami dont l'existence était définitivement fixée.

Un autre, que je consultais, m'assurait que je gaspillais mes meilleures années au village.

Un troisième, le plus respecté de tous, m'engageait franchement à me joindre aux insurgés, si l'occasion s'en présentait.

En cas de refus, j'aurais la honte de voir mon vieux père partir pour les combats, pendant que je languirais à la maison.

Et pourquoi refuser?

N'était-ce pas depuis longtemps le secret désir de mon cœur de voir un peu le monde, et pouvait-il se présenter une chance plus favorable?

Mes souhaits, le conseil de mes amis, les espérances de mon père, tout cela tendait dans la même direction.

– Père, dis-je en rentrant à la maison, je suis prêt à partir où vous le voulez.

– Que le Seigneur soit glorifié! s'écria-t-il d'un ton solennel. Puisse-t-il veiller sur votre jeune existence et conserver votre cœur fermement attaché à la cause qui est certainement la sienne!

Et ce fut ainsi, mes chers petits-enfants, que fut prise la grande résolution, et que je me vis engagé dans un des partis de la querelle nationale.

VII-Du cavalier qui arriva de l'ouest

Mon père se mit sans retard à préparer notre équipement.

Il en agit avec Saxon, comme avec moi, de la façon la plus libérale, car il avait décidé que la fortune de ses vieux jours serait consacrée à la Cause, autant que l'avait été la vigueur de sa jeunesse.

Il fallait agir avec la plus grande prudence dans ces préparatifs, car les Épiscopaux étaient nombreux dans le village, et dans l'état d'agitation où se trouvait l'esprit public, l'activité, qu'on aurait remarque chez un homme aussi connu, aurait tout de suite éveillé l'attention.

Mais le vieux et rusé soldat manœuvra avec tant de soin que nous nous trouvâmes bientôt en état de partir une heure après en avoir reçu l'avis, sans qu'aucun de nos voisins s'en doutât.

Le premier soin de mon père fut d'acheter, par l'intermédiaire d'un agent, deux chevaux convenables au marché de Chichester.

Ils furent conduits dans l'écurie d'un fermier whig, homme de confiance, qui habitait près de Portchester, et qui devait les garder jusqu'à ce qu'on les lui demandât.

L'un de ces chevaux était gris pommelé, et remarquable par sa force et son entrain, haut de dix-sept travers de main et demi, et fort capable de porter mon poids, car, à cette époque, mes chers enfants, je n'étais pas surchargé de chair, et malgré ma taille et ma force, je pesais un peu moins de deux cent vingt-quatre livres.

Un juge difficile aurait peut-être trouvé que Covenant, ainsi que je nommai mon étalon, avait un peu de lourdeur dans la tête et l'encolure, mais je reconnus en lui une bête sûre, docile, avec beaucoup de vigueur et de résistance.

Saxon, qui, tout équipé, devait peser au plus cent soixante quatre livres, avait un genêt d'Espagne bai clair, très rapide et très ardent.

Il nomma sa jument Chloé, nom que portait «une pieuse demoiselle de sa connaissance», quoique mon père trouvât je ne sais quoi de profane et de païen dans ce nom-là.

Ces chevaux et leur harnachement furent tenus prêts sans que mon père eût à se montrer en quoi que ce fût.

Lorsque ce point important eut été réglé, il restait à discuter une autre question, celle de l'armement.

Elle donna lieu à plus d'une grave discussion entre Decimus Saxon et mon père.

Chacun d'eux prenait des arguments dans sa propre expérience, et insistait sur les conséquences très graves que pouvait avoir pour le porteur la présence ou l'absence de telle ou telle tassette ou telle ou telle plaque de cuirasse.

Votre arrière-grand-père tenait beaucoup à me voir porter la cuirasse que marquaient encore les traces des lances écossaises de Dunbar, mais lorsque je l'essayai, elle se trouva trop petite pour moi.

J'avoue que j'en fus surpris, car quand je me rappelle l'effroi et le respect que j'éprouvais en contemplant la vaste carrure de mon père, j'avais bien sujet de m'étonner devant cette preuve convaincante que je l'avais dépassé.

Ma mère trouva le moyen d'arranger l'affaire en fendant les courroies latérales et en perçant des trous par lesquels passerait un cordon, et elle fit si bien que je pus ajuster cette cuirasse sans être gêné.

Une paire de tassettes ou cuissards, des brassards pour protéger le bras, et des gantelets furent empruntés à l'attirail de l'ancien soldat du Parlement, ainsi que le lourd sabre droit, et la paire de pistolets d'arçon qui formaient l'armement ordinaire du cavalier.

Mon père m'avait acheté à Portsmouth un casque à cannelures, avec de bonnes barrettes, bien capitonné de cuir flexible, très léger et néanmoins très solide.

Lorsque je fus complètement équipé, Saxon, ainsi que mon père, reconnurent que j'avais tout ce qu'il fallait pour faire un soldat bien monté.

Saxon avait acheté une cotte de buffle, un casque d'acier, une paire de bottes montantes, de sorte qu'avec la rapière et les pistolets dont mon père lui fit présent, il était prêt à entrer en campagne au premier appel.

Nous espérions ne pas rencontrer de grandes difficultés à rejoindre les forces de Monmouth quand l'heure serait venue.

En ces temps de trouble, les principales routes étaient si infestées de bandits de grand chemin et de vagabonds que les voyageurs avaient l'habitude de porter des armes, et même des armures pour leur défense.

Il n'y avait donc aucune raison pour que notre aspect extérieur fit naître le soupçon.

Si l'on nous interrogeait, Saxon tenait toute prête une longue histoire, d'après laquelle nous étions en route pour nous rendre auprès d'Henry Somerset, duc de Beaufort, à la maison duquel nous appartenions.

Il m'expliqua cette invention, en m'enseignant maints détails que j'aurais à fournir pour la confirmer, mais lorsque je lui eus dit que j'aimais mieux être pendu comme rebelle que de dire un mensonge, il me regarda en ouvrant de grands yeux, et hocha la tête d'un air offensé.

– Quelques semaines de campagne, dit-il, me guériraient bientôt de mes scrupules.

Quant à lui, un enfant qui étudie son syllabaire n'était pas plus sincère que lui, mais sur le Danube, il avait appris à mentir et regardait cela comme une partie indispensable de l'éducation du soldat.

– En effet, arguait-il, que sont tous les stratagèmes, que sont les embuscades, les pièges, s'ils ne consistent pas à mentir sur une vaste échelle? Qu'est-ce qu'un commandant habile, sinon celui qui sait aisément déguiser la vérité? À la bataille de Senlac, lorsque Guillaume de Normandie ordonna à ses gens de simuler la fuite, afin de rompre les rangs de l'ennemi, ruse fort employée par les Scythes d'autrefois et par les Croates de notre temps, je vous demande si ce n'était pas là mettre un mensonge en action? Et quand Annibal attacha des torches aux cornes de nombreux troupeaux de bœufs et fit ainsi croire aux consuls romains que son armée battait en retraite, n'était-ce point une supercherie, une infraction à la vérité?.. C'est un sujet qui a été traité à fond par un soldat renommé dans le traité qui a pour titre: An in bello dolo uti liceat; an apud hostes falsiloquio uti liceat (Ce qui veut dire: est-il permis d'user de tromperie à la guerre? Est-il permis d'employer avec l'ennemi, de paroles propres à le tromper?) Ainsi donc si, d'après l'exemple de ces grands modèles, et en vue d'arriver à nos fins, je déclare que nous allons rejoindre Beaufort, alors que nous nous rendons auprès de Monmouth, n'est-ce pas conforme aux usages de la guerre, aux coutumes des grands généraux?

Je n'essayai point de répondre à ces raisonnements spécieux.

Je me bornai à répéter qu'il pouvait s'autoriser de cet usage, mais qu'il ne devait pas compter sur moi pour confirmer ses dires.

D'ailleurs, je promis de ne rien laisser échapper qui pût lui causer des difficultés et il lui fallut se contenter de cette garantie.

Me voici maintenant, mes patients auditeurs, en état de vous emmener loin de l'humble existence villageoise.

Je n'aurai pas à bavarder sur des gens qui étaient des vieillards au temps de ma jeunesse, et qui maintenant reposent depuis bien des années dans le cimetière de Bedhampton.

Vous allez donc partir avec moi, vous verrez l'Angleterre telle qu'elle était en ce temps-là; vous apprendrez comment nous nous mîmes en route pour la guerre, et toute les aventures qui nous advinrent.

Et si ce que je vous dit ne ressemble pas toujours à ce que vous aurez lu dans les ouvrages de Mr Coke ou de Mr Oldmixon, ou de tout autre auteur qui aura publié des écrits sur ces événements, rappelez-vous que je parle de choses que j'ai vues de mes propres yeux, que j'ai concouru à faire l'histoire, ce qui est chose plus noble que de l'écrire.

 

Donc, ce fut vers la tombée de la nuit, le 12 juin 1685, que l'on apprit dans notre région le débarquement opéré la veille par Monmouth à Lyme, petit port de mer sur la limite entre les comtés de Dorset et de Devon.

Un grand feu allumé comme signal sur la montagne de Portsdown en fut la première nouvelle.

Puis, vinrent les bruits de ferraille, les roulements de tambours de Portsmouth, où les troupes furent rassemblées sous les armes.

Des messagers à cheval parcoururent à grand fracas la rue du village, la tête penchée très bas sur le cou de leurs montures, car il fallait porter à Londres la grande nouvelle, afin que le gouverneur de Portsmouth sût ce qu'il avait à faire.

Nous étions à notre porte contemplant la rougeur du couchant, les allées et venues, le flamboiement de la ligne des signaux de feu qui s'allongeait dans la direction de l'est, lorsqu'un petit homme arriva au galop jusqu'à la porte, et arrêta son cheval essoufflé.

– Joseph Clarke est-il ici? demanda-t-il.

– C'est moi, dit mon père.

– Ces hommes sont-ils sûrs? dit-il tout bas en me désignant, ainsi que Saxon, de son fouet.

«… Alors, reprit-il, le rendez-vous est Taunton. Passez-le à tous ceux que vous connaissez. Donnez à boire et à manger à mon cheval, je vous en prie, car je dois me remettre en route.

Mon jeune frère Hosea s'occupa de la bête fatiguée, pendant que nous faisions entrer le cavalier pour lui faire prendre un rafraîchissement.

C'était un homme nerveux, aux traits anguleux, avec une loupe sur la tempe.

Sa figure et ses vêtements étaient couverts de terre desséchée, et ses membres étaient si raides, que quand il fut descendu de cheval, il pouvait à peine mettre un pied devant l'autre.

– J'ai crevé un cheval, dit-il et celui-ci aura à peine la force de faire vingt milles de plus. Il faut que je sois à Londres ce matin, car nous espérons que Danvers et Wildman seront en mesure de soulever la Cité. Hier j'ai quitté le camp de Monmouth. Son étendard bleu flotte sur Lyme.

– Quelles forces a-t-il? demanda anxieusement mon père.

– Il n'a amené que des chefs. Quant aux troupes, elles devront lui être fournies par vous autres, les gens du pays. Il a avec lui Lord Grey de Wark, Wade, l'Allemand Buyse, et quatre-vingt ou cent autres. Hélas, deux de ceux qui sont arrivés sont déjà perdus pour nous. C'est mauvais, mauvais présage.

– Qu'y a-t-il donc eu de fâcheux?

– Dare, l'orfèvre de Taunton, a été tué par Fletcher, de Saltoun, dans une querelle puérile à propos d'un cheval. Les paysans ont réclamé à grands cris le sang de l'Écossais, et il a été forcé de se sauver sur les navires. C'est une triste mésaventure, car c'était un chef habile et un vieux soldat.

– Oui, oui, s'écria Saxon avec emportement, il y aura bientôt dans l'ouest d'autres chefs habiles, d'autres vieux soldats, pour prendre sa place. Mais s'il connaissait les usages de la guerre, comment se fait-il qu'il se soit engagé dans une querelle personnelle, en un moment pareil?

Et tirant de dessous son habit un livre brun mince, il promena son long doigt mince sur la table des matières.

– Sous-section neuvième, reprit-il, voici: le cas traité: Si dans une guerre publique, l'on peut refuser par amitié particulière un duel auquel on aura été provoqué. Le savant Fleming est d'avis que l'honneur privé d'un homme doit céder la place au bien de la cause. N'est-il pas arrivé, en ce qui me regarde personnellement, que la veille du jour où fut levé le siège de Vienne, nous, les officiers étrangers, avions été invités dans la tente du général. Or, il arriva qu'un rousseau d'Irlandais, un certain O'Daffy, qui servait depuis longtemps dans le régiment de Pappenheimer, réclama le pas sur moi, en alléguant qu'il était de meilleure naissance. Sur quoi, je lui passai mon gant sur la figure, non pas, remarquez-le, non pas que je fusse en colère, mais pour montrer que je n'étais pas tout à fait de son avis. Ce désaccord l'amena à offrir tout de suite de faire valoir son assertion, mais je lui fis lecture de cette sous-section, et je lui démontrai que l'honneur nous interdisait de régler cette affaire avant que le Turc fût chassé de Vienne. Aussi, après l'attaque…

– Non, monsieur… J'écouterai peut-être le reste de l'histoire un jour ou l'autre, dit le messager qui se leva en chancelant. J'espère trouver un relais à Chichester, et le temps presse. Travaillez à la cause maintenant, ou soyez éternellement esclaves. Adieu.

Et il se remit péniblement on selle.

Puis, nous entendîmes le bruit des fers qui diminuait peu à peu sur la route de Londres.

– Le moment du départ est venu pour vous, Micah, dit mon père avec solennité… Non, femme, ne pleurez pas. Encouragez plutôt notre garçon par un mot affectueux et une figure gaie. Je n'ai pas besoin de vous dire de combattre comme un homme, sans rien craindre, dans cette querelle. Si le flux des événements de la guerre se dirige de ce côté-ci, il pourra se faire que vous retrouviez votre vieux père chevauchant près de vous. Maintenant mettons-nous à genoux et implorons la faveur du Tout-Puissant sur cette expédition.

Nous nous mimes tous à genoux dans la pièce basse, au plafond formé de grosses solives, pendant que le vieillard improvisait une ardente, une énergique prière pour notre succès.

À ce moment encore, pendant que je vous parle, je revois votre ancêtre, avec sa face aux traits marqués, à l'expression austère, aux sourcils réunis, avec ses mains noueuses jointes dans la ferveur de sa supplication.

Ma mère est agenouillée près de lui, les larmes coulant une à une sur sa douce et placide figure.

Elle étouffe ses sanglots de peur qu'en les entendant je ne trouve la séparation plus cruelle.

Les petits sont dans la chambre à coucher d'en haut, et le bruit de leurs pieds nus arrive jusqu'à nous.

Messire Saxon est vautré sur l'une des chaises de chêne, où il a posé un genou, tout en se penchant.

Ses longues jambes traînent par derrière, et il cache sa figure dans ses mains.

Tout autour de moi, à la lueur clignotante de la lampe suspendue, j'aperçois les objets qui me sont familiers depuis mon enfance, le banc près du foyer, les chaises aux dossiers hauts, aux appuis raides, le renard empaillé au-dessus de la porte, le tableau de Christian considérant la Terre Promise du haut des Montagnes délectables, tous ces menus objets sans valeur propre, mais dont la réunion constitue cette chose merveilleuse que nous appelons le foyer domestique, cet aimant tout puissant qui attire du bout de l'univers le voyageur.

Le reverrai-je jamais, même dans mes rêves, moi qui m'éloigne de cette rade si bien abritée pour me plonger au cœur de la tempête?

La prière terminée, tout le monde se leva, à l'exception de Saxon, qui resta la figure cachée dans ses mains une ou deux minutes avant de se redresser.

J'eus l'audace de penser qu'il s'était profondément assoupi, bien qu'il prétendit que son retard était dû à une prière supplémentaire.

Mon père mit ses mains sur ma tête et invoqua sur moi la bénédiction des Cieux.

Puis, il prit à part mon compagnon et j'entendis le tintement de pièces de monnaie, ce qui me fit supposer qu'il lui donnait quelque viatique pour le voyage.

Ma mère me serra sur son cœur et glissa dans ma main un petit carré de papier, en me disant que je devrais le lire quand je serais de loisir, et que je la rendrais heureuse si je me conformais aux instructions qu'il contenait.

Je lui promis de le faire, et alors m'arrachant de là, je gagnai la rue noire du village, ayant à côté de moi mon compagnon qui marchait à longues enjambées.

Il était près d'une heure du matin, et depuis longtemps tous les campagnards étaient couchés.

Lorsque je passai devant la Gerbe et devant la demeure du vieux Salomon, je ne pus m'empêcher de me demander ce qu'ils penseraient de mon accoutrement guerrier, s'ils étaient levés.

J'avais eu à peine le temps de me faire la même question devant le cottage de Zacharie Palmer que sa porte s'ouvrit et que le charpentier accourut, sa chevelure blanche flottant à la fraîche brise de la nuit.

– Je vous attendais, Micah, s'écria-t-il. J'ai appris que Monmouth avait paru, et je savais que vous ne laisseriez pas passer une nuit avant de partir. Dieu vous bénisse, mon garçon, Dieu vous bénisse! Fort de bras, doux de cœur, tendre au faible et farouche contre l'oppresseur, vous avez les prières et l'affection de tous ceux qui vous connaissent!

Je serrai ses mains tendues, et le dernier des objets de mon village natal qui s'offrit à ma vue, ce fut la silhouette confuse du charpentier, pendant que d'un geste de sa main il m'envoyait ses meilleurs souhaits à travers la nuit.

Nous traversâmes les champs pour nous rendre chez Whittier, le fermier Whig.

Saxon s'y harnacha en guerre.

Nous trouvâmes nos chevaux sellés, tout prêts, car à la première alarme, mon père y avait envoyé un messager pour dire que nous en aurions besoin.

À deux heures du matin, nous longions la colline de Portsdown, armés, montés, et nous nous mettions en route cette fois pour gagner le camp des Rebelles.

VIII-Notre départ pour la guerre

En cheminant le long des hauteurs de Portsdown, nous vîmes tout le temps les lumières de Portsmouth, et celles des navires du port, qui clignotaient à notre gauche, pendant qu'à notre droite la forêt de Bere était illuminée par les signaux de feu qui annonçaient le débarquement de l'envahisseur.

Un grand bûcher flambait à la cime du Butser, et plus loin, jusqu'aux limites de la vue, des scintillements lumineux montraient que la nouvelle gagnait au Nord le Berkshire et à l'Est le Sussex.

Parmi ces feux, les uns étaient faits de fagots entassés; d'autres avec des barils de goudron plantés au bout d'une perche.

Nous passâmes devant un de ces derniers, en face même de Portchester.

Ceux qui les gardaient, entendant le bruit de nos chevaux et de nos armes, poussèrent une bruyante acclamation, car sans doute ils nous prirent pour des officiers du Roi en route pour l'Ouest.

Maître Decimus Saxon avait jeté au vent ces façons méticuleuses qu'il avait étalées en présence de mon père et il jasait abondamment, en mêlant fréquemment des vers ou des bouts de chansons à ses propos, pendant que nous galopions dans la nuit.

– Ah! Ah! disait-il franchement, il fait bon parler sans contrainte, sans qu'on s'attende à vous voir finir chaque phrase par un Alléluia ou un Amen!

– Vous étiez toujours le premier dans ces pieux exercices, remarquai-je d'un ton sec.

– Oui, c'est vrai, vous avez mis en plein dans le but: quand une chose doit être faite, arrangez-vous pour la mener vous-même, quelle qu'elle soit. C'est une recommandation fameuse, et qui m'a bien des fois servi jusqu'à ce jour. Je ne me rappelle pas si je vous ai conté qu'à une certaine époque je fus fait prisonnier par les Turcs et emmené à Istamboul, nous étions là plus d'une centaine, mais les autres ont péri sous le bâton, ou bien ils sont présentement enchaînés à une rame sur les galères impériales ottomanes, et ils y resteront sans doute jusqu'au jour où une balle vénitienne ou génoise trouvera le chemin de leur misérable carcasse. Moi seul, j'ai réussi à ravoir ma liberté.

– Ah! dites-moi donc comment vous vous êtes échappé? demandai-je.

– En tirant parti de l'esprit dont m'a doué la Providence, reprit-il d'un ton enchanté, car en voyant que leur maudite religion est justement ce qui aveugle ces infidèles, je me mis à l'œuvre pour en profiter. Dans ce but, j'observai la façon dont nos gardes procédaient à leurs exercices du matin et du soir. Je fis de ma veste un prie-dieu et je les imitai. Seulement j'y mettais plus de temps et plus de ferveur.

– Quoi! m'écriai-je avec horreur, vous avez fait semblant d'être musulman?

– Non, je n'ai pas fait semblant. Je le suis devenu tout à fait. Toutefois c'est entre nous, attendu que cela pourrait ne pas me mettre en odeur de sainteté, auprès de quelque Révérend Aminadab-Source-de-Grâce, s'il s'en trouve dans le camp rebelle, qui ne soit point admirateur de Mahomet.

Je fus si abasourdi de cette impudente confession dans la bouche d'un homme, qui avait toujours été le premier à diriger les exercices d'une pieuse famille chrétienne, qu'il me fut impossible de trouver un mot.

Decimus Saxon siffla quelques mesures d'un air guilleret.

Puis il reprit:

– Ma persévérance dans ces dévotions eut pour résultat qu'on me sépara des autres prisonniers. J'acquis assez d'influence sur les geôliers, pour me faire ouvrir les portes, et on me laissa sortir, à condition de me présenter une fois par jour à la porte de la prison. Et quel emploi fis-je de ma liberté? Vous en doutez-vous?

 

– Non, vous êtes capable de tout, dis-je.

– Je me rendis aussitôt à leur principale mosquée, celle de Sainte-Sophie. Quand les portes s'ouvraient et que le muezzin lançait son appel, j'étais toujours le premier à accourir pour faire mes dévotions et le dernier à les cesser. Si je voyais un Musulman frapper de son front le pavé une fois, je le frappais deux fois. Si je le voyais pencher le corps ou la tête, je m'empressais de me prosterner.

«Aussi ne se passa-t-il guère de temps avant que la piété du Gnaim ne devint le sujet des conversations de toute la ville, et on me fit présent d'une cabane pour m'y livrer à mes méditations religieuses.

«J'aurais pu fort bien m'en accommoder, et à vrai dire j'avais pris le ferme parti de me poser en prophète et d'écrire un chapitre supplémentaire pour le Koran, lorsqu'un sot détail inspira aux fidèles des doutes sur ma sincérité.

«Bien peu de choses d'ailleurs.

«Une bécasse de donzelle se laissa surprendre dans ma cabane par quelqu'un qui venait me consulter sur quelque point de doctrine; Mais il n'en fallut pas davantage pour mettre en mouvement les langues de ces païens. Je jugeai donc prudent de leur glisser entre les doigts en montant à bord d'un caboteur levantin et en laissant le Koran inachevé.

«La chose vaut peut-être autant, car ce serait une cruelle épreuve que de renoncer aux femmes chrétiennes et au porc pour leurs houris qui fleurent l'ail et leurs maudits kybobs de mouton.

Pendant cette conversation, nous avions traversé Farnham et Botley; nous nous trouvions alors sur la route de Bishopstoke.

En cet endroit, le sol change de nature: le calcaire fait place au sable, en sorte que les fers de nos chevaux ne rendaient plus qu'un son sourd.

Cela n'était point fait pour gêner notre conversation ou plutôt celle de mon compagnon; car je me bornais au rôle d'auditeur.

À la vérité, j'avais l'esprit si plein d'hypothèses sur ce qui nous attendait et de pensées, qui allaient au foyer que je laissais derrière moi, que je n'étais guère en veine de propos plaisants.

Le ciel était un peu nébuleux, mais la lune brillait d'un éclat métallique à travers les déchirures des nuages et nous montrait devant nous un long ruban de route.

Les deux côtés étaient disséminés des maisons avec jardins, sur les pentes, qui descendaient vers la route.

On sentait dans l'air une lourde et fade odeur de fraises.

– Avez-vous jamais tué un homme dans un moment de colère? demanda Saxon, pendant que nous galopions.

– Jamais, répondis-je.

– Là! vous reconnaîtrez alors que quand vous entendez le cliquetis de l'acier contre l'acier, et que vous regardez dans les yeux de votre adversaire, vous oubliez à l'instant toutes les règles, toutes les maximes, tous les préceptes de l'escrime que vous ont enseignés votre père ou d'autres.

– J'ai appris fort peu de ces choses-là, dis-je. Mon père ne m'a appris qu'à porter un bon et franc coup droit. Ce sabre ci peut trancher une barre de fer d'un pouce d'épaisseur.

– La sabre de Scanderbeg a besoin du bras de Scanderbeg, remarqua-t-il. J'ai constaté que c'était une lame du meilleur acier. C'est là un de ces véritables arguments de jadis pour faire entrer un texte, ou expliquer un psaume, tel qu'en dégainaient les fidèles du temps jadis, alors qu'ils prouvaient l'orthodoxie de leur religion par des coups et des bourrades apostoliques. Ainsi donc vous n'avez pas fait beaucoup d'escrime?

– J'en ai très peu fait, presque pas, dis-je.

– Cela vaut presque autant. Pour un vieux manieur d'épée qui a fait ses preuves comme moi, le point capital est de connaître son arme, mais pour un jeune Hotspur de votre sorte, il y a beaucoup à espérer de la force et de l'énergie. J'ai remarqué bien des fois que les gens les plus adroits dans le tir à l'oiseau, dans l'art de fendre la tête de turc, et d'autres sports, sont toujours des traînards sur le champ de bataille. Si l'oiseau était, lui aussi, armé d'une arbalète, avec une flèche sur la corde, si le turc avait un poing aussi bien qu'une tête, votre freluquet aurait tout juste les nerfs assez solides pour son jeu. Maître Clarke, j'en suis certain, nous serons d'excellents camarades. Que dit-il, le vieux Butler?

 
Jamais fidèle écuyer ne fit mieux le saut avec un chevalier.
Jamais chevalier ne fit mieux le saut avec un écuyer.
 

«Voilà plusieurs semaines que je n'ai pas osé citer Hudibras par crainte de mettre le Covenant en ébullition dans les veines du vieux.

– Si vraiment nous devons être camarades, dis-je d'un ton rude, il faut que vous appreniez à parler avec plus de respect et moins de désinvolture au sujet de mon père. Il ne vous aurait jamais accordé l'hospitalité, s'il avait entendu l'histoire que vous m'avez racontée, il n'y a qu'un instant.

– C'est probable, dit l'aventurier en riant sous cape. Il y a pas mal de chemin entre une mosquée et un conventicule. Mais n'ayez pas la tête si chaude, mon ami. Il vous manque cette égalité de caractère que vous acquerrez, sans aucun doute, en vos années de maturité. Comment! mon garçon, moins de cinq minutes après m'avoir vu, vous allez m'assommer à coups de rame, et depuis lors vous avez toujours été sur mes talons comme un chien de meute, tout prêt à donner de la voix, pour peu que je mette le pied sur ce que vous appelez la ligne droite. Songez-y, vous allez vous trouver au milieu de gens qui se battent à l'occasion de la moindre querelle. Un mot de travers et un coup de rapière se suivent de près.

– Êtes-vous dans ces dispositions-là? répondis-je avec vivacité. J'ai le caractère paisible, mais des menaces déguisées, des bravades voilées, je ne les tolérerai pas.

– Diantre! s'écria-t-il, je vois que vous vous disposez à me couper en morceaux et à m'envoyer ainsi par morceaux au camp de Monmouth. Non, nous aurons assez à nous battre, sans nous chercher noise mutuellement. Quelles sont ces maisons, à gauche?

– C'est le village de Swathling, répondis-je. Les lumières de Bishopstoke brillent à droite, dans le creux.

– Alors nous avons fait quinze milles de notre trajet, et il me semble qu'on voit déjà une faible lueur d'aube. Hallo! qu'est-ce que cela? Il faut que les lits soient rares pour que les gens dorment sur les grandes routes.

Une tache sombre que j'avais remarquée sur la chaussée en avant de nous devint à une approche un corps humain, étendu de tout son long, la face contre terre, la tête posant sur ses bras croisés.

– Un homme qui aura fait la fête, à l'auberge du village sans doute? remarquai-je.

– Il y a du sang dans l'air, dit Saxon en relevant son nez recourbé comme un vautour qui flaire la charogne.

La lueur pâle et froide de la première aube, tombant sur des yeux grands ouverts et sur une face exsangue me prouva que l'instinct du vieux soldat ne l'avait pas trompé et que l'homme avait rendu le dernier soupir.

– Voilà de la belle besogne; dit Saxon en s'agenouillant à côté du cadavre et lui mettant les mains dans les poches, des vagabonds sans doute! Pas un farthing dans les poches! Pas même la valeur d'un bouton de manchette pour payer son enterrement.

– Comment a-t-il été tué? demandai-je, plein d'horreur en voyant cette pauvre face sans expression, maison vide, dont l'habitant était parti.

– Un coup de poignard par derrière, et un coup sec sur la tête avec la crosse d'un pistolet. Il ne peut pas être mort depuis longtemps, et cependant il n'a pas un denier sur lui. Pourtant c'était un homme d'importance, à en juger par ses vêtements: du drap fin, d'après le toucher, culottes de velours, boucles d'argent aux souliers. Les coquins ont dû faire un riche butin sur lui. Si nous pouvions les rattraper, Clarke, ce serait une grande et belle chose.

– En effet, ce serait beau! m'écriai-je avec enthousiasme. Quelle tâche plus noble que de faire justice d'assassins aussi lâches!

– Peuh! Peuh! s'écria-t-il. La justice est une dame sujette aux glissades et l'épée qu'elle porte a deux tranchants. Il pourrait bien se faire qu'en notre rôle de rebelles, nous ayons de la justice à en revendre. Si je songe à poursuivre ces voleurs, c'est pour que nous les soulagions de leur spolia opima, en même temps que des autres choses précieuses qu'ils ont pu amasser illégalement. Mon savant ami le Flamand établit que ce n'est point voler que de voler un voleur. Mais où allons-nous cacher ce corps?