Tasuta

Sans Laisser de Traces

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Märgi loetuks
Sans Laisser de Traces
Sans Laisser de Traces
Tasuta audioraamat
Loeb Elisabeth Lagelee
Lisateave
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Chapitre 20

La chaise était confortable et la déco élégante, mais la lumière diffuse qui éclairait le bureau de Mike Nevins ne put remonter le moral de Riley. Cindy n’avait toujours pas été retrouvée. Dieu seul savait ce qui était en train de lui arriver. Subissait-elle la torture ? Comme Riley avant elle ?

Les agents qui passaient le quartier de Gumm au peigne fin ne l’avaient pas retrouvée, pas même au bout de vingt-quatre heures de recherche. Ce n’était pas une surprise pour Riley. Elle savait qu’ils ne cherchaient pas au bon endroit. Le problème, c’était qu’elle-même n’avait aucun indice pour la retrouver. Elle préférait ne pas imaginer la distance que le tueur aurait pu couvrir – ou se demander si Cindy était encore en vie.

— On va la perdre, Mike, dit Riley. Chaque minute qui passe, elle souffre un peu plus. Elle se rapproche de la mort.

— Pourquoi tu es si sûre qu’il ont le mauvais suspect ? demanda le psychiatre légiste Michael Nevins.

Impeccablement vêtu, comme toujours, d’une chemise coûteuse et d’une veste, Nevins avait une personnalité méticuleuse. Riley ne l’en aimait que plus. Elle le trouvait rafraîchissant. Ils s’étaient rencontrés dix ans plus tôt, alors qu’il avait été appelé pour travailler en tant que consultant sur une affaire de Riley. Son bureau se trouvait à Washington et ils ne se voyaient pas souvent mais, au fil des années, il était apparu évident que l’instinct de Riley combiné aux connaissances de fond de Mike permettait d’ouvrir une fenêtre sur les esprits malades. Elle était venue le voir immédiatement.

— Par où je commence ? répondit Riley en frissonnant.

— Prends ton temps.

Elle but une gorgée du délicieux thé qu’il venait de lui offrir.

— Je l’ai vu, dit-elle. Je lui ai posé quelques questions, mais Walder ne m’a pas laissée finir.

— Et il ne correspond pas au profil ?

— Mike, ce Darrell Gumm n’est qu’un aspirant, un fan, poursuivit-elle. Il fantasme sur les psychopathes. Il voudrait en être un. Il veut être connu pour ça, mais il n’a pas ce qu’il faut. Il est glauque, mais ce n’est pas un tueur. Mais on vient de lui donner la possibilité de faire semblant. Son rêve devient réalité.

Mike se frotta le menton d’un air pensif.

— Et tu penses que le vrai tueur ne recherche pas la gloire ?

Elle répondit :

— Peut-être que ça l’intéresse, peut-être pas, mais ce n’est pas ce qui le pousse à agir. C’est autre chose. C’est plus intime. Les victimes représentent quelque chose à ses yeux. C’est pour ça qu’il aime les voir souffrir. Il ne les choisit pas au hasard.

— Alors comment ?

Riley secoua la tête. Elle aurait aimé pouvoir l’expliquer de façon plus précise.

— Ça a un lien avec les poupées, Mike. Ce type est obsédé par les poupées. Et les poupées lui servent à choisir ses victimes.

Elle soupira. Ce n’était pas très convaincant, même à ses propres oreilles. Elle était pourtant certaine d’être sur la bonne piste.

Mike resta silencieux un instant, avant de reprendre la parole :

— Je sais que tu as un talent pour reconnaître le mal. J’ai toujours fait confiance à ton instinct. Mais, si tu as raison, le suspect qu’ils détiennent a dupé tout le monde. Et tous les agents du FBI ne sont pas des imbéciles.

— Quelques uns sont des imbéciles, dit Riley. Je n’arrête pas de penser à la femme qu’il a enlevée. Je n’arrête pas de penser à ce qu’elle est en train de vivre.

Elle posa enfin la question qui l’avait poussée à venir :

— Mike, tu pourrais interroger Darrell Gumm ? Tu le démasquerais en trente secondes.

Mike eut l’air surpris.

— On ne m’a pas appelé, dit-il. J’ai vérifié ce matin et on m’a dit que le Dr. Ralston était allé l’interroger hier. Apparemment il est d’accord pour dire que Gumm est le tueur. Il lui a fait écrire une confession écrite. L’affaire est terminée pour le Bureau. Ils pensent qu’ils n’ont plus qu’à trouver la femme. Ils sont certains qu’ils réussiront à le faire parler.

Riley roula les yeux au ciel, exaspérée.

— Ralston est un charlatan, dit-elle. C’est le caniche de Walder. Il est arrivé à la conclusion que Walder voulait.

Mike ne répondit pas. Il se contenta de sourire. Riley était presque sûre que Mike méprisait Ralston autant qu’elle, mais il était trop professionnel pour l’avouer.

— Je n’y arrive pas, dit Riley. Tu peux au moins consulter le dossier et me dire ce que tu en penses ?

Mike eut l’air de réfléchir, puis il dit :

— Parlons de toi d’abord. Ça fait combien de temps que tu as repris ?

Riley fut obligée d’y réfléchir. Cette affaire la consumait, mais tout cela était finalement très nouveau.

— Environ une semaine, dit-elle.

Il inclina la tête d’un air inquiet.

— Tu veux trop en faire. Comme souvent.

— Cet homme a eu le temps de tuer une femme et d’en enlever une deuxième. J’aurais dû rester sur l’affaire six mois plus tôt. Je n’aurais jamais dû abandonner.

— Tu as été interrompue.

Elle savait qu’il faisait référence à sa propre capture et à la torture qui avait suivi. Elle avait passé des heures à lui décrire cette sombre expérience dans leurs moindres détails et Mike l’avait aidée.

— Je suis revenue maintenant. Et une autre femme est en danger.

— Avec qui tu travailles ?

— Bill Jeffreys de nouveau. Il est super, mais pas aussi imaginatif que moi. Il n’a encore rien trouvé.

— Et comment ça se passe ? Avec Jeffreys, tous les jours ?

— Très bien. Pourquoi pas ?

Mike la couva du regard un instant, puis il se pencha vers elle d’un air inquiet.

— Je veux dire, tu es sûre que tu as les idées claires ? Tu es sûre que tu suis bien sa piste ? Ce que je veux dire c’est – quel criminel recherches-tu vraiment ?

Riley plissa les yeux, un peu surprise par le changement de sujet.

— Qu’est-ce que tu veux dire, « quel criminel » ? demanda-t-elle.

— Le nouveau ou l’ancien ?

Un silence s’installa entre eux.

— Je pense que tu es en fait venue pour parler de toi-même, dit Mike doucement. Je sais que tu as du mal à croire que Peterson est mort dans cette explosion.

Riley ne sut que dire. Elle ne s’attendait pas à ça. Elle ne s’attendait pas à ce que la conversation se retourne contre elle.

— Ça n’a rien à voir, dit Riley.

— Et tes médicaments, Riley ? demanda Mike.

Encore une fois, Riley ne répondit pas. Elle ne prenait plus ses tranquillisants depuis des jours. Elle ne voulait pas émousser sa concentration.

— Je ne suis pas sûre d’aimer le tour que prend cette conversation, dit Riley.

Mike but une gorgée de thé.

— Ton bagage émotionnel est lourd, dit-il. Tu as divorcé cette année et je sais que tu as des sentiments contradictoires à ce sujet. Et, bien sûr, tu as perdu ta mère de manière horrible et tragique il y a quelques années.

Riley s’empourpra, irritée. Elle ne voulait pas parler de ça.

— Nous avons parlé des circonstances de ton enlèvement, poursuivit Mike. Tu as repoussé tes limites. Tu as pris un gros risque. Tu t’es conduite de façon téméraire, même imprudente.

— J’ai fait sortir Marie, dit-elle.

— Et tu as payé le prix fort.

Riley prit une grande inspiration.

— Tu essayes de me dire que je l’ai mérité, dit-elle. Parce que mon mariage n’a pas marché, parce que ma mère a été tuée. Tu essayes de me dire que je me suis mise toute seule dans cette situation.

Mike lui adressa un sourire compatissant.

— Je dis que tu as besoin de te regarder dans un miroir. Demande-toi ce qui se passe dans ta tête.

Riley lutta pour reprendre son souffle et pour contenir ses larmes. Mike avait raison. Elle s’était déjà posé toutes ces questions – c’était pour cela que ça faisait si mal de les entendre. Mais elle avait ignoré ces pensées à demi immergées. Il était temps qu’elle se demande ce qui était vrai.

— Je faisais mon travail, Mike, dit-elle d’une voix étranglée.

— Je sais, dit-il. Rien de tout cela n’est de ta faute. Tu le sais ? C’est ça qui m’inquiète. On attire ce que l’on croit mériter. On crée les circonstances de notre propre vie.

Riley se leva, incapable d’en entendre davantage.

— Je n’ai pas été enlevée, Docteur, parce que je pensais le mériter, dit-elle. J’ai été enlevée parce qu’il y a des malades dans le monde.

*

Riley courut vers la sortie la plus proche et jusque dans la cour. C’était une belle journée d’été. Elle prit de longues inspirations pour se calmer, puis elle s’assit sur un banc et plongea sa tête dans ses mains.

À cet instant, son téléphone vibra.

Marie.

Son instinct lui souffla qu’il s’agissait d’un appel urgent.

Riley décrocha, mais seuls lui répondirent des hoquets convulsifs.

— Marie, demanda Riley, inquiète. Qu’est-ce qu’il y a ?

Pendant quelques minutes, Riley ne put entendre que des sanglots. Visiblement, Marie allait encore plus mal qu’elle.

— Riley, dit-elle enfin entre deux hoquets. Tu l’as trouvé ? Tu l’as cherché ? Quelqu’un l’a cherché ?

Le cœur de Riley manqua un battement. Bien sûr, Marie parlait de Peterson. Elle voulait s’assurer qu’il était bien mort, tué par l’explosion. Mais comment Riley pouvait-elle la convaincre, alors qu’elle-même avait des doutes ? Elle se rappela ce que lui avait dit l’agent Betty Richter à ce sujet.

Sûre à quatre-vingt-dix neuf pour cent.

Cette statistique n’avait apporté à Riley aucun réconfort. Et c’était la dernière chose que Marie voulait entendre ou avait besoin d’entendre.

 

— Marie, souffla Riley d’une voix misérable, je ne peux rien faire.

Marie poussa un gémissement de désespoir qui glaça Riley d’effroi.

— Oh mon Dieu, c’est bien lui ! s’écria-t-elle. Ça ne peut être personne d’autre.

Le cœur de Riley se mit à battre plus vite.

— De quoi tu parles, Marie ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

Les explications de Marie se bousculèrent à un rythme frénétique au bout du fil.

— Je t’ai dit qu’il m’appelait. J’ai coupé ma ligne de téléphone, mais il a trouvé mon numéro de portable. Il m’appelle tout le temps. Il ne dit rien. Il appelle et je l’entends respirer, mais je sais que c’est lui. Qui d’autre ? Et il est venu, Riley. Il est venu chez moi.

L’anxiété de Riley fit un bond.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda-t-elle.

— J’entends des bruits, la nuit. Il jette des choses contre ma porte et la fenêtre de ma chambre. Du gravier, je crois.

Le cœur de Riley se mit à battre la chamade quand elle pensa au gravier sur son perron. Était-il possible que Peterson soit encore en vie ? Elle et Marie étaient-elles encore en danger ?

Elle savait qu’elle devait choisir ses mots soigneusement. Marie semblait tout près de basculer dans un dangereux précipice.

— Je viens te voir, Marie, dit-elle, et je vais dire au Bureau de mener l’enquête.

Marie éclata d’un rire amer, désespéré et dur.

— Mener l’enquête ? répéta-t-elle. Oublie, Riley. Tu l’as dit toi-même. Tu ne peux rien faire. Tu ne vas rien faire. Personne ne va rien faire. Personne ne peut rien faire.

Riley monta dans sa voiture et mit le téléphone sur haut-parleur, pour pouvoir poursuivre la conversation tout en conduisant.

— Reste en ligne, dit-elle en démarrant sa voiture et en partant en direction de Georgetown. Je viens te voir.

Chapitre 21

Riley se débattit contre le trafic tout en essayant d’occuper Marie au téléphone. Elle traversa une intersection alors que le feu venait de passer au rouge. Elle roulait dangereusement et elle le savait. Que pouvait-elle faire d’autre ? Elle était dans sa propre voiture, pas dans un véhicule de fonction du FBI. Elle n’avait pas de gyrophare, ni de sirène.

— Je raccroche, Riley, dit Marie pour la cinquième fois.

— Non ! aboya Riley en ravalant un sanglot de désespoir. Reste en ligne, Marie.

La voix de Marie semblait de plus en plus lasse.

— Je n’en peux plus, dit-elle. Sauve ta vie tant qu’il est temps. Moi, je n’en peux plus. J’arrête. J’arrête maintenant.

Les poumons de Riley semblaient prêts à exploser sous l’effet de la panique. Que voulait dire Marie ? Qu’allait-elle faire ?

— Tu peux t’en sortir, Marie, dit Riley.

— Au revoir, Riley.

— Non ! hurla Riley. Attends. Attends ! C’est tout ce que je te demande. J’arrive tout de suite.

Elle roulait bien plus vite que les autres voitures et slalomait entre les couloirs comme une hystérique. Plusieurs fois, un autre automobiliste la klaxonna.

— Ne raccroche pas, ordonna Riley avec férocité. Tu m’entends ?

Marie ne répondit pas, mais Riley l’entendit sangloter.

Étrangement, ces sanglots semblaient rassurants à l’oreille de Riley. Au moins, Marie était toujours en ligne. Au moins, elle était au téléphone. Mais comment Riley pouvait-elle la retenir ? Elle savait que la pauvre femme plongeait dans un abysse de terreur primale, animale. Toute raison avait déserté le cerveau de Marie, qui semblait devenue folle de terreur.

Les propres souvenirs de Riley déferlaient dans sa tête. Des jours terribles passés dans un univers déserté par l’humanité, réduite à l’état d’une bête. Les ténèbres. L’impression que le monde extérieur disparaissait. La perte de la notion du temps.

Je dois me battre, pensa-t-elle.

Les souvenirs la submergèrent.

Sans rien à voir, sans rien à entendre, Riley tentait de raviver ses autres sens. Elle sentit le goût âcre de la peur au fond de sa gorge remonter dans sa bouche jusqu’à devenir un étrange tremblement électrique au bout de sa langue. Elle gratta sous ses doigts le parquet poussiéreux, explorant ses rainures humides. Elle renifla dans l’air l’odeur de moisissure et de mildiou.

Ces sensations, c’était tout ce qui la raccrochait au monde des vivants.

Et là, au milieu des ténèbres, surgit la lumière aveuglante et le grondement du chalumeau au propane de Peterson.

Un sursaut tira Riley de ses mauvais souvenirs. Elle mit une seconde avant de comprendre que la voiture venait de heurter le bord du trottoir et qu’elle menaçait de s’engager sur la mauvaise voie. Des coups de klaxons retentirent.

Riley reprit le contrôle de son véhicule et balaya les environs du regard. Elle n’était pas loin de Georgetown.

— Marie ! cria-t-elle. Tu es toujours là ?

Encore une fois, elle entendit un sanglot étouffé. Bien. Mais que pouvait faire Riley à présent ? Elle hésita. Elle pourrait appeler le FBI à Washington mais, le temps qu’elle explique le problème et qu’elle envoie des agents chez Marie, que pourrait-il se passer ? Et puis, cela voulait dire mettre fin à l’appel de Marie.

Il fallait qu’elle la garde au bout du fil, mais comment ?

Comment allait-elle tirer Marie hors de l’abysse ? L’abysse dans lequel elle-même était presque tombée.

Riley fouilla sa mémoire. Longtemps auparavant, elle avait suivi un stage sur les appels de crise. Elle n’avait jamais eu besoin d’utiliser ces connaissances. Elle lutta pour se rappeler ce qu’elle était censée faire. C’était si loin…

Une partie du stage lui revint en mémoire. Elle avait appris à faire n’importe quoi, dire n’importe quoi, pour garder l’interlocuteur en ligne. Si c’était insignifiant, si cela n’avait pas de sens, cela n’avait pas d’importance. Ce qui comptait, c’était que l’interlocuteur puisse entendre une voix humaine exprimer de la compassion.

— Marie, j’aimerais que tu fasses quelque chose pour moi, dit Riley.

— Quoi donc ?

Les pensées de Riley défilèrent à toute allure. Elle inventa à mesure qu’elle parlait :

— J’ai besoin de tu ailles dans ta cuisine, dit-elle. Tu vas me dire exactement quelles herbes aromatiques et quelles épices tu gardes dans ton étagère.

Marie resta silencieuse un long moment. Riley s’inquiéta. Marie était-elle dans l’état propice pour accepter de faire quelque chose d’aussi hors de propos ?

— Okay, dit Marie. J’y vais.

Riley poussa un soupir de soulagement. Peut-être que cela lui permettrait de gagner du temps. Elle pouvait entendre les bocaux s’entrechoquer à l’autre bout du fil. La voix de Marie avait l’air vraiment étrange, maintenant – hystérique et robotique à la fois.

— J’ai de l’origan séché. Et du piment rouge. Et de la noix de muscade.

— Très bien, dit Riley. Quoi d’autre ?

— Du thym sec. Et du gingembre moulu. Et du poivre noir en grain.

Marie s’interrompit. Comment Riley pouvait-elle prolonger l’expérience ?

— Tu as du curry en poudre ? demanda-t-elle.

Les bocaux s’entrechoquèrent à nouveau, puis Marie répondit :

— Non.

Riley donna une autre instruction lentement, comme si c’était une question de vie ou de mort – et c’était bien le cas.

— Attrape un morceau de papier et un stylo, dit-elle. Fais la liste. Tu en auras besoin quand tu iras faire les courses.

Riley l’entendit griffonner.

— Qu’est-ce que tu as d’autre ?

Une pause sinistre suivit ses mots.

— Ça ne va pas, Riley, dit Marie d’une voix engourdie par le désespoir.

Riley se mit à bégayer :

— Fais – fais-moi plaisir, okay ?

Un autre silence.

— Il est là, Riley.

Un nœud se referma sur la gorge de Riley.

— Il est où ?

— Il est dans la maison. Je comprends maintenant. Il a toujours été là. Tu ne peux rien y faire.

Le cerveau de Riley entra en ébullition : mais qu’est-ce qui se passait ? Marie était-elle en proie à un délire paranoïaque ? Riley luttait elle aussi avec le syndrome du stress post-traumatique. Elle ne comprenait que trop bien.

D’un autre côté, Marie disait peut-être la vérité.

— Comment tu le sais, Marie ? demanda Riley en guettant l’opportunité de dépasser un camion trop lent.

— Je l’entends, dit Marie. Je l’entends marcher. Il est à l’étage. Non, il est dans le couloir. Non, il est à la cave.

Elle est en train d’halluciner ? se demanda Riley.

C’était tout à fait possible. Riley, elle aussi, avait entendu toutes sortes de bruits imaginaires au cours des jours qui avaient suivi son enlèvement. Encore récemment, elle ne faisait pas entièrement confiance à ces cinq sens. Un traumatisme pouvait jouer de terribles tours à l’imagination.

— Il est partout dans la maison, dit Marie.

— Non, répondit Riley d’un ton ferme. Il ne peut pas être partout.

Riley parvint à dépasser un camion de livreur qui se traînait. Une impression de futilité la balayait comme une série de vagues. Ce n’était pas un sentiment agréable. Le sentiment de se noyer.

Quand Marie parla à nouveau, elle ne pleurait plus. Elle avait l’air résigné, voire mystérieusement paisible.

— Peut-être que c’est un fantôme, Riley. Peut-être que c’est ce qui s’est passé quand tu l’as fait exploser. Tu as tué son corps, mais tu n’as pas tué sa méchanceté. Maintenant, il peut être dans plusieurs endroits à la fois. On ne peut plus l’arrêter. Plus jamais. On ne peut pas se battre contre un fantôme. Abandonne, Riley. Tu ne peux rien faire. Moi non plus. Tout ce que je peux faire, c’est m’assurer qu’il ne me fera plus rien.

— Ne raccroche pas ! J’ai besoin que tu fasses autre chose pour moi.

Il y eut un silence. Puis Marie demanda :

— Quoi ? Quoi maintenant, Riley ?

— J’ai besoin que tu restes en ligne, mais j’ai aussi besoin que tu appelles la police avec ton téléphone fixe.

La voix de Marie grogna au bout du fil :

— Mais enfin, Riley. Combien de fois dois-je te répéter que j’ai coupé ma ligne de téléphone ?

Dans la confusion, Riley avait oublié. Marie semblait un peu irritée. Tant mieux. La colère valait mieux que la panique.

— En plus, poursuivit Marie, pourquoi j’appellerais la police ? Qu’est-ce qu’ils peuvent faire ? Personne ne peut m’aider. Il est partout. Il va m’attraper, un jour ou l’autre. Et toi aussi. On ferait mieux d’abandonner, toi et moi.

Riley ne trouvait plus d’issue. Le délire de Marie suivait sa propre logique. Une logique implacable. Riley n’avait pas le temps de la convaincre que Peterson n’était pas un fantôme.

— On est amies, n’est-ce pas, Marie ? dit enfin Riley. Tu m’as dit un jour que tu ferais n’importe quoi pour moi. C’était vrai ?

Marie se remit à pleurer.

— Bien sûr que c’est vrai.

— Alors raccroche et appelle la police. Tu n’as pas besoin d’une bonne raison. S’ils ne t’aident pas, ça n’a pas d’importance. Fais-le parce que je te le demande.

Un long silence suivit ces mots. Riley pouvait entendre Marie respirer contre le combiné.

— Je sais que tu veux abandonner, Marie. Je comprends. C’est ton choix. Mais, moi, je ne veux pas abandonner. Peut-être que c’est idiot, mais je ne veux pas. C’est pour ça que je te demande d’appeler la police. Parce que tu m’as dit que tu ferais n’importe quoi pour moi. Et c’est ça que je veux que tu fasses. J’ai besoin que tu le fasses. Fais-le pour moi.

Le silence s’étirait au bout du fil. Marie était-elle toujours là ?

— Tu me le promets ?

Un bip termina l’appel. Que Marie décide ou non d’appeler à l’aide, Riley ne pouvait rien laisser au hasard. Elle composa le numéro d’urgence.

— Agent spécial Riley Paige, FBI, à l’appareil, dit-elle quand l’opérateur répondit. Je vous appelle pour signaler la présence possible d’un intrus chez une femme. Quelqu’un d’extrêmement dangereux.

Riley donna à l’opérateur l’adresse de Marie.

— Nous envoyons une équipe, dit l’opérateur.

— Bien, dit Riley avant de raccrocher.

Elle appela à nouveau Marie, mais personne ne décrocha.

Quelqu’un doit arriver à temps, pensa-t-elle. Quelqu’un doit arriver tout de suite.

 

Alors qu’elle conduisait, elle devait également lutter contre le flot renouvelé de ses souvenirs les plus sombres. Il fallait qu’elle se ressaisisse. Quoi qu’il se passe, elle allait avoir besoin de toute sa concentration.

Quand la maison en briques rouges de Marie apparut au bout de la rue, le cœur de Riley se mit à battre plus vite. Aucun véhicule d’urgence n’était encore arrivé. Elle entendit les sirènes de police rugir au loin. Ils étaient en route.

Riley se gara en double file et se précipita vers la porte d’entrée, en réalisant soudain qu’elle était la première sur les lieux. Quand elle tourna la poignée, la porte s’ouvrit. Mais pourquoi n’était-elle pas fermée ?

Elle fit un pas à l’intérieur et tira son arme.

— Marie ! appela-t-elle. Marie !

Pas de réponse.

Riley sut aussitôt que quelque chose de terrible était arrivé ici – ou se passait à l’instant même. Elle s’enfonça dans le couloir du vestibule.

— Marie ! appela-t-elle à nouveau.

La maison demeura silencieuse.

Les sirènes de police se rapprochaient, mais aucune assistance n’était encore là.

Riley commençait à craindre le pire à présent – que Peterson était venu et qu’il était toujours là.

Elle parcourut le couloir faiblement éclairé, sans cesser d’appeler le nom de Marie, en examinant toutes les portes. Se trouvait-il dans le placard à gauche ? Et la salle de bain à droite ?

Si elle se retrouvait nez à nez avec Peterson, elle ne le laisserait pas l’emmener une seconde fois.

Elle tuerait ce connard une bonne fois pour toutes.