Avant Qu’il Ne Blesse

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CHAPITRE TROIS

Mackenzie n’avait honnêtement rien contre Frances Ellington. Elle lui avait été vraiment utile lorsque Mackenzie était retournée au travail et qu’elle était venue s’occuper de Kevin pour eux. Cela ne faisait pas non plus de mal que Kevin adore tellement sa grand-mère Ellington. Mais l’idée que les deux grands-mères se trouvent au même endroit au même moment était incroyablement perturbant. Mackenzie se dit qu’elle connaissait suffisamment les deux femmes pour savoir que c’était comme d’approcher une allumette enflammée près d’un baril d’essence.

Lentement, timidement, Mackenzie conduisit Frances au salon. Dès l’instant où Kevin l’aperçut, son visage s’éclaira et il tendit ses bras en avant. Derrière eux, Ellington entra dans la pièce, une expression abasourdi sur le visage.

« Maman… que fais-tu ici ?

– J’étais dans le quartier et je me suis dit que j’allais m’arrêter pour vous emmener dîner quelque part, mais on dirait que je viens un peu tard.

– Tu l’aurais su si tu avais téléphoné. »

Frances ignora la remarque de son fils, repéra Patricia assise à la table et lui fit un large sourire. « Mon nom est Patricia Ellington, au fait.

– Et je m’appelle Patricia White, dit Patricia. Je suis ravie de vous rencontrer. »

Il y eut un silence empli de tension que tout le monde put ressentir. On aurait dit que même Kevin était interloqué, il regardait tout autour dans la pièce pour voir si quelque chose n’allait pas. Ses yeux finirent par se poser sur Mackenzie et elle lui fit un grand sourire, ce qui sembla résoudre la question pour lui.

« Eh bien, si nous comptons tous rester ici, je ferais aussi bien d’apporter le dessert, dit Ellington. Ce n’est pas grand-chose, juste un gâteau à la crème glacée qui m’a interpellé quand je l’ai vu à l’épicerie hier.

– Ca me paraît très bien, dit Frances en prenant place sur la chaise à côté de Kevin. Celui-ci lui porta alors toute son attention, oubliant complètement sa nouvelle grand-mère.

« Frances le garde de temps en temps » expliqua Mackenzie à sa mère. Elle espérait que cette simple phrase était bien choisie parce qu’à l’oreille de Mackenzie, cela sonnait presque comme une accusation. Elle le garde de temps en temps parce qu’elle a choisi de faire partie de sa vie depuis le début. Voilà comment cela sonnait pour Mackenzie.

Ellington apporta le gâteau et entreprit de le couper. Lorsqu’il en donna une petite tranche à Kevin, celui-ci réagit aussitôt en y enfonçant ses mains avec un gloussement. Cela provoqua un rire chez ses deux grands-mères, ce qui, en retour, entraîna Kevin à s’attaquer une seconde fois au gâteau.

« Dites, attendez, dit Patricia. N’est-il pas un peu jeune pour un gâteau comme ça ?

– Non, dit Mackenzie. Kevin adore la crème glacée.

– Je ne me rappelle pas t’avoir jamais donné de la glace aussi jeune. »

Mackenzie eut cette pensée qu’elle n’osa dire à voix haute : Ca m’étonne que tu te rappelles de quoi que ce soit de mon enfance.

« Oh oui, dit Frances. Il aime en particulier la glace à la fraise. Mais pas au chocolat. Vous devriez voir l’air horrifié que prend cet enfant quand il goûte à n’importe quoi de chocolaté. »

Mackenzie observa le visage de sa mère et y vit l’ombre de la femme qu’elle avait autrefois été. On y lisait de la déception ainsi que de l’embarras. Elle commença aussitôt à se redresser, adoptant une posture défensive et Mackenzie sut immédiatement que les choses allaient s’envenimer s’ils continuaient sur cette voie.

« Mais ne t’inquiètes pas, Maman, dit Mackenzie. Il mange énormément d’aliments sains également.

– Je ne mettais pas ça en doute. J’étais simplement… curieuse. Ca fait un moment depuis que j’ai élevé un enfant…

– N’est-ce pas étrange ? dit Frances. On croit qu’on en a terminé avec la magie d’élever ses enfants quand ils quittent la maison et puis… bam ! On devient grand-parent.

– C’est le cas, je suppose » dit Patricia en regardant Kevin. Elle tendit une main dont il se saisit, barbouillant son index de glace à la vanille.

« Comme vous pouvez le voir, dit Frances, il est plutôt partageur également. »

Patricia rit devant cette remarque, un son qui lui valut un grand sourire de la part de Kevin. Mackenzie put voir des larmes dans les yeux de sa mère même si elle continuait de rire en même temps. Et au moment où son rire eut atteint son paroxysme, Kevin gloussait avec elle comme s’ils venaient de partager une plaisanterie rien qu’entre eux.

« Je suppose qu’il tient son sens de l’humour du côté de votre famille, dit Frances. Dieu sait que mes enfants n’ont jamais été très portés à la plaisanterie.

– Hé, dit Ellington. Il y a beaucoup de gens qui me trouvent drôle ! Pas vrai, Mac ?

– Je ne sais pas, dit-elle. J’ai déjà rencontré l’un d’eux ? »

Il roula des yeux vers elle tandis que leurs mères riaient à leurs dépens. Kevin se joignit de nouveau à elles, continuant d’enfoncer ses mains dans le gâteau à la crème glacée avant d’en fourrer une partie dans sa bouche.

On dirait la quatrième dimension, pensa Mackenzie en voyant tout cet échange se dérouler. Leurs mères s’entendaient bien en fait. Et ce n’était pas forcé. D’accord, cela n’avait duré que quelques instants mais quelque chose là-dedans avait paru naturel. Quelque chose qui – mon dieu – lui paraissait bien.

Elle était sûre d’être en train de les fixer mais ne pouvait s’en empêcher. Et il est impossible de dire combien de temps elle aurait continué à faire ça si le téléphone n’avait pas sonné pour l’interrompre. Elle bondit sur cette occasion de s’éloigner de la table, se précipitant vers son téléphone posé sur le comptoir de la cuisine sans même se demander qui cela pouvait bien être.

Tout cela changea lorsqu’elle vit le nom de son patron, McGrath, sur l’écran d’appel. Il était plus de cinq heures de l’après-midi et à chaque fois que McGrath appelait à une heure pareille, cela signifiait généralement qu’elle allait avoir quelques journées bien chargées. Elle prit son téléphone et regarda en direction du vestibule et jusqu’à la salle à manger, espérant croiser le regard d’Ellington. Mais il était en train de discuter avec sa mère et d’enlever de la glace sur le visage et les mains de Kevin.

« Agent White à l’appareil, répondit-elle.

– Bonjour White. » La voix de McGrath était lugubre comme toujours. Il était difficile de jauger son humeur rien qu’avec ces deux mots. « Je crois que j’ai une affaire qui pourrait vous convenir comme un gant. Mais il s’agit plutôt d’une urgence. J’ai besoin que vous soyez prête ce soir et que vous soyez dans l’avion très tôt demain matin, direction l’Utah.

– Cela me convient mais pourquoi les agents de là-bas ne s’en chargent-ils pas ?

– Les circonstances sont particulières, je vous expliquerai ça quand vous serez dans mon bureau. Dans combien de temps Ellington et vous pouvez être ici ? »

Elle fut un peu déçue d’elle-même d’être si soulagée d’avoir une telle porte de sortie – une excuse valable pour s’éloigner de toute cette étrange atmosphère entre sa mère et Frances.

« Très rapidement en fait, dit-elle. Nous avons en quelque sorte une baby-sitter à domicile pour le moment.

– Excellent. Dans une demi-heure, ça vous va ?

– C’est parfait » dit-elle. Elle mit fin à l’appel puis, fixant toujours des yeux la salle à manger en essayant de donner du sens à tout cela, appela : « Hé, Ellington ? Tu peux venir une seconde ? »

Ce fut peut-être le ton de sa voix ou bien la simple déduction que personne ne leur téléphonait jamais si ce n’est les gens avec qui ils travaillaient mais Ellington vint aussitôt, un sourire plein d’expectative sur le visage.

« Le boulot ? demanda-t-il.

– Oui.

– Super, dit Ellington. Parce que franchement, quoiqu’il soit en train de se dérouler ici, c’est fichtrement bizarre.

– Je sais, hein ? »

Alors, comme pour leur donner raison, leurs deux mères rirent à propos de quelque chose dans la salle à manger, suivies par l’éclat de rire joyeux de leur fils.

CHAPITRE QUATRE

Même si cela faisait bizarre de laisser Kevin avec ses deux grands-mères, Mackenzie ne put nier que cela lui fit chaud au cœur de savoir que sa mère allait enfin passer un moment privilégié avec son fils. Sa seule crainte était que le côté entêté et plutôt égoïste de sa mère ne fasse surface et qu’elle ne se braque lorsqu’elle s’apercevrait que Kevin et Frances avaient établi un lien entre eux. Elle était stupéfaite de n’avoir aucune inquiétude à ce sujet tandis qu’Ellington et elle se frayaient un chemin le long des couloirs vides du quartier général du FBI jusqu’au bureau de McGrath.

Quand ils entrèrent, il était clair qu’il était en train de terminer sa journée. Il disposait quelques dossiers dans son attaché-case et paraissait plutôt de bonne humeur.

« Merci d’être venu aussi rapidement, dit-il.

– Aucun problème, dit Ellington. En fait, vous nous avez rendu service d’une certaine façon.

– Vraiment ?

– Des histoires de famille, dit Mackenzie.

– Pas mes affaires donc. Alors je serais bref et concis. Nous avons une femme morte là-bas, dans l’Utah. Le FBI a été contacté à ce sujet parce que selon les autorités locales, cette femme n’a aucune identité. Pas de papiers, pas de numéro de sécurité sociale, d’acte de naissance, aucune adresse connue, rien.

– Et pourquoi appeler des agents de Washington pour se charger de ça plutôt que ceux déjà sur le terrain à Salt Lake City ? demanda Mackenzie.

– Je ne connais pas tous les détails mais le service du FBI là-bas est un peu dans le pétrin. A cause de précédents problèmes dans le secteur concernant la protection de certains individus, la branche de Salt Lake City doit faire extrêmement attention à la façon dont ils gèrent des enquêtes là-bas.

 

– C’est plutôt vague, dit Ellington.

– Eh bien, c’est tout ce que je peux vous dire pour l’instant. Je peux aussi ajouter qu’il y a eu un conflit d’intérêt qui s’est réglé au tribunal, et qu’il a finalement été démontré que le FBI était dans son tort. Les chefs de la branche de Salt Lake City nous ont donc contactés aujourd’hui pour voir si on pouvait faire venir là-bas quelques agents de Washington afin de travailler en toute discrétion sur l’affaire. Et vu la nature du meurtre, on dirait que c’est quelque chose dont vous allez tous deux vous charger plutôt facilement. Allez là-bas, découvrez qui elle est et qui l’a tuée. Et pourquoi. Puis donnez les infos à la police locale et rentrez à la maison.

– Et quelle est la nature du meurtre ? demanda Ellington.

– Je vais vous faire envoyer l’ensemble du rapport par email. Mais il semble que cette jeune femme courait pour fuir quelqu’un, tard dans la nuit. Notre hypothèse est que pendant qu’elle courait, elle a été percutée par un véhicule puis qu’on lui a tranché la gorge. Il y avait aussi un morceau de scotch en travers de sa bouche mais le légiste pense que cela a été mis là après sa mort. »

Mackenzie se dit que cela était tout à fait dans leurs cordes. Elle ne savait trop quoi penser de cela.

« Quand avez-vous besoin que nous soyons là-bas ? demanda Ellington.

– Il y a un vol réservé pour vous deux à cinq heures quinze demain matin. Je souhaite que vous preniez cet avion et que vous ayez examiné la scène du crime d’ici demain midi. Je sais que faire garder son enfant peut poser problème avec une affaire comme celle-ci mais…

– Pour une fois, je pense que cela peut être arrangé, dit Ellington.

– Attendez. Je ne sais pas si…

– C’est en rapport avec vos histoires de famille ? » demanda McGrath. Il avait fini de ranger ses affaires et regardait vers la porte avec envie.

« En effet, monsieur.

– Comme j’ai dit, alors, pas mes affaires. Si vous avez un souci pour faire garder votre enfant et qu’un seul de vous peut partir, faites-le-moi savoir. »

Sur ce, il les reconduisit à la porte.

***

« Je vais le dire simplement, dit Mackenzie en revenant à leur appartement. Je n’étais pas tout à fait à l’aise que ta mère garde Kevin la dernière fois qu’on a été sur une affaire. Quelques heures ici et là, pas de soucis, ça me va. Mais plusieurs jours…

– Oh, je suis d’accord avec toi sur ça. Mais si on doit parler franchement, l’idée de la laisser avec ta mère pour quelques jours ne me rassure pas vraiment non plus.

– Oh mon dieu, non.

– Si ça t’embête que ma mère le garde, alors je peux être un mari dévoué et juste rester ici. On dirait que le boulot va être plutôt basique là-bas et…

– Non. McGrath nous a véritablement demandé à tous deux de nous en charger. En tant qu’équipe. Il y a trois mois, il pensait que nous associer était une mauvaise idée, alors on a dû faire quelque chose de bien. S’il nous laisse cette chance, je pense qu’on devrait la prendre.

– Je suis d’accord, dit Ellington.

– Alors que fait-on ? »

Ils restèrent silencieux un instant mais ensuite Ellington reprit la parole. Quand il le fit, ce fut en parlant lentement, comme pour s’assurer que chacun de ses mots soient justes. « Quelle est la probabilité pour qu’elles se trouvent ici au même moment ? dit-il. Vraiment, réfléchis-y. Les chances étaient vraiment minces. Et si aucun de nous ne leur fait confiance individuellement…

– Tu veux dire que tu veux qu’elles le gardent ensemble ?

– Ca pourrait fonctionner. Tu as vu comment elles s’entendaient. Et mon dieu, Kevin avait l’air d’être au paradis des grands-mères.

– Ta mère n’en sera pas offensée ? demanda-t-elle.

– J’en doute. Et la tienne ?

– Non. Bon sang, elle sera flattée que je lui demande une chose pareille. Tu as vu l’expression sur son visage quand je lui ai dit que toi et moi devions nous rendre à une brève réunion et qu’on leur faisait confiance pour le surveiller ?

– Oui j’ai vu. » Il réfléchit à cela un instant tandis qu’ils arrivaient à l’intersection où il leur fallait tourner à gauche pour regagner leur appartement. « Alors… si l’endroit n’a pas été incendié à notre retour, est-ce qu’on a envie de leur demander à toutes les deux ? »

Mackenzie ne paniqua qu’un bref moment à cette idée. Elle se souvint de la courte visite qu’elle avait faite à sa mère il y a quelques mois. De la façon dont sa mère avait finalement repris pied, agissant de manière responsable. Peut-être que sa visite là-bas, ainsi que son désir de voir son petit-fils constituaient un tournant décisif. Et si Mackenzie pouvait s’assurer que sa mère continue d’avancer dans la bonne direction, n’en allait-il pas de sa responsabilité en tant que fille de faire en sorte que cela se produise ? Sûrement, quelques jours passés en compagnie de son petit-fils de treize mois pourraient aider à cela.

Tandis qu’ils entraient dans l’ascenseur de leur immeuble, Mackenzie tendit la main pour prendre celle d’Ellington. « Tout ça te convient ? Tu en es sûr ? »

Il eut une expression troublée tout en hochant la tête. « Je le suis. Je sais que c’est bizarre mais oui. Je pense que ça va aller. Et toi ?

– Pareil. »

Ils entrèrent dans leur appartement, de retour environ une heure vingt après être partis. Ils trouvèrent Frances en train de nettoyer le comptoir de la cuisine tandis que Patricia était assise par terre et jouait avec Kevin. Ils étaient en train de s’amuser avec un de ses jouets préférés. Voir sa mère jouer ainsi par terre avec son fils lui réchauffa le cœur d’une façon à laquelle elle ne s’était pas attendue. Elle donna un léger coup de coude à Ellington lorsqu’ils passèrent la porte du salon, lui faisant signe que c’est lui qui allait devoir parler.

« Euh… Maman ? Mme White ?

– Oh non, appelez-moi Patricia, je vous en prie.

– D’accord… Maman et Patricia. Alors Mackenzie et moi venons juste de recevoir l’opportunité de travailler ensemble sur une affaire. Nous l’avons déjà fait auparavant bien sûr, mais pas depuis notre mariage, le FBI s’étant montré bizarrement réticent à nous associer tous les deux. Mais cette fois, ça nous a été demandé.

– Eh bien, c’est formidable, dit Frances.

– En effet. Mais l’enquête est dans l’Utah. Et il faut que nous soyons dans l’avion vers cinq heures du matin. »

Patricia leva la tête vers eux pour la première fois depuis leur retour, son attention étant restée portée vers Kevin pendant tout ce temps. « Rien de dangereux ? demanda-t-elle.

– Pas plus que d’habitude, dit Mackenzie. Mais si nous vous évoquons tout cela à toutes les deux, c’est parce que nous nous sommes dit que c’était vraiment inattendu que vous soyez ensemble ici. Donc Maman… tu avais prévu de rester en ville pour deux jours, c’est ça ?

– Oui, c’est ça.

– Et toi, dit Ellington en se tournant vers sa mère, tu as débarqué sans prévenir, ce qui me laisse penser que tu n’avais rien de prévu pour bientôt. C’est juste ?

– Je comptais rentrer par avion demain mais je n’ai aucun projet concret, non.

– Ce serait possible que tu annules ta chambre d’hôtel et obtienne un remboursement, Maman ? » demanda Mackenzie.

Patricia sembla saisir où l’on voulait en venir. Elle regarda Kevin, sourit d’un air radieux puis se tourna de nouveau vers sa fille avec un peu d’appréhension. « Mackenzie… je ne sais pas. Ca me fait envie, c’est certain. Bien sûr que je le souhaite. Mais es-tu sûre ?

– Ca vous concernerait toutes les deux, dit Mackenzie. Si Frances est d’accord. Deux ou trois jours tout au plus, je pense. Vous êtes partantes pour ça ? »

Les larmes qui coulèrent des yeux de sa mère constituèrent la réponse que Mackenzie attendait. Puis Patricia acquiesça et se releva. Lorsqu’elle s’approcha pour prendre sa fille dans ses bras, Mackenzie sut à peine comment se comporter. Elle étreignit sa mère en retour, ne sachant trop ce que cela signifiait, mais sentant que c’était un peu forcé et gênant. Cela faisait-il vraiment aussi longtemps depuis qu’elles s’étaient serrées dans les bras l’une de l’autre, guidées par l’émotion plutôt que par convention sociale ?

« Vous pouvez compter sur moi aussi, dit Frances. Je n’ai des vêtements de rechange que pour un jour ou deux mais je peux faire une lessive.

– Mackenzie, je ne sais même pas par où commencer, dit Patricia. Ca fait si longtemps depuis que je me suis occupée d’un bébé et…

– C’est comme de faire du vélo, la rassura Frances. Et le petit Kevin est un ange. Il n’y a jamais de problème.

– Et nous vous laisserons un emploi du temps, dit Mackenzie.

– Ainsi que le numéro de téléphone du docteur, des pompiers et du centre antipoison » ajouta Ellington pour plaisanter.

Lorsque personne ne rit, il grimaça et sortit de la pièce à pas lents. Kevin, assis par terre, fut le seul à fournir une réponse en tendant son cou pour voir où son papa s’en allait.

« Tu penses pouvoir y arriver, mon chéri ? » demanda Mackenzie en s’asseyant au sol à côté de lui.

Pour toute réponse, il fit son sourire habituel en plus de ses grands yeux brillants, tandis qu’il levait la tête vers sa mère et les deux femmes plus âgées derrière elle.

CHAPITRE CINQ

Parvenus environ à mi-chemin de leur vol direction l’Utah, Mackenzie en était déjà à sa seconde tasse du café amer de l’avion tandis que des premiers signes d’inquiétudes commençaient à s’insinuer en elle. Elle regarda par la fenêtre, la lumière du petit matin s’épanouissant à l’horizon, puis vers Ellington.

« Tu as toujours confiance en notre arrangement ? lui demanda-t-elle.

– Oui. Pourquoi ? Tu as changé d’avis ?

– Non. Mais je connais ma mère. Je veux dire, il est évident qu’elle est en train de changer et d’améliorer sa vie, et j’espère que passer du temps avec Kevin ne fera qu’accélérer ce processus. Mais je connais ma mère. Je sais combien elle peut être entêtée et sur la défensive. Je ne peux m’empêcher de me demander si le fait d’avoir nos mères réunies ne va pas se transformer en un match de catch.

– Tant qu’elles gardent Kevin en vie, ça me convient. Mais je parierais de l’argent sur ta mère au fait. »

Elle put voir qu’il était légèrement inquiet mais essayait d’avoir l’air du mari sûr de lui sur lequel elle pouvait compter. Tout au long de leur mariage et des années passées à travailler ensemble auparavant, il avait appris quand il devait assumer ce rôle et aussi quand il devait faire un pas en arrière et la laisser prendre les devants. Il devenait vraiment doué pour exécuter ces deux choses, à savoir quel rôle il devait prendre en fonction des occasions. Elle soupira, regarda de nouveau par le hublot et lui prit la main.

« Hé, Mac ? Tout va bien, vraiment. Ca va être génial. C’est ça d’avoir une famille, tu sais ? Les beaux-parents, les proches, tout ça.

– Je sais. Mais aujourd’hui, il s’agit de ma mère. Et si demain, c’est ma sœur qui débarque et veut brusquement jouer son rôle de tante ?

– Alors tu devras la laisser faire. Ou du moins, la laisser essayer.

– Oh, mais tu ne connais pas Stephanie…

– Et je ne connaissais pas ta mère jusqu’à hier. Et cependant nous voilà, en plein ciel tandis qu’elle et ma mère sont en bas, à s’occuper de notre fils. Et si je peux être honnête… ?

– Je t’en prie.

– Je pense que tu t’inquiètes de ne pas être inquiète. Toi et moi avons été ébranlés que tout se passe aussi naturellement. Peut-être que nous avons juste besoin de l’accepter et de nous concentrer sur notre enquête. Nos mères nous ont élevés et tout s’est bien fini pour nous après tout.

– En effet, hein ? demanda-t-elle avec un sourire.

– Eh, suffisamment en tout cas. »

Mackenzie continua de boire son café à petite gorgées et fit exactement ce qu’Ellington suggérait, détourner ses pensées du résultat surprenant qui s’était déroulé chez eux pour reporter son attention sur l’enquête.

***

Ils conduisirent dans leur voiture de location sur une vingtaine de kilomètres dans les environs de Salt Lake City, prêts à devancer d’une heure l’estimation de McGrath selon laquelle ils arriveraient à midi. La ville où la femme sans identité avait été tuée était une jolie petite localité appelée Fellsburg. C’était une ville plutôt chic, le genre de lieu qui prospérait uniquement du fait de sa proximité d’avec Salt Lake City. Mackenzie se dit que la majorité de la population devait faire le trajet tous les jours, travaillant là-bas puis rentrant chez eux, dans l’un des nombreux quartiers de Fellsburg.

 

Se reportant aux notes et instructions dans le dossier que McGrath leur avait envoyé par email, Ellington conduisit jusqu’à un lotissement baptisé Plainsview. Il ressemblait aux deux autres lotissements qu’il leur avait fallu traverser pour venir jusque-là – des maisons à deux étages, comme découpées à l’emporte-pièce. Des pelouses bien tondues, un bon éclairage de rue avec des lampadaires environ tous les trente mètres.

Mais ils n’eurent pas à s’aventurer loin dans Plainsview. Au bout de quatre maisons, ils virent une voiture de police garée d’un côté de la rue. C’était celle de l’officier avec qui ils avaient convenu d’un rendez-vous lorsque Mackenzie lui avait téléphoné de l’aéroport pour prévenir de leur arrivée. Il descendait déjà de sa voiture de patrouille quand Ellington se gara derrière lui.

Tous trois firent connaissance entre les deux voitures, chacun se présentant. Le badge et l’insigne qu’il portait à sa poitrine indiquaient qu’il s’agissait du Sheriff Burke.

« Agents, dit Burke. Merci d’être venus. Je suis le Sheriff Declan Burke. »

Mackenzie et Ellington déclinèrent leurs noms et lui serrèrent la main. Mackenzie se dit que Burke devait avoir la cinquantaine. Il avait une barbe fournie qui aurait eu besoin d’être taillée et un visage aux traits durcis. Ses yeux étaient cachés par une paire de lunettes type aviateur même si le soleil n’éclairait vraiment pas beaucoup.

« C’est ici qu’on a découvert le corps ? demanda Mackenzie.

– C’est ça. Juste là. » Burke pointa du doigt un emplacement légèrement à la droite du centre.

« Selon le rapport, il n’y avait rien sur elle en dehors de son permis de conduire, c’est bien ça ?

– Ca, et une paire de sandales en fait. Au début, j’ai pensé que c’est la voiture qui, en la percutant, les lui avait enlevées. Mais le légiste a fait remarquer qu’il y avait des lésions et des coupures sur ses pieds, montrant clairement qu’elle les avait ôtées elle-même, peut-être dans l’espoir de courir plus vite.

– Vous avez une idée de la distance qu’elle a parcourue ainsi ? demanda Ellington.

– Nous ne sommes pas certains à ce sujet, dit Burke. Il y a un champ à un peu plus de deux kilomètres d’ici, où l’on discerne des traces de passage durant cette même nuit. Mais avec la pousse des mauvaises herbes et des graminées, il est impossible d’affirmer s’il s’agissait de cette femme – ou même d’un être humain. Il a pu s’agir d’un cerf ou d’un autre animal.

– Et personne dans le coin n’a rien vu ? demanda Mackenzie. Elle regarda le long de la rue, en direction de la route légèrement en pente jusque vers les jolies habitations. Il y avait de nombreux lampadaires. Il était difficile de croire que personne n’avait rien remarqué.

« Mes hommes et moi avons interrogé tous les habitants de cette rue. Nous avons un couche-tard qui affirme avoir vu une vieille voiture passer à travers le quartier, ses phares éteints. Mais il n’a pas repéré le numéro d’immatriculation.

– Et rien sur la fille ? dit Ellington. On ne lui connait aucune identité ?

– Nous n’avons rien pu trouver. Le permis de conduire était un faux. Et diablement bien fait en plus. Bien sûr nous avons relevé ses empreintes et pris un échantillon de sang mais rien n’a concordé avec une personne présente dans nos fichiers.

– Tout ça ne fait aucun sens, commenta Ellington.

– C’est pour cela que nous vous avons fait venir ici, dit Burke. Vous avez vu les clichés du corps et de la scène de crime, je suppose ?

– Oui, dit Mackenzie. Du scotch noir collé en travers de sa bouche. Le légiste pense que cela a été mis après sa mort.

– En effet. Nous avons analysé le scotch mais aucune empreinte dessus. »

Mackenzie avait examiné le morceau d’adhésif sur les photographies pendant un moment la veille au soir et dans l’avion ce matin. Elle s’était dit que cela pouvait constituer un symbole, une façon pour le tueur de faire savoir à la femme que même morte, elle devait rester silencieuse. Mais pourquoi ? Qu’avait-elle à dire ?

« Sans aucune identité, je suppose qu’il est presque impossible de retrouver des membres de sa famille ou ses amis, dit Ellington.

– En effet. Nous n’avons rien. Je serais donc très heureux de vous passer l’affaire. Vous avez besoin de moi pour quoi que ce soit ?

– En fait oui, dit Mackenzie. Aucune empreinte n’a été retrouvée sur le permis de conduire ?

– Uniquement celles de la fille.

– Comment est le laboratoire médico-légal chez vous ?

– En aucun cas extraordinaire, mais meilleur que dans la plupart des villes de cette taille.

– Alors faites-venir des gens du labo pour examiner ce permis d’un peu plus près. Le vérifier au microscope, aux rayons ultraviolets. Certains faussaires apposent une minuscule signature ou une marque sur leur œuvre. C’est toujours bien dissimulé mais parfois, c’est présent. Un peu à la manière d’un bref doigt d’honneur adressé aux personnes de notre genre.

– Je vais faire ça, dit Burke. Autre chose ? »

Mackenzie s’apprêtait à demander à Ellington ce qu’il pensait mais elle fut interrompue par la sonnerie de son téléphone. Il était en mode silencieux mais ils purent tous l’entendre vibrer à l’intérieur de la poche de son manteau. Elle se retourna et le sortit. Elle fut irritée et un peu alarmée en voyant qu’il s’agissait de sa mère. Elle faillit l’ignorer mais la pensée que cette dernière et Frances gardait Kevin lui revint lourdement à l’esprit.

Elle s’écarta de quelques pas et décrocha, redoutant déjà la nouvelle qu’elle risquait d’apprendre à l’autre bout du fil.

« Bonjour Maman. Tout va bien ?

– Oui, tout est parfait. Kevin va très bien.

– Alors pourquoi m’appelles-tu ? Tu sais que je démarre juste mon enquête, pas vrai ?

– Je sais. Mais j’ai juste besoin de savoir quelque chose. Est-ce que Frances est toujours aussi autoritaire ?

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Juste qu’elle veut tout diriger. Je sais qu’elle s’est bien plus occupée de Kevin que moi, mais elle se conduit comme si elle était au courant de chaque détail le concernant et elle remet en cause tout ce que je fais.

– C’est pour ça que tu me téléphones ?

– Oui. Je suis désolée Mackenzie mais…

– Vous êtes des grandes filles toutes les deux. Vous allez trouver un moyen de vous arranger. Pour le moment, je dois y aller. Je t’en prie, Maman… ne me rappelle plus sauf en cas d’urgence. »

– D’accord. » Il y eut de la déception dans sa voix et elle parut blessée, mais Mackenzie n’en tint pas compte.

Elle mit fin à l’appel et reporta son attention vers Ellington et Burke. Ce dernier la regarda d’un air presque désolé tandis qu’il retournait à sa voiture de patrouille.

« Je disais justement à votre partenaire que nous avons un bureau de prêt pour vous au quartier général. J’ai quelques autres choses à vérifier, alors faites simplement comme chez vous. Et ne vous privez pas de me téléphoner directement s’il arrive quelque chose d’urgent. »

Il sembla soulagé de quitter les lieux en retournant à sa voiture. Il leur fit un petit salut de la main avant de démarrer, les laissant observer la portion de route où la mystérieuse femme avait été tuée.

« C’était un appel important ? demanda Ellington.

– C’était ma mère.

– Oh ? Tout va bien ?

– Oui. Elle m’appelait juste pour me faire savoir que le match de catch a officiellement débuté. »