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L'Abbé de l'Épée: sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès

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XXVII

La Commission cesse de s'assembler. – M. Préault, presque abandonné à lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave et Berthier, tient religieusement sa promesse. – Le monument est inauguré en août 1841, sans cérémonie et presque à huis clos. – Description et éloge de cette œuvre remarquable. – Mais pourquoi une inscription latine? – Sur 22,000 sourds-muets que renferme la France, il n'y en a pas 22 qui sachent le latin. – Hommage des sourds-muets suédois. – Couronne de bronze due aussi à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée qui orne la façade de l'hôtel de ville de Paris. – Cruels sacrifices pécuniaires de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour celui qu'il a élevé au général Marceau sur une place de Chartres. – Un buste du grand instituteur dû à un sculpteur sourd-muet, offert à l'école de Paris. – Séance d'inauguration. – Souscription ouverte pour élever une statue à l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles, sa ville natale. – L'Institution de Paris s'associe à cet acte de reconnaissance.

Depuis lors, la commission ne fut plus convoquée. Toutefois, selon l'engagement de l'architecte et du sculpteur, le monument élevé à la mémoire de l'abbé de l'Épée fut inauguré presque à l'époque convenue, c'est-à-dire en août 1841, mais sans cérémonie, et presque à huis clos! Pourquoi? Dieu le sait.

Ce tombeau consiste en une pierre triangulaire portant, au sommet, le buste en bronze du célèbre instituteur, et, à la base, deux figures de même métal, représentant un jeune enfant et une jeune fille, les mains levées, en signe de reconnaissance, vers l'homme qui les a arrachés à leur triste infirmité et leur a donné, en dépit de la nature, le bien précieux de l'éducation.

L'inscription simple et noble qui la décore83 serait en parfaite harmonie avec le monument si, malgré notre avis réitéré et à notre bien vif regret, on eût consenti à l'écrire en français et non en latin, langue inconnue à l'immense majorité des sourds-muets du globe. L'œuvre en elle-même fait le plus grand honneur aux artistes distingués qui ont concouru à son érection. M. Lassus, architecte, et M. Auguste Préault ont compris qu'il devait être d'une conception simple et grave, comme le génie de l'homme à la mémoire duquel il est consacré. Le buste et les figures sont exécutés, d'ailleurs, avec une grâce et une délicatesse qui révèlent une face toute nouvelle dans le talent si neuf, si hardi, si original de M. Préault.

Quatre ans plus tard, par l'intermédiaire de M. Eugène Garay de Monglave et de l'auteur de ce mémoire, à côté du monument fut attachée une couronne de lauriers, en bronze, due au même statuaire, avec l'inscription suivante: A l'abbé de l'Épée, les sourds-muets suédois. C'était la réalisation d'un vœu, exprimé par M. O. – E. Borg, directeur de l'Institution des sourds-muets et des aveugles de Stockholm. Il n'était arrivé à Paris, avec le montant de la souscription de ses élèves, qu'en 1845, longtemps après que le monument de Saint-Roch était terminé.

Presque dans le même temps, c'est-à-dire en 1844, sur la façade monumentale de l'hôtel de ville de Paris, l'administration municipale faisait poser la statue, de grandeur naturelle, de l'abbé de l'Épée, due également au ciseau de M. Préault, entre celles des grands hommes qui sont nés dans la capitale, ou qui l'ont illustrée par leurs travaux et leurs écrits. Elles sont placées dans des niches pratiquées au premier étage et dans les entre-colonnements des deux ailes de cet édifice.

Dans ce dernier travail, M. Préault a trouvé, on nous l'assure du moins, la stricte rémunération de ses peines. Malheureusement nous avons tout lieu de croire qu'il n'en a pas été de même pour le monument de Saint-Roch, et qu'outre son inspiration, sa main d'œuvre et son temps, l'honorable statuaire a dû parfaire de sa bourse la somme assez élevée qui était nécessaire à la rémunération complète des ouvriers et des fournisseurs avec lesquels il avait traité, la souscription n'ayant pas produit suffisamment pour faire face à toutes les dépenses, ou la dispersion subite des membres de la Commission avant l'achèvement des travaux ayant jeté le désordre dans la rentrée régulière des fonds recueillis en divers lieux et par diverses mains.

C'est toujours un spectacle douloureux que celui d'un artiste victime de son dévouement à la gloire et à l'humanité. Si ce qu'on nous rapporte est vrai, M. Préault serait, du reste, à cet égard, coutumier du fait, et sa belle statue du général républicain Marceau, que tout Paris a admirée, et qui décore aujourd'hui une des principales places publiques de Chartres, ville natale du célèbre guerrier, aurait été, de sa part, l'occasion d'un nouveau sacrifice obligé à l'art qu'il professe avec tant d'éclat, et à une des gloires de la France, dont personne n'est plus enthousiaste que lui. Macte animo, generose puer!

En avril 1840, le neveu du sculpteur sourd-muet, Amédée Durand, avec un tact qui l'honore, avait bien voulu offrir à l'Institution nationale des sourds-muets de Paris le buste original de son illustre fondateur, terminé, à son insu, par son oncle, trois ans avant la mort du célèbre instituteur, c'est-à-dire à la date de 1786, buste d'après lequel ont été exécutés ceux qu'on a vus circuler dans le public sur une échelle réduite. Cet artiste était aussi l'auteur d'un second buste dont il avait changé les proportions. Ainsi se trouva dûment constatée l'origine de ces copies, jusque-là inconnue.

Le don de M. Amédée Durand, accepté par l'ancienne administration de l'Institution, avec tout l'empressement qu'il méritait, fut inauguré, le 11 mai 1840, dans la salle des séances publiques.

Ce jour-là, à une heure de l'après-midi, quatre élèves sourds-muets, signalés les premiers par ordre de mérite, ont été introduits dans la salle du conseil d'administration, pour y recevoir le buste. Ils l'ont transporté dans celle des exercices publics, précédés de quatre élèves sourdes-muettes, désignées également par rang de mérite, chargées de couronnes d'immortelles, de lauriers et de guirlandes de fleurs. Les membres des anciens conseils d'administration et de perfectionnement84 venaient à la suite.

Le buste de l'abbé de l'Épée a été placé sur un piédestal, au haut de l'estrade; les quatre élèves sourds-muets rangés à droite, les quatre sourdes-muettes, à gauche, figuraient la famille des sourds-muets réunis autour de leur père.

Les dames du comité, M. Amédée Durand, les élèves de l'un et l'autre sexe étaient assis dans la salle, en face du buste; les fonctionnaires des deux maisons occupaient les deux parties latérales.

M. le baron de Gérando, président et doyen à la fois du conseil d'administration, s'est avancé et a adressé aux fonctionnaires et aux élèves des deux maisons une allocution analogue à la circonstance.

A la suite de ce discours, aussi profondément senti que fortement exprimé, les couronnes ont été déposées sur le buste par deux élèves (un sourd-muet et une sourde-muette); le piédestal a été entouré de guirlandes par les autres, aux applaudissements réitérés de l'assemblée.

Ensuite, M. le président a procédé à une distribution de livrets de la caisse d'épargne, provenant d'un premier fonds de 200 fr., de ses deniers, placé par M. Désiré Ordinaire, alors directeur de l'École des sourds-muets de Paris, pour former le noyau d'une masse commune, somme que d'autres dons étaient venus accroître successivement. Avec l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur, le conseil d'administration avait statué que le dépôt, s'élevant à un total de 664 fr., serait réparti, proportionnellement à leur mérite, entre les élèves des deux maisons qui, d'après les notes comparées des divers fonctionnaires, se seraient le plus distingués par leur conduite, leur travail et leurs progrès.

Le président faisait observer qu'en distribuant ces livrets en pareille circonstance, l'administration s'était proposé, non-seulement de décerner un témoignage de satisfaction aux élèves les plus méritants, mais aussi d'offrir à tous un sujet utile de réflexion, une instruction sensible, qui leur fît apprécier, de bonne heure, les avantages de l'ordre et de l'économie dans toutes les conditions sociales.

Alors, les élèves des deux maisons sont venus successivement défiler devant le buste de l'abbé de l'Épée, et l'ont salué; ceux d'entre eux auxquels les livrets étaient destinés les ont reçus des mains du président, et leurs noms ont été en même temps proclamés.

Le président, au moment de lever la séance, a fait connaître à l'assemblée que la ville de Versailles, qui s'honore d'avoir vu naître l'abbé de l'Épée, venait d'ouvrir une souscription pour ériger un monument à ce bienfaiteur de l'humanité; que le conseil d'administration, désirant s'associer à l'hommage public rendu par sa ville natale à la mémoire de l'immortel fondateur de l'Institution nationale, avait arrêté qu'un registre de souscription, sur lequel ses membres s'inscriraient individuellement, serait ouvert par les soins et dans les mains de l'agent comptable, et qu'il en serait donné avis au Maire de Versailles.

 

A deux heures et demie, l'assemblée se retirait, visiblement émue.

XXVIII

Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de l'Épée, avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet commémoratif de sa naissance, par une proposition que je fis aux sourds-muets et à leurs amis d'acquérir un buste en bronze du célèbre instituteur. – Empressement unanime de tous les convives. – Le buste est commandé au sculpteur Parfait Merlieux, et inauguré sur la fin du banquet de l'année suivante. – Transports d'allégresse de tous les assistants. – Mon allocution. – Bienfaits de la Société centrale des sourds-muets. – Projet de cours publics et gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette infirmité.

Ces divers tributs d'admiration, payés à la mémoire de l'abbé de l'Épée, avaient été devancés par l'appel qu'au second banquet85 du 123e anniversaire de sa naissance (6 décembre 1835), j'avais fait, comme président, au concours sympathique de mes frères, tant sourds-muets que parlants, dans la vue d'acquérir un buste en bronze de ce bienfaiteur de l'humanité, ce palladium, ce drapeau de notre association commune, qui devait être désormais arboré au milieu de nous, à chaque anniversaire de ce bienheureux événement. Tous répondirent, comme un seul homme, à cet appel. Aussi, dès le 4 décembre de l'année suivante, l'œuvre du sculpteur Parfait Merlieux fut-elle, sur la fin du repas, découverte et saluée d'unanimes applaudissements. Ces applaudissements redoublèrent quand on vit une couronne d'immortelles descendre sur la tête vénérée du premier apôtre des sourds-muets. Je me levai alors pour adresser aux convives l'allocution mimique suivante:

«Frères, la voilà, s'offrant enfin à vos joies et à vos bénédictions, cette image chérie qui, à notre grand regret, manquait toujours à notre fête annuelle! Le voilà ce visage de notre saint Vincent de Paule, qu'a su reproduire, avec tant de fidélité, un artiste de mérite, Parfait Merlieux, que vous voyez assis ici à mes côtés. Contemplez avec moi ces traits de l'abbé de l'Épée, brillants de toute la puissance du génie, de tout l'éclat des plus rares vertus! Contemplez cette auréole qui annonce un envoyé de Dieu, ce front majestueux d'où jaillit, comme une flamme céleste, cette admirable conception qui nous a placés au niveau des hommes privilégiés, qui nous a élevés jusqu'à lui, jusqu'à la divinité!

«Notre âme, alors que pas la plus légère clarté n'y pénétrait encore, n'était-elle pas emprisonnée dans le monde matériel? Aujourd'hui, rompant ses fers et secouant son engourdissement, elle prend un rapide essor vers le monde de l'intelligence.

«Nous étions esclaves de nos sens, de nos passions. Maintenant, nous sommes maîtres de notre conduite; la raison est notre flambeau, notre reine!

«D'autre part, et tout le monde le reconnaît, depuis l'institution de cette fête et de notre comité, le cercle de nos idées s'est prodigieusement agrandi.

«N'est-ce pas à l'heureux contact de tous ceux qui ont bien voulu s'associer à nos efforts, qu'est dû cet étonnant progrès de notre civilisation? Nous ne sommes plus en dehors du grand travail des intelligences humaines: nous gravitons avec elles vers le pôle de la perfectibilité; et, pourtant, je vous vois murmurer contre d'injustes préventions. Rassurez-vous, frères, rassurez-vous et espérez! L'évidence est notre arme à nous. Le temps n'est peut-être pas éloigné où elle détruira toutes ces préventions, comme l'art créateur de l'abbé de l'Épée, après avoir soulevé, à sa naissance, les attaques de l'ignorance, en sortit triomphant à la fin.

«Elles sont présentes, frères, à votre mémoire ces paroles simples qu'un respectable ecclésiastique adressa à notre sauveur en venant d'assister à un de ses exercices: «Je vous plaignais avant de vous avoir vu, je ne vous plains plus maintenant; vous rendez à la société et à la religion des êtres qui étaient étrangers à l'une et à l'autre.»

«Au milieu des témoignages d'intérêt et de bienveillance qui nous environnent, qu'il me soit permis de signaler à votre reconnaissance la constante sollicitude du gouvernement en faveur des sourds-muets moins heureux que nous. Il vient d'ordonner un recensement général de cette population à part; et je crois savoir qu'il s'occupe de multiplier, autant qu'il est en son pouvoir, les écoles consacrées à l'éducation de ces infortunés.

«Si le sort des jeunes sourds-muets excite l'intérêt public, celui des pauvres ouvriers sourds-muets qui languissent dans une complète ignorance des droits et des devoirs du citoyen, et qui, pour mieux gagner leur pain, ont besoin de savoir appliquer la chimie à l'industrie, n'a-t-il pas autant de droits à notre bienveillance à tous? Pourquoi ne prendrions-nous donc pas la liberté de supplier le gouvernement de nous autoriser à créer des cours publics et gratuits dont il apprécierait certainement l'importance? Ce serait nous aider à ouvrir une école aux mœurs et au respect des lois. Plusieurs hommes de mérite ont bien voulu nous promettre de nous seconder dans l'accomplissement de cette grande œuvre de l'émancipation des sourds-muets.

«Tel était, frères, l'esprit de charité qui animait l'apôtre dont nous sommes heureux de fêter, en ce moment, l'anniversaire.

«Imitons-le! C'est le meilleur moyen de reconnaître ce qu'il a fait pour nous.

«J'ai abusé, sans doute, de votre attention; et, cependant, j'en ai encore besoin pour quelques secondes: je n'ai pas fini.

«Agréez l'expression de ma vive et profonde reconnaissance pour l'éclatant honneur que j'ai reçu de vous et qui m'impose de nouveaux efforts pour justifier votre choix!

«C'est dans vos encouragements et dans votre approbation que je puiserai cette constance nécessaire pour surmonter les obstacles et pour arriver au but de nos vœux. Je termine, mes frères, en vous proposant un toast cher à nos cœurs:

«A L'IMMORTEL ABBÉ DE L'ÉPÉE!»

XXIX

Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur ami Eugène Garay de Monglave. – Revue des célébrités de cette nation exceptionnelle. – Professeurs, lauréats, jurisconsultes, prosateurs et poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens, inventeurs, peintres (histoire, sujets religieux, portraits, marines, pastel, daguerréotype et lithographie), statuaire, graveurs, mécaniciens, horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout genre, militaires. – Trait héroïque de dévouement et de courage d'un sourd-muet de douze ans. – Le gouvernement lui décerne une marins et médaille. – Ses condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen d'assister à notre banquet. – Mon toast à M. Bouilly et la réponse de ce doyen de nos auteurs dramatiques.

Dans ce banquet des sourds-muets, comme dans tous ceux qui l'avaient précédé et dans tous ceux qui le suivirent, on vit, immédiatement après le président, se succéder à la tribune plusieurs orateurs86, faisant assaut de sentiments, de verve, d'éloquence, dans ce concert unanime d'actions de grâces. Au nombre des rares parlants, devenant alors sourds-muets, afin d'apporter leur fraternel concours à cette solennité, M. Eugène Garay de Monglave se fit remarquer par la chaleur expansive qu'il mit, selon sa coutume, à défendre les intérêts d'une classe nombreuse de citoyens, trop peu comprise encore de nos jours. C'est pour acquitter, en partie du moins, à son égard, une dette sacrée de reconnaissance, que nous croyons devoir assigner ici une place spéciale au toast brillant de cet ami dévoué de nos frères d'infortune.

 
«A la gloire des sourds-muets:!
«Ils ont déjà leur jurisconsulte:…
 

…(1)87, qui recherche leurs titres enfouis, correspond avec le Droit, avec la Gazette des Tribunaux, et adresse, pour ses frères méconnus, des pétitions aux assemblées législatives, qui les renvoient aux Ministres;

«Des prosateurs: ce même.....(2), au style incisif et harmonieux, auteur de divers ouvrages remarquables, et couronné par une académie; Claudius Forestier, directeur de l'École des sourds-muets de Lyon, qui aspire à devenir le Rollin de ses frères d'infortune, et prépare, pour eux, un cours complet d'éducation; puis, le fils du général Gazan, leur La Bruyère, à la pensée originale et hardie; puis, leurs professeurs et écrivains distingués, Lenoir, Allibert, Richardin, Chambellan, Imbert et d'autres encore;

«Des poëtes: Pélissier, que Lamartine a chanté, et chez qui la plus suave harmonie arrive, non par l'oreille, mais par le cœur; Pélissier, dont les délicieuses mélodies sont, en ce moment, sous presse88; et son émule, son rival peut-être un jour, Châtelain, qui s'est formé, comme lui, à l'École des sourds-muets de Toulouse;

«Un bachelier qui a subi ses examens avec succès: E. Laurent de Blois; un mathématicien, un physicien de mérite, à qui l'on doit de curieuses découvertes, et dont l'Académie des sciences a mentionné les précieux travaux: Paul de Vigan;

«Plusieurs peintres dont les tableaux figurent aux expositions et au Musée de Versailles: Mlle Fanny Robert, la gracieuse élève de Girodot, dont le pinceau a tant de délicatesse et d'abandon; Peyson, l'Apelle méridional, qui a retracé les derniers moments de l'abbé de l'Épée; Loustau, à qui le gouvernement commande des sujets religieux; de Widerkehr, qui excelle dans les marines; Gouin, surnommé, à juste titre, le Dubufe de la daguerréotypie89, qui a inventé, de concert avec un autre sourd-muet, Richardin, frère du professeur, une machine à polir les plaques daguerriennes; Armand Godard, Levassor, Duneuf, l'Américain du Nord John Carlin; le Péruvien Varela; l'excellent Octave Bézu, qui s'est fait un nom dans le pastel, et qui, de simple ouvrier, est devenu, à force de labeur et de persévérance, un artiste de mérite;

«Des lithographes: Bézu encore, Widerkehr, Ed. Robert, le frère de cette personne si habile dans la peinture, dont je viens de vous parler;

 

«Un statuaire de talent: Cary;

«Des graveurs: Boclet, attaché au dépôt de la guerre; Gamble et Mlle Alavoine;

«Des mécaniciens, à la tête desquels Maloisel90, Leclerc91, Haacke réclament une place;

«Des horlogers distingués: Barbat et Alavoine, le frère de la sourde-muette qui excelle dans la gravure;

«Des imprimeurs: Boulard, Doumic, Romiguières; d'autres encore qui ont fait leurs preuves à l'Imprimerie nationale, chez Didot et ailleurs;

«Tout un peuple d'ouvriers laborieux et patients qui se font remarquer dans tous les arts manuels, et dont les noms seuls dépasseraient, de beaucoup, les bornes de cette allocution rapide;

«Des marins même: l'un d'eux, nègre robuste, au service des États-Unis (dont le nom m'échappe), estimé de ses chefs, aimé de ses camarades, vint, il y a quelques années, visiter ses frères blancs de l'école de Paris, et s'entretenir avec eux dans cette langue si pleine d'images que leur a donnée, à tous, la nature compatissante;

«Des militaires enfin: l'un d'eux, Lamazure, garde national, a fait bravement la guerre de la Vendée; un autre, Deydier, a longtemps servi dans l'artillerie, et s'est vu, avec douleur, mis à la retraite après de brillants exploits, dans la force de l'âge, parce qu'il était sourd-muet; un troisième, le comte de Solar, noble fils d'une noble maison, jeté sur la voie publique par ses nobles parents, recueilli, adopté par l'abbé de l'Épée, ballotté par les tribunaux, joué sur la scène française, devint dragon dans les armées de la République, et tomba sous les coups d'une nuée d'Autrichiens, parce que, seul, il n'avait pas entendu le signal de la retraite.

«Vous le voyez bien! aucune gloire ne manque à ceux qui nous entourent. A la gloire donc des sourds-muets, à leur bonheur, à leur avenir!

«Après avoir gravé sur la colonne immortelle de cette gloire silencieuse des noms de professeurs et d'hommes de lettres, de bacheliers et de poëtes, de mathématiciens, de chimistes, de peintres, de lithographes, de statuaire, de graveurs, de mécaniciens, d'imprimeurs, d'ouvriers en tout genre, de marins même et de soldats intrépides, qu'il me soit permis d'y inscrire un nouveau nom!

«Dernièrement, un petit sourd-muet de douze ans se présente à notre école, où il est admis par le Gouvernement. Une somme de cinquante francs lui a été donnée par le Ministre de l'intérieur, autant par le ministre de la marine, et à sa boutonnière brille une médaille92, prix de son courage et de son dévouement.

«Les sourds-muets sont fiers de compter dans leurs rangs ce nouveau camarade décoré. Ils le montrent avec orgueil et racontent avec bonheur son histoire.

«C'était le 14 juin dernier, sur la côte du Havre: quatre enfants ont aperçu sur le sable une chaloupe abandonnée; ils s'en emparent, y montent, rament et s'y balancent, ignorant, pauvres petits, le danger qu'ils courent; mais l'un d'eux est entraîné par son aviron trop pesant, il tombe dans l'eau, il s'y débat; ses camarades poussent des cris déchirants, tous les spectateurs frémissent, l'enfant va périr…

«Heureusement les deux frères Hurtrelle (Alexandre et Léopold-Hippolyte), âgés, le premier, de quatorze ans, le second, qui est sourd-muet, de douze, se trouvaient aussi sur la plage. L'un a entendu, l'autre a vu; ils démarrent la petite barque des bains, ils s'y précipitent, ils font force de rames, ils sont bientôt près de l'enfant qui disparaît. Le sourd-muet se jette dans l'eau, il nage, il atteint l'enfant; mais comment réussir à le faire entrer avec lui dans l'embarcation? Ses forces et celles de son frère s'y refusent. Tout à coup, une idée s'offre à l'esprit du petit sourd-muet; il saisit le jeune imprudent par la tête, la soutient hors de l'eau, fait signe à son frère de ramer, et tous trois arrivent sur la grève, aux acclamations de la ville entière, témoin de cet acte d'héroïsme.

«Léopold, entré dans notre école, se montre, au milieu de ses frères sourds-muets, aussi modeste qu'il a été courageux au moment du danger; il ne comprend rien aux félicitations qu'on lui adresse, il ne comprend pas qu'il ait fait autre chose que son devoir.

«Ses camarades avaient décidé qu'il assisterait à ce banquet; mais, pour y être admis, il faut payer sept francs, somme énorme pour notre héros, qui ne possède que trois sous. Qu'importe! Ses camarades se cotiseront, ils feront, entre eux, une quête; celui-ci donnera un sou, celui là, deux sous, cet autre, plus favorisé de la fortune, trois sous au plus; et tous ces modestes sous, qu'ils destinaient à leurs plaisirs, étant réunis, formeront les sept francs exigés. Ils en feront hommage à leur nouveau condisciple, que, grâce à ces offrandes fraternelles, nous sommes heureux de voir aujourd'hui au milieu de nous.

«Eh bien! Messieurs, qu'en pensez-vous? N'avais-je pas raison de vous dire qu'un nouveau nom restait à graver sur la colonne de votre gloire?

«Un toast donc encore à l'élève Hurtrelle! un toast à la gloire des sourds-muets!»

Il est superflu, sans doute, de dire que M. de Monglave, en descendant de la tribune, s'est vu entouré, aussitôt, de flots de sourds-muets, qui lui serraient la main avec effusion. La reconnaissance d'Hurtrelle, surtout, ne saurait se décrire.

Pour clore cet hymne à la louange de la quasi-divinité, objet de nos hommages, on ne trouvera pas peut-être déplacé ici le toast qu'en pareille circonstance je portai à M. Bouilly, et la réponse dont il fut l'objet de la part de ce respectable doyen de nos auteurs dramatiques. Voici l'un et l'autre:

Mon toast:

«A la santé de M. Bouilly, qui, sur la scène française, a fait revivre l'abbé de l'Épée et son cher Théodore, connu sous le nom de comte de Solar, au milieu d'un attendrissement général, mêlé de la plus vive admiration! Son nom restera gravé dans nos cœurs comme celui d'un ardent défenseur de la cause de l'humanité, d'un éloquent interprète des sourds-muets.»

Réponse de M. Bouilly:

«Messieurs, je n'ai pas moins éprouvé que vous l'influence bienfaisante de l'homme célèbre dont vous honorez si dignement la mémoire. J'obtins, sous l'auréole de son nom, mon plus beau laurier dramatique: l'ouvrage que m'inspira un des plus beaux traits de l'humanité et du génie français, excita l'intérêt public, non-seulement sur tous les théâtres de France, mais sur ceux des grandes cités de l'Europe entière.

«Il ne faut que jeter un regard sur cette figure, où l'empreinte de la bonté semble voiler le feu sacré du génie, pour être convaincu que l'abbé de l'Épée ne fut inspiré dans ses travaux, ni par une vaine ambition de fortune, ni même par l'insatiable désir de la célébrité. Il obéissait ingénument à la piété la plus pure et à l'amour de ses semblables. Aussi, jamais on ne le vit briguer les faveurs ni la protection des puissants du jour. Il employa un capital de 15,000 liv. de rente, c'est-à-dire plus de 100,000 écus, à soutenir l'admirable institution dont il était le fondateur. Il s'imposait même, à cet effet, les plus dures privations. On le vit, pendant un hiver rigoureux, quoique atteint des infirmités de la vieillesse, se refuser du bois pour son modeste foyer; et, lorsque ses élèves, instruits de cette touchante économie, le forçaient à se garantir des rigueurs de la saison, afin qu'il se conservât pour eux, il disait, de ce ton paternel et pénétrant qui le caractérisait: Vous l'avez voulu, mes enfants, je vous ai fait tort de 300 livres.

«En 1780, l'ambassadeur de Russie vint lui offrir un présent considérable de la part de l'impératrice Catherine; il le refusa en disant: Veuillez dire à Sa Majesté que tout ce que j'ose attendre d'elle, c'est de m'envoyer un sourd-muet de naissance.

«Paroles admirables! noble fierté d'un philanthrope français, qui aimait mieux dissiper son patrimoine que de recevoir d'une main étrangère ce qu'aurait dû lui offrir celle qui portait le sceptre de la France!.. Mais alors, comme aujourd'hui, le choc des partis défigurait tout et méconnaissait jusqu'à la vertu même.

«Oh! s'il est vrai qu'une émanation secrète, invisible, s'échappant de la tombe d'un homme de bien, lui apporte la récompense de ce qu'il a fait sur la terre, quelle gloire, quelle jouissance doit éprouver l'ombre de l'abbé de l'Épée en voyant son buste chéri, couronné de fleurs, entouré de ceux qu'il vengea d'un oubli de la nature, en comptant, parmi eux, des littérateurs profonds, des peintres célèbres, des mécaniciens renommés, des imprimeurs habiles, des hommes enfin honorables, placés dans tous les rangs de l'ordre social!..

«On vante, et avec justice, les hauts faits d'un héros, les grandes découvertes d'un savant, l'immuable intégrité d'un magistrat, les immortelles productions d'un artiste… Mais quels droits n'a pas, comme eux, à la vénération et à la reconnaissance nationales le philanthrope simple et modeste, s'occupant, sans relâche, à recréer des âmes, à les doter de toute l'intelligence qui leur est nécessaire pour sentir la dignité de leur être et connaître tous les bienfaits du Créateur!

«Enlacez-vous donc, heureux sourds-muets, devenus citoyens, hommes distingués dans tous les genres; enlacez-vous autour de l'image révérée de votre bienfaiteur! Que la vive expression de vos regards et de vos gestes parlants lui prouve combien l'institution qu'il a créée devient féconde, et comme elle se propage dans les deux hémisphères, grâce au développement que lui donnent, chaque jour, ses dignes successeurs! Jurez-vous, de nouveau, de vous porter estime, amitié, secours mutuel, consolation dans les peines, part active dans les succès, en un mot, cette inaltérable fraternité d'êtres régénérés, ne formant plus qu'une même famille!

«Alors le vieux littérateur, qui osa retracer un des plus beaux traits de votre second père, se confondant parmi vous, ajoutera ces mots que daignera vous faire comprendre M. Berthier, votre cher instituteur:

«Homme à jamais célèbre! génie modeste, mais immortel! je te dus, à la fleur de l'âge, ma plus belle couronne; elle ne s'est pas fanée sur ma tête septuagénaire; et je te dois, en ce moment encore, un des plus beaux jours de ma vie.»

83Viro – admodum mirabili – sacerdoti de l'Épée – qui fecit exemplo Salvatoris – mutos loqui – cives Galliæ – hoc – monumentum dedicarunt – Natus 1712 – Mortuus 1789. – Préault, 1840.
84MM. le baron de Gérando, le duc de Doudeauville, Gueneau de Mussy, Camille Périer, le duc de Praslin, administrateurs. – MM. Feuillet, Droz, Michelot, de Cardaillac, Raynouard, Abel Remusat, Burnouf, Sylvestre de Sacy, Frédéric Cuvier, membres du conseil de perfectionnement.
85Un comité, chargé du soin de remplir les intentions des sourds-muets de toutes les écoles, de tous les pays et de toutes les professions, et composé de M. Ferd. Berthier et de dix membres, MM. A. Lenoir, Forestier, Boclet, Peyson, Mosca, Gouttebarge, Gire, Deruez, Gouin et Doumic, avait arrêté, dans sa séance du 15 novembre 1834, que cet anniversaire serait célébré, chaque année, par un banquet, auquel les amis des sourds-muets seraient admis. Cette fête annuelle est devenue le germe de leur Société centrale, dont il est fait mention dans les prolégomènes de ce livre.
86Les comptes-rendus des banquets des sourds-muets, réunis pour fêter les anniversaires de la naissance de l'abbé de l'Épée, se trouvent chez le libraire Hachette.
87La position de l'auteur de ce livre ne lui permet pas de combler ces deux lacunes.
88Les poésies de Pélissier ont paru depuis et ont obtenu un succès complet.
89Gouin a obtenu, depuis, une mention honorable à l'Exposition universelle de Londres.
90Maloisel, chef de l'atelier des tourneurs à l'Institution nationale des Sourds-Muets de Paris, est inventeur d'une machine qui, se substituant à la main du sculpteur, produit, comme par enchantement, des bustes, des statuettes, en quelque matière que ce soit, en marbre, par exemple, en ivoire, en fer, d'après un modèle qu'on a sous les yeux, sans qu'il soit besoin de recourir à aucun des instruments usités, jusqu'à ce jour, pour les travaux de cette nature.
91Leclerc a réussi, après des essais réitérés, à imprimer un mouvement presque sans fin à une machine quelconque, de quelque force qu'elle soit, sans recourir à la vapeur. Il n'attend plus que l'examen d'un jury spécial pour enrichir l'humanité de sa précieuse découverte.
92La médaille porte cette inscription: MINISTÈRE DE LA MARINE A Hurtrelle (Léopold-Hippolyte), âgé de 12 ans, sourd-muetCourage et dévouement pour sauver des enfantsen danger de se noyer Elle est accompagnée du certificat suivant, délivré à l'enfant sourd-muet: «Le commissaire général, chef du service de la marine, commandeur de la Légion-d'Honneur, certifie que le ministre de la marine et des colonies a décerné une médaille d'honneur en argent au nommé Hurtrelle (Léopold-Hippolyte), enfant de douze ans, sourd-muet, pour le courage et le dévouement dont il a fait preuve, en sauvant des personnes en danger de périr dans les flots. «Enregistré au secrétariat, au Havre.»