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Micah Clarke – Tome II. Le Capitaine Micah Clarke

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– Je vous dois mes remerciements, dit le Roi, s'adressant à Saxon, qui s'inclina et baissa jusqu'à terre la pointe de son épée, et à vous aussi, messieurs; je n'oublierai point l'ardente fidélité qui vous a amenés du Hampshire en si peu de temps. Dieu veuille que je trouve la même vertu en plus haut lieu. Mais à ce qu'on me dit, Colonel Saxon, vous avez longtemps servi à l'étranger. Que pensez-vous de l'armée qui vient de défiler devant vos yeux?

– S'il plaît à Votre Majesté, répondit Saxon, elle ressemble à une quantité de laine qui n'a pas encore été cardée, et qui est assez grossière par elle-même, mais qui peut avec le temps se tisser pour devenir un beau vêtement.

– Hein! On n'aura pas beaucoup de loisir pour le tissage, dit Monmouth. Mais ils se battent bien. Si vous aviez vu comment ils se sont conduits à Axminster! Nous espérons vous voir et vous entendre exposer vos vues à la table du conseil. Mais qu'est-ce? N'ai-je pas déjà vu la figure de ce gentleman?

– C'est l'honorable Sir Gervas Jérôme, du comté de Surrey, dit Saxon.

– Votre Majesté a pu me voir à Saint-James, dit le Baronnet en se découvrant, ou au balcon de Whitehall. J'allais beaucoup à la Cour pendant les dernières années du défunt Roi.

– Oui, oui, je me rappelle le nom aussi bien que la figure, s'écria Monmouth… Vous le voyez, messieurs, reprit-il en s'adressant à son état-major, les gens de la Cour se décident enfin à venir. N'êtes-vous pas celui qui s'est battu avec Sir Thomas Killigrew, derrière Dunkirk House? Je m'en doutais. Ne voulez-vous pas faire partie de ma suite personnelle?

– S'il plaît à Votre Majesté, répondit Sir Gervas, je crois que je pourrai rendre plus de services à votre cause royale, en restant à la tête de mes mousquetaires.

– Eh bien, soit, soit! dit le Roi Monmouth.

Puis, donnant de l'éperon à son cheval, il ôta son chapeau pour répondre aux acclamations des troupes et parcourut au trot la Grande Rue sous une pluie de fleurs qui tombaient des toits et des fenêtres sur lui, son état-major et son escorte.

Nous nous étions joints à sa troupe, ainsi que nous en avions reçu l'ordre, en sorte que nous eûmes notre part de ce joyeux feu croisé.

Une rose, qui voletait, fut happée au passage par Ruben.

Je le remarquai, il la porta à ses lèvres, puis il la cacha sous sa cuirasse.

Je levai les yeux et je surpris la figure souriante de la petite fille de notre hôte nous épiant à une fenêtre.

– Quelle adresse, Ruben! dis-je à demi-voix. Au trictrac comme à la balle au trou, vous avez toujours été notre meilleur joueur.

– Ah! Micah, dit-il, je bénis le jour où j'ai eu l'idée de vous suivre à la guerre. Aujourd'hui je ne changerais pas ma place avec celle de Monmouth.

– Nous en sommes déjà là! m'écriai-je. Quoi, mon garçon, vous avez à peine ouvert la tranchée, et vous parlez comme si vous aviez emporté la place.

– Peut-être que je me laisse emporter par l'espoir, s'écria-t-il en passant du chaud au froid ainsi qu'un homme le fait quand il est amoureux, ou qu'il a la fièvre tierce ou quelque autre maladie du corps. Dieu sait combien je suis peu digne d'elle, et pourtant…

– N'attachez point votre cœur trop fortement à quelque chose qui pourra bien être inaccessible pour vous, dis-je. Le vieillard est riche, et il portera ses regards plus haut.

– Je voudrais qu'il fût pauvre, soupira Ruben, avec tout l'égoïsme de l'amoureux. Si cette guerre dure, je pourrais conquérir de l'honneur, un titre. Qui sait? D'autres l'ont fait. Pourquoi ne le ferais-je pas?

– Nous sommes partis trois de Havant, fis-je remarquer. L'un est aiguillonné par l'ambition, l'autre par l'amour. Maintenant que faire, moi qui suis indifférent aux grandes charges et qui n'ai cure de la figure d'une demoiselle? Qu'est-ce qui peut m'entraîner au combat?

– Nos mobiles viennent et s'en vont, mais le vôtre reste toujours en vous. L'honneur et le devoir, Micah, voilà les deux étoiles qui ont toujours guidé vos actions.

– Sur ma foi! Mistress Ruth vous a appris à faire de jolis discours, dis-je, mais il me semble qu'elle devrait être ici au milieu des jeunes filles de Taunton.

Tout en causant, nous nous dirigions vers la place du Marché, que nos troupes remplissaient à ce moment.

Autour de la croix était rangé un groupe d'une vingtaine de jeunes filles vêtues de costumes en mousseline blanche, avec des écharpes bleues autour de la taille.

À l'approche du Roi, ces jeunes demoiselles, avec une timidité pleine de grâce, s'avancèrent à sa rencontre, et lui offrirent une bannière qu'elles avaient brodée pour lui, ainsi qu'une Bible fort élégamment reliée en or.

Monmouth remit le drapeau à l'un de ses capitaines, mais il leva le livre au-dessus de sa tête, en criant qu'il était venu défendre les vérités qui y étaient contenues, ce qui donna un redoublement de vigueur aux applaudissements et aux acclamations.

On pensait qu'il haranguerait le peuple du haut de la croix, mais il se borna à rester là pendant que les hérauts proclamaient ses titres à la couronne.

Après quoi, il donna l'ordre de se disperser, et les troupes gagnèrent les divers lieux de rassemblement où on avait pourvu à leur nourriture.

Le Roi et ses principaux officiers établirent leur quartier-général dans le château, pendant que le Maire et les plus riches bourgeois pourvoyaient au logement des autres.

Quant aux simples soldats, un grand nombre d'entre eux furent mis en subsistance chez les habitants.

Beaucoup d'autres campèrent dans les rues et sur les terrains environnant le château.

Le reste s'installa dans les voitures et les charrettes laissées dans les champs en dehors de la ville.

Ils y allumaient de grands feux.

Ils firent rôtir du mouton et couler la bière à flots, avec autant d'entrain que s'il s'agissait d'une partie de campagne et non d'une marche sur Londres.

VI – Un échange de poignées de mains entre moi et le Brandebourgeois

Le Roi Monmouth avait convoqué une réunion du conseil pour la soirée et donné au colonel Decimus Saxon l'ordre d'y venir.

Je m'y rendis avec lui, muni du petit paquet que Sir Jacob Clancing avait confié à ma garde.

Arrivés au château, nous apprîmes que le Roi n'était pas encore sorti de sa chambre.

On nous introduisit dans le grand hall pour l'attendre.

C'était une belle pièce avec de hautes fenêtres et un superbe plafond de bois sculpté.

Tout au fond on avait fixé les armoiries de Monmouth, mais sans la barre à senestre qu'il avait portée jusqu'alors.

Là étaient réunis les principaux chefs de l'armée, un grand nombre des officiers subalternes des fonctionnaires de la ville, et d'autres personnes qui avaient des requêtes à présenter. Lord Grey de Wark était debout près d'une fenêtre et contemplait la campagne d'un air sombre.

Wade et Holmes hochaient la tête et causaient à demi-voix dans un coin.

Ferguson allait et venait à grands pas, sa perruque posée de travers, lançant à tue-tête des exhortations et des prières, qu'il prononçait avec l'accent écossais le plus marqué.

Un certain nombre de personnages, aux costumes plus gais, s'étaient groupés devant la cheminée sans feu et écoutaient l'un d'eux racontant une histoire dans un langage bourré de jurons, et qui les faisait rire aux éclats.

Dans un autre coin, un groupe de fanatiques, en vêtements noirs ou bruns, avec de larges poignets blancs et des manteaux traînants, faisaient cercle autour de quelqu'un des prédicants les plus goûtés et discutaient à demi-voix la philosophie calviniste dans ses rapports avec la science du gouvernement.

Un petit nombre de soldats aux costumes et aux façons simples qui n'étaient ni des courtisans, ni des sectaires allaient et venaient, ou regardaient fixement par les fenêtres le camp plein d'animation qui était formé sur la pelouse du château.

Saxon me conduisit vers l'un de ces hommes remarquable par sa haute stature et la largeur de ses épaules, et le tirant par la manche, il lui tendit la main comme à un vieil ami.

– Mein Gott! s'écria l'aventurier allemand, car c'était celui-là même que Saxon m'avait désigné le matin, je me suis dit que c'était bien vous, Saxon, quand je vous ai vu près de la porte, quoique vous soyez encore plus maigre qu'autrefois. Comment se fait-il qu'après avoir lampé autant de bonne bière bavaroise que vous l'avez fait, vous soyez resté aussi décharné. Cela dépasse mon intelligence. Et comment vos affaires ont-elles marché?

– Comme, jadis, dit Saxon, plus de coups que de thalers, et j'ai eu plus souvent besoin d'un chirurgien que d'un coffre-fort. Quand vous ai-je vu pour la dernière fois, mon ami? N'était-ce pas à l'affaire de Nuremberg, quand je commandais l'aile droite, et vous l'aile gauche de la grosse cavalerie?

– Non, dit Buyse, je vous ai rencontré depuis lors, sur le terrain des affaires. Avez-vous oublié l'escarmouche sur les bords du Rhin, quand vous avez déchargé sur moi votre fusil hollandais? Sans un gredin qui éventra mon cheval, je vous aurais fait sauter la tête aussi aisément qu'un gamin abat des chardons avec un bâton.

– Oui, répondit Saxon avec placidité, je l'avais oublié. Vous avez été fait prisonnier, si je m'en souviens bien, mais par la suite vous avez assommé la sentinelle avec vos chaînes et franchi le Rhin à la nage sous le feu d'un régiment. Et cependant, je crois, nous vous avions offert les mêmes avantages que vous receviez des autres.

– On m'a fait, en effet, de ces sales offres, dit l'Allemand, d'un ton âpre. À quoi j'ai répondu que si je vendais mon épée, je ne vendais pas mon honneur. Il est bon que des cavaliers de fortune fassent voir ce qu'est pour eux un contrat… comment dites-vous… inviolable pour toute la durée de la guerre. Alors on redevient parfaitement libre de changer son payeur-général. Pourquoi pas?

 

– C'est vrai, mon ami, c'est vrai, répondit Saxon. Les mendiants d'Italiens et de Suisses ont fait du métier un vrai commerce. Ils se sont vendus avec tant de sans-gêne, corps et âme, à celui qui a la bourse la mieux garnie, que nous devons nous montrer chatouilleux sur le point d'honneur. Mais vous vous rappelez la poignée de main d'autrefois que pas un homme du Palatinat n'était de force à échanger avec vous. Voici mon capitaine, Micah Clarke. Il faut qu'il voie quelle chaude bienvenue peut vous faire un Allemand du Nord.

Le Brandebourgeois montra ses dents blanches dans un ricanement en me tendant sa large main brunie. Dès que la mienne y fut enfermée, il mit brusquement toute sa force à la serrer, si bien que le sang se porta vivement aux ongles, et que j'eus toute la main paralysée, impuissante.

– Donner wetter! s'écria-t-il en riant à gorge déployée au sursaut de douleur et de surprise que j'avais fait. C'est une grosse farce à la Prussienne et les gamins d'Angleterre n'ont pas assez d'estomac pour cela.

– À vrai dire, fis-je, c'est la première fois que j'ai vu cet amusement et je ne demanderais pas mieux que de m'y exercer sous un maître aussi capable.

– Comment? Encore une fois? s'écria-t-il, mais vous devez être encore tout échaudé de la première. Eh bien, je ne vous la refuserai pas, quoique, après cela, vous n'ayez plus la même force pour serrer la poignée de votre sabre.

En disant ces mots, il tendit sa main, que je saisis avec force, pouce contre pouce, en levant le coude pour mettre toute ma force dans cette pression.

Ainsi que je l'avais remarqué, son artifice consistait à paralyser l'autre main par un grand et brusque déploiement de force.

J'y résistai en déployant moi-même toute la mienne.

Pendant une ou deux minutes, nous restâmes immobiles, nous regardant dans les yeux.

Puis, je vis une goutte de sueur rouler sur son front.

Je fus alors certain qu'il était vaincu.

La pression diminua lentement.

Sa main devint inerte, molle pendant que la mienne continuait à se serrer si bien qu'enfin, d'une voix grognonne et étouffée, il fut contraint de me demander de le lâcher.

– Diable et Sorcellerie! s'écria-t-il en essuyant le sang qui sortait goutte à goutte sous ses ongles, j'aurais mieux fait de mettre mes doigts dans un piège à rats. Vous êtes le premier qui ait pu échanger une vraie poignée de mains avec Antoine Buyse.

– Nous produisons du muscle en Angleterre aussi bien que dans le Brandebourg, dit Saxon qui riait aux éclats en voyant la déconfiture du soldat allemand. Hé, tenez, j'ai vu ce jeune garçon prendre à bras-le-corps un sergent de dragons de grandeur naturelle et le jeter dans une charrette aussi aisément qu'il eût fait d'une pelletée de terre.

– Pour fort, il l'est! grogna Buyse, qui tordait encore sa main paralysée, aussi fort que Goetz à la main de fer. Mais à quoi sert la force toute seule pour le maniement d'une arme? Ce n'est pas la force du coup, mais la manière dont il est porté, qui produit l'effet. Tenez, votre sabre est plus lourd que le mien, à première vue, et cependant ma lame ferait une entaille plus profonde. Eh! n'est-ce pas un jeu plus digne d'un guerrier que ne l'est un amusement d'enfants, comme un serrement de main, et le reste?

– C'est un jeune homme modeste, dit Saxon, et pourtant je parierais pour son coup contre le vôtre.

– Quel enjeu? grogna l'Allemand.

– Autant de vin que nous pourrons en boire en une séance.

– Ce n'est pas peu dire, en effet, fit Buyse, un couple de gallons pour le moins. Eh bien soit. Acceptez-vous la lutte?

– Je ferai ce que je pourrai, dis-je, bien que je n'aie guère l'espoir de frapper aussi fort qu'un vieux soldat éprouvé.

– Que le diable emporte vos compliments! cria-t-il d'un ton rageur. Ce fut avec de douces paroles que vous avez pris mes doigts dans ce piège à imbéciles que voilà. Maintenant voici mon vieux casque d'acier espagnol. Comme vous le voyez, il porte une ou deux traces de coups, et une nouvelle marque ne lui fera pas grand mal. Je le pose ici sur cette chaise qui est assez haute pour donner un jeu suffisant au coup de sabre. Allons-y, mon gentilhomme, et voyons si vous êtes capable d'y mettre votre marque.

– Frappez le premier, monsieur, dis-je, puisque vous avez porté le défi.

– Il me faudra abîmer mon propre casque pour refaire ma réputation de soldat, grommela-t-il. Soit, soit, ces jours-ci il a résisté à plus d'un coup de taille.

Il tira son sabre, fit reculer la foule qui s'était amassée autour de nous, brandit la lame avec une vigueur étonnante autour de sa tête, et l'abattit dans tout son élan, avec justesse, sur le casque d'acier poli.

L'objet rebondit très haut, puis retomba à grand bruit sur le parquet de chêne.

On y voyait une longue et profonde entaille qui avait pénétré à travers l'épaisseur du métal.

– Bien frappé! Un beau coup! crièrent les spectateurs.

– C'est de l'acier mis à l'épreuve et trois fois trempé, garanti capable de faire glisser une lame de sabre, dit quelqu'un après avoir ramassé le casque pour l'examiner.

Puis il le replaça sur la chaise.

– J'ai vu mon père trancher de l'acier trempé avec ce vieux sabre, dis-je, en tirant l'arme qui avait cinquante ans d'âge. Il y mettait un peu plus de force que vous ne l'avez fait. Je lui ai entendu dire qu'un bon coup venait plutôt du dos et des reins que des seuls muscles du bras.

– Ce n'est pas une conférence qu'il nous faut, mais un beispiel ou exemple, railla l'Allemand. C'est à votre coup que nous avons affaire, et non aux leçons de votre père.

– Mon coup, dis-je, est d'accord avec les leçons de mon père.

Puis faisant tournoyer le sabre, je l'abattis de toute ma force sur le casque de l'Allemand.

La bonne vieille lame du temps de la République trancha la plaque d'acier, coupa la chaise en deux et enfonça sa pointe à deux pouces de profondeur dans le parquet de chêne.

– Ce n'est qu'un tour, expliquai-je, un tour que j'ai exécuté à la maison dans les soirées d'hiver.

– Voilà un tour que je ne me soucierais guère de voir faire sur moi, dit Lord Grey au milieu du murmure général d'applaudissements et de surprise. Par ma foi, mon homme, vous êtes venu au monde deux siècles trop tard. Quelle valeur auraient eue vos muscles avant que la poudre à canon eût mis tous les hommes au même niveau!

– Merveilleux! grogna Buyse, merveilleux! J'ai passé l'âge de la force, mon jeune monsieur, et je puis bien vous laisser la palme de la vigueur. C'était vraiment un coup magnifique. Voilà qui m'a coûté un baril ou deux de vin des Canaries, et un bon vieux casque, mais je ne le regrette pas, car la chose s'est faite en toute loyauté. Je suis heureux que ma tête n'ait pas été dedans. Saxon, que voici, nous a fait voir quelques beaux tours à l'épée, mais il n'a pas le poids qu'il faut pour des coups assommants comme celui-ci.

– J'ai encore le coup d'œil juste et la main ferme, bien que le défaut d'exercice leur ait fait perdre quelque chose, dit Saxon, trop heureux de saisir cette occasion d'attirer sur lui les regards des chefs. Au sabre, avec l'épée et la dague, l'épée et le bouclier, un seul fauchon ou l'assortiment de fauchons, mon défi d'autrefois tient toujours contre le premier venu, à l'exception de mon frère Quartus, qui joue aussi bien que moi, mais il a un demi-pouce de taille qui lui donne l'avantage sur moi.

– J'ai étudié l'escrime au sabre sous le signor Contarini, de Paris, dit Lord Grey. Quel a été votre maître?

– Mylord, dit Saxon, j'ai étudié sous le signor l'Âpre Nécessité, d'Europe. Pendant trente-cinq ans, chaque jour de ma vie a dépendu de ce que j'étais en mesure de me défendre avec ce bout d'acier. Voici un petit tour qui exige quelque justesse de coup d'œil. Il consiste à lancer cet anneau au plafond et à le recevoir à la pointe d'une rapière. Cela semble peut-être facile, et cependant on ne peut y arriver sans quelque pratique.

– Facile! s'écria Wade, l'homme de loi, personnage à figure carrée, au regard hardi. Mais l'anneau est juste assez large pour votre petit doigt. On pourrait réussir ce tour une fois par hasard, mais on ne peut y compter.

– Je mets une guinée sur chaque coup, dit Saxon, et jetant en l'air le petit cercle d'or, il brandit sa rapière et lança un coup de pointe.

L'anneau glissa avec un bruit métallique le long de la lame et sonna contre la garde, dextrement enfilé. D'un vif mouvement du poignet, il le lança de nouveau au plafond, où l'anneau heurta une poutre sculptée et changea de direction, mais il fit encore un prompt mouvement en avant, se plaça dessous et le reçut sur la pointe de son épée.

– Sûrement il y a dans l'assistance quelque cavalier capable de faire ce tour-là aussi bien que moi, dit-il en remettant l'anneau à son doigt.

– Colonel, je crois que je pourrais m'y risquer, dit une voix.

Nous regardâmes autour de nous et vîmes que Monmouth était entré dans la salle et attendait en silence, près du groupe nombreux.

Il était resté inaperçu grâce à l'attention générale qu'avait absorbée notre rivalité.

– Non, non, gentilshommes, reprit-il d'un ton charmant, pendant que nous nous inclinions et faisions des saluts d'un air assez embarrassé… Mes fidèles compagnons ne sauraient mieux employer leur temps qu'à reprendre un peu le souffle avec quelques petits jeux à l'épée. Je vous en prie, colonel, prêtez-moi votre rapière.

Il ôta de son doigt un anneau où était enchâssé un diamant, le lança en l'air et l'enfila avec autant d'adresse que l'avait fait Saxon.

– Je me suis exercé à ce tour à la Haye, où, sur ma foi, j'avais beaucoup trop de loisirs à consacrer à de pareilles bagatelles. Mais que signifient ces plaques d'acier, et ces éclats de bois épars sur le plancher?

– Un fils d'Anak est apparu parmi nous, dit Ferguson, levant de mon côté sa figure toute ravagée et rougie par la scrofule. Un Goliath de Gath dont le coup est pareil à celui d'une ensouple de tisserand. N'a-t-il pas la joue lisse d'un petit enfant et les muscles de Bellemoth.

– Un coup adroit, en vérité, dit le Roi en ramassant la moitié de la chaise. Et comment se nomme notre champion?

– Il est mon capitaine, Majesté, dit Saxon en remettant au fourreau l'épée que le Roi lui avait tendue, Micah Clarke, natif du Hampshire.

– Ce pays-là produit une bonne vieille race anglaise, dit Monmouth, mais comment se fait-il que vous vous trouvez ici, monsieur? J'ai convoqué ce matin ma suite personnelle, et les colonels des régiments. Si tous les capitaines doivent être admis à nos conseils, nous serons obligé de le tenir sur la pelouse du château, car il n'y aura pas de salle assez grande pour nous.

– Majesté, répondis-je, si je me suis hasardé à venir ici, c'est que, au cours de mon voyage j'ai été chargé d'une commission, qui consistait à remettre un paquet entre vos mains. J'ai donc cru qu'il était de mon devoir de ne pas perdre un moment pour m'acquitter de ma mission.

– Qu'est-ce que c'est? demanda-t-il.

– Je l'ignore, répondis-je.

Le Docteur Ferguson chuchota quelques mots à l'oreille du Roi, qui se mit à rire, et tendit la main pour prendre le paquet.

– Ta! Ta! dit-il, les temps des Borgia et des Médicis sont passés, docteur. En outre ce jeune homme n'est point un conspirateur italien et la Nature lui a donné comme certificat d'honnêteté de loyaux yeux bleus et une chevelure couleur de chanvre. C'est bien lourd… un lingot de plomb, à en juger par le poids. C'est enfermé dans de la toile cousue avec du gros fil. Ha! c'est un barreau d'or, d'or vierge massif, n'est-ce pas bien extraordinaire. Chargez-vous de cela, Wade, et veillez à ce que cela entre dans le trésor commun. Ce petit morceau de métal peut fournir dix piquiers. Qu'est-ce que ceci? Une lettre et un pli fermé. «À James, Duc de Monmouth.» Hum! ceci a été écrit avant que nous eussions pris notre titre royal: «Sir Jacob Clancing, jadis de Snellaby-Hall, envoie ses salutations et une preuve d'affection. Menez la bonne œuvre à la bonne fin. Cent lingots pareils vous attendent quand vous aurez traversé les plaines de Salisbury.» De magnifiques promesses, Sir Jacob! Je souhaiterais que vous les eussiez envoyées. Eh bien, messieurs, vous le voyez, l'aide et les témoignages de bonne volonté affluent vers nous. N'est-ce pas l'heure de la marée montante? L'usurpateur a-t-il quelque espoir de se maintenir? Ses gens lui resteront-ils attachés? En un mois, et même moins du temps, je vous verrai tous réunis autour de moi à Westminster, et alors aucun devoir ne me sera plus agréable que de pourvoir à ce que tous, du plus haut jusqu'au moindre, vous soyez récompensés de votre loyauté envers votre monarque en cette heure sombre pour lui, en cette heure périlleuse.

 

Un murmure de gratitude s'éleva du milieu des courtisans à ce gracieux discours, mais l'Allemand tira saxon par la manche et dit tout bas:

– Il a son accès de chaleur maintenant. Vous allez le voir se refroidir bientôt.

– Quinze cents hommes m'ont rejoint ici, où je n'en attendais qu'un millier au plus, reprit le Roi. Si nous avions de grandes espérances lors de notre débarquement à Lyme Cobb, où nous étions accompagné de quatre-vingts personnes, que devons-nous penser maintenant, quand nous nous trouvons dans la principale ville du Somerset avec huit mille braves autour de nous? Encore une affaire comme celle d'Axminster, et le pouvoir de mon oncle s'écroulera comme un château de cartes. Mais réunissez-vous autour de la table, messieurs, et nous allons discuter sur les affaires selon toutes les règles.

– Voici encore un bout de papier que vous n'avez pas lu, sire, dit Wade en lui tendant un billet qui avait été inclus dans la note.

– C'est une attrape rimée, ou un refrain de ronde, dit Monmouth en y jetant un coup d'œil. Quel sens donnerons-nous à ceci?

 
Quand ton étoile sera dans le trine aspect,
Entre l'éclat et les ténèbres,
Duc Monmouth, Duc Monmouth,
Méfie-toi du Rhin.
 

– Ton étoile dans le trine aspect? Qu'est-ce que cette mauvaise plaisanterie.

– S'il plaît à Votre Majesté, dis-je, j'ai des motifs de croire que la personne qui vous a envoyé ce message est un des adeptes profondément versés dans les arts de la divination, et qui prétendent annoncer les destinées des hommes d'après les mouvements des corps célestes.

– Ce gentleman a raison, sire, fit remarquer Lord Grey. Ton étoile dans le trine aspect, est un terme d'astrologie qui signifie que votre planète natale sera dans une certaine région du ciel. Ces vers tiennent de la prophétie. Les Chaldéens et les Égyptiens du temps jadis passent pour avoir acquis une grande habileté dans cet art, mais j'avoue que je ne fais pas grand cas de l'opinion de ces prophètes des temps nouveaux qui se donnent la peine de répondre aux sottes questions de la première ménagère venue:

 
Et qui révèlent grâce à Vénus ou à la Lune
Qui a volé un dé à coudre ou une cuiller.
 

dit à demi-voix Saxon, citant un passage de son poème favori.

– Eh! voici que nos colonels prennent la maladie de la rime, dit le Roi en riant. Nous allons donc poser l'épée pour prendre la harpe, ainsi que le fit Alfred en ce même pays. Ou bien je deviendrai un Roi des bardes et des trouvères, comme le bon Roi René de Provence. Mais, messieurs, si c'est vraiment une prophétie, elle est, à mon avis, de bon augure pour notre entreprise. Sans doute je suis invité à me défier du Rhin, mais il est bien peu probable que notre querelle se décide par les armes sur ses rives.

– Tant pis! murmura l'Allemand entre ses dents.

– Ainsi donc nous pouvons remercier ce Sir Jacob et son gigantesque messager pour sa prédiction autant que pour son or. Mais voici le digne Maire de Taunton, le plus âgé de nos conseillers et le plus récent de nos chevaliers. Capitaine Clarke, je vous prie de vous poster en dedans de la porte et de vous opposer à toute intrusion. Ce qui se passe entre nous, sera, j'en suis certain, en sûreté sous votre garde.

Je m'inclinai et pris le poste qui m'était assigné pendant que les conseillers et les chefs militaires s'asseyaient autour de la grande table de chêne qui occupait le centre du hall.

La douce lumière du soir se répandait à flots par les trois fenêtres de l'ouest, tandis que les conversations des soldats campés sur la pelouse du château résonnait comme le bourdonnement endormant des insectes.

Monmouth allait et venait d'un pas rapide, d'un air embarrassé, jusqu'au bout de la pièce, jusqu'à ce que tout le monde fût assis.

Alors il se tourna vers le groupe et lui adressa la parole:

– Vous avez dû deviner, messieurs, dit-il, que si je vous ai réunis aujourd'hui, c'est pour profiter de votre sagesse collective et me fixer sur le parti que nous avons à prendre. Nous nous sommes avancés d'environ quarante milles dans notre royaume, et nous avons trouvé partout le chaleureux accueil auquel nous nous attendions. Bien près de huit mille hommes suivent nos étendards et un nombre égal ont dû être renvoyés faute d'armes. Nous nous sommes trouvés deux fois en présence de l'ennemi, et le résultat de ces rencontres nous a livré ses mousquets et ses pièces de campagne. Depuis le début jusqu'au dernier moment, il ne s'est rien passé qui n'ait tourné à notre avantage. Nous devons faire en sorte que l'avenir soit aussi heureux que le passé. C'est pour assurer ce succès que je vous ai réunis, et maintenant je vous demande de me donner votre avis sur notre situation, et de me laisser combiner notre plan d'action après que je vous aurai entendus. Il y a parmi vous des hommes d'état, il y a parmi vous des militaires, il y a parmi vous des hommes de piété qui peuvent apercevoir un éclair de lumière alors qu'hommes d'état et militaires sont dans les ténèbres. Donc parlez sans crainte, faites-moi connaître vos pensées.

De mon poste central près de la porte je voyais parfaitement les rangées de figures de chaque côté de la table, les solennels Puritains à la face rasée, les soldats brûlés par le soleil, les courtisans à moustaches et en perruques blanches.

Mes yeux se portèrent surtout sur les traits scorbutiques de Ferguson, sur le profil dur, aquilin de Saxon, sur la face grossière de l'Allemand et sur la figure pointue et pensive du lord de Wark.

– Si aucun autre ne veut exprimer une opinion, s'écria le fanatique docteur, je vais parler moi-même, comme étant inspiré par une voix intérieure. Car n'ai-je pas travaillé pour la cause, ne m'en suis-je pas fait l'esclave, pâtissant, souffrant, bien des choses par le fait de l'audacieux? Par quoi mon esprit a fructifié avec abondance. N'ai-je pas été foulé comme dans un pressoir à vin et jeté au rebut avec des sifflets et du mépris?

– Nous connaissons vos mérites et vos souffrances, docteur, dit le Roi. La question qui nous est soumise est de savoir ce que nous avons à faire.

– Une voix ne s'est-elle pas fait entendre à l'Orient? cria le vieux Whig. Un nom ne s'est-il pas élevé comme celui d'une grande clameur, de grands pleurs pour un Covenant violé et une génération pécheresse. D'où venait ce cri? Quelle était cette voix? N'était-elle pas celle de cet homme, Robert Ferguson, qui s'est dressé contre les grands de la terre et n'a pas voulu se laisser apaiser?

– Oui, oui, docteur, dit Monmouth, avec impatience. Parlez de ce qui nous occupe, ou faites place à un autre.

– Je vais m'expliquer clairement, Majesté. N'avez-vous pas appris qu'Argyle est pris. Et pourquoi est-il pris? Parce qu'il n'a point eu la confiance qu'il devait avoir dans les œuvres du Tout-Puissant, parce qu'il lui a fallu rejeter l'aide des enfants de lumière pour accepter celle des rejetons du Prélatisme, hommes aux jambes nues, à moitié païens, à moitié papistes. S'il avait marché dans la voie du Seigneur, il ne serait point enfermé dans la Prison d'Édimbourg, avec la corde ou la hache en perspective. Que n'a-t-il ceint ses reins, pour marcher droit en avant, avec l'étendard de la lumière, au lieu de s'amuser ici et là, à attendre, ainsi qu'un Didyme au cœur incertain. Et notre sort sera le même ou pire encore, si nous n'avançons pas dans l'intérieur, si nous ne plantons pas nos étendards devant cette ville coupable de Londres, la ville où l'œuvre du Seigneur doit être faite, où l'ivraie doit être séparée du froment, et entassée à part pour être brûlée.

– En somme, vous êtes d'avis que nous nous mettions en marche, demanda Monmouth.

– Que nous marchions en avant, Majesté, et que nous nous préparions à être les instruments de la grâce, que nous nous abstenions de souiller la cause de l'Évangile en portant la livrée du diable, dit-il en lançant un regard féroce à un cavalier au costume brillant qui était assis de l'autre côté de la table, qu'on renonce à jouer aux cartes, à chanter des chansons profanes, et à lancer des jurons, autant de fautes qui sont commises chaque soir par les membres de cette armée, ce qui est un grand scandale envers Dieu et le peuple.