Le Look Idéal

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CHAPITRE QUATRE

Liam ouvrit la bouche si grand que Jessie craignit qu’elle ne se détache de son visage.

– Quoi ? demanda-t-il quand il put reparler.

– Un client a été assassiné ici hier soir, dit Ryan, et on dirait que c’est vous qui l’avez enregistré, même si nous n’en sommes pas certains. Nous espérions que vous alliez pouvoir nous aider à clarifier ce point.

Liam déglutit avec difficulté avant de répondre.

– Bien sûr, dit-il, apparemment content de ne plus être soupçonné d’avoir volé la bière.

– Hier soir, à vingt-et-une heures trente-sept, vous avez enregistré un homme dont le nom semble seulement être John Smith. La carte associée à la transaction appartenait à une entreprise du nom de City Logistics, qui semble être une société écran.

– Qu’est-ce que ça signifie ? demanda Liam.

– Cela signifie, dit Ryan, que l’entreprise est possédée par une autre entreprise qui est possédée par une autre entreprise. Elles ont toutes plusieurs personnes qui sont présentées comme étant des cadres et chacune de ces personnes semble être un avocat d’affaires connu pour créer des sociétés écrans.

– Je ne comprends pas, dit Liam, qui avait l’air sincèrement perdu.

– Liam, dit Jessie, parlant pour la première fois, cela signifie que la personne qui vous a donné la carte de crédit ne voulait pas que son vrai nom soit lié à la réservation de la chambre et c’est pour cela qu’elle a utilisé cette carte d’entreprise aux origines complexes. C’est probablement pour cela qu’il s’est enregistré sous le nom de ‘John Smith’. De plus, comme la carte n’a jamais été débitée, je suppose qu’il a payé la chambre en liquide, n’est-ce pas ?

– Cela pourrait correspondre à un client qui s’est enregistré hier soir, concéda Liam.

– Seulement, voici ce que je ne comprends pas, insista Jessie. Même s’il a payé en liquide, la carte a dû être débitée pour les faux frais comme la petite bouteille de brandy du mini-bar. Comment cette bouteille a-t-elle été payée ?

– Si nous pensons au même homme, dit craintivement Liam, cela pourrait être parce qu’il m’a glissé deux cents dollars et qu’il a dit que cela servirait à payer tous les faux frais pour la chambre. Il a aussi dit que je pourrais garder le reste.

– Combien reste-t-il ? demanda Jessie.

– Cent quatre-vingt-quatre dollars.

Ryan et Jessie échangèrent un regard.

– C’est beaucoup d’argent, Liam, dit Jessie. Pourquoi John Smith vous donnerait-il un pourboire aussi élevé ? Et puis, souvenez-vous que, pour l’instant, vous êtes juste un témoin potentiel mais que, si vos réponses s’avèrent manquer de sincérité, nous risquerons de devoir vous inclure à la liste des suspects.

Liam ne semblait pas le désirer.

– Écoutez, dit-il fébrilement. Cet homme n’a rien dit de bien clair, mais il a suggéré qu’une amie pourrait lui rendre visite ce soir et qu’il préférerait que cela ne laisse pas de traces. Il voulait que ça reste officieux, vous voyez ?

– Et vous avez accepté ça ? insista Ryan.

– C’était deux cents dollars, l’ami. La vie est dure. Même s’il avait sorti cinq mini-bouteilles de brandy, j’aurais quand même ramené cent dollars à la maison sans avoir fait quoi que ce soit. Suis-je censé décider s’il est convenable qu’un mec utilise cet hôtel pour retrouver sa maîtresse ? Dans le pire des cas, il aurait saccagé la chambre et, en cas d’urgence, j’ai sa carte commerciale dans les fichiers. J’ai pensé qu’il n’y avait rien à y perdre.

– Sauf s’il finit nu et mort sur le lit, fit remarquer Ryan. Cela devient alors une perte pour tout le monde, dont vous, Liam. Sans parler de l’histoire de la caisse de bières, je dirais que vous allez devoir épousseter votre CV.

Alors que Liam allait répondre, quelqu’un frappa à la porte. C’était Chester, le directeur. Ryan lui fit signe d’ouvrir la porte.

– Désolé de vous interrompre, dit-il, mais la sécurité a préparé les vidéos qui vous intéressent.

– Ça tombe au moment idéal, dit Ryan. Je pense que nous en avons fini pour l’instant, n’est-ce pas, Liam ?

Liam hocha la tête d’un air abattu. Quand Ryan et Jessie quittèrent la salle, il essaya de les suivre, mais le directeur leva une main pour lui ordonner de rester.

– J’aimerais que vous restiez un peu plus longtemps, Liam, dit-il. Il faut que nous parlions.

*

Jessie cessa de penser aux problèmes de Liam quand elle arriva dans le bureau de la sécurité. Elle se plaça derrière la jeune femme qui manipulait le système pour avoir une meilleure vue du moniteur. Ryan et un autre directeur de l’hôtel se mirent à côté d’elle.

Comme Liam l’avait décrit, l’homme qui avait réservé la chambre lui avait tendu une carte et une liasse de billets. Il avait été seul. Pendant qu’il avait attendu que Liam finisse la transaction, il avait jeté un coup d’œil autour de lui et semblé adresser un hochement de tête à une personne hors-champ.

– Pouvez-vous voir à qui il a fait signe ? demanda Jessie à la technicienne.

– J’ai déjà essayé, dit la femme, qui s’appelait Natasha. J’ai visionné toutes les vidéos des caméras de l’endroit où il a regardé. Personne n’a semblé répondre de façon visible. En fait, personne n’a même semblé regarder dans sa direction.

Jessie trouva cela étonnant, mais elle ne dit rien pour l’instant. Visiblement, l’homme avait adressé un hochement de tête à quelqu’un, mais ce quelqu’un avait dû craindre qu’on le filme.

Qui connaîtrait ces sortes de détails ?

– Avez-vous les vidéos du hall pour le quatorzième étage ? demanda-t-elle.

Natasha les afficha. Alors que l’horodatage indiquait 22 h 01, on vit l’homme marcher dans le hall et entrer dans la chambre. Jessie entendit Ryan inspirer brusquement et elle se tourna vers lui. Il se pencha vers elle et chuchota dans son oreille.

– Quand j’ai vu la démarche joyeuse de ce gars, ça m’a rappelé quelque chose. Je viens de me souvenir de son nom. C’est bien un politicien. Quand on sera tranquilles, je te dirai qui c’est.

Jessie hocha la tête, curieuse. Natasha fit défiler rapidement la vidéo du hall vers l’avant, s’arrêtant à chaque fois que quelqu’un y passait. Personne n’approcha de la chambre de l’homme mais, à 22 h 14, exactement treize minutes après que l’homme était entré dans sa chambre, l’ascenseur s’ouvrit et une femme en sortit.

C’était une blonde superbe aux cheveux qui tombaient jusqu’au milieu du dos. Elle portait d’énormes lunettes de soleil qui lui cachaient les traits et un trench-coat à ceinture et à col montant. Elle marcha dans le hall en regardant les numéros des chambres puis s’arrêta devant la porte de l’homme. Elle frappa. La porte s’ouvrit seulement quelques secondes plus tard et elle entra.

Il n’arriva rien pendant les trente-et-une minutes qui suivirent, mais, à 22 h 45, la femme quitta la chambre et repartit par là où elle était arrivée. Cette fois-ci, elle marchait vers la caméra et Jessie put mieux la voir.

Elle portait encore les lunettes de soleil et le manteau, mais, même avec eux, Jessie voyait que la femme était très belle. Ses pommettes semblaient avoir été sculptées par un artiste. Même sur ce petit moniteur, sa peau avait l’air immaculée et on comprenait que, sous cette veste, elle avait une silhouette qui pouvait facilement pousser un homme politique riche et excité à mettre sa carrière en danger.

Jessie remarqua aussi autre chose. La femme semblait se diriger vers les ascenseurs … avec nonchalance. Elle n’avait pas l’attitude de quelqu’un qui se presse. Il était tout à fait possible que, seulement quelques minutes auparavant, elle ait drogué un homme puis l’ait tué par strangulation, et pourtant, dans sa façon de se comporter, rien ne suggérait l’inquiétude ou l’anxiété. Elle avait l’air pleine d’assurance.

Alors, Jessie fut certaine qu’ils avaient affaire à plus qu’un simple crime passionnel ou à un vol qui tourne mal. Si cela avait été une rencontre physique qui avait dégénéré, la femme aurait eu l’air beaucoup plus troublée et pressée. Si cela avait été un simple vol, elle aurait pu quitter la chambre moins de dix minutes après qu’elle y était entrée.

Pourtant, elle était restée une demi-heure. Elle avait pris son temps. Elle avait détruit le téléphone de l’homme et lui avait pris toutes ses cartes, son liquide et ses pièces d’identité, alors même qu’elle avait forcément compris que l’identité de cet homme ne tarderait pas à être découverte. Elle avait même laissé les photos de famille dans le portefeuille.

Chose encore plus remarquable, elle n’avait apparemment laissé aucune empreinte digitale dans la chambre, ni sur le verre, ni sur d’autres surfaces de la chambre ni sur le cou de l’homme. C’était le travail d’une femme qui avait soigneusement préparé son coup, qui avait pris son temps et qui y avait trouvé du plaisir.

CHAPITRE CINQ

Jessie ne pouvait pas se débarrasser de cette image.

Pendant que Ryan les conduisait à leur prochaine destination, elle repensait constamment à la dernière vidéo que Natasha, la technicienne de la sécurité, leur avait montrée. Maintenant qu’ils savaient à quoi ressemblait cette femme, Jessie avait pu visionner des vidéos qui remontaient à plus tôt dans la soirée.

On ne voyait jamais la femme arriver à l’hôtel ou le quitter, mais on la voyait s’installer dans le Lobby Court, le bar même où Jessie avait vu boire les hommes en costume plus tôt dans la matinée.

La femme était arrivée peu après vingt-et-une heures et avait attendu quinze minutes en sirotant une boisson qu’elle avait achetée en liquide et bue avec ses gants en cuir. Ce qui frappait Jessie, c’était son air de tranquillité absolue. Elle n’avait pas l’allure d’une personne qui allait assassiner un homme moins de deux heures plus tard.

Finalement, son ‘rendez-vous’ était arrivé. Il était directement allé la trouver comme s’ils s’étaient connus mais, chose étrange, il l’avait saluée comme si cela avait été leur première rencontre. Il avait commandé une boisson pour lui-même et s’était assis à côté d’elle. Ils avaient parlé pendant une demi-heure. Il avait commandé deux autres boissons et elle avait continué à siroter la sienne.

 

Vers 21 h 50, il avait payé sa note et s’était levé. Les caméras l’avaient suivi jusqu’aux toilettes puis jusqu’à la réception. La femme était restée un peu plus longtemps au bar pour finir sa boisson puis elle était partie hors-champ et on ne la revoyait qu’au moment où elle sortait de l’ascenseur pour aller dans la chambre de l’homme.

– À quoi penses-tu ? demanda Ryan, interrompant sa méditation.

– Je pense que nous avons affaire à une personne qui a aimé ce qu’elle a fait et je crains donc qu’elle ne recommence.

– Je comprends ça, convint-il. Puis-je te dire ce qui m’inquiète, moi ?

– Je t’en prie, dit Jessie.

– Je crains que l’épouse de cet homme ne pète les plombs quand nous lui dirons ce qui s’est passé.

Ryan parlait des moments désagréables qu’ils allaient connaître. Après qu’ils avaient quitté le bureau de la sécurité, il lui avait dit qui était la victime : Gordon Maines.

Quand Ryan avait appelé le médecin légiste pour lui confier ce qu’il soupçonnait, ce dernier le lui avait confirmé. La victime était effectivement Gordon Maines, un conseiller qui représentait le quatrième district de Los Angeles, qui comprenait Hancock Park et Los Feliz.

Ryan s’était finalement souvenu de lui à cause de sa démarche joviale. C’était le même style qu’il avait eu quand il était venu au poste plusieurs années auparavant pour passer un savon au capitaine Decker parce que ce dernier ne lui avait pas donné assez d’agents de police pour assurer la sécurité d’un défilé de quartier.

– ‘Crétin’ est le mot le plus sympathique qui me vient pour décrire ce gars, avait dit Ryan.

Jessie espérait qu’il utiliserait des mots plus diplomates quand ils arriveraient à sa maison de Hancock Park pour annoncer la mauvaise nouvelle à sa femme, Margo. Pendant qu’il se frayait un chemin dans la circulation du milieu de matinée, Jessie se remit à penser à Hannah malgré tous ses efforts.

Elle se demanda si Garland Moses était arrivé à déterminer comment l’enquête avançait. Est-ce que le FBI avait des pistes sur l’endroit où pouvait se trouver Bolton Crutchfield ? Est-ce que Hannah était saine et sauve ? Jessie fut tentée de lui envoyer un SMS pour le lui demander et ce ne fut que quand elle eut sorti son téléphone qu’elle se rappela que c’était une très mauvaise idée.

D’abord, elle ne l’avait vu que deux ou trois heures auparavant. Même si Garland Moses était le profileur le plus décoré du pays, il n’était pas un super-héros. De plus, s’il avait des informations, il la tiendrait sûrement au courant. S’il ne lui disait rien, cela signifiait probablement qu’il n’avait rien trouvé d’intéressant.

Ensuite, ils s’étaient mis d’accord pour ne communiquer qu’en tête-à-tête. Même si le capitaine Decker n’avait pas encore formellement interdit à Jessie de s’impliquer dans cette affaire, il le ferait bientôt, c’était certain. S’il était prouvé que Jessie avait tenté de contourner cette directive, cela pourrait compromettre sa carrière et, comme Garland l’avait dit, gâcher sa « jolie petite enquête ».

Pourtant, cela l’obsédait. Elle était en train d’enquêter sur la mort d’un homme qui avait visiblement plusieurs choses à cacher. Entre temps, une jeune fille innocente était détenue par un tueur en série pour la seule raison qu’elle avait le même ADN qu’un autre tueur en série.

La frustration monta dans sa poitrine et elle eut énormément de mal à la ravaler.

Garland Moses ferait mieux de trouver quelque chose et vite, parce que je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir avant de craquer.

*

Quand ils arrivèrent à Hancock Park, au manoir de Gordon Maines, Jessie ne fut pas étonnée.

Elle savait déjà qu’ils avaient affaire à un homme qui était prêt à payer 400 dollars pour tromper sa femme dans une chambre d’hôtel, un homme qui détenait apparemment une carte de crédit associée à une société écran, ce qui indiquait probablement que ses finances étaient aussi peu claires que sa vie. De plus, apparemment, il habitait dans une maison qu’aucun fonctionnaire n’aurait pu acquérir, à moins d’en hériter.

Quand ils montèrent les marches jusqu’à la porte de devant, Jessie se rappela qu’il ne fallait pas qu’elle inflige son dégoût pour la victime à sa femme, qui pensait peut-être son mari capable de décrocher la lune et allait apprendre qu’il en était autrement. Ryan sonna et ils attendirent, tous les deux inquiets de ce qui allait se passer.

La porte fut ouverte par une petite femme svelte de la quarantaine finissante. Elle portait un tailleur brun clair et ses cheveux blonds étaient attachés en chignon. Malgré son apparence professionnelle, Jessie voyait qu’elle était mal en point.

Sous les yeux, elle avait des cernes impossibles à masquer, même avec beaucoup de maquillage, comme elle avait courageusement essayé de le faire. Ses yeux en eux-mêmes étaient rouges, ce qui pouvait indiquer, entre autres choses, qu’elle n’avait pas dormi, avait pleuré ou pris des drogues. Aucune de ces possibilités n’était bonne. Son bas droit avait une échelle très visible mais qu’elle semblait ne pas avoir remarquée, ce qui suggérait qu’elle avait les pensées ailleurs.

– Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-elle d’une voix éraillée.

– Bonjour. Êtes-vous Margo Maines ? demanda gentiment Jessie.

– Oui, dit-elle avec prudence. De quoi s’agit-il ?

Jessie regarda Ryan, qui semblait prêt à donner la nouvelle qui, comme ils le savaient, allait la briser. Elle l’avait vu le faire à de nombreuses reprises et elle voyait la même réaction maintenant, sa colonne vertébrale qui se raidissait comme s’il se préparait à accepter le contre-coup émotionnel qu’il allait recevoir. Soudain, quand elle pensa au nombre de fois où il avait dû se retrouver dans cette situation au cours de sa carrière, une vague d’empathie la submergea. Elle ressentit un désir intense de le protéger contre cette situation cette fois-ci et avança légèrement.

– Nous sommes de la Police de Los Angeles, dit-elle avant qu’il n’ait pu prononcer un seul mot. Je suis Jessie Hunt et voici l’inspecteur Ryan Hernandez. Je crains d’avoir une mauvaise nouvelle à vous annoncer, Mme Maines.

Margaret Maines, ou ‘Margo’ comme on l’appelait dans la bio de son mari publiée sur le site web de la ville, semblait savoir ce qui arrivait. Elle baissa la tête, tendit une main et agrippa l’encadrement de la porte. Ryan avança légèrement au cas où elle s’effondrerait.

Heureusement, ce ne fut pas nécessaire. Margaret Maines les regarda à nouveau avec une résolution que Jessie admira, même si elle semblait fragile.

– Entrons, dit Mme Maines. Je pense que j’aimerais m’asseoir avant que vous m’en disiez plus.

Jessie et Ryan la suivirent dans le salon, où elle s’assit sur la causeuse et leur fit signe de s’asseoir sur le sofa d’à côté. Une fois qu’ils furent tous installés, elle les regarda tous les deux et hocha la tête.

– Allez-y, dit-elle d’un air résigné.

Jessie continua sans regarder Ryan pour voir s’il acceptait qu’elle prenne les devants.

– Je dois malheureusement vous annoncer que votre mari est mort, Mme Maines. Son corps a été trouvé ce matin dans un hôtel du centre-ville. Son identité a été récemment confirmée.

Mme Maines hocha la tête, inspira profondément et tendit la main pour prendre un mouchoir en papier. Elle se sécha les yeux puis répondit.

– Je savais qu’il y avait un problème. Il n’est pas rentré hier soir. Parfois, il travaille très tard, mais il m’appelle toujours. De plus, il n’a pris aucun de mes appels. J’ai même envisagé d’appeler la police. Cependant, j’ai imaginé qu’il dormait dans son bureau et que son téléphone était en mode silencieux ou que la batterie était à plat. Je n’ai pas voulu dramatiser. J’ai appelé le bureau ce matin et ils ont dit qu’il n’était pas encore arrivé. Je savais qu’il y avait un problème. J’étais sur le point de vous appeler.

– Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? demanda Jessie d’un ton non-accusateur.

– Gordon était très exigeant. Il détestait que les journaux parlent mal de lui. Dans ma tête, je l’imaginais dire : « Si tu appelles la police, ça finira dans les journaux puis au journal télévisé. À la prochaine élection, mon opposant en fera quelque chose de néfaste aussi innocent que ce soit. En politique moderne, il ne faut tolérer aucune erreur de relations publiques ». Il disait beaucoup qu’il voulait éviter que les journaux parlent mal de lui. Maintenant, je me demande si j’aurais pu empêcher sa mort en l’appelant.

Jessie pensa qu’il était ironique qu’un gars qui craignait d’avoir mauvaise réputation trompe sa femme à l’hôtel et finance ce qui paraissait être une caisse noire, mais elle garda cette réflexion pour elle-même.

– Ne vous faites pas de reproches, Mme Maines, dit Ryan. D’après ce que nous pouvons dire jusque-là, il semblerait que votre mari soit mort hier soir. Même si vous l’aviez appelé, vous n’auriez pas pu le sauver.

Elle sembla dériver une petite consolation de ce fait et soupira profondément, plus ou moins soulagée. Elle parut se demander s’il fallait qu’elle pose la question qu’elle avait en tête mais, finalement, elle coupa court à ses hésitations.

– Comment est-ce arrivé ?

Se sentant juste un peu lâche, Jessie considéra que les années d’expérience de Ryan pourraient s’avérer utiles dans ce cas-là et décida de le laisser répondre.

– Peut-être pourrons-nous garder les détails pour une autre fois, Mme Maines, suggéra-t-il gentiment.

L’air désespéré visible sur le visage de Mme Maines céda vite la place à un mélange d’irritation et de résolution.

– Dites-moi la vérité, inspecteur. Il est clair qu’il n’est pas mort de causes naturelles. Je le saurai tôt ou tard et je préférerais le découvrir dans l’intimité de ma propre maison que dans une morgue sinistre entourée par un groupe d’inconnus. Je préfère de loin deux inconnus à dix.

– Oui, madame, dit-il. Vous avez raison. Il n’est pas mort de causes naturelles. Je crains qu’il n’ait été étranglé jusqu’à la mort. Les circonstances qui entourent son meurtre sont quelque peu … obscènes. Dois-je poursuivre ?

– Je veux en prie, insista Mme Maines d’une voix atone.

– On dirait qu’il était à l’hôtel pour y retrouver une femme dont nous ne connaissons pas encore l’identité. Nous ne connaissons pas son mobile. Nous savons juste que votre mari a probablement été drogué, puis dévalisé et étranglé.

Jessie regarda les traits de Mme Maines se durcir. Elle ressentit une pointe d’anxiété et se demanda si Margo Maines allait hurler ou pleurer. En fait, elle ne fit ni l’un ni l’autre.

– Je suis tout à fait certaine qu’il a été drogué et dévalisé, insista-t-elle d’un ton vif en se redressant. Jamais Gordon ne serait allé retrouver une femme dans une chambre d’hôtel de son plein gré, à moins d’avoir perdu la tête.

Jessie se souvint de la vidéo du bar, où Gordon avait joyeusement flirté pendant une demi-heure avant d’aller réserver une chambre d’hôtel, tout cela sans avoir été drogué. Elle se demanda si elle devait mettre fin aux certitudes de son épouse mais décida que ce n’était pas son travail.

Un autre exemple de lâcheté morale.

– De toute façon, dit Ryan d’une voix qui suggérait qu’il désirait passer à autre chose parce qu’il ne voulait visiblement pas mettre fin aux certitudes de Mme Maines lui non plus, même si nous avons confirmation que c’est lui, il faudra que quelqu’un vienne au bureau du médecin légiste pour identifier formellement le corps. Si vous préférez qu’un de ses employés le fasse, nous pourrons arranger ça.

– Non, je le ferai, dit-elle.

– Merci, dit Ryan. Il y a une autre chose. Nous n’avons pas beaucoup de pistes sur la femme que nous soupçonnons du meurtre de votre mari, mais elle a quand même pris toutes ses cartes de crédit et toutes ses pièces d’identité.

– Et sa montre ? interrompit Mme Maines.

– Quelle montre ? demanda Ryan.

– Il avait une Rolex avec ses initiales gravées au dos.

– Nous ne l’avons pas trouvée sur la scène du crime, dit Ryan, mais nous l’ajouterons à la liste des objets manquants.

– Je lui ai offert cette montre pour notre dixième anniversaire de mariage, dit-elle en repensant visiblement à ce moment.

Jessie avait une idée mais décida de la remettre à plus tard. À contrecœur, Ryan remmena Mme Maines au moment présent.

 

– Nous ferons de notre mieux pour la récupérer, madame, lui assura-t-il. Cependant, en ce qui concerne les cartes de crédit, au lieu de les bloquer, nous comptons les surveiller en espérant que cela nous permettra de retrouver cette femme quand elle en utilisera une. Elle pourrait aussi essayer de contrefaire un nombre indéterminé de documents officiels à l’aide de la carte d’identité de votre mari. Nous donneriez-vous la permission d’examiner ses transactions et ses données financières pour voir s’il y a des anomalies ?

Mme Maines lui lança un regard sceptique, comprenant visiblement que sa requête devait cacher une arrière-pensée.

– Cela semble imprécis, fit-elle remarquer.

– Ça l’est, admit-il. Nous voulons ratisser aussi large que possible pour ne rien manquer. Nous pouvons demander une décision de justice si nécessaire, mais cela prend du temps et je crains que la coupable ne nous file entre les doigts avant cela, alors que, si vous signez les autorisations maintenant, nous pourrons commencer immédiatement.

Mme Maines avait encore l’air peu convaincue mais, vu la façon dont Ryan avait présenté les choses, si elle refusait, cela donnerait l’impression qu’elle entravait l’enquête sur le meurtre de son mari. Au bout d’un moment, il devint clair qu’elle avait décidé que, quelles que soient les choses qu’elle soupçonnait que son mari lui avait cachées, il allait falloir avant tout se concentrer sur la recherche de l’assassin.

– Donnez-moi les papiers, dit-elle durement.

Ryan, qui avait déjà l’enveloppe à disposition, les lui tendit. Jessie le vit se retenir de sourire et dut réprimer sa propre envie de lui envoyer un coup de pied.

Ryan avait eu de la chance que Margo Maines ne connaisse pas ses expressions aussi bien que Jessie. En général, les jeunes veuves n’appréciaient pas les sourires satisfaits.