Tasuta

Sans Laisser de Traces

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Märgi loetuks
Sans Laisser de Traces
Sans Laisser de Traces
Tasuta audioraamat
Loeb Elisabeth Lagelee
Lisateave
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Chapitre 12

— April ! cria Riley. April !

Elle courut à la salle de bain et jeta un coup d’œil. Sa fille n’était pas là non plus.

Elle traversa la maison en ouvrant toutes les portes sur son passage, fouillant toutes les pièces, tous les placards. April n’était nulle part.

— April ! cria-t-elle à nouveau.

Riley reconnut le goût amer de la bile dans sa bouche. C’était le goût de la terreur.

Enfin, dans la cuisine, elle renifla dans l’air une odeur étrange qui s’insinuait dans la pièce par une fenêtre ouverte. Une odeur familière de ses années étudiantes. Sa terreur décrût immédiatement, remplacée par un agacement teinté de tristesse.

— Oh, merde, murmura Riley submergée par le soulagement.

Elle ouvrit la porte à toute volée. Dans la lumière du petit matin, elle aperçut sa fille, encore en pyjama, assise à la table de jardin. April semblait penaude.

— Qu’est-ce que tu veux, Maman ? demanda-t-elle.

Riley traversa la terrasse, son bras tendu devant elle, paume ouverte.

— Donne-le moi, dit-elle.

April tenta maladroitement de prendre l’air innocent.

— Te donner quoi ? demanda-t-elle.

La voix de Riley ne montrait rien de sa colère et, surtout, rien de sa tristesse.

— Le joint que tu es en train de fumer, dit-elle. Et, s’il te plait, ne me mens pas.

— Tu es folle, dit April en faisant de son mieux pour avoir l’air indigné. Je ne fumais rien du tout. Tu m’accuses toujours de n’importe quoi, tu t’en rends compte, Maman ?

Riley remarqua que sa fille se tenait penchée vers l’avant d’une façon qui semblait peu naturelle.

— Soulève ton pied, dit-elle.

— Quoi ? dit April en feignant l’incompréhension.

Riley pointa du doigt le pied suspect.

— Soulève ton pied.

April poussa un grognement sonore et obéit. Bien sûr, sa pantoufle recouvrait un joint de marijuana fraîchement écrasé. Une volute de fumée s’en échappait et l’odeur était à présent plus forte que jamais.

Riley se baissa pour l’attraper.

— Maintenant, donne-moi le reste.

April haussa les épaules.

— Le reste de quoi ?

Riley luttait à présent pour parler d’une voix ferme.

— April, je ne plaisante pas. Ne me mens pas. S’il te plait.

April leva les yeux au ciel et plongea la main dans la poche de son haut de pyjama. Elle en tira un joint qui n’avait pas encore été allumé.

— Et puis merde, voilà, dit-elle en le tendant à sa mère. N’essaye pas de me faire croire que tu ne vas pas le fumer toi-même dès que t’en auras l’occasion.

Riley plongea les deux joints dans sa poche de robe de chambre.

— Tu as quoi d’autre ? demanda-t-elle.

— C’est tout. Tout ce que j’ai, grogna April. Tu me crois pas ? Ben, vas-y, fouille-moi. Fouille ma chambre. Fouille. C’est tout ce que j’ai.

Riley tremblait maintenant de tous ses membres. Elle luttait contre ses émotions.

— Où as-tu eu ça ? demanda-t-elle.

April haussa les épaules.

— Cindy me les a donnés.

— Qui est Cindy ?

April éclata d’un rire cynique.

— Comment tu le saurais, hein, Maman ? C’est pas comme si tu t’intéressais beaucoup à ma vie. Et pourquoi tu veux savoir ? Quelle différence ça te fait, à toi, que je me défonce ?

Ces mots sonnèrent Riley. April tapait là où ça faisait mal, et cela faisait mal. Riley ne put retenir ses larmes plus longtemps.

— April, pourquoi tu me détestes ? s’écria-t-elle.

April parut soudain surprise, mais pas vraiment honteuse.

— Je ne te déteste pas, Maman.

— Alors pourquoi tu me punis ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?

Le regard de April fixa le vide.

— Peut-être que tu devrais y réfléchir, Maman.

Elle se leva du banc et rentra dans la maison.

Riley déambula à travers la cuisine, en sortant des placards, d’un geste mécanique, tout ce dont elle avait besoin pour préparer le petit déjeuner. En posant les œufs et le bacon sur la table, elle se demanda ce qu’elle pouvait bien faire. Il fallait qu’elle punisse April. Mais comment ?

Pendant son congé, Riley avait été en mesure de garder les comptes, concernant April. Mais tout était différent maintenant. Riley travaillait de nouveau et son emploi du temps était imprévisible. Apparemment, sa fille aussi.

Riley rumina les différentes options en déposant les tranches de bacon dans la poêle pour les faire rissoler. Elle n’était sûre que d’une chose : comme April allait passer beaucoup de temps chez son père, Riley était obligée de dire à Ryan ce qui s’était passé. Cependant, cela ne ferait qu’ouvrir un autre monde de problèmes. Ryan était déjà convaincu que Riley était incompétente en tant que mère et en tant qu’épouse. Si Riley lui révélait qu’elle avait surprise April en train de fumer un joint dans le jardin, cela ne ferait que renforcer ses convictions.

Et peut-être qu’il a raison, pensa-t-elle d’un air misérable en poussant deux tranches de pain dans le grille-pain.

Jusqu’à présent, Riley et Ryan avaient réussi à éviter une bataille juridique pour la garde de April. Bien que Ryan ne l’ait jamais admis, elle savait qu’il aimait trop sa liberté de célibataire pour s’embarrasser d’une adolescente. Il n’avait pas eu l’air emballé quand Riley lui avait dit que April passerait plus de temps avec lui.

Mais elle savait également que l’attitude de son ex-mari pouvait changer très rapidement, surtout s’il avait la possibilité de tout mettre sur le dos de Riley. S’il apprenait que April avait fumé un joint, il essayerait peut-être de l’arracher à Riley. Cette pensée était insupportable.

Quelques minutes plus tard, Riley et sa fille mangeaient le petit-déjeuner. Le silence était encore plus lourd que d’habitude.

Enfin, April demanda :

— Tu vas le dire à papa ?

— Tu crois que je devrais ? répondit Riley.

Cela semblait une réponse honnête, étant donné les circonstances.

April baissa la tête d’un air inquiet.

Puis elle supplia ;

— S’il te plait, ne le dis pas à Gabriela.

Les mots frappèrent Riley en plein cœur. April était plus soucieuse de l’opinion de la bonne que de celle de son père – ou de celle de sa propre mère.

Les choses vont si mal que ça, pensa Riley misérablement.

Les derniers précieux fragments de sa vie de famille se désintégraient sous les yeux de Riley. Elle eut soudain l’impression qu’elle n’était plus que l’ombre d’une mère. Ryan pensait-il la même chose de son rôle de père ?

Sans doute pas. Ryan n’était pas du genre à culpabiliser. Elle lui enviait parfois son indifférence émotionnelle.

Après le petit-déjeuner, alors que April se préparait pour l’école, un silence tomba sur la maison et Riley se remit à penser, de manière presque obsessive, à l’autre chose qui était arrivée ce matin – si c’était arrivé. Qu’est-ce qui avait bien pu causer ce bruit contre la porte d’entrée ? Avait-elle bien entendu ? D’où venaient ces gravillons ?

Elle se rappela la panique de Marie, les étranges coups de téléphone qu’elle aurait reçus. Une terreur monta en elle, presque incontrôlable. Elle sortit son portable et appela un numéro familier.

— Betty Richter, FBI, département de la médecine légale, répondit courtoisement une voix.

— Betty, c’est Riley Paige, dit Riley en avalant sa salive. Je pense que vous savez pourquoi je vous appelle.

Après tout, Riley avait appelé ce numéro tous les deux ou trois jours, ces dernières six semaines, toujours pour la même raison. L’agent Richter avait été responsable de l’affaire Peterson et Riley brûlait d’envie de refermer enfin ce chapitre.

— Vous voulez savoir si Peterson est vraiment mort, dit Betty d’un ton compatissant.

Betty était un trésor de patience, de compréhension et de bonne humeur. Riley était soulagée de pouvoir l’appeler.

— Je sais, c’est ridicule.

— Après ce que vous avez vécu ? dit Betty. Non, je ne crois pas. Mais je n’ai rien de nouveau à vous dire. La même chose que d’habitude. Nous avons trouvé le corps de Peterson. Bien sûr, il était calciné, mais la taille et la corpulence correspondaient. Ça n’aurait pas pu être quelqu’un d’autre.

— Vous êtes sûre ? Donnez-moi un pourcentage.

— Je dirais : sûre à quatre-vingt-dix-neuf pour cent.

Riley prit une profonde inspiration.

— Vous ne pouvez pas aller jusqu’à cent ? demanda-t-elle.

Betty soupira.

— Riley, quel que soit le sujet, je ne pourrais jamais vous dire que je suis sûre à cent pour cent. Personne ne peut faire ça. Personne n’est sûr à cent pour cent que le soleil va se lever demain matin. Un astéroïde géant pourrait très bien s’écraser sur la terre pendant la nuit, et nous serions tous morts.

Riley gloussa tristement.

— Merci. Maintenant, je vais plutôt m’inquiéter au sujet des astéroïdes, dit-elle.

Betty rit à son tour.

— De rien, dit-elle. Ravie d’avoir pu vous aider.

— Maman ? appela April qui était prête à partir.

Riley raccrocha, un peu moins démoralisée, et se prépara à partir. Après avoir déposé April, elle avait accepté de passer chercher Bill. Il fallait qu’ils interrogent le suspect identifié la veille.

Riley avait le pressentiment qu’il pouvait bien être le tueur sauvage qu’ils recherchaient.

Chapitre 13

Riley coupa le moteur et resta assise un instant devant la maison de Bill, en admiration devant son pavillon à deux étages. Elle s’était toujours demandée comment il faisait pour garder une pelouse si verte et des arbustes si bien taillés. La vie du ménage était peut-être en déroute, mais il savait sauvegarder les apparences : la maison semblait parfaitement à sa place dans cette banlieue résidentielle. Riley ne put s’empêcher de se demander à quoi ressemblaient les jardins de l’autre côté des maisons, dans cette communauté si proche de Quantico.

 

Bill sortit du pavillon. Sa femme, Maggie, apparut derrière lui et lança un regard féroce en direction de Riley qui détourna le sien.

Bill referma la portière de la voiture d’un coup sec.

— Allez, on se casse d’ici, grogna-t-il.

Riley tourna la clef de contact et descendit du trottoir.

— Je suppose que ça ne se passe pas très bien à la maison, dit-elle.

Bill secoua la tête.

— On s’est disputés quand je suis rentré tard hier soir. Ça a recommencé ce matin.

Il se tut un moment, avant d’ajouter d’une voix sombre :

— Elle recommence à parler de divorce. Et elle veut la garde des garçons.

Riley hésita, puis elle osa poser la question qui la préoccupait :

— Et je fais partie du problème ?

Bill resta silencieux.

— Ouais, admit-il enfin. Elle n’était pas très contente d’apprendre qu’on travaille de nouveau ensemble. Elle dit que tu déteins sur moi.

Riley ne sut que dire. Bill ajouta :

— Elle dit que c’est pire quand je travaille avec toi. Que je suis encore plus distrait, encore plus obsédé par mon travail.

C’est la vérité, pensa Riley. Elle et Bill étaient tous deux obnubilés par leur travail.

Un silence tomba à nouveau sur la voiture. Au bout de quelques minutes, Bill ouvrit son ordinateur portable.

— J’ai des infos supplémentaires sur le gars que nous allons interroger. Ross Blackwell.

Il balaya l’écran des yeux.

— Un délinquant sexuel fiché, ajouta-t-il.

La lèvre supérieure de Riley se retroussa de dégoût.

— Quelles charges ?

— Possession de pornographie juvénile. Il a été suspecté de plus que ça, mais rien n’a jamais été prouvé. Il est dans la base de données, mais il ne fait l’objet d’aucune restriction. C’était il y a dix ans et la photo est assez vieille.

Malin, pensa-t-elle. Difficile à piéger.

Bill poursuivit sa lecture.

— Licencié plusieurs fois pour des raisons assez vagues. La dernière fois, il travaillait pour une chaîne de magasins dans un grand centre commercial, à Beltway – pas une boutique spécialisée, un magasin général qui cible des familles avec enfants. Quand il ont surpris Blackwell en train de positionner des poupées dans des positions à caractère sexuel, ils l’ont viré et l’ont dénoncé.

— Un homme avec un penchant pour les poupées et pour la pornographie juvénile, marmonna Riley.

Jusque là, Ross Blackwell correspondait au profil qu’elle commençait à assembler.

— Et maintenant ? demanda-t-elle.

— Il travaille dans une boutique de loisirs et de modélisme, répondit Bill. Une autre chaîne de magasins, dans un autre centre commercial.

La nouvelle surprit Riley.

— Les gérants n’ont pas eu connaissance de son dossier avant de l’embaucher ?

Bill haussa les épaules.

— Peut-être qu’ils s’en fichent. Ses intérêts ont l’air purement hétérosexuel. Peut-être qu’ils pensent qu’il ne fera rien de louche dans un endroit qui vend des voitures, des trains et des avions miniatures.

Un frisson parcourut Riley. Comment ce type avait-il pu retrouver du travail ? Il avait déjà tout du tueur. Comment pouvait-on le laisser aller librement au milieu des plus vulnérables ?

Enfin, ils s’extirpèrent du trafic incessant de Sanfield. Aux yeux de Riley, cette banlieue de Washington avait toutes les caractéristiques d’une « ville de périphérie », peuplée de centres commerciaux et de sièges d’entreprise. Un endroit sans âme, artificiel et déprimant.

Elle se gara devant un immense centre commercial. Pendant un instant, elle resta assis derrière son volant et fixa du regard la vieille photographie de Blackwell sur l’écran de l’ordinateur de Bill. Il n’y avait aucun signe distinctif sur ce visage, juste un homme blanc aux cheveux noirs et à l’expression insolente. Maintenant, il devait avoir la cinquantaine.

Ils sortirent de la voiture et traversèrent le temple des consommateurs, jusqu’à apercevoir la boutique de modélisme.

— Je ne veux pas qu’il nous échappe, dit Riley. Et s’il nous voit et décampe ?

— On devrait pouvoir le coincer à l’intérieur, répondit Bill. On l’immobilise et on fait sortir les clients.

Riley posa la main sur son arme.

Pas encore, se dit-elle. Ne provoque pas une vague de panique si tu peux l’éviter.

Elle resta debout un moment, à regarder les clients aller et venir, entrer puis sortir de la boutique. L’un d’eux était-il Blackwell ? Et s’il s’était déjà échappé ?

Riley et Bill passèrent la porte. Une reproduction détaillée d’une petite ville, dans laquelle un train circulait et des feux de circulation clignotaient, mangeait l’espace. Des maquettes d’avion pendaient au plafond. Pas une poupée en vue.

Plusieurs employés travaillaient dans le magasin, mais pas un ne correspondait à l’idée que Riley se faisait de Blackwell.

— Je ne le vois pas, dit Riley.

Au comptoir, Bill demanda :

— Ross Blackwell travaille bien ici ?

L’homme à la caisse hocha la tête et pointa le doigt vers un présentoir de modèles réduits. Un homme trapu et replet aux cheveux grisonnants était en train de trier la marchandise. Il leur tournait le dos.

Riley porta la main à son arme une nouvelle fois, mais sans la sortir de son étui. Elle et Bill se déployèrent pour parer à une éventuelle tentative d’évasion.

Son cœur se mit à battre plus vite lorsqu’elle s’approcha de lui.

— Ross Blackwell ? demanda-t-elle.

L’homme fit volte-face. Il portait d’épaisses lunettes et son ventre dépassait par-dessus sa ceinture. Riley fut surtout frappée par la pâleur anémique de sa peau. Il était peu probable que l’homme cherche à courir, mais il correspondait parfaitement à l’idée que Riley se faisait d’un pervers.

— Ça dépend, répondit Blackwell avec un large sourire. Pourquoi faire ?

Riley et Bill dégainèrent leurs badges.

— Ooh, les Fédéraux, hein ? dit Blackwell d’un air presque ravi. C’est nouveau. J’ai plutôt l’habitude des polices locales. J’espère que vous n’êtes pas là pour m’arrêter. Parce que je pensais vraiment que tous ces malentendus faisaient partie du passé.

— Nous aimerions vous poser quelques questions, dit Bill.

Blackwell esquissa un sourire grimaçant et pencha la tête d’un air interrogateur.

— Quelques questions, hein ? Eh bien, je connais la Déclaration des droits plus ou moins par cœur. Je n’ai pas à vous parler si je n’en ai pas envie. Mais, allez, pourquoi pas ? Ce serait peut-être même marrant. Si vous me payez un café, je répondrai.

Blackwell se dirigea vers le comptoir, suivi de près par Riley et Bill. Riley restait en alerte, prête à bloquer toute tentative d’évasion.

— Je fais une pause café, Bernie, dit Blackwell à l’homme de la caisse.

Riley vit à l’expression de Bill qu’il se demandait s’ils avaient trouvé le bon gars. Elle comprenait pourquoi. Une visite du FBI ne semblait provoquer chez Blackwell pas la moindre émotion. En fait, il avait même l’air plutôt content.

Cependant, aux yeux de Riley, cela ne faisait que le rendre encore plus amoral et sociopathe. Certains tueurs en série parmi les plus vils de l’histoire étaient connus pour leur charme et leur assurance. La dernière chose que Riley attendait du tueur, c’était bien qu’il se sente coupable.

L’aire de restauration n’était pas loin. Blackwell conduisit immédiatement Riley vers le comptoir d’un café. S’il était nerveux à l’idée d’être escorté par deux agents du FBI, il n’en montrait aucun signe.

Une petite fille qui trottinait derrière sa mère trébucha et chuta juste devant eux.

— Oups ! s’écria joyeusement Blackwell en soulevant la petite pour l’aider à se relever.

La mère lança un mot de remerciement, avant de s’éloigner en tenant sa fille par la main. Riley vit Blackwell lorgner les jambes nues de la petite fille sous sa jupe courte et sentit son estomac se nouer. Sa suspicion ne fit que croître.

Elle saisit violemment le bras de Blackwell, mais il lui lança un regard de surprise et d’innocence. Elle le lâcha.

— Commandez votre café, dit-elle en montrant le comptoir du menton.

— Je voudrais un cappuccino, dit Blackwell à la jeune femme derrière la caisse. Ces jeunes gens vont payer.

Puis, en se tournant vers Bill et Riley, il demanda :

— Qu’est-ce que vous prenez ?

— Rien, ça va, dit Riley.

Bill régla la note et tous trois se dirigèrent vers une table isolée.

— Okay, qu’est-ce que vous voulez savoir ? demanda Blackwell.

Il semblait détendu et amical.

— J’espère que vous n’êtes pas là pour me faire la morale, comme les policiers que je connais. Les gens sont vraiment fermés d’esprit, de nos jours.

— Fermés à l’idée de voir des poupées dans des positions obscènes ? demanda Bill.

Blackwell eut l’air sincèrement blessé par ces mots.

— Vous dites ça comme si c’était sale, dit-il. Il n’y avait rien d’obscène. Tenez, voyez vous-mêmes.

Blackwell sortit son téléphone portable et entreprit de faire défiler des photos de son travail. Certaines représentaient de véritables scènes pornographiques à l’intérieur de maisons de poupées. Les petites figurines étaient plus ou moins déshabillées. Elles étaient disposées de façon imaginative, en groupes et dans des positions diverses, à travers les pièces. La diversité des activités sexuelles représentées sur ces photos laissa Riley perplexe – certaines devaient être illégales dans plusieurs états.

Moi, ça m’a l’air obscène…, pensa-t-elle.

— C’est une forme de satyre, expliqua Blackwell. C’est mon regard sur la société. Nous vivons dans une ère matérialiste et vulgaire. Quelqu’un doit protester. J’utilise ma liberté d’expression d’une façon parfaitement responsable. Je n’en abuse pas. Ce n’est pas comme si je hurlais « au feu » dans un cinéma bondé.

Riley remarqua que Bill s’impatientait.

— Et les petits enfants qui sont tombés sur vos scénettes ? demanda Bill. Vous ne pensez pas que vous leur avez fait du mal ?

— Non, en fait, je ne pense pas, dit Blackwell d’un air suffisant. Ils tombent sur des images bien pires dans les médias. L’innocence de l’enfance, c’est une chose qui n’existe plus. Voilà ce que j’essayais de dire au monde. Ça me brise le cœur, vraiment.

Il a vraiment l’air de le penser, se dit Riley.

Mais il était évident à ses yeux que ce n’était pas le cas. Ross Blackwell n’avait aucun sens moral et aucune empathie. Riley suspectait sa culpabilité chaque seconde un peu plus.

Elle tenta de lire son visage. Ce n’était pas facile. Comme tous les vrais sociopathes, il masquait ses émotions avec brio.

— Dites-moi, Ross, dit-elle. Aimez-vous la nature ? Je veux dire camper et pêcher.

Le visage de Blackwell s’éclaira d’un large sourire.

— Oh ouais. Depuis que je suis tout petit. J’étais Eagle Scout dans le temps. Parfois, je pars tout seul pendant plusieurs semaines. Je devais être Daniel Boone dans une vie antérieure, c’est ce que je me dis parfois.

Riley demanda :

— Vous aimez chasser, aussi ?

— Bien sûr, tout le temps, dit-il avec enthousiasme. J’ai plein de trophées à la maison. Vous savez, des têtes d’élan et de chevreuil. Je les monte moi-même. J’ai un vrai talent pour la taxidermie.

Riley plissa les yeux.

— Des endroits favoris ? Des forêts, je veux dire. Des parcs nationaux.

Blackwell se frotta le menton d’un air rêveur.

— Je vais beaucoup au Yellowstone, dit-il. Je suppose que c’est mon préféré. Bien sûr, difficile de faire mieux que le Great Smoky Mountains. Le Yosemite aussi. Pas facile de choisir.

Bill l’interrompit :

— Et le Mosby State Park ? Ou peut-être ce parc national près de Daggett ?

Blackwell eut soudain l’air méfiant.

— Pourquoi voulez-vous savoir ça ? demanda-il, visiblement mal à l’aise.

 

Riley sentit que c’était le moment de vérité – ou son contraire. Elle plongea la main dans son sac et en sortit les photos des victimes, prises alors que les jeunes femmes étaient encore en vie.

— Reconnaissez-vous ces femmes ? demanda-t-elle.

Les yeux de Blackwell s’écarquillèrent d’un air inquiet.

— Non, dit-il d’une voix tremblante. Je ne les ai jamais vues de ma vie.

— Vous êtes sûr ? insista Riley. Peut-être que leurs noms vont vous rafraîchir la mémoire. Reba Frye. Eileen Rogers. Margaret Geraty.

Blackwell semblait maintenant au bord de la panique.

— Non, dit-il. Je ne les ai jamais vues. Jamais entendu leurs noms.

Riley l’étudia un long moment. Enfin, elle comprit la situation. Elle sut tout ce qu’elle avait besoin de savoir sur Ross Blackwell.

— Merci de votre temps, Ross, dit-elle. Nous vous contacterons si nous avons besoin d’autre chose.

Bill la dévisagea d’un air abasourdi en la suivant à travers le centre commercial.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? grogna-t-il. Mais à quoi tu penses ? Il est coupable et il sait qu’on le suspecte. On ne peut pas le quitter des yeux avant d’avoir trouvé un moyen de l’arrêter.

Riley laissa échapper un soupir d’impatience.

— Penses-y, Bill, dit-elle. Tu as vu comme il était pâle ? Pas la moindre tâche de rousseur. Ce type n’a jamais passé un seul jour de sa vie dans la nature.

— Alors, il n’est pas Eagle Scout ?

Riley gloussa.

— Non, dit-elle. Et je peux t’assurer qu’il n’est jamais allé au Yellowstone, au Yosemite ou au parc des Great Smoky Mountains.

Bill eut soudain l’air très embarrassé.

— Il m’a vraiment mené en bateau, dit Bill.

Riley hocha la tête.

— Bien sûr, dit-elle. C’est un très bon menteur. Il peut faire croire n’importe quoi à n’importe qui. Et il adore ça. Il ment dès qu’il en a l’occasion. Plus c’est gros, mieux c’est.

Elle se tut un instant.

— Le problème, ajouta Riley, c’est qu’il ne sait pas dire la vérité. Il manque d’entraînement. Il perd son sang-froid quand il essaye.

Bill marcha silencieusement à ses côtés, en tâchant d’assimiler les informations.

— Alors, ce que tu est en train de me dire… ? commença-t-il.

— Il disait la vérité à propos des femmes, Bill. C’est pour ça qu’il avait l’air si coupable. La vérité ressemble à un mensonge quand elle sort de sa bouche. Il n’avait vraiment jamais vu ces femmes de sa vie. Je ne dis pas qu’il n’est pas capable de tuer. Il en est sans doute capable. Mais, ces meurtres-là, ce n’est pas lui.

Bill grommela dans sa barbe.

— Putain, dit-il.

Riley resta silencieuse jusqu’au parking. C’était un sérieux contretemps. Plus elle y réfléchissait, plus elle s’inquiétait. Le vrai tueur était là, dehors, et ils n’avaient toujours pas la moindre idée de son identité. Elle savait – elle savait qu’il allait tuer de nouveau très bientôt.

L’incapacité de Riley à boucler cette affaire lui causait une grande frustration. Alors qu’elle se creusait la tête, elle comprit soudain à qui elle avait besoin de parler. Tout de suite.