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Le Cachet d'Onyx

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La jalousie de Dorsay vous aurait-elle mieux convenu, Madame ? Ah ! elle ne venait pas, celle-là, de trop de passion, d'un amour à tempestueuses défiances, de tout ce qui la ferait pardonner. Elle n'était pas fille de la nature. La société l'avait produite et couvée, sous le mensonge et le sarcasme, dans le sein de l'un de ses enfants chéris. Déjà plus d'une fois Dorsay avait rencontré sur les lèvres de ses amis cette plaisanterie d'autant plus incisive qu'elle prend les dehors de l'intérêt et de la pitié. Tous ces jeunes gens ne pouvaient croire qu'Hortense de *** ne donnât bientôt un successeur à Dorsay ; ils avaient jugé que le temps approchait où la liaison, comme ils disaient, d'Auguste et de Mme de *** devait finir, la modelant sur toutes les banales intrigues qui aboutissent de part et d'autre à la lassitude. Ils se trompaient en ceci qu'Hortense, qui avait eu son règne ou plutôt ses batailles de coquetterie, selon l'usage de toutes les femmes qui sont belles et n'ont pas encore d'amant, n'était pourtant pas de celles qui usaient vite un sentiment pour le remplacer. Erreur profonde, mais explicable. Ces messieurs connaissaient très bien la généralité des femmes et le caractère de Dorsay.

Un jour, dans une de ces soirées que Paris compte parmi les plus brillantes, Dorsay avait souffert plus que jamais des plaisanteries de ses amis. Ces plaisanteries qu'ils infligeaient à sa vanité de fat étaient d'un goût si parfait et d'un ton si mesuré dans les termes qu'il était impossible à un homme de bonne compagnie de montrer de l'humeur ou du courroux, mais l'intention en était si blessante, si triomphante surtout, qu'il fallait d'un autre côté une grande puissance sur soi-même ou une grande peur de l'inconvenable pour se contenir en les entendant. Dorsay les écoutait les lèvres tremblantes, le front pâle et les traits frappés d'un vague sourire qui s'efforçait d'être insouciant et gai. Elles murmuraient, bruissaient, ricanaient, éclataient à ses oreilles dans cent bouches différentes, avec une foule d'accents divers. Il lui semblait que vingt mains de démon jouassent de la harpe avec son âme pour en tirer les vibrations les plus aiguës, et taquinassent avec une étrange volupté d'ironie jusque ses plus subtiles, ses plus déliées fibrilles nerveuses. La jeune fille qui levait sur lui son grand oeil noir, plein de la rosée et du soleil matinal de la vie, ne pensait guère que cet homme vanté et charmant était tout à l'heure déchiré de supplice, dans ces délicieux moments d'un bal, et que cette main blanche et parfumée qu'il plongeait dans ses cheveux bouclés se trempait en passant sur son front de la sueur que l'humiliation y faisait couler. Heureuse jeune fille, dont le sang, sous les belles veines rougissantes, ressemble à l'essence de rose tiédie, à travers le cristal qui la renferme, par la moiteur d'une gorge de femme. Heureuse jeune fille, poète de la plus vague, de la plus éthérée poésie, qui crée, à propos d'une expression sur un visage d'homme, tout un drame où il n'y a pas une douleur. Et avec quoi ? Avec les soupçons d'un coeur pubère et d'une imagination énamourée.

Hortense elle-même s'y serait trompée comme les jeunes filles. Les tourments de la vanité restent incompris des âmes passionnées. Elle voyait Dorsay au milieu de ses amis, devisant d'une voix douce comme toujours. Elle ne se doutait guère alors qu'elle allait bientôt expier le calme apparent qui recouvrait une honteuse douleur.

Hortense était allée à ce bal comme elle allait à toutes les fêtes, depuis que Dorsay avait cessé de l'aimer. Maintenant que l'amour et la solitude n'avaient plus d'enchantement pour elle, elle venait demander au monde et à ses pompes la chétive aumône d'une distraction. Rester seule chez elle lui était devenu insupportable. Elle n'avait jamais aimé son mari, mais depuis longtemps elle le haïssait. C'est là la conséquence des passions. Épouvantable logique ! Algèbre de fer et de feu ! Une femme hait son mari parce qu'elle ne l'aime plus, elle le hait parce qu'il lui faut singer avec lui la tendresse, parce qu'il faut endurer froidement ses caresses comme des outrages, et ne pas le repousser, cet époux qui n'est plus qu'un maître, au moment où il prend ce qui est donné à un autre dont l'image se pose incessamment sur le coeur. Et puis ne hait-on pas celui dont la présence vous met au front l'effet d'un brasier, celui qui peut vous mépriser et vous punir s'il vient à vous connaître mieux ? Hortense éprouvait toujours devant son mari le mal de coeur qui précède les évanouissements, et quand il n'était plus là elle avait honte d'une faiblesse qui la rendait une vile créature et la faisait dépendre d'un homme qui l'avait sacrifiée, et à qui elle répétait les mains jointes : «Ne me quitte pas !»

Il y a une belle imposture de Rousseau, c'est quand il montre dans son Héloïse que celle qui a aimé une fois, qui s'est donnée corps et âme, baisers et sourires, peut devenir, mariée à un autre que celui qui l'a possédée, épouse tendre et soumise, mère de famille irréprochable, chaste prêtresse des dieux domestiques. A ce compte-là, le vice ne laisserait que des stigmates embellissants comme des blessures dans une face de brave. A ce compte-là, l'âme se donne et se reprend comme l'amour nuptial entre des époux divorcés. La réalité n'est point ainsi. A force d'avoir voulu être moral dans son livre, Rousseau a exagéré la puissance de la volonté et les efforts du repentir. On ne pouvait mentir plus noblement à la nature humaine, mais enfin Rousseau a menti et sa Julie d'Etanges est un sophisme. Un sophisme de plus, senti, rendu avec génie, si ce n'est un blasphème plein de séduction et de charme, à l'égal presque d'une pure et grande vérité, un étonnant tour de force comme il les faisait tout en se jouant, cet acrobate de la pensée, aux reins cambrés et musculeux. Ou, le jour qu'elle s'est livrée, sa Julie était comme tant d'autres, qui, prenant leur sens pour leur coeur, veulent de ce pauvre amour qui n'est, hélas ! que de la volupté passée au filtre, mais du moins de la volupté qu'on peut nommer et non plus de celle-là que l'on a cherchée adolescent dans des insomnies qui cernent les yeux de violettes meurtrissures et tachent un front pâle de mates rougeurs, – ou bien c'était l'enfant naïve et tout abandonnée dont le coeur fut défloré comme le corps, et qui, âme d'élite, accepta, résignée, une douloureuse existence pour la sanctifier de repentir et de vertu. Et ni l'une ni l'autre ne pouvait devenir Mme de Volmar. Quand on a connu l'amour, quand on a étalé un corps virginal et dévoilé sous les enlacements du serpent, toutes les chances de bonheur que présentait la vie ont disparu d'une haleine. La coupe est tarie. Et si la lèvre en presse les bords, avide de chercher un reste d'ivresse en hâte, elle n'y trouve que le froid du cristal qui se brise et qui l'ensanglante. En vain demande-t-on à toutes les vertus une félicité qui remplace celle qu'on a perdue. Les saintes joies des devoirs accomplis ne sont appréciées dans leur pureté et leur goût céleste que par les coeurs non fanés du toucher des passions de la terre. La piété, les soins maternels, qui sont de l'amour encore, baume divin pour une âme angoissée, ne suffisent plus, vides des instincts de bonheur que la passion développa et qui restent furibonds jusqu'à l'heure de l'agonie, – comme un châtiment que l'on porte au fond de l'âme pour avoir abusé des dons de Dieu.