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L'Abbé de l'Épée: sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès

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En foi de quoi, j'ai délivré le présent certificat.

Paris, ce 11 novembre 1783.

Signé: l'abbé de L'ÉPÉE.

(G) A Monsieur le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, sur la nouvelle dactylologie de M. Leménager.

«Ce 17 juillet 1842.

«Le mémoire de M. Leménager, sur lequel vous demandez l'avis des professeurs de l'institution, afin de remplir le vœu de M. le ministre de l'Intérieur, ne tend à rien moins qu'à remplacer la dactylologie usuelle de nos sourds-muets par une nouvelle dactylologie de l'invention de l'auteur.

«D'abord, tant s'en faut que le travail de M. Leménager soit une méthode nouvelle, comme il le prétend. C'est, tout au plus, au contraire, si l'on y voit seulement un jeu de mains ingénieux. Or, il est ici question d'examiner s'il est vrai, comme il le soutient encore, que son nouveau mode digital de communication est plus commode, plus prompt, et plus facile que celui que nous employons. M. Leménager est dans une étrange erreur, lorsqu'il prête à ce dernier les inconvénients qu'il n'a pas. Ce n'est pas la faute de l'instrument, mais celle de la personne qui en fait usage, si elle ne met pas autant ou presque autant de rapidité dans ses doigts que M. Leménager dans les siens. Cet instrument exige des doigts tant de souplesse ou d'agilité qu'on n'aperçoive pas le plus léger mouvement dans le bras. Je ne prétends pas, toutefois, que notre alphabet manuel puisse suivre la parole à la course. Ce but sembla atteint un instant par le Syllabaire dactylologique de M. Recoing, qui entreprit d'instruire lui-même son fils sourd-muet, travail sur lequel divers rapports furent présentés à notre conseil d'administration. Et, cependant, on ne pensa pas qu'il pût être d'une utilité indispensable dans notre éducation générale, et l'on allégua, comme l'une des principales raisons de son rejet, le temps considérable qu'exigeait cette étude encore compliquée, quoique déjà fort abrégée depuis.

«Quant à l'alphabet qui nous occupe, il ne me paraît pas plus utile, malgré sa simplicité, de l'appliquer à l'enseignement d'une école de sourds-muets. A quoi bon former nos enfants à apprendre de mémoire un alphabet qui semble plutôt fait pour les parlants que pour eux? car, indépendamment des vingt-cinq lettres de l'alphabet ordinaire, on y trouve des indications représentant une série de voyelles combinées et accompagnées d'autres lettres qui forment des sons pour l'épellation et la terminaison d'un grand nombre de mots. Adoptât-on même aujourd'hui cet alphabet de pure convention, qui peut répondre que, dans un temps plus ou moins éloigné, il n'en surgirait pas, comme à l'envi, une multitude d'autres? Dans cette hypothèse, auquel d'entre eux attribuer la stabilité et la prééminence sur les autres?

«En raisonnant ainsi, je suis loin, Dieu m'en garde! de me constituer le chevalier de notre dactylologie, originaire d'Espagne, et qui, après avoir été introduite par l'abbé de l'Épée, avec quelques modifications, dans son école, s'est propagée, à l'exception de l'Angleterre, dans presque toutes celles d'Europe et d'Amérique, bien qu'on puisse lui reprocher, sans injustice, de ne pas s'adapter parfaitement, dans ses diverses positions, aux différents caractères de l'écriture et de la typographie. Mais pourquoi, au lieu de nous arrêter inutilement à discuter le mérite respectif que peut avoir tel ou tel alphabet dactylologique, ne pas nous consacrer au perfectionnement, à la généralisation de notre langue naturelle, de notre langue universelle, de la langue des signes? Loin de chercher à étendre le domaine de la dactylologie, pourquoi ne pas travailler à le restreindre au profit de l'intelligence? Dans l'état actuel de l'enseignement, nous arrivons au point où la dactylologie ne servira plus qu'à tracer les noms propres de personnes ou de lieux, et encore transitoirement, en attendant qu'on leur impose des signes de convention qui expriment leurs qualités bonnes ou mauvaises, procédant, en cela, comme les parlants ont procédé dans leur baptême universel des hommes et des lieux! Or, pour cette mission transitoire, dont l'importance diminue chaque jour, la vieille dactylologie espagnole est plus que suffisante, et elle a l'immense avantage, d'être adoptée et connue.

«Loin donc de s'occuper à perfectionner et à répandre la dactylologie, il faudrait, je le répète, chercher à la restreindre, travaillant de plus en plus, dans notre enseignement, à substituer l'intelligence à la matière, l'idée à sa représentation brute. C'est ce que n'a pu comprendre M. Leménager, étranger qu'il est au véritable langage mimique. C'est ce langage qui, plus que toutes les dactylologies possibles, peut nous être d'une immense ressource dans notre infirmité et l'emporter même de vitesse, comme il le désire, sur la langue parlée.

«Ce sujet m'a emporté beaucoup trop loin à propos d'une nouvelle trouvaille dactylologique, trouvaille, selon moi, sans importance et même sans objet.

«Je termine en vous réitérant la nouvelle assurance du profond respect et du sincère dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon cher directeur,

Votre dévoué serviteur.

A Messieurs les membres de la Commission Consultative de l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, sur la nouvelle dactylologie de M. Charles Wilhorgne.

«Ce 4 mai 1847.

Vous m'avez chargé, sur la demande de M. le Ministre de l'intérieur, de vous rendre compte d'un essai de M. Charles Wilhorgne, avocat à Rouen, sur la dactylographie ou sténographie des doigts, laquelle, suivant l'auteur, aurait, sur ce qu'on est convenu d'appeler chez nous la dactylologie, l'avantage de rivaliser presque avec la parole elle-même. Pour le prouver, M. Wilhorgne s'efforce d'établir, entre l'un et l'autre système, un parallèle qui, il faut bien le dire tout d'abord, révèle, en lui, peu de connaissance des procédés en usage dans nos écoles. A la simple inspection des deux planches gravées que renferme sa brochure, et qui représentent l'alphabet manuel de son invention, on ne voit pas trop en quoi cet instrument peut être utilisé avec fruit dans nos études. La dactylographie de M. Wilhorgne a pour but, non-seulement d'indiquer les lettres ou syllabes sur les phalanges de la main, mais encore, dit-il, «d'exprimer d'une façon abrégée, et sans jamais s'écarter des lois de l'orthographe, une prodigieuse quantité de mots par l'emploi des terminaisons les plus usitées du langage, à la représentation desquelles sont affectées certaines parties extérieures de la main gauche.» L'auteur se croit fondé à en conclure que son nouveau mode digital de communication doit infailliblement produire une grande rapidité dans l'expression de la pensée, et il ajoute que, pour éviter la confusion des mots, qui semblerait, au premier abord, inséparable de l'adoption de son procédé, on sera tenu de fermer la main après chaque mot. Ici il fait jouer d'abord un rôle important à la main gauche; mais, plus tard, après avoir paru reconnaître l'inconvénient qu'il peut y avoir à employer les deux mains, il se voit obligé de transférer la fonction de la gauche à la droite, en réservant, toutefois, aux ongles du pouce et du petit doigt de la main gauche le privilége de reproduire certaines terminaisons chaque fois que l'index de la droite les indique.

«Si l'on veut que l'importance de tel ou tel alphabet manuel se mesure sur le plus ou moins de promptitude qu'il offre, celui que nous employons aujourd'hui ne demande, pour être presque aussi rapide que la parole elle-même, qu'une certaine souplesse dans les doigts, lors même que l'usage en serait restreint à représenter, sans en omettre une seule, les lettres composant, soit un mot, soit une phrase. Tout bien considéré, nous pensons que celui de M. Wilhorgne ne réussira pas mieux que tous ceux qu'on a essayé d'introduire dans notre enseignement à diverses époques, à supplanter le système espagnol adopté par l'abbé de l'Épée avec quelques modifications. Celui-ci obtiendra toujours la préférence, non-seulement des sourds-muets, mais des parlants eux-mêmes.

«L'auteur commet une non moins grande erreur, lorsqu'il prétend que sa dactylographie présente un avantage marqué sur notre dactylologie en ce qui concerne les rapports des sourds-muets, devenus aveugles avec les autres.

«Les aveugles de naissance peuvent aussi facilement que les sourds-muets, devenus aveugles, converser avec les autres hommes, au moyen de notre alphabet manuel. Il leur suffit, pour cela, de suivre, par le toucher, les contours rapides de la main parlante.

«En somme, la dactylographie de M. Wilhorgne ne nous paraît guère mériter que la Commission Consultative en propose l'adoption à M. le Ministre en faveur de nos jeunes sourds-muets. C'est un système tout conventionnel, qui peut paraître plus ou moins ingénieux à certaines personnes, mais qui ne saurait aspirer au mérite d'une utilité réelle et d'une pratique générale. Il semble devoir plutôt être abandonné au choix des parlants, dont les doigts se montrent rebelles au mécanisme de la dactylologie usuelle des sourds-muets.

«A notre avis, la dactylologie de l'abbé de l'Épée répond amplement aux besoins de cette branche secondaire de notre enseignement. On a beau faire, les principaux moyens de communication des sourds-muets seront toujours (et de plus en plus) d'abord la mimique naturelle perfectionnée, excluant les représentations dactylologiques des lettres d'une langue et peignant, indépendamment des langues, chaque idée par un signe, puis l'articulation et la lecture sur les lèvres pour quelques-uns, et le dessin et l'écriture pour le grand nombre.

 

«Essayer de ramener aujourd'hui notre enseignement à une dactylologie ou dactylographie plus ou moins rapide, plus ou moins saisissante, c'est vouloir lui faire rebrousser chemin, c'est chercher à le pousser dans une fausse route. L'importance de la dactylologie ou de la dactylographie (n'importe) diminue chaque jour, à mesure du progrès de notre enseignement. Les hommes d'activité et de savoir, au lieu d'user leurs efforts à poursuivre le progrès dans ces moyens secondaires, insuffisants, applicables à la seule représentation isolée d'une langue et non à l'idéologie de toutes, devraient s'entendre pour concentrer leurs vues sur des problèmes beaucoup plus importants, dont notre spécialité attend, en vain, la solution, tels que les meilleurs moyens d'initiation à la connaissance, plus ou moins complète, de sa langue maternelle, et l'emploi du peu de loisir que laisse à nos élèves cette étude, toujours longue et difficile, à quelques travaux intellectuels, variés, qui les intéresseraient en les y ramenant.

«Chaque année voit éclore de prétendues découvertes qui émanent de philanthropes mus par les meilleures intentions, mais, malheureusement, tout à fait étrangers à l'enseignement des sourds-muets. Il en résulte que, souvent, ils nous donnent, soit pour du nouveau, soit pour de l'utile, ou ce que nous connaissons depuis fort longtemps, ou ce qui, en définitive, ne nous offre qu'une utilité plus que contestable. Il serait à désirer que ces personnes, qui pourraient rendre de véritables services, si elles étaient plus éclairées sur un enseignement qu'elles ignorent, voulussent bien consulter les hommes spéciaux avant de bâtir leurs systèmes et de prendre la plume; il en résulterait une grande économie de temps et pour eux-mêmes et pour les hommes spéciaux qu'on charge ensuite d'examiner leurs écrits. Or, rien n'est plus précieux que le temps, à une époque où l'on vit si vite.»

(H) Legs d'un sourd-muet.– Un legs fort important a été fait à la ville de Rouen par une personne qui est morte au mois d'août 1847, en laissant, par un acte de sa dernière volonté, toute sa fortune à cette ville.

Cette fortune consiste, assure-t-on, en biens-fonds d'une valeur de 300,000 fr., et en une bibliothèque dans laquelle on ne compte pas moins de soixante mille volumes.

Le donateur est un sourd-muet, M. le baron Coquebert de Montbret, célibataire, appartenant à une famille fort riche, et dont l'unique plaisir était de collectionner des publications littéraires de toutes sortes. M. Coquebert de Montbret avait des manières rustiques; il fuyait la société pour vivre dans l'intimité de ses chers bouquins, et il était animé d'une telle ardeur pour la science, que, malgré son infirmité, il parvint à connaître à fond les langues et les littératures orientales. Sa passion favorite pour les livres fut souvent exploitée, aux dépens de sa fortune, par d'indignes spéculateurs, qui auraient dû respecter, au moins, son infirmité.

Le Conseil Municipal de Rouen eut à délibérer sur le testament, dont la validité était contestée par les héritiers. Mme Brongniart, sœur de M. de Montbret, attaqua cet acte en nullité, se fondant sur ce que le testateur n'avait pas la plénitude de ses facultés intellectuelles au moment où il disposait de sa bibliothèque et de son patrimoine en faveur de la ville de Rouen. Sa passion pour les livres avait souvent entraîné M. de Montbret à consentir à des prix énormes pour l'acquisition de raretés bibliographiques; sa famille les considérait comme des prodigalités qui mettaient en péril sa fortune; elle voulut le protéger contre la rapacité des exploitateurs, lesquels pouvaient d'autant plus aisément abuser des fantaisies du bibliomane, qu'il était privé de la ressource ordinaire de débattre un marché verbalement, parce qu'il était sourd-muet, et elle obtint qu'il lui fût constitué un conseil judiciaire.

Les prodigues sont des fous aux yeux du monde; mais tous les prodigues ne sont pas des fous aux yeux de la science. Jusqu'à son dernier jour, M. Coquebert de Montbret parut dans les conditions d'un homme qui, non seulement conserve ses facultés intellectuelles, mais encore les possède à un degré fort éminent. Les termes mêmes de son testament, les motifs assignés à ses dispositions dernières sont des témoignages, en quelque sorte complémentaires, que cet homme, voué pendant toute sa vie aux plus nobles investigations de l'esprit, était resté, jusqu'au bout, sain de tête et de cœur.

Telle fut, du moins, la présomption qui ressortit des informations préliminaires auxquelles le conseil municipal de Rouen dut se livrer; mais ce fut une présomption assez puissante pour l'amener à accorder l'autorisation de plaider et de soutenir en justice la validité du legs de M. de Montbret.

Ajoutons qu'à la présomption de lucidité se joignait, chez le testateur, celle de la fermeté et de la fixité de sa volonté dans l'acte important de sa munificence; car le testament avait été fait en quadruple expédition et déposé en quatre endroits différents, afin qu'il fût mieux garanti par le donataire.

Des légataires particuliers demandèrent à la ville la délivrance de leurs legs; mais leurs prétentions restèrent nécessairement subordonnées à l'issue de la contestation. Toutefois, la levée des scellés eut lieu à la requête de la ville et de Mme Brongniart, sous réserve des droits de chaque partie.

(I) La méthode de l'abbé de l'Épée, couronnée des succès les plus heureux, donna lieu, d'abord, à un arrêt rendu en conseil d'État, le 21 novembre 1778, par lequel le roi Louis XVI annonçait qu'il prenait sous sa protection l'établissement de ce grand instituteur, non moins recommandable par ses vertus qu'estimable par ses talents, et qu'il avait l'intention d'en assurer la perpétuité.

Ce premier arrêt fut suivi d'un second, du 25 mars 1785, que nous croyons devoir rapporter textuellement:

«Le roi s'étant fait représenter, en son conseil, l'arrêt rendu en icelui le 21 novembre 1778, par lequel, étant informée du zèle et du désintéressement avec lequel le sieur abbé de l'Épée s'est dévoué à l'instruction des sourds et muets de naissance, Sa Majesté aurait ordonné qu'il serait incessamment procédé à l'examen des moyens les plus propres à former, sous sa protection, dans la ville de Paris, un établissement d'éducation et d'enseignement en faveur des sujets de l'un et de l'autre sexe qui seraient affligés de cette double infirmité, et que, à cet effet, il serait proposé à Sa Majesté tels statuts et règlements qu'il appartiendrait, tant pour sa fondation que pour le gouvernement et direction desdits établissements, et, en attendant qu'il y ait été pourvu définitivement, Sa Majesté aurait ordonné que, sur la portion libre des biens que les monastères des Célestins, situés dans le diocèse de Paris, tenaient de la libéralité des rois ses prédécesseurs, il serait, sous les ordres des sieurs commissaires établis par ledit arrêt pour veiller particulièrement à tout ce qui pourrait accélérer et préparer ledit établissement, payé et délivré par le sieur Bollioud de Saint-Julien, commis à la régie desdits biens par les arrêts des 29 mars et 6 juillet 1776, toutes les sommes qui seraient jugées nécessaires, soit pour la subsistance et entretien des sourds et muets qui seraient sans fortune, soit, en général, pour toutes les dépenses préparatoires dudit établissement. Et Sa Majesté s'étant fait rendre compte, tant de ce qui a été fait jusqu'à présent, en exécution dudit arrêt, que de l'empressement avec lequel plusieurs évêques, et notamment ceux d'Orléans, d'Amiens et de Soissons, ont déjà concouru à l'exécution de ses vues pour la dotation de cet établissement, elle aurait reconnu que le moyen d'exciter et d'étendre une émulation aussi précieuse pour l'humanité, serait d'en fixer, dès à présent, le siége, et de mettre ainsi les pauvres qui seront forcés d'y avoir recours, en état de jouir, sans délai, de l'enseignement qui leur aura été assuré, et les autres évêques du royaume à portée de faire participer leurs diocésains à cet avantage, par l'application et cession d'une légère portion des biens vacants qui pourront se trouver, à l'avenir, à leur disposition, et principalement de ceux qui proviendront de la dotation royale. Et Sa Majesté s'étant pareillement fait représenter les divers plans, devis et projets, qui ont été dressés par les ordres desdits sieurs commissaires pour la construction d'un hospice propre à recevoir les sujets de l'un et de l'autre sexe, elle aurait de même reconnu que cet établissement ne pouvait être mieux placé, et avec plus de célérité et moins de dépenses, que dans la partie des bâtiments conventuels du monastère des Célestins de Paris, qui a son entrée par la rue du Petit-Musc, et est séparée des autres lieux claustraux, ainsi que de l'église, par une ligne transversale de démarcation, qui a été tracée, à cet effet, du levant au couchant, par le sieur Lemoine de Couson, architecte; et comme, d'ailleurs, le grand nombre d'élèves dont le sieur abbé de l'Épée est aujourd'hui surchargé, ne permet pas de différer plus longtemps la fondation de cet établissement, Sa Majesté, en attendant que le sieur archevêque de Paris ait prononcé, en la forme ordinaire, sur la destination des biens dudit monastère, et, néanmoins, après avoir pris l'avis dudit sieur archevêque, a jugé convenable de faire connaître ses intentions définitives, tant sur son emplacement, que sur les conditions qui seront nécessaires pour y être admis. A quoi voulant pourvoir, ouï le rapport, et tout considéré, le roi, étant en son conseil, a ordonné et ordonne ce qui suit:

«Art. 1er. Il sera incessamment pourvu à la confection des distributions et réparations nécessaires pour recevoir l'établissement des sourds et muets, de l'un et de l'autre sexe, dans la partie des bâtiments et lieux conventuels des Célestins de Paris à ce destinée, et y former un hospice permanent d'éducation et d'enseignement en leur faveur, par le sieur abbé de l'Épée et autres instituteurs qui lui succéderont à l'avenir.

«2. Le montant des frais desdites réparations, lesquelles seront faites sur les plans et devis qui en auront été préalablement dressés et agréés par Sa Majesté, sera avancé et délivré par le sieur Bollioud de Saint-Julien, receveur général du clergé, sur les revenus libres des biens des Célestins du diocèse de Paris, sur les ordonnances du sieur archevêque, et dans les termes qui seront convenus à ce sujet, sauf, lors du décret à intervenir pour l'union et application desdits biens, à retenir lesdites avances sur les deniers comptants qui seraient destinés à former la dotation de cet établissement.

«3. Jusqu'à ce que, en conséquence dudit décret, il ait été pourvu d'une manière convenable à ladite dotation, il sera annuellement payé et délivré par ledit sieur de Saint-Julien, sur les mêmes biens, au sieur abbé de l'Épée, et sur ses simples quittances, la somme de 3,400 liv., pour être employée à l'entretien des pauvres sourds et muets, de l'un et de l'autre sexe, qui pourront en avoir besoin, et à faciliter l'instruction de l'ecclésiastique adjoint à ses travaux pour se former audit enseignement.

«4. A compter du jour du présent arrêt, et jusqu'à ce que ledit établissement ait été consolidé par lettres-patentes de Sa Majesté, les rentes et redevances qui ont été ou seront, par la suite, unies et affectées à la fondation et entretien d'icelui par les décrets des évêques, et notamment ceux des évêques d'Orléans et d'Amiens, des 14 mars 1780 et 1er août 1781, et lettres-patentes confirmatives, dûment enregistrées, seront perçues par ledit sieur de Saint-Julien; en conséquence, seront les divers établissements chargés de l'acquit d'icelles, ensemble les fermiers et débiteurs, même les payeurs des rentes de l'Hôtel de Ville de Paris, tenus de payer et vider leurs mains en celles dudit sieur de Saint-Julien, au moyen de quoi et sur les quittances qu'ils en recevront, ils seront et demeureront bien et valablement déchargés; et seront lesdites sommes par lui remises audit sieur abbé de l'Épée, et employées au profit des sourds et muets, aux conditions imposées auxdits décrets en faveur des sujets de chaque diocèse.

«5. La pension gratuite entière pour chaque élève sera et demeurera fixée à la somme de 400 liv. par an, et la demi-pension à celle de 200 liv.; et ne pourront être lesdites pensions payées et continuées au-delà du terme de trois années, passé lequel les mêmes sujets ne pourront plus en jouir, sous quelque prétexte que ce soit.

«6. Lesdites pensions et demi-pensions gratuites ne seront accordées qu'à des sujets d'une pauvreté reconnue et attestée par le certificat du curé de la paroisse et par l'extrait du rôle des impositions, qui sera, à cet effet, délivré par le receveur particulier de l'élection; et seront lesdits extraits et certificats dûment légalisés par le juge royal le plus prochain, pour être, s'il y a lieu, sur iceux procédé à l'admission du sujet dans ledit hospice.

 

7. Toutes les dispositions ci-dessus seront exécutées jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné par les décrets, règlements et lettres-patentes à intervenir, pour la direction et administration temporelle et spirituelle dudit établissement; et sera, en conséquence, le présent arrêt notifié, de l'ordre du roi, aux débiteurs des redevances et payeurs des rentes affectées à la dotation d'icelui, à ce qu'ils n'en ignorent et aient à s'y conformer.

Fait au conseil d'État du roi, etc.»

(J) Différence entre les mots sourd et muet et sourd-muet.

Dans les premiers temps où le triste sort des enfants atteints de surdi-mutité éveilla la commisération publique, on se servait habituellement de l'expression sourd et muet. Ce n'est que vers la fin du dix-huitième siècle que sourd-muet devint le terme consacré.

Quoi qu'il en soit de ces deux appellations, l'analogie fondée sur les rapports des causes avec leurs effets nous amène à établir entre l'un et l'autre une distinction raisonnée.

La dénomination de sourd et muet suppose deux incapacités distinctes et ne découlant pas forcément l'une de l'autre; d'une part, l'incapacité d'entendre, occasionnée par la paralysie du nerf auditif ou par toute autre cause, de l'autre, l'incapacité absolue d'articuler la parole humaine, cette incapacité étant le résultat physiologique d'une paralysie ou lésion survenue dans la langue ou dans toute autre partie de l'appareil vocal, tandis que l'appellation de sourd-muet renferme, au contraire, l'idée du rapport direct de la surdité au mutisme, de telle façon que celui-ci soit considéré alors comme la conséquence obligée de celle-là.

En thèse générale, ne remarque-t-on pas que l'appareil vocal de nos jeunes sourds-muets est tout aussi bien conformé que celui des jeunes entendants-parlants? Toutefois, évidemment les premiers ne réussissent pas, comme les seconds, toutes conditions égales, d'ailleurs, à acquérir l'usage, proprement dit, de la parole, savoir: la flexibilité, la pureté, la douceur, le charme de l'articulation. Quelle cause peut amener un tel désavantage si ce n'est l'inaction, plus ou moins prolongée, des organes vocaux du jeune sourd-muet, et surtout l'absence complète chez lui, de la surveillante, de l'institutrice élémentaire de la parole, du juge infaillible des sons, une oreille ouverte, attentive, exercée?

N'est-on pas fondé a induire de là que, chez le jeune sourd-muet, les organes de la parole sont tout à fait dans le cas d'une arme dont les ressorts, faute d'usage, se rouilleraient et perdraient leur élasticité?

Le nombre des sourds et muets paraît, en ce moment, si faible comparativement à celui des sourds-muets, que c'est de ces derniers seuls que les gouvernements s'occupent exclusivement aujourd'hui, et que, sur la porte des établissements qui leur sont consacrés, on ne lit plus que ces mots: Institution ou école des sourds-muets et non des sourds et muets.

On a prétendu établir cinq catégories107 parmi les jeunes sourds-muets de chaque année réunis à l'Institution nationale de Paris, catégories qu'on a basées sur leurs différents degrés de surdité. Moi, homme incompétent en pareille matière, je laisse à tout autre le soin de constater l'exactitude ou l'inexactitude de cette remarque108.

(K) Extrait de l'allocution de M. Ferdinand Berthier au banquet anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, du 11 décembre 1842.

«Mes amis! le moment qui s'enfuit est trop précieux, trop solennel pour que je néglige l'occasion qu'il m'offre de faire un appel à votre concours de camarades et de frères. Cet appel n'est pas nouveau pour vous: déjà, il vous a été fait par moi; déjà vous vous y êtes associés de cœur. Il s'agit de l'achat du tableau de notre frère Peyson (de Montpellier), représentant les derniers moments de l'abbé de l'Épée. Mes démarches pour y parvenir sont connues de plusieurs d'entre vous; malheureusement, à mon bien vif regret, jusqu'ici elles n'ont été couronnées d'aucune assurance positive. Quoi qu'il en soit, et pour l'acquit de ma conscience, il était de mon devoir, c'était, dans ma pensée, un parti pris de venir vous en rendre compte dans une occasion solennelle comme celle-ci. J'avais besoin de clore ainsi la mission de mandataire que vous m'aviez confiée depuis si longtemps et à laquelle je m'enorgueillis d'avoir toujours été fidèle. Permettez-moi donc, en finissant, de soumettre à votre approbation une nouvelle demande que j'ai signée et qu'aucun de vous, j'en suis sûr, ne refusera de signer, à mon exemple. Demain elle pourra être déposée entre les mains de M. le Ministre de l'intérieur. Que Dieu soit en aide aux pauvres sourds-muets!»

Pétition à M. le comte Duchâtel, ministre de l'intérieur
«Paris, le 11 décembre 1842.

Monsieur le ministre,

Les sourds-muets de tous les pays, de toutes les conditions, réunis aujourd'hui, suivant l'usage, en famille et dans un banquet pour fêter l'anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, pensent qu'ils ne sauraient mieux faire éclater leur reconnaissance envers celui qu'ils ont l'habitude d'appeler leur père intellectuel qu'en tendant vers Votre Excellence leurs mains timides, mais confiantes, et la sollicitant en faveur d'un des leurs, de Peyson, artiste distingué, auteur d'un portrait de l'abbé Sicard, que la liste civile a daigné lui commander pour le musée historique de Versailles, où il figure en ce moment.

Peyson a, de plus, exposé, au salon de 1839, un grand tableau représentant les deniers moments de l'abbé de l'Épée. Cette œuvre remarquable n'a pas trouvé, jusqu'à ce jour, un Mécène.

Peyson, sans protecteur, presque délaissé, aurait, depuis longtemps, brisé son pinceau, si ses frères ne s'étaient efforcés de faire luire, à ses yeux, un rayon d'espérance en lui répétant qu'il y a ici-bas une Providence pour les jeunes talents malheureux. Votre Excellence ne refusera pas de réaliser cette prédiction de l'amitié en autorisant l'acquisition du tableau de notre artiste. Qui de nous peut en douter en se rappelant ce que vous avez déjà fait, Monsieur le ministre, pour un autre de nos frères, pour Léopold Loustau, peintre habile, à qui vous avez commandé successivement deux grands tableaux religieux?

Tous les sourds-muets et tous leurs amis attendent avec une égale confiance l'effet de votre sollicitude en faveur de Peyson, son digne émule.

Nous sommes, avec le plus profond respect,
Monsieur le Ministre,
Les très-humbles, etc.

Avec la plus instante recommandation à l'intérêt de Monsieur le Ministre de l'intérieur, L. De Jussieu, membre du Conseil supérieur des établissements de bienfaisance;

A. de Lanneau, directeur de l'Institution royale des sourds-muets; Ferdinand Berthier, doyen des professeurs de l'Institution royale des sourds-muets; Victor Lenoir; de Nogent; Imbert; Salcède de Monville; Leroy; Pélissier; Del Portal; L. Fabrège; Bonniol; Ch. Michel; A. Lenoir; Léopold Loustau; Greux; Dumont; A. Gamble; Leguillon; Lardé; Brézillon; Worner; Damien; Fouret; Boudin; Convert; Boulard; de Widerkehr; Chomat; Steiner; Rouet; Duneuf; Dréville; Cervoni; Huart; Lemarié; Franclet; Bézu; Puybonnieux, professeur à l'Institution royale des sourds-muets; Pollet; Trezel; Nonnen; Michelet, membre de la Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets; Queilhe; E. Allibert; Lecomte; Eug. Garay de Monglave, membre de la Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets, remplissant les fonctions d'inspecteur-général des études; Léon Gilles; Robillard; A. Levassor.

(L) «A Messieurs les membres de la Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets de Paris.

107Traité de feu le docteur Itard sur les maladies de l'oreille et de l'audition.
108On peut consulter avec fruit le travail de M. J. – B. Puybonnieux, cité plus haut.