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L'Abbé de l'Épée: sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès

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XX

Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les représentations du drame de l'abbé de L'ÉPÉE.. – L'auteur accusé par la presse d'avoir voulu troubler le repos et compromettre l'honneur de certaines personnes. – M. Bouilly se disculpe. – Il offre de changer le lieu de la scène et efface du titre la qualification de COMÉDIE HISTORIQUE. – Mort de l'abbé de l'Épée. – Touchant spectacle de ses derniers moments. – Tableau du sourd-muet Peyson. – Le célèbre instituteur inhumé à Saint-Roch. – On se dispute son image. – Sa répugnance à laisser reproduire ses traits, de son vivant. – Le sculpteur sourd-muet de Seine. – La Commune de Paris demande à l'Assemblée nationale que l'État adopte les sourds-muets privés de leur père. – Ce vœu est réalisé. – Oraison funèbre de l'abbé de l'Épée, prononcée dans l'église Saint-Étienne-du-Mont. – Supplice du panégyriste.

Qui le croirait? Il se trouva des personnes intéressées que le succès du drame de l'Abbé de l'Épée offusqua, et qui ne craignirent pas d'agir auprès des autorités supérieures, dans la vue d'en obtenir que les représentations de la pièce fussent suspendues. Elles eurent même recours à la voie de la presse pour accuser l'auteur de n'avoir mis son œuvre au théâtre qu'avec l'arrière-pensée de troubler leur repos et de compromettre leur honneur. D'aussi basses inculpations pouvaient-elles porter la moindre atteinte à l'estimable caractère de celui qui en était l'objet? Comment soupçonner l'auteur qui, en retraçant sur la scène un mémorable épisode de la vie de notre illustre fondateur, avait formellement déclaré ne tendre qu'à un double objet, honorer la mémoire de l'abbé de l'Épée, et intéresser le public en faveur non-seulement de celui qu'il avait institué, en mourant, le légataire de son génie, l'abbé Sicard, mais encore de tous ses successeurs à venir? Peu lui importait, disait-il, que la sentence du Châtelet de Paris, restituant ses droits à l'élève de notre illustre maître, eût été infirmée par un nouveau jugement en 1792, s'il voyait son but complétement atteint. Il croyait même sa conscience parfaitement en repos après avoir constaté qu'il s'était borné à la donnée principale, et n'avait fait autre chose que d'y ajouter quelques développements épisodiques, quelques nouveaux personnages de son invention.

Supposons que les reproches dont on l'accabla fussent fondés, n'avait-il pas droit, au moins, à un peu d'indulgence pour l'attention scrupuleuse qu'il avait apportée à se renfermer strictement, d'un bout à l'autre de son œuvre, dans les limites que lui imposaient la prudence humaine et les convenances sociales? Ne le vit-on pas, sur les réclamations de Cazeaux, se hâter, avec un empressement qui l'honorait, de supprimer du titre de sa pièce la qualification de comédie historique? Et sa générosité n'alla-t-elle pas même jusqu'à lui offrir de changer le lieu de la scène, l'assurant sur l'honneur que son œuvre ne le regardait ni directement ni indirectement?

Avant la fin de ce procès célèbre qui occupe une si large place dans l'existence de l'abbé de l'Épée, ses forces avaient sensiblement décliné, et il penchait, à vue d'œil, vers la tombe. Déjà son état commençait à inspirer de sérieuses inquiétudes à tous ceux qui l'environnaient, lorsqu'un coup imprévu vint tout à coup confirmer leurs craintes. Il s'endormit dans le Seigneur le 23 décembre 1789, après avoir reçu les derniers sacrements du curé de l'église Saint-Roch, sa paroisse, M. Marduel, neveu et successeur de son ami, entouré d'une députation de l'Assemblée nationale, ayant à sa tête Mgr de Cicé, archevêque de Bordeaux, de ses parents et de ses élèves, fondant en larmes. Une pauvre fille inconnue se fit remarquer à genoux devant ce lit de mort. Sourde-muette, elle était venue de bien loin contempler son père adoptif, et elle le trouvait expirant. De tendres conseils, de douces consolations tombaient encore de ses doigts glacés sur ces malheureux enfants qui n'allaient plus avoir de père. Tout à coup un dernier rayon d'espoir brille dans ses yeux qui s'éteignent. Dieu n'abandonnera pas ces pauvres orphelins. Ils l'ont compris, et leur séparation est moins cruelle, et les larmes qui coulent de leurs yeux, en présence du cadavre de leur ami, sont moins amères, et leur douleur a revêtu le caractère d'une pieuse résignation.

Cette scène touchante a été reproduite sur la toile avec un talent supérieur par le sourd-muet Frédéric Peyson, de Montpellier. Ce fut un des tableaux les plus remarquables de l'exposition de 1839.

L'auteur de ce mémoire avait proposé à ses amis, tant parlants que sourds-muets, réunis dans une circonstance solennelle, d'exprimer dans une pétition collective60 le vœu de voir le gouvernement se décider à faire l'acquisition de cette œuvre, et la requête avait été couverte aussitôt de nombreuses signatures. Mais le prix en ayant paru un peu trop élevé, le généreux artiste se décida à offrir son tableau à l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, dont il décore la chapelle, et chargea un professeur sourd-muet distingué, M. Alphonse Lenoir, de transmettre cette résolution61 à la Commission consultative de cet établissement.

L'abbé de l'Épée fut inhumé au sein de l'église Saint-Roch, dans le caveau de la chapelle Saint-Nicolas: c'est dans cette chapelle, appartenant à sa famille, qu'il avait coutume de célébrer la messe, que ses sourds-muets, à tour de rôle, servaient de vive voix.

Quand le père spirituel des sourds-muets eut rendu le dernier soupir, ce fut à qui reproduirait sa vénérable image. De son vivant, il n'avait jamais voulu se prêter au désir d'aucun artiste, jaloux de conserver ses traits, ne fût-ce que pour le plus simple croquis. Il ne fit exception à la règle qu'en faveur d'une dame, dont le portrait a été prêté pour modèle, par le fils d'une de ses nièces, Mme la comtesse de Courcel62 à M. Michaut (des Monnoies), auteur de la statue de l'Apôtre des sourds-muets érigée à Versailles.

Un jour, s'apercevant que son élève de Seine, sculpteur et graveur, avait fait son buste, sur lequel était écrit le distique que nous avons cité plus haut, il en demanda le prix à l'auteur, le paya et brisa cette image. L'artiste, qui s'était fait fort de triompher de la modestie du maître, ne vit d'autre moyen de gagner sa gageure, que d'épier les intervalles de recueillement où il lui arrivait parfois de se plonger, afin de saisir, à la dérobée, des traits si chers. Le bon abbé, instruit du succès de cette innocente manœuvre, ne put s'empêcher de sourire à l'opiniâtre reconnaissance du statuaire, qui ne fut pas, du reste, le seul à tromper sur ce point la vigilance du maître.

Ce de Seine est le même qui, plus tard, moula la figure de Mirabeau, et remporta le prix du concours ouvert par l'Assemblée nationale pour l'exécution du buste du grand orateur. Les premiers artistes de l'époque avaient pris part à la lutte. Le vainqueur s'y était présenté sans appui, ni précédents. Le gouvernement lui accorda, en outre, 600 francs de pension et un logement au Louvre63.

Quatre députés de la Commune de Paris, M. Godard, avocat au parlement, portant la parole, exprimèrent à l'Assemblée nationale le vœu qu'un établissement fût ouvert, aux frais de l'État, aux malheureux orphelins que la mort de l'abbé de l'Épée laissait sans appui. Ce vœu, comme on le verra tout à l'heure, fut réalisé. Depuis lors, des écoles de ce genre se sont multipliées à l'infini, sur tous les points du globe, pour attester la supériorité de sa méthode sur celle de tous les instituteurs étrangers.

A pareil jour, deux ans plus tard, le 23 février 1790, l'oraison funèbre de l'abbé de l'Épée fut prononcée dans l'église de Saint-Étienne-du-Mont, en présence d'une députation de l'Assemblée nationale, du maire de Paris, des membres de la Commune, et de tout ce que la capitale comptait de plus illustre dans les lettres et dans les sciences, par l'abbé Fauchet, prédicateur ordinaire du roi, dont le nom a conquis dans le monde politique une impérissable renommée par sa participation à la prise de la Bastille, par son dévouement à la cause du peuple et aux nouvelles institutions, par son supplice enfin, qui eut lieu le 31 octobre 1793. Ses juges l'avaient déclaré suspect de complicité avec les Girondins, et plus particulièrement avec la courageuse Charlotte Corday.

 

On nous saura peut-être gré de reproduire ici les paroles que l'abbé de l'Épée avait adressées à ce même abbé Fauchet, quand celui-ci lui avait soumis son panégyrique de saint Augustin.

«Oui, disait-il à l'auteur, en lui témoignant son approbation de ce qu'il avait insisté sur les dangers de l'orgueil, c'est malheureusement notre péché d'origine à tous; c'est celui qu'il nous faut combattre toute la vie; il n'y a point de relâche à se permettre sur ce point; c'est tout le mal de l'homme; c'est le mien. Je l'éprouve à toute heure: vous m'avez loué en désirant mon suffrage, je pourrais vous louer aussi; mais assez d'autres vous empoisonneront d'éloges. De nous-mêmes nous ne sommes que trop enclins à nous applaudir au fond de nos cœurs, tandis que, si nous avons un motif de bénir le ciel pour nous avoir accordé quelques lumières, nous avons mille raisons de nous humilier de nos ténèbres.»

XXI

L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera inscrit parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité et de la patrie et que son Institution sera subventionnée par l'État. – Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à l'ancien couvent des Célestins. – La Convention fonde, dans chacune des écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées successivement, pour la première, à 80 et à 100. – La Convention avait eu un instant le projet de fonder, pour l'éducation de 4000 sourds-muets, une école normale et six grandes institutions, avec ateliers et travaux agricoles. – Transfert de l'établissement de Paris dans le local actuel, à l'ancien séminaire Saint-Magloire. – Les frais d'éducation des sourds-muets rangés, en 1832, parmi les dépenses facultatives des budgets départementaux. – M. de Gerando avait infructueusement proposé que ce fût parmi les dépenses obligatoires.

Dans sa séance du 21 juillet 1791, l'Assemblée nationale, qui avait renvoyé, le 24 mai de l'année précédente, à son comité de mendicité, une pétition de l'abbé Sicard64, relative à la perpétuité de l'établissement ouvert aux sourds-muets, décréta65 que le nom de l'abbé de l'Épée serait placé au rang de ceux des citoyens qui avaient bien mérité de l'humanité et de la patrie, et que son Institution serait entretenue aux frais de l'État comme un monument digne de la nation française. Elle y fonda, mais pour une année seulement, vingt-quatre bourses gratuites, dont elle assurait la jouissance, par arrêt des 10-14 septembre66, aux titulaires, et assigna à l'Institution les bâtiments de l'ancien couvent des Célestins, qu'elle devait partager avec celle des aveugles, jusqu'au moment où un nouveau projet d'organisation des deux établissements, préparé par un comité spécial, aurait reçu sa sanction définitive.

C'est un devoir sacré, pour nos cœurs reconnaissants, de recommander à la mémoire des amis de l'humanité le nom de Prieur, député de Châlons, dont toutes les conclusions en faveur des pauvres sourds-muets furent votées par l'Assemblée nationale. Son rapport remarquable se terminait ainsi: «A votre voix, Messieurs, quatre mille infortunés (le nombre a dû en être quatre ou cinq fois plus grand) pourront recouvrer toutes leurs facultés, et, avec elles, l'usage de leurs droits; ils redeviendront des hommes et des citoyens.» Ainsi les sourds-muets, ces étrangers dans la société humaine, ces anciens parias de la civilisation, en imprimant ce rapport de leurs mains, tracèrent alors eux-mêmes, en caractères ineffaçables, leurs lettres de grande naturalisation intellectuelle, comme l'a si justement observé un de nos littérateurs les plus en renom67.

Un décret des 10-14 septembre 1792, concernant les établissements des sourds-muets et des aveugles-nés, alloua sur le trésor national les fonds nécessaires au paiement des pensions fondées dans lesdits établissements.

La Convention nationale, par décret des 12-14 mai 1793, convertissant en Institution nationale l'École des sourds-muets de Bordeaux, et la plaçant sous la surveillance du département et de la municipalité, lui alloua une subvention annuelle de 16,000 francs, et y créa, ainsi que dans celle de Paris, vingt-quatre bourses gratuites. Elle décréta, en outre, que tous les sourds-muets recevraient indistinctement le bienfait de l'éducation publique, et que, pour atteindre ce but, en différents endroits de la république, d'autres établissements s'élèveraient, sur le modèle de ceux de Paris et de Bordeaux. Cependant, elle crut devoir se borner, pour le moment, à la création de soixante bourses68, pour chacune des deux institutions alors existantes, qu'elle organisa sur le pied d'une parfaite égalité par son arrêté du 16 nivôse an III (5 janvier 1795). Elle affecta définitivement, à la première les bâtiments de l'ancien séminaire de l'archevêque de Paris, rue du Faubourg-Saint-Jacques, nos 254 et 256, connu sous le nom de séminaire de Saint-Magloire et qu'elle occupe encore aujourd'hui69.

A cette époque, le citoyen Maignet, député du Puy-de-Dôme, s'exprimait ainsi, dans son rapport à la Convention nationale, sur le projet de décret d'organisation première de ces établissements:

«L'on ne perdra jamais de vue que le principal but que nous nous proposons, est d'arracher les sourds-muets à l'indigence, en leur donnant une profession qui puisse leur faire trouver dans le travail des ressources suffisantes contre le besoin. Le soin des instituteurs sera de discerner quelle est la profession pour laquelle chacun d'eux montre le plus de talent, et de l'y appliquer.»

Le même représentant s'était efforcé de démontrer la nécessité de créer une École centrale, pour y former des instituteurs. Il avait émis, en outre, le vœu que six établissements fussent fondés en France, pour recevoir 4,000 sourds-muets; qu'on y annexât divers ateliers, et que, plusieurs fois, par semaine, les instituteurs conduisissent leurs élèves dans les champs, et n'épargnassent rien pour leur inspirer le goût des travaux agricoles. Le rapporteur insistait pour que son projet fût adopté, quels que fussent les embarras dans lesquels la patrie était alors plongée. «Nous venons, s'écriait-il avec l'accent énergique d'une consciencieuse philanthropie, vous offrir un nouveau genre d'alliance à contracter, alliance inconnue, jusqu'ici, dans les fastes de l'histoire, mais qui n'en sera que plus chère à vos cœurs; c'est l'alliance avec l'infortune; il s'agit de lier par la reconnaissance les enfants sourds-muets au règne de la liberté.»

La Convention nationale décida, art. 2, titre III du décret du 3 brumaire an IV, sur l'organisation de l'instruction publique, la création de plusieurs écoles publiques de sourds-muets dans les départements70, outre celles de Paris et de Bordeaux; mais il ne fut pas donné suite à ce projet proposé par le comité de secours publics, et précédé d'un exposé des motifs de Roger-Ducos, député des Landes.

Un décret du 16 vendémiaire an V déclara, art. 4:

«Les établissements existants, destinés aux aveugles et aux sourds-muets, resteront à la charge du trésor national.»

A partir de là, ce n'est plus qu'en 1832 que nous voyons, de nouveau, les sourds-muets fixer sérieusement sur eux la sollicitude du Gouvernement, et devenir l'objet d'une disposition spéciale dans le classement des attributions des conseils généraux. Cette disposition met leurs frais d'éducation au nombre des dépenses facultatives des budgets départementaux.

M. le baron de Gérando, chargé de rédiger cette disposition importante, avait proposé au ministre de l'intérieur de ranger ces dépenses parmi celles qui sont obligatoires, comme l'entretien des aliénés et des enfants-trouvés; il échoua malheureusement dans cette généreuse initiative.

XXII

Mode d'administration successif des Institutions nationales des sourds-muets de Paris et de Bordeaux. – Projets divers ayant pour but de généraliser en France cet enseignement spécial. – Sollicitations infructueuses jusqu'à ce jour. – Pétition adressée en 1851 par la Société centrale d'éducation et d'assistance pour les sourds-muets en France à l'Assemblée nationale législative. – Éloges de l'abbé de l'Épée, par MM. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution nationale de Paris, et d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets de Madrid. – L'auteur des TEMPLIERS, M. Raynouard, de l'Académie française, voulait, à sa mort, fonder un prix pour le meilleur poème à la gloire de l'abbé de l'Épée. – Nomenclature complète des œuvres du célèbre instituteur.

Les écoles de sourds-muets de Paris et de Bordeaux, placées d'abord sous la surveillance des autorités départementales, furent, plus tard, administrées par un conseil, composé d'abord de trois membres, puis de cinq, et enfin de sept. Deux arrêtés, en date du 18 fructidor an VII et du 18 vendémiaire an IX, rendus par Lucien Bonaparte, alors ministre de l'intérieur, avaient réglé l'organisation de l'école de Paris; un autre, en date du 8 brumaire an X, émanant de l'illustre Chaptal, avait modifié les deux statuts précédents. En 1822, tous les arrêtés antérieurs furent révisés et fondus en un règlement général, revêtu, le 28 juin, de l'approbation ministérielle; enfin, une ordonnance royale, du 21 février 1841, concernant les établissements généraux de bienfaisance et d'utilité publique, créa un conseil supérieur, composé de vingt-quatre membres, chargé de les surveiller, et, en exécution de l'art. 6 de ladite ordonnance, un arrêté ministériel, du 16 mars de la même année, organisa, près de chacun de ces établissements, une commission consultative, composée de cinq membres, y compris le directeur.

 

A diverses époques, le Gouvernement s'est occupé de mesures législatives pour procurer l'éducation à tous les sourds-muets.

La Convention nationale voulait rattacher l'enseignement de ces infortunés au système général d'instruction publique de la France.

Plus tard, Chaptal, par une lettre en date du 22 germinal an IX, consultait le conseil d'administration de l'École de Paris sur un projet semblable. Il insistait principalement pour que les établissements de sourds-muets fussent assis sur de solides bases.

En 1836, un autre ministre, M. le comte de Gasparin, ayant invité le conseil d'administration de l'Institution nationale de Paris à élaborer un projet de loi sur l'organisation définitive des écoles consacrées à ces malheureux, ne trouva pas celui qui lui fut remis de nature à être présenté à l'examen des Chambres.

Six ans après, la même question fut débattue au sein du congrès scientifique de France, tenu à Strasbourg, où étaient accourus quatre instituteurs français de sourds-muets, MM. Piroux, directeur de l'école de Nancy; Edouard Morel, directeur actuel de celle de Bordeaux; Jacoutot et Selligsberger, dont chacun dirige un établissement de ce genre à Strasbourg. Les vues d'enseignement général, exposées dans cette enceinte d'une manière péremptoire par les deux premiers, furent favorablement accueillies par l'assemblée, qui en adopta les conclusions.

Deux pétitions ont été simultanément adressées sur le même sujet, au Corps législatif, par M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la commission consultative de l'Institution des sourds-muets de Paris, et par l'auteur de ce mémoire. Depuis, l'une et l'autre ont été renouvelées jusqu'à trois ou quatre fois; mais elles n'ont obtenu aucun résultat immédiat, aucun résultat complet, malgré les votes favorables dont elles n'ont cessé d'être l'objet de la part des diverses législatures.

En juillet 1851, une pétition71 à l'Assemblée nationale a été proposée et adoptée unanimement au sein de la Société centrale d'éducation et d'assistance pour les Sourds-Muets en France, présidée par M. Dufaure, ancien ministre. Elle tend à l'extension de l'enseignement de ces infortunés et des jeunes aveugles, et à une augmentation de fonds nécessaires pour atteindre ce but.

Mais la dissolution de cette Assemblée, ayant été amenée par l'événement du 2 décembre de la même année, a nécessité la rédaction d'un nouveau mémoire72 au Prince Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la République.

La Société royale académique des sciences de Paris proposa, en 1817, au concours, l'éloge de l'abbé de l'Épée. Le prix fut décerné, en 1819, à M. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution des sourds-muets de Paris, et l'accessit à M. Bazot, membre de l'Athénée des arts, etc. Nous avons de M. d'Aléa, ancien directeur du collége royal des sourds-muets de Madrid, l'Éloge de l'abbé de l'Épée, ou Essai sur les avantages du système des signes méthodiques, appliqué à l'instruction générale élémentaire, traduit de l'espagnol sous les yeux de l'auteur. M. d'Aléa était déjà connu dans sa patrie par une traduction espagnole de Paul et Virginie. On assure qu'il a travaillé à un Dictionnaire de signes d'action analogiques.

On nous a rapporté que, quelque temps avant sa mort, le célèbre auteur des Templiers, M. Raynouard, avait manifesté l'intention de proposer pour sujet d'un prix de poésie l'éloge de notre père spirituel. Nous aurions voulu qu'il eût été donné suite à cette proposition, qui aurait certainement honoré la mémoire du savant académicien dont nous déplorons la perte.

Voici la nomenclature complète des ouvrages de l'abbé de l'Épée:

Relation de la maladie et de la guérison miraculeuse opérée sur Marie-Anne Pigalle, 1757, in-12;

Institution des sourds et muets, ou Recueil des exercices soutenus par les sourds et muets, pendant les années 1771, 1772, 1773 et 1774, avec les lettres qui ont accompagné les programmes de chacun de ces exercices, Paris, 1774, in-12 de 112 pages (dans sa quatrième lettre, il développe les moyens dont il s'est servi pour conduire ses élèves à la connaissance de la divinité et des dogmes religieux; il y annonce que ce quatrième exercice public sera le dernier);

Institution des sourds et muets par la voie des signes méthodiques, Paris, 1776, in-12; nouvelle édition corrigée sous ce titre: La véritable manière d'instruire les sourds et muets, confirmée par une longue expérience, Paris, 1784, in-12; cet ouvrage a été traduit en allemand;

Dictionnaire général des signes employés dans la langue des sourds-muets, auquel la mort l'empêcha de mettre la dernière main.

60Voyez à un extrait de mon allocution au banquet anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, le 11 décembre 1842.
61Voyez à la lettre de ce professeur, en date du 14 mai 1845.
62Une autre nièce de ce bienfaiteur de l'humanité est morte le 24 décembre 1844, à l'hôpital Necker, salle Sainte-Adélaïde, où elle occupait le lit nº 29. Elle était dans le plus complet dénûment.
63Roger Ducos, député des Landes, nous apprend dans son rapport et son projet de décret sur l'organisation de six établissements pour tous les sourds-muets de la république, à Paris, à Bordeaux, à Rennes, à Clermont, à Grenoble et à Nancy, d'après les décrets des 28 juin 1793 (vieux style) et 9 pluviôse, que le 23 pluviôse le statuaire de Seine, sourd-muet, avait offert à la Convention nationale, par l'organe d'une citoyenne, le buste de Mutius Scevola, par lui sculpté, et qu'il avait, en outre, fait don à la même assemblée de ceux de Lepelletier et de Marat.
64Il venait d'être proclamé successeur de l'abbé de l'Épée par l'unanimité des suffrages à l'issue d'un concours public ouvert à l'effet de recueillir cet héritage de gloire et de bienfaisance. Afin d'apprendre sous cet illustre maître à régénérer moralement ces malheureux, il avait été envoyé de Bordeaux, où il dirigeait une école de sourds-muets, fondée en 1786, à l'instar de celle de Paris, par M. Champion de Cicé, archevêque de cette ville.
65Le décret de l'Assemblée nationale fut converti en loi par la sanction royale le 29 du même mois.
66L'article Ier du décret des 10-14 septembre 1791 était ainsi conçu: «Le nom de l'abbé de l'Épée, fondateur de cet établissement, sera placé au rang de ceux des citoyens qui ont le mieux mérité de l'humanité et de la patrie.» L'art. 2 lui assigna la totalité du local et des bâtiments des Célestins. Il devait l'occuper concurremment avec les jeunes aveugles sur lesquels les travaux de Haüy commençaient, dès cette époque, à attirer l'attention publique.
67Alphonse Esquiros. – Revue de Paris. —Les sourds-muets de Paris. Novembre 1844.
68D'autres arrêtés ministériels ont plus tard élevé d'abord de 60 à 80, puis de 80 à 100, le nombre des places gratuites réservées aux sourds-muets indigents dans l'Institution de Paris.
69Voyez à quelques détails sur l'origine du bâtiment concédé aux jeunes sourds-muets et sur sa situation actuelle.
70Rennes. – Clermont. – Grenoble. – Nancy.
71Le rédacteur était M. Valade-Gabel, à qui furent adjoints MM. E. Durieu, ancien directeur général de l'administration des cultes, et Hyde de Neuville, ancien ministre de Chartes X, qui avait émis, le premier, un semblable vœu, lequel ne doit point surprendre quiconque a été à même d'apprécier, de près ou de loin, ses nobles qualités.
72Le nouveau rédacteur est M. Puybonnieux, professeur et bibliothécaire-archiviste de l'Institution nationale des sourds-muets de Paris.