Il Suffira D'Un Duc

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Le cocher fronça ses épais sourcils et lui lança un regard noir.

Il se tourna vers le majordome.

— Dois-je aller chercher un vigile ? Elle était peut-être en train de cambrioler ! Une robe terriblement élégante, pour une vagabonde. Très suspect.

Le majordome lui adressa un sourire aimable.

— Je pense que c’est une invitée, Monsieur.

— Une invitée ? dit le cocher dont les yeux s’écarquillèrent. Vous en êtes certain ?

— Il est difficile d’oublier une robe de cette nuance de jaune. Il en va de même pour ce turban.

Le majordome dirigea son regard avec gravité vers la flaque et son contenu détruit.

Les hommes continuèrent à parler, mais Margaret ne pouvait plus écouter. Elle devait partir.

Même les plus excentriques n’étaient pas supposées escalader l’extérieur des balcons ducaux. Margaret n’avait pas survécu pour être réprimandée davantage. Son statut dans le beau monde était déjà suffisamment bas. Elle n’avait certainement pas besoin de rumeurs disant qu’elle était une cambrioleuse. Elle ne pouvait pas rester là, mais elle ne pouvait pas retourner au bal avec une robe déchirée et boueuse non plus.

Des cochers lui jetèrent des regards curieux depuis leurs calèches, certains passant la tête sous la petite pluie fine.

Si seulement son propre cocher attendait là. Malheureusement, il ne passerait les prendre qu’à minuit. Le ciel était peut-être sombre, mais elle doutait qu’il soit déjà proche de cette heure, et Margaret n’avait aucun désir de l’attendre.

— Voulez-vous entrer à l’intérieur ? demanda le majordome.

Margaret hésita.

Ne pas rester sous la pluie était tentant. Elle ne devrait pas rester ici et continuer à converser avec des cochers déconcertés. Un invité pourrait sortir de la résidence à tout moment. La présence de Margaret serait impossible à ne pas remarquer, et la réputation de Margaret deviendrait encore plus discutable.

Margaret n’avait peut-être pas été découverte au lit avec le duc, mais se retrouver seule, dans la rue, dans une robe déchirée et chiffonnée, n’était pas une franche amélioration.

Et pourtant…

Même si elle ne pouvait absolument pas s’attarder au dehors, elle ne pouvait pas s’aventurer à l’intérieur. Il était évident qu’elle rencontrait plus de membres de la haute société à l’intérieur.

Elle ferma très fort les yeux.

Sa mère avait réussi à ruiner sa réputation après tout, et tout ce que Margaret avait accompli, c’était de s’assurer que le duc de Jevington ne soit impliqué dans aucun scandale.

Elle fronça les sourcils.

Elle était à Grosvenor Square.

Daisy vivait à proximité.

Margaret pouvait lui rendre visite, puisque Daisy ne serait pas au bal.

— Vous devriez vraiment rentrer à l’intérieur, dit gentiment le majordome.

— Je devrais l’embarquer pour voir si c’est pas une criminelle, dit le cocher. C’est pas bon signe quand une femme cambriole une maison dans un beau quartier comme ça.

— Je n’allais pas cambrioler, protesta Margaret.

— Alors qu’est-ce que vous alliez faire ? demanda le cocher. Ça m’a tout l’air d’être ce que vous alliez faire, même si vous aviez une invitation.

Margaret le fixa du regard.

Le majordome et le cocher la dévisagèrent en retour.

D’accord.

Margaret remua les jambes.

— Ça doit être une professionnelle, en plus, songea le cocher. Parce que je ne l’ai même pas remarquée en train de grimper.

Ce n’était plus le moment de réfléchir davantage, peu importe combien le processus de la réflexion était précieux en temps normal. Margaret partit en courant.

Elle souleva ses jupes pour éviter de marcher sur leur ourlet et se précipita dans la rue. Elle évita de regarder les calèches, comme si ne pas croiser les yeux des cochers signifiait qu’ils ne remarqueraient pas une bourrasque jaune canari avec des boucles brunes.

Elle s’enfuit de Grosvenore Square, puis tourna dans une rue adjacente, puis une autre. Trop tard, elle prit conscience qu’elle n’avait même pas un réticule et n’avait d’argent pour un fiacre.

Elle serra les dents.

Elle ne cherchait pas un fiacre – pas encore.

Elle cherchait Daisy.

Enfin, elle arriva à la résidence de son amie.

Elle envisagea d’escalader jusqu’à la fenêtre de son amie. Mais contrairement aux héroïnes des romans de Loretta Van Lochen, elle ne sentait pas en mesure d’escalader l’immeuble. Même le balcon du duc s’était révélé dangereux.

En outre, Daisy était sensée et n’aurait probablement pas laissé sa fenêtre ouverte. Cette partie de Mayfair était peut-être agréable, mais cela restait Londres, et de nombreuses personnes en manque d’argent était au courant de la richesse de ce quartier.

Margaret lissa sa robe, consciente que de la boue formait des croûtes en divers endroits. Lisser sa robe n’était en rien comparable à laver sa robe, la sécher et la repasser, mais cela devrait suffire.

Elle saisit le heurtoir, le frappa et après un certain temps, le majordome ouvrit la porte.

S’il était indigné d’avoir été interrompu dans ses projets de repos nocturne, il ne l’exprima pas à haute voix. Par contre, il ouvrit grand les yeux et fit la moue.

— Je suis vraiment désolée, dit vivement Margaret. Mais je désirais parler à Miss Holloway.

Le majordome se renfrogna, et elle frissonna sous son regard dur.

— Est-elle chez elle ? demanda Margaret d’une voix tremblante.

— Miss Holloway n’est pas encline à batifoler en ville à des heures indues de la nuit.

La voix du majordome retentit d’un ton autoritaire. Il excellait sans aucun doute à diriger les valets, apparaissant peut-être même dans leurs rêves après un incident particulièrement maladroit dans leur service.

Margaret frémit, comme s’il était un capitaine de navire qui venait d’annoncer que le mât du bateau s’était abîmé dans l’océan et que leur survie était incertaine.

— Puis-je la voir, cependant ?

Le majordome soupira, et son comportement assuré se teinta de perplexité.

— Ce n’est pas une heure normale pour les visites, jeune demoiselle.

Des coups sourds résonnèrent à l’étage, et Margaret fut soudain reconnaissante pour la puissance de la voix du majordome.

— Oh, Jameson, appela Daisy depuis la mezzanine. Vous n’avez pas besoin de prétendre être un chien de garde. Ce n’est que Miss Carberry.

— Vous n’avez pas vu son accoutrement, murmura Jameson, et ses lèvres se tordirent de cette façon particulière si commune aux gens qui avaient trouvé la répartie parfaite, et tentaient, pour des raisons de conservation d’emploi, de ne pas émettre leurs sarcasmes à haute voix.

Daisy agita la main à travers les barreaux de la rampe.

— Ne vous préoccupez pas de lui. Montez.

Margaret hocha la tête et se hâta de grimper les escaliers. Daisy resta bouche bée lorsque Margaret approcha. De toute évidence, elle venait de remarquer sa tenue.

— Je suppose que vous vouliez bavarder.

— Euh – oui.

Daisy tourna sa chaise et roula en direction de sa chambre. Margaret se hâta de la suivre.

— C’est aimable à vous de me rendre visite, dit Daisy.

Une horloge comtoise égrenait énergiquement son tic-tac.

— Je suis désolée pour l’heure tardive, dit Margaret.

— Balivernes, dit Daisy avec gaieté. J’étais simplement en train de lire. Bien que j’adore Raison et Sentiments, je ne m’inquiète plus de savoir si Edmund oubliera complètement Elinor, et la lecture ne recèle plus la même urgence.

Une porte s’ouvrit et Mrs Holloway passa la tête. Ses boucles blondes étaient recouvertes d’un bonnet de nuit, et ses sourcils blonds assortis s’élevèrent de surprise.

— Miss Carberry ?

La gorge de Margaret fut soudain sèche, mais elle parvint à s’abaisser en une révérence hâtive.

— Enchantée de vous voir.

— Bien sûr, dit Mrs Holloway dont le regard descendait vers la robe de Margaret. Il est assez tard.

— Je sais, dit Margaret d’un air désolé. Je crains que ce ne soit urgent.

Arriver chez une amie à une heure tardive était un manquement certain à l’étiquette, même si les tomes les plus épais dédiés à ce sujet échouaient à mettre explicitement en garde contre cette pratique. Leurs pages se consacraient à des avertissements sévèrement formulés contre les dommages irréparables qui s’ensuivraient après s’être laissé aller à un malencontreux faux-pas en prenant la mauvaise fourchette.

Non, Margaret était certaine qu’elle avait commis un grave manquement à la politesse.

Mrs Holloway l’examina prudemment.

— Votre mère sait-elle que vous êtes ici ?

Maman. Les doigts de Margaret s’agitèrent. Que faisait sa mère, en ce moment ? Continuait-elle ses recherches ? Margaret espéra qu’elle avait eu le bon sens de s’abstenir. La dernière chose dont elle avait besoin était que sa mère informe tout le monde au bal que Margaret était perdue, alors qu’elle n’avait aucune preuve et donc, qu’il ne pourrait jamais y avoir de mariage.

Non. Sa mère possédait un certain bon sens. Sa mère s’inquiétait peut-être, mais en vérité, Margaret refusait de se sentir coupable. Pas après ce qui était arrivé.

— Je prends ce long silence pour un non, dit Mrs Holloway.

Les joues de Margaret s’enflammèrent.

— Je vous assure qu’il y a réellement une affaire assez urgente dont j’aimerais discuter.

 

Mrs Holloway se dandina. Son inconfort était palpable, comme si elle avait atteint le sommet de la complexité en matière d’éducation d’enfant.

— Ne vous impliquez pas, Daisy.

— Maman ! grogna Daisy. Margaret ne participe tout de même pas à des activités illicites.

— J’imagine que ce serait inhabituel, dit finalement Mrs Holloway, le regard rivé à la robe de Margaret comme si elle prenait en considération le fait que l’apparence échevelée de Margaret soit aussi inhabituelle.

Bien que l’apparence de Margaret n’atteigne jamais une perfection irréprochable – ses boucles épaisses glissaient hors des épingles quel que soit le temps qu’elle passait à les arranger, et sa robe s’arrangeait toujours pour rester froissée en permanence – elle avait habituellement un air plus respectable.

Finalement, Mrs Holloway soupira.

— Soyez brève.

Daisy fit un grand sourire.

— Bien sûr.




Chapitre Quatre


— Vous tombez affreusement bien, déclara Daisy en roulant sa chaise vers sa chambre. Papa est à son club.

Les murs de la chambre de Daisy étaient peints d’une joyeuse couleur tangerine, et Margaret respira. Si sa robe n’avait pas été fichue, tout ceci paraîtrait presque normal.

La mère de Daisy ne permettrait pas à Margaret de rester longtemps. Margaret n’avait pas le luxe de postposer cette conversation, peu importe à quel point revivre cette expérience était déplaisant, et peu importe à quel point elle ne désirait pas lire de la pitié dans le regard de son amie.

Margaret était souvent prise en pitié. Davantage de pitié serait intolérable.

Daisy referma la porte d’une poussée, et ses yeux bleu vif étincelèrent.

— Dites-moi tout. Révélez vos secrets. Sortez vos squelettes du placard.

— Pas de squelette, s’écria Margaret.

— Dommage. Mes parents refusent de me laisser en avoir un vrai, et je n’aurai rien contre en avoir un métaphorique.

L’intérêt de Daisy pour la médecine était bien connu, mais Margaret frémit tout de même. Les squelettes pouvaient rester dans des cimetières bien entretenus, sous des pierres tombales tout aussi bien taillées et, lors d’occasions particulières, décorées avec une sélection de fleurs de bon goût.

Daisy pivota sa chaise roulante contre le mur.

— Vous venez du bal. Était-ce aussi horrible que vous l’imaginiez ?

Margaret pris place dans un fauteuil.

— Pire.

Daisy frissonna.

— Le côté agréable de notre amitié, c’est que vous ne me donnez jamais l’impression que je manque grand-chose. Maintenant, que s’est-il passé ? Avez-vous été confinée dans le coin enfumé à côté de la cheminée réservé à celles qui font tapisserie ?

— Pire.

Les yeux de Daisy s’écarquillèrent.

— Vous n’étiez pas en train de danser, tout ce temps, au moins ? Vous donnant en spectacle avec vos pas de danse inélégants ?

Margaret se redressa vivement.

— Comment savez-vous que mes pas de danse sont imparfaits ?

Daisy sourit d’un air narquois.

— Je vous ai vue marcher.

Margaret se renfrogna. Mais c’était vrai : elle était une piètre danseuse, peu importe combien ses professeurs la corrigeaient, peu importe avec quel enthousiasme ils la suppliaient de s’améliorer, et peu importe combien Margaret elle-même le désirait.

— Je ne dansais pas, dit Margaret, boudeuse, en croisant les bras.

— Mais vous avez bien assisté au bal ?

Daisy inspecta du regard la robe de Margaret, comme si elle se demandait si elle était tombée dans une flaque de boue et venait seulement de réussir à s’en extirper.

— Naturellement, dit Margaret en relevant le menton. De plus, Maman n’aurait jamais accepté de ne pas y assister.

Daisy resta silencieuse, son regard intelligent. C’était le moment de tout dévoiler, mais le cœur de Margaret se serra comme s’il désirait étouffer ses cordes vocales.

Finalement, Margaret soupira.

— Je n’étais pas près du feu, et je n’étais pas en train de danser. J’étais – euh – sur le lit du duc.

Daisy en resta bouche bée.

— Donc ce n’était pas inconfortable, continua Margaret avec un petit rire étrange. Le lit était douillet.

— Et vous étiez réellement dans son lit ? Pas dans une chambre d’ami ?

— Oh, le duc était présent également.

Daisy garda le silence, mais ses sourcils exprimèrent sa surprise.

— Enfin, il n’était pas présent tout le temps, expliqua Margaret. Ce serait inapproprié.

— Je suppose qu’il y a une limite à ce qui est inapproprié, dit Daisy faiblement.

— Précisément, acquiesça Margaret. Je n’avais pas choisi de me trouver sur son lit.

— Vous avait-il emportée et déposée là ? Un enfant naturel du duc va-t-il faire une apparition dans neuf mois ?

— Ne dites pas de bêtises. Il ne m’a pas touchée.

Daisy la regarda étrangement.

— Votre mère vous a-t-elle, à tout hasard, placée sur le lit ?

Margaret hocha misérablement la tête, et les yeux de Daisy s’emplirent de larmes.

Margaret détourna le regard.

— Elle a eu de l’aide.

— Mais elle a tout orchestré ?

— Oui, couina la voix de Margaret. Elle a amené un évêque pour nous ‘découvrir’.

— Elle avait l’intention d’accuser le duc de Jevington de vous avoir compromise ?

— Tout à fait.

— Et son plan n’a pas marché, dit gentiment Daisy.

— Précisément.

Daisy lui serra la main avec sympathie, puis se mit à pouffer de rire.

— Alors le duc vous a trouvée dans son lit ?

— Ce n’est pas drôle, dit Margaret.

— En êtes-vous sûre ?

Les yeux de Daisy brillèrent de malice, et Margaret sentit ses lèvres esquisser un sourire.

— Comment a-t-il réagi ? Vous a-t-il touchée ?

— Il m’a touché les poignets, mais c’était parce que je le lui avais demandé.

— Si j’étais seule avec lui, je lui demanderais de toucher bien plus que mes poignets, soupira Daisy.

Margaret ouvrit des yeux ronds, et les joues de Daisy rosirent.

— Il n’était pas question de plaisir, dit hâtivement Margaret. Naturellement !

— Naturellement, répéta Daisy d’un air dubitatif.

— J’étais attachée à son lit. De toute évidence, quand il est entré, j’ai dû lui demander de me détacher. Et le meilleur emplacement pour placer des liens a toujours été sur les poignets. Il paraît que cela rend difficile l’usage des mains.

— Les mains sont assez importantes, acquiesça Daisy.

— Oui. J’imagine que ce serait bien plus inconfortable s’ils commençaient à ligoter le torse des gens.

— Ah, la technique bovine.

Margaret lança à son amie un regard perplexe.

— Habituellement utilisée par les cow-boys à l’aide de quelque chose appelée un lasso, ajouta Daisy.

Pendant un moment, elles restèrent silencieuses, songeant aux excentricités très répandues dans les anciennes colonies britanniques. Un tout autre soir, Margaret aurait peut-être ajouté un commentaire sur le dégoût passionné des américains pour le thé, mais ce n’était pas le moment de bavarder, même pour des bavardages d’un genre indubitablement intéressant.

— Je suis passée par la fenêtre et me suis enfuie, dit Margaret. Elle est probablement contrariée.

— Elle est probablement scandalisée. La plupart des femmes seraient restées là. Vous auriez pu rafler un duc.

— Personne n’aurait cru qu’il était en train de me compromettre, de toute façon, soupira Margaret.

— Je ne crois pas que ce soit vrai.

— B-bien sûr que si, bégaya Margaret.

Daisy ne voyait peut-être pas comment les autres gens interagissaient avec Margaret, mais Margaret si. Elle faisait tapisserie, et celles qui faisaient tapisserie ne se retrouvaient jamais dans le lit des ducs.

— Le duc aurait déclaré que ma mère et moi avions mis en scène une fausse situation compromettante, dit Margaret. Et tout le monde l’aurait cru.

C’était évident.

Complètement.

Daisy inclina la tête, déplaçant ses longues mèches blondes. Margaret avait peut-être interrompu Daisy alors qu’elle se brossait les cheveux.

Il était tard, et Margaret ne devrait pas être ici. Si seulement ses parents avaient acheté une maison à Mayfair, au lieu de leur grande résidence avec ses jardins exceptionnellement grands. Si seulement Margaret avait pu rentrer directement chez elle.

— Il n’aurait peut-être pas fait cela, dit Daisy.

— Je ne pouvais pas le forcer à m’épouser. Je ne pouvais pas commencer ma vie d’épouse de cette façon.

— Bien sûr que non, dit chaleureusement Daisy. Et c’est la vraie raison pour laquelle vous êtes ma plus chère amie. Et la raison pour laquelle le duc aurait eu de la chance d’avoir été obligé de vous épouser.

— Balivernes, dit Margaret.

Le duc pouvait épouser n’importe qui. Il ne devrait pas se voir imposer une femme dont tout le monde était heureux de ne pas tenir compte.

Elle secoua la tête.

— Je suis désolée. Je n’avais pas l’intention de venir ici et d’être aussi abattue. J’ai – euh – bien peur d’avoir perdu mon réticule. Pas qu’il ait contenu beaucoup d’argent de toute façon. Pensez-vous que je puisse emprunter le prix d’une course en fiacre ?

Daisy se redressa.

— Vous avez l’intention de rentrer chez vous ?

Margaret hocha la tête.

— Après ce que votre mère à fait ?

Une étrange indignation résonna dans la voix de Daisy, une expression que Margaret n’associait pas au caractère habituellement plaisant de Daisy.

Margaret hocha à nouveau la tête.

— Bien sûr.

— Je suis certaine que ma mère vous hébergerait.

Margaret haussa les sourcils.

— Enfin, dit Daisy en baissant les yeux tandis que ses joues rosissaient, avant de relever les yeux et de se pencher vers Margaret. Nous ne sommes pas obligées de le lui dire.

Margaret pouffa de rire.

— Je suis sûre qu’elle attend impatiemment que je parte.

— Vous pourriez grimper par la fenêtre, dit Daisy.

— La dernière fois, je suis tombée.

— Vous ne pouvez pas tomber chaque fois.

— Je doute que l’obscurité améliore mes compétences.

— Dans ce cas, nous le lui dirons, corrigea Daisy. Evidemment, vous ne pouvez vous en retourner. Qui sait ce que votre mère fera ensuite ?

Margaret se renfrogna momentanément. Puis elle releva le menton, suivant cette tradition utilisée depuis toujours par les gens essayant de faire au mieux dans une situation discutable. Il était douteux que ce geste ait le mérite d’exaucer les souhaits, mais Margaret fit néanmoins le vœu de ne pas s’inquiéter.

— Il me suffit d’un plan. Enfin, il me suffit d’un bon plan. Et ensuite, je pourrai quitter la maison et vivre heureuse pour le restant de mes jours.

Margaret n’allait pas laisser sa mère continuer à contrôler sa vie. Pas quand les plans de sa mère impliquaient de l’attacher à des lits.

— Ce qu’il vous faut, dit Daisy, c’est vous marier.

Margaret regarda soupçonneusement son amie.

En général, Daisy affichait un caractère raisonnable que Margaret appréciait. Margaret n’avait jamais cru que Daisy avait l’habitude de proférer des déclarations insensées, et il était regrettable que Daisy ait apparemment perdu la raison à ce moment très précis.

 

— Je ne vais pas prétendre que le duc m’ait compromise.

— Alors, n’épousez pas le duc, dit Daisy. Mais souvenez-vous, si vous vous mariez, vous ne serez plus sujette aux folles tentatives de votre mère.

Margaret se renfrogna. Techniquement, Daisy marquait un point. Sa mère avait soudoyé quelqu’un, avant que la saison ne débute, pour chanter ses louanges auprès du marquis de Metcalfe. Malheureusement pour la mère de Margaret, la femme qu’elle avait choisie avait fini par épouser le marquis. Maman avait trainé Margaret à tous les bals de cette saison, la transportant parfois à un bal différent avant que Margaret n’ait eu l’occasion de goûter les canapés. Tout le travail de Maman n’avait servi à rien : personne ne courtisait Margaret. Personne ne le ferait probablement jamais.

— Personne ne m’épousera, dit Margaret. C’est pour cela que je suis dans cette situation.

— Votre situation attachée sur un lit ? dit Daisy en esquissant un sourire.

Margaret croisa les bras.

— Ce n’est pas drôle.

Daisy haussa un sourcil, et Margaret soupira.

Peut-être était-ce amusant.

Même si l’incident avait été extrêmement embarrassant.

— Je n’ai pas envie d’épouser n’importe qui, dit Margaret. J’ai des principes.

— Et vous avez raison, dit Daisy.

Margaret dévisagea son amie. Pour quelque raison, Daisy continuait à sourire et à hocher la tête, comme si elles avaient une conversation normale, comme si son amie ignorait complètement le fait que chaque mot qu’elle prononçait était une absurdité

— Personne ne désire épouser une écossaise dont le père fait du commerce. Quand les gens bavardent, ils s’étonnent que j’aie réellement été invitée.

— C’est parce que votre père est très riche.

— Je sais, mais—

— Tout va bien se passer, dit Daisy en secouant la tête.

Margaret envisagea de lui dire que chacun de ces mots était absurde. Naturellement, tout n’allait pas bien se passer. Les hommes n’étaient pas connus pour s’extasier sur les frisottis des cheveux trop épais ou sur le manque d’une silhouette élancée.

— Les hommes n’ont pas envie de me courtiser.

— Précisément, sourit Daisy avec enthousiasme. C’est pourquoi vous devrez rapidement faire progresser votre position sociale.

Margaret la regarda soupçonneusement. Daisy parlait avec désinvolture de quelque chose d’impossible. Si Margaret avait été capable de faire progresser rapidement sa position sociale, l’argent de Papa y serait parvenu.

— Vous avez seulement besoin d’un peu d’aide, dit Daisy songeusement.

— Les mères sont supposées aider, dit Margaret.

— Eh bien, oui. Mais la vôtre est un peu trop enthousiaste dans l’accomplissement de ses devoirs. Mais peut-être…

Daisy se tut, puis un sourire joua sur ses lèvres.

Margaret se raidit tandis que le sourire de Daisy continuait à s’agrandir, indiquant toutes sortes de mauvais présages. Seules des idées réellement absurdes pourraient faire s’étirer les lèvres de Daisy dans de telles proportions ou pétiller ses yeux avec autant de prémonitions.

Daisy se pencha vers l’avant.

— Il y a quelqu’un d’autre qui peut vous aider.

— J’espère que vous n’allez pas me proposer votre mère.

— Ne dites pas n’importe quoi. Elle ne serait pas suffisamment motivée.

— Mais qui le serait ?

— Le duc de Jevington.

Margaret fut interloquée.

Elle ouvrit la bouche pour parler, mais les mots lui échappèrent. Ils semblaient avoir fui devant l’absurdité de la déclaration de Daisy. Finalement, elle secoua la tête.

— C’est vrai, dit Daisy en se redressant en arrière avec assurance.

— Vous ne l’avez pas rencontré. Il ne m’aiderait pas.

— Il vous a probablement été extrêmement reconnaissant de ne pas être restée dans ses appartements. Vous pourriez être en train de faire des préparatifs pour devenir duchesse. Au lieu de cela, vous êtes ici. Un endroit nettement moins noble, dit Daisy en souriant avec ironie.

La maison de Daisy avait beau se trouver dans un quartier agréable, l’intérieur manquait du luxe présent chez d’autres amies de Margaret. Aucun buste romain n’était perché sur les buffets, et aucune déesse grecque ne les contemplait depuis des plafonds peints avec recherche. La maison de Daisy semblait… confortable. Après tout, ses parents avaient consacré du temps à la conduire de station thermale en station thermale dans l’espoir de la guérir de sa claudication. Aucun de leurs efforts n’avaient donné de résultat, malgré les caisses bien remplies de son père et son enthousiasme à dépenser de l’argent. Ces caisses étaient à présent moins pleines, reflétant malheureusement de façon similaire un moral moins gai, et la mère de Daisy n’était pas attelée à la tâche de le cajoler pour obtenir un budget généreux pour des tentures ou pour vanter les mérites d’un ameublement renouvelé, avec la même vigueur que d’autres femmes de la haute société.

— Je ne peux pas lui demander de me trouver un mari, dit Margaret sans prendre l’idée au sérieux.

— Le duc de Jevington n’a pas la réputation d’être cruel.

— Il n’a pas non plus celle d’être déraisonnable.

Daisy ne se raidit pas. À la place, elle retira son réticule de son bureau, l’ouvrit, et glissa une pièce dans la main de Margaret.

— Mes parents insistent pour que je la garde en cas d’urgence. Jameson vous aidera à trouver un fiacre. Et demain, vous rendrez visite au duc et lui parlerez de votre situation.

Malgré le trajet sans heurts de la calèche, à présent que Londres était plongée dans la nuit et libérée de la plus grande partie de ses fiacres, charrettes et passants, Margaret rentra chez elle sur ses gardes, tout en réfléchissant aux paroles de son amie.

Enfin, le fiacre s’arrêta devant la résidence familiale. Margaret regarda fixement l’immeuble menaçant qui se profilait plus haut que les immeubles avoisinants, comme si la taille pouvait indiquer la majesté. Sa famille n’avait emménagé là que récemment, et le bâtiment lui semblait aussi étranger que tout le reste dans la capitale.

Elle devrait peut-être simplement dire au cocher de faire demi-tour et aller passer la nuit chez Daisy.

Mais ce n’était pas une solution définitive.

Ce n’était pas la première fois que Margaret souhaitait être chez elle – vraiment chez elle. Tout avait été plus simple avant que les affaires de Papa ne prennent leur essor.

Le cocher ouvrit la porte, et Margaret sortit du fiacre. Son cœur frémit, même si marcher jusqu’à la porte était un acte qu’elle avait accompli à maintes reprises auparavant, même si, normalement, elle était accompagnée par sa mère ou par une bonne.

Cependant, il n’y avait aucune raison de tergiverser.

Elle leva la main vers le heurtoir et frappa, se demandant si le majordome aurait abandonné son poste, étant donné l’heure tardive.

Elle n’eut pas besoin de s’inquiéter.

La porte s’ouvrit immédiatement. Au lieu de l’expression solennelle du majordome, sa mère apparut.

— Ma chère enfant ! s’écria Maman avec un cri perçant, enveloppant Margaret dans ses bras.

Maman ne la serrait pas dans ses bras, d’habitude. Les embrassades étaient réservées aux petits enfants, pas aux filles dont on craignait qu’elles ne terminent célibataires.

— J’étais si inquiète, clama Maman d’une voix aiguë.

Margaret se demanda si elle devait lui rappeler qu’elle n’aurait pas été aussi inquiète si elle n’avait pas pris la décision de la ligoter au lit du duc.

Lily trottina vers elle, agitant la queue, inconsciente de ce que cette soirée avait de différent de toutes les autres. Margaret s’accroupit et caressa la fourrure pâle de sa chienne.

— Ah, vous voilà, dit Papa.

Même si la lumière se reflétait sur son pince-nez comme à l’ordinaire, Margaret vit les rides amicales autour de ses yeux, même si Papa affichait moins d’émotions que sa mère.

— Jeune fille, vous auriez dû rentrer à la maison avec votre mère, dit Papa comme s’il se souvenait que le moment était propice à une démonstration d’autorité parentale, même si ces occasions étaient rares. Pourquoi diable avez-vous été séparée d’elle ?

Maman regarda Margaret avec nervosité.

Margaret hésita. C’était le bon moment pour tout raconter à son père, et pourtant, quel but atteindrait-elle ? Papa réprimanderait-il Maman ?

Non.

C’était entre sa mère et elle. Elle devait simplement se montrer plus prudente, de peur que sa mère ne décide de mettre à nouveau en scène une situation compromettante.

— Je suis là, maintenant.

— Bien sûr, bien sûr. Vous êtes là, dit Papa en hochant la tête.

Un autre père se serait mis en colère, avec l’air d’un homme qui se s’était toujours demandé ce que cela ferait d’être un dictateur et qui prenait toute mauvaise conduite comme opportunité d’explorer pleinement ce potentiel. Papa n’était pas comme la plupart des hommes. Lorsqu’il faisait une pause dans ses réunions incessantes et sa lecture de divers livres de comptes et rapports, c’était uniquement pour sourire d’un air heureux, comme s’il avait constamment une tasse de chocolat en main. Papa était reconnaissant pour sa bonne fortune et résistait à la tentation à laquelle des hommes plus faibles avaient succombé, de se montrer paternaliste avec tous ceux qui n’avaient pas réussi à devenir des magnats.