Un Plat Qui se Mange Froid

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CHAPITRE SIX

Blaine Hildreth fendit la foule, en proie à des émotions contradictoires. Il avait aperçu Riley Paige quand elle s’était levée pour applaudir. Elle semblait toujours aussi vive et il s’était dirigé vers elle sans réfléchir à la mi-temps. Quand elle se tourna vers lui, il ne sut pas lire l’expression de son visage.

Avait-elle envie de le voir ?

Et lui ? Que ressentait-il ?

Blaine ne put s’empêcher de penser à l’épreuve qu’il avait traversée deux mois plus tôt…

Il était assis dans son salon quand il avait entendu du vacarme dans la maison d’à côté.

Il s’était précipité chez Riley. Il avait trouvé la porte d’entrée entrouverte.

En faisant irruption à l’intérieur, il était tombé sur une scène de cauchemar.

Un homme attaquait April, la fille de Riley. L’homme avait jeté April au sol. Elle se débattait avec les poings.

Blaine s’élança et repoussa l’agresseur. Il lutta avec lui au sol quelques instants dans l’espoir de le maîtriser.

Blaine était plus grand que lui, mais pas nécessairement plus fort ou plus agile.

La plupart de ses coups de poing ne touchaient pas leur cible. Ceux qui touchaient l’homme ne semblaient pas faire beaucoup de dégâts.

Soudain, l’homme plia Blaine en deux d’un uppercut à l’estomac. Le souffle coupé, Blaine bascula.

Puis l’agresseur lui donna un coup de pied dans la figure…

…et tout était devenu noir.

Blaine s’était réveillé à l’hôpital.

En approchant de Riley, Blaine ne put s’empêcher de trembler, secoué par ses souvenirs.

Il fit de son mieux pour ne pas le montrer.

Que ferait-il quand il arriverait devant elle ? Il lui paraissait ridicule de lui serrer la main. Et s’il la prenait dans ses bras ?

Il vit que Riley était rouge d’embarras. Elle non plus ne savait que faire.

— Salut, Blaine, dit-elle.

— Salut.

Ils se fixèrent longuement du regard, puis pouffèrent pour se moquer de leur propre gêne.

— Nos deux filles se débrouillent bien, dit Riley.

— La tienne surtout, répondit Blaine.

Le but d’April l’avait beaucoup impressionné.

— Tu es venu avec quelqu’un ? demanda Riley.

— Non, et toi ?

— Avec Jilly, dit Riley. Tu ne la connais pas, je crois. Jilly… Eh bien, c’est une longue histoire.

Blaine hocha la tête.

— J’en ai entendu parler par ma fille, dit-il. C’est très bien, ce que tu fais pour elle.

Blaine se rappela autre chose que lui avait dit Crystal. Riley essayait de recoller les morceaux avec son ex-mari. Blaine se demanda si ça marchait. Ryan n’était pas venu au match.

Un peu timidement, Riley dit :

— Ecoute, on est assises en haut. On a de la place. Tu veux venir regarder le match avec nous ?

Blaine sourit.

— Avec plaisir.

Ils escaladèrent les gradins jusqu’au sommet. Une gamine sourit de toutes ses dents à l’approche de Riley, mais elle n’eut pas l’air content de voir Blaine avec elle.

— Jilly, voilà mon ami Blaine, dit Riley.

Sans un mot, Jilly se leva et commença à descendre.

— Reste avec nous, Jilly, dit Riley.

— Je vais plutôt m’asseoir avec mes amis, dit Jilly sans se retourner. Je vais trouver une petite place.

Riley eut l’air choqué et interloqué.

— Je suis désolée, dit-elle à Blaine. Ce n’est pas très sympa de sa part.

— Ce n’est rien, dit Blaine.

Riley soupira quand ils s’assirent tous les deux.

— Non, ce n’est pas rien, dit-elle. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas rien. Jilly m’en veut de m’assoir avec un autre homme que Ryan. Il est revenu s’installer avec nous et elle est très attachée à lui.

Riley secoua la tête.

— Maintenant, Ryan repart, dit-elle. Je ne l’ai pas encore annoncé aux filles. Je n’ai pas eu le courage. Elles vont être bouleversées.

Blaine fut un peu soulagé de savoir que Ryan appartenait au passé. Il avait déjà rencontré une ou deux fois le très bel ex-mari de Riley et son arrogance lui avait déplu. De plus, il espérait que Riley était libre.

Il n’était pas très fier de réagir comme ça.

Le jeu reprit. April et Crystal jouaient très bien toutes les deux. Blaine et Riley applaudissaient et les encourageaient.

Cependant, Blaine ne cessait de penser à la dernière fois qu’il avait vu Riley. Il venait juste de rentrer de l’hôpital. Il avait frappé à sa porte pour lui annoncer qu’ils déménageaient. Blaine lui avait donné une excuse bidon, en lui racontant qu’il trouvait son ancienne maison trop loin de son restaurant.

Il avait essayé de lui faire croire que ce n’était pas grave.

« C’est comme si rien ne changeait. » lui avait-il dit.

Ce n’était pas vrai, évidemment, et Riley n’y avait pas cru.

Elle n’avait pas apprécié.

C’était peut-être le moment d’aborder le sujet.

D’une voix hésitante, il dit :

— Ecoute, Riley, je suis désolé de ce qui s’est passé la dernière fois que nous nous sommes vus. Quand je t’ai dit qu’on déménageait. Je n’allais pas très bien.

— Pas la peine de m’expliquer, dit Riley.

Mais Blaine n’était pas d’accord. Il dit :

— On sait tous les deux pourquoi j’ai déménagé.

Riley haussa les épaules.

— Ouais, dit-elle. Tu as eu peur pour la sécurité de ta fille. Je ne te reproche rien, Blaine. Vraiment pas. Tu as pris la décision la plus raisonnable.

Blaine ne sut que dire. Riley avait raison. Il avait craint pour la sécurité de Crystal, pas la sienne. Il voulait qu’elle grandisse dans la tranquillité. L’ex-femme de Blaine, Phoebe, était alcoolique et violente. Crystal avait bien assez souffert. Il était inutile d’en rajouter.

Riley connaissait Phoebe. Elle avait même sauvé Crystal d’une visite très alcoolisée de sa mère.

Peut-être qu’elle comprend aussi bien qu’elle le dit, pensa Blaine.

Mais il n’était pas sûr de savoir ce qu’elle ressentait vraiment.

Ce fut alors que l’équipe de leurs filles marqua un deuxième but. Blaine et Riley applaudirent à tout rompre. Ils regardèrent le match en silence pendant de longues minutes.

Puis Riley dit :

— Blaine, j’avoue que j’étais déçue que tu déménages. Même un peu en colère. J’avais tort. C’était injuste. Je suis désolée pour ce qui s’est passé.

Elle se tut, avant de poursuivre :

— Je m’en veux terriblement. Je me sens coupable. Même encore maintenant. Blaine, je…

Pendant quelques secondes, elle sembla avoir du mal à exprimer ce qu’elle ressentait.

— Je ne peux pas m’empêcher de penser que je mets en danger tous ceux qui croisent mon chemin. C’est une chose que je déteste à propos de mon boulot et à propos de moi-même.

Blaine ouvrit la bouche pour protester :

— Riley, tu ne devrais pas…

Riley l’arrêta :

— Si, c’est vrai, et on le sait tous les deux. Si j’étais ma voisine, j’aurais voulu déménager, moi aussi. Surtout avec une adolescente à la maison.

A ce moment, l’équipe de leurs filles rata une action. Blaine et Riley poussèrent un grognement de déception, tout comme le reste du public.

Blaine était rassuré. Riley ne lui reprochait pas d’avoir déménagé. Du moins, plus maintenant.

Pouvaient-ils raviver la flamme qu’ils avaient ressentie l’un pour l’autre ?

Blaine prit son courage à deux mains et dit :

— Riley, j’aimerais beaucoup t’inviter, toi et les enfants, dans mon restaurant. Tu peux aussi inviter Gabriela. On pourra s’échanger nos recettes d’Amérique centrale.

Riley ne répondit pas tout de suite. C’était comme si elle n’avait pas entendu.

Enfin, elle dit :

— Je ne pense pas, Blaine. C’est encore un peu compliqué, en ce moment. Merci d’avoir proposé.

Blaine ressentit une pointe de déception. Non seulement Riley avait refusé, mais elle ne lui proposait pas de repousser le rendez-vous.

Il n’y avait plus rien à faire.

Il regarda le reste du match en silence.

*

Riley pensait toujours à Blaine au diner. Elle se demandait si elle avait commis une erreur. Elle aurait peut-être dû accepter son invitation. Elle l’appréciait et il lui manquait.

Il avait même invité Gabriela, ce qui était un beau geste de sa part. En tant que cuisinier, il aimait les bons petits plats de la bonne.

Gabriela avait préparé ce soir-là un repas typiquement guatémaltèque : du poulet à la sauce à l’oignon. Les filles se délectaient en parlant du match de foot.

— Tu n’es pas venue voir le match, Gabriela ? demanda April.

— Tu aurais passé un bon moment, dit Jilly.

— Sí, j’aime bien le futbol, dit Gabriela. La prochaine fois, je viens.

Riley se dit que c’était le bon moment d’annoncer une bonne nouvelle :

— J’ai parlé à l’agent immobilier. Elle pense que je vais pouvoir vendre le chalet de votre grand-père à un bon prix. Cela pourra vous aider à aller à l’université, toutes les deux bien sûr.

Ravies, les filles en discutèrent pendant quelques minutes. Puis l’humeur de Jilly s’assombrit.

Enfin, elle demanda à Riley :

— C’était qui, le type au match avec toi ?

April dit :

— Oh, c’était Blaine. C’était notre voisin. C’est le papa de Crystal. Tu l’as déjà rencontrée.

Jilly mangea dans un silence boudeur. Puis elle dit :

— Il était où, Ryan ? Pourquoi il n’est pas venu ?

Riley avala sa salive. Elle avait remarqué que Ryan était passé à la maison dans la journée pour prendre ses affaires. Il était temps de dire la vérité aux filles :

 

— Il faut que je vous dise quelque chose, commença-t-elle.

Mais elle eut du mal à trouver les mots justes.

— Ryan… Il dit qu’il a besoin d’espace. Il…

Elle ne pouvait pas en dire plus. Elle vit à l’expression des deux filles qu’elle n’en avait pas besoin. Elles avaient très bien compris.

Au bout de quelques secondes de silence, Jilly éclata en sanglots et s’enfuit dans sa chambre à l’étage. April la suivit pour la consoler.

Riley réalisa qu’April avait l’habitude de voir Ryan aller et venir. Ça la faisait encore probablement souffrir, mais elle savait gérer sa déception maintenant.

Il ne restait plus que Gabriela à table. Riley se sentit coupable. Serait-elle un jour capable de construire une relation solide avec un homme ?

Comme si elle lisait ses pensées, Gabriela dit :

— Ne vous faites pas de reproches. Ce n’est pas votre faute. Ryan est un gros béta.

Riley esquissa un faible sourire.

— Merci, Gabriela.

C’était exactement ce qu’elle avait besoin d’entendre.

Puis Gabriela ajouta :

— Les filles ont besoin d’un père, mais pas de quelqu’un qui ne reste pas en place.

— Je sais, dit Riley.

*

Plus tard dans la soirée, Riley chercha les filles. Jilly faisait ses devoirs dans la chambre d’April.

April leva la tête et dit :

— On va bien, maman.

Riley en fut soulagée. Malgré la tristesse qu’elle ressentait pour les filles, elle était fière qu’April ait réconforté Jilly.

— Merci, ma puce, dit-elle en refermant la porte.

April viendrait lui parler de Ryan quand elle serait prête, mais Jilly allait avoir du mal.

En redescendant, Riley songea à ce que Gabriela lui avait dit.

« Les filles ont besoin d’un père. »

Elle baissa les yeux vers le téléphone. Blaine lui avait fait clairement comprendre qu’il était toujours intéressé.

Mais à quoi s’attendait-il ? La vie de Riley tournait autour de son travail et de ses enfants. Avait-elle de la place pour quelqu’un d’autre ? Ou allait-elle seulement le décevoir ?

Mais il me plait, s’avoua-t-elle.

Et elle lui plaisait aussi. Il devait bien y avoir une petite place dans sa vie pour…

Elle décrocha le téléphone et composa le numéro de Blaine. Elle fut déçue de tomber sur le répondeur, mais pas surprise. Son travail au restaurant l’occupait beaucoup dans la soirée.

Après le bip, Riley laissa un message :

— Salut, Blaine, c’est Riley. Ecoute, je suis désolée d’avoir été si distante au match, cet après-midi. Je ne voulais pas être grossière. Si ton invitation tient toujours, tu peux compter sur nous. Appelle-moi quand tu seras prêt.

Riley se sentit tout de suite mieux. Elle alla se servir un verre dans la cuisine. En le sirotant dans le salon, elle se rappela sa conversation avec Paula Steen.

Paula semblait avoir accepté le fait que le meurtrier de sa fille ne serait jamais puni.

« Ce n’est la faute de personne et je ne reproche rien à personne. » avait-elle dit.

Ces mots troublaient profondément Riley.

C’était tellement injuste.

Elle termina son verre, prit une douche et se coucha.

Elle s’endormait à peine que les cauchemars commencèrent.

*

Riley n’était qu’une petite fille.

Elle traversait une forêt la nuit. Elle avait peur, mais elle n’était pas sûre de savoir pourquoi.

Après tout, elle n’était pas perdue.

Une autoroute passait juste à côté. Elle voyait les voitures passer. Les lampadaires et la pleine lune éclairaient son chemin.

En baissant les yeux, elle vit soudain trois tombes.

La terre et les pierres qui les recouvraient s’agitaient et se soulevaient.

Des mains de femmes creusaient pour sortir.

Riley entendait même leurs hurlements étouffés :

— Aidez-nous ! S’il vous plait !

— Je ne suis qu’une petite fille, répondit Riley en pleurant.

Riley se réveilla en sursaut. Elle tremblait de tout son corps.

C’était juste un cauchemar, se dit-elle.

Il n’était pas étonnant qu’elle rêve du tueur aux allumettes et de ses victimes juste après avoir parlé à Paula Steen.

Elle prit de longues et profondes inspirations. Bientôt, elle se détendit et se rendormit.

Mais alors…

Elle n’était encore qu’une petite fille.

Elle était dans un magasin de bonbons avec maman. Maman lui achetait des tas de bonbons.

Un homme avec un bas sur la tête se dirigea vers elle.

Il pointa son arme sur maman.

— Donne-moi ton fric, dit-il à maman.

Mais maman était pétrifiée par la peur.

L’homme lui tira un coup de feu dans la poitrine et elle tomba à la renverse devant Riley.

Riley se mit à crier. Elle se retourna de tous côtés pour appeler à l’aide.

Soudain, elle était de retour dans les bois.

Les mains de femmes cherchaient toujours à sortir de leurs tombes.

Les voix l’appelaient :

— Aidez-nous ! S’il vous plait !

Puis Riley entendit une autre voix derrière elle. C’était une voix familière.

— Tu les as entendues, Riley. Elles ont besoin de ton aide.

Riley se retourna. C’était maman. Sa poitrine saignait là où la balle l’avait touchée. Son visage était d’une pâleur cadavérique.

— Je ne peux rien faire, maman ! s’écria Riley. Je ne suis qu’une petite fille.

Maman sourit.

— Non, tu n’es plus qu’une petite fille, Riley. Tu as bien grandi. Retourne-toi et regarde.

Riley se retourna et se vit dans un miroir.

C’était vrai.

Elle était une femme maintenant.

Et les voix l’appelaient toujours :

— Aidez-nous ! S’il vous plait !

Riley ouvrit grand les yeux.

Elle tremblait encore plus que la dernière fois qu’elle s’était réveillée. Elle avait le souffle court.

Elle se rappela ce que lui avait dit Paula Steen :

« Le tueur de ma fille ne sera jamais puni. »

Paula avait dit aussi :

« Ce n’était même pas votre affaire. »

Riley prit sa décision.

C’était vrai : le tueur aux allumettes n’avait jamais été son affaire.

Mais elle ne voulait plus l’abandonner au passé.

Il était grand temps de traîner ce type devant la justice.

C’est mon affaire maintenant, pensa-t-elle.

CHAPITRE SEPT

Riley ne fit pas d’autre cauchemar cette nuit-là, mais elle passa une nuit agitée. Etonnamment, elle se réveilla avec beaucoup d’énergie.

Elle avait des choses à faire aujourd’hui.

Elle s’habilla et descendit. April et Jilly mangeaient dans la cuisine le petit déjeuner que Gabriela leur avait préparé. Les filles avaient l’air triste, mais pas bouleversé comme la veille.

Riley vit qu’il y avait une assiette pour elle. Elle s’assit et dit :

— Ces pancakes ont l’air très bon. Passez-moi le plat.

Quand elle commença à manger et à boire son café, les filles se détendirent. Elles ne parlèrent pas de l'absence de Ryan et discutèrent de leurs copains de l’école.

Elles encaissent, pensa Riley.

Elles avaient toutes les deux traversé des moments difficiles.

Riley était certaine qu’elles traverseraient aussi la crise que le départ de Ryan avait provoquée.

Riley termina son café et dit :

— Il faut que j’aille travailler.

Elle se leva et embrassa April sur la joue, puis Jilly.

— Va attraper des méchants, maman, dit Jilly.

Riley sourit.

— Je vais faire de mon mieux, ma puce.

*

Dès qu’elle entra dans son bureau, Riley ouvrit sur son ordinateur le dossier de l’affaire classée vingt-cinq ans plus tôt. En balayant du regard les coupures de presse numérisées, elle se rappela les avoir lues. Elle était adolescente à l’époque et le tueur aux allumettes semblait sortir d’un cauchemar.

Les meurtres étaient arrivés ici, en Virginie, près de Richmond. Trois semaines d’écart entre chaque mort.

Riley ouvrit une carte et chercha Greybull, une petite ville près de la route 64. Tilda Steen, la dernière victime, était née puis morte à Greybull. Les deux autres meurtres avaient eu lieu dans les villes de Brinkley et de Denison. Riley vit que les villes étaient espacées d’une centaine de miles.

Riley referma la carte et regarda à nouveau les coupures de presse.

Un gros titre hurlait…

LE TUEUR AUX ALLUMETTES FAIT UNE TROISIEME VICTIME !

Elle frémit.

Oui, elle se rappelait très bien ce gros titre.

L’article décrivait ensuite la panique que les meurtres avaient causée dans la région, surtout parmi les jeunes femmes.

Selon l’article, la police et le grand public se posaient les mêmes questions.

Quand et où le tueur allait-il frapper à nouveau ?

Qui serait sa prochaine victime ?

Mais il n’y avait pas eu de quatrième victime.

Pourquoi ? se demanda Riley.

C’était une question à laquelle la police et le FBI n’avaient pas su répondre.

Le tueur semblait particulièrement motivé. Le genre de tueur qui tue jusqu’à ce qu’on l’arrête. Pourtant, il avait disparu. Et sa disparition était aussi mystérieuse que les meurtres eux-mêmes.

Riley feuilleta les rapports de police pour se rafraichir la mémoire.

A première vue, il n’y avait aucun lien entre les victimes. Le tueur avait suivi le même mode opératoire. Il avait séduit des jeunes femmes dans des bars, les avait conduites dans des motels, puis il les avait tuées. Ensuite, il les avait enterrées non loin des scènes de crime.

La police n’avait eu aucun mal à retrouver les bars où les victimes avaient été vues pour la dernière fois et les motels où elles avaient été tuées.

Comme le font certains tueurs en série, il avait laissé des indices à la police.

Il avait abandonné sur les corps des boites d’allumettes ramassées dans les bars et des blocs-notes au nom des motels.

Des témoins dans les bars et les motels avaient même fourni à la police une bonne description du suspect.

Riley fit apparaitre le portrait-robot qu’on en avait fait à l’époque.

C’était un homme au physique banal, avec des cheveux marron et des yeux noisette. En lisant les descriptions, elle remarqua plus de détails. Des témoins lui avaient trouvé le teint particulièrement pâle, comme s’il travaillait dans un bâtiment fermé sans jamais voir le soleil.

Les descriptions étaient très détaillées. Riley songea que l’affaire n’aurait jamais dû être si difficile à résoudre. Pourtant, c’était le cas. La police n’avait jamais trouvé le tueur. Quantico avait pris le relai, mais les agents du FBI étaient arrivés à la conclusion que le tueur était mort ou qu’il avait déserté la région. Lancer des recherches à l’échelle nationale revenait à chercher une aiguille dans un meule de foin – une aiguille qui n’existait peut-être même pas.

Mais il y avait un agent, un expert en affaires classées, qui n’était pas d’accord.

« Il est toujours dans le coin, avait-il dit à tout le monde. On le trouvera si on continue de chercher. »

Ses supérieurs ne l’avaient pas cru et ils avaient refusé de le soutenir. Quantico avait classé l’affaire.

L’agent avait pris sa retraite des années plus tôt et il avait déménagé en Floride. Riley savait comment le contacter.

Elle tendit la main vers son téléphone et composa son numéro.

Quelques instants plus tard, une familière voix rocailleuse répondit au téléphone. Jake Crivaro avait été son partenaire et son mentor quand elle avait rejoint l’Unité d’Analyse Comportementale.

— Salut, gamine, dit Jake. Comment ça va ? Qu’est-ce que tu fais ? Tu n’appelles pas, tu n’écris pas. C’est comme ça qu’on traite la pauvre vieille buse qui t’a tout appris ?

Riley sourit. Elle savait qu’il ne le pensait pas. Après tout, ils s’étaient vus très récemment. Jake était sorti de sa retraite pour l’aider à résoudre une affaire seulement un mois plus tôt.

Elle ne lui demanda pas comment il allait.

Elle se rappelait encore sa litanie la dernière fois qu’elle lui avait posé la question.

 

« J’ai soixante-quinze ans. On m’a changé les deux genoux et la hanche. Ma vue baisse. J’ai un appareil pour entendre et un pacemaker. Et tous mes amis sont morts, à part toi. Qu’est-ce que tu dis de ça ? »

Il ne servait à rien de lui redemander pour l’entendre à nouveau se plaindre.

La vérité, c’était qu’il était toujours en très bonne forme et qu’il avait l’esprit aussi vif qu’avant.

— J’ai besoin de ton aide, Jake, dit Riley.

— Ah, tu me fais plaisir. J’ai horreur de la retraite. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

— Je m’intéresse à une affaire classée.

Jake pouffa.

— C’est ce que je préfère. Tu sais, j’étais le spécialiste des affaires classées. C’est toujours le cas, mais c’est devenu un passe-temps. Tu te rappelles de Angel Face ? Le tueur de l’Ohio ? J’ai résolu cette affaire il y a quelques années. Elle était classée depuis des années.

— Je m’en souviens, dit Riley. Pas mal pour un vieux bonhomme.

— La flatterie ne te mènera nulle part. Alors, qu’est-ce que tu veux ?

Riley hésita. Elle savait qu’elle s’apprêtait à remuer des souvenirs désagréables.

— C’est une des tiennes, Jake, dit-elle.

Jake ne répondit pas tout de suite.

— Ne me dis rien, dit-il enfin. Le tueur aux allumettes.

Riley faillit lui demander comment il avait deviné.

Mais il était facile de répondre à cette question.

Jake était obsédé par les échecs, surtout les siens. Il devait savoir que c’était l’anniversaire de la mort de Tilda Steen. Il avait sûrement noté les deux autres dates. Riley devina que ça le hantait chaque année.

— C’était avant ton arrivée, dit Jake. Pourquoi tu remues l’histoire ancienne ?

Elle entendit de l’amertume dans sa voix – une amertume dont elle se rappelait pour l’avoir entendue dans sa voix quand elle était encore débutante. Il était furieux que ses supérieurs aient classé cette affaire. Son amertume ne l’avait jamais vraiment quitté.

— Tu sais que j’appelle la mère de Tilda Steen depuis des années, dit Riley. Je lui ai encore parlé hier. Cette fois…

Elle s’interrompit. Comment formuler son sentiment ?

— C’était encore plus difficile que d’habitude. Si personne ne fait rien, cette dame va mourir sans savoir que le tueur de sa fille a été puni pour son crime. Je n’ai rien d’autre à faire et je…

Elle se tut.

— Je sais ce que tu ressens, dit Jake d’une voix soudain pleine de compassion. Ces trois femmes méritaient mieux. Leurs familles méritaient mieux.

Riley fut soulagée de savoir que Jake partageait son sentiment.

— Je ne peux pas faire grand-chose sans le soutien du FBI, dit Riley. Tu penses qu’ils pourraient rouvrir le dossier ?

— Je ne sais pas. Peut-être. Au boulot !

Riley entendit les doigts de Jake pianoter sur son clavier d’ordinateur.

— Qu’est-ce qui n’a pas marché la dernière fois ?

— La question serait plutôt de savoir ce qui a marché ! Personne ne voulait entendre parler de mes hypothèses à l’UAC. C’était une région très rurale, juste trois petites villes, mais ça circulait beaucoup sur la route 64. Le Bureau avait décidé que c’était un gars qui vagabondait. Moi, mon instinct me disait autre chose. Je pensais qu’il était du coin et qu’il vivait toujours là-bas. Mais tout le monde se fichait bien de mon instinct.

Tout en pianotant, il grommela :

— J’aurais résolu cette affaire sans mon imbécile de partenaire.

Riley avait déjà entendu parler de l’ancien partenaire très incompétent de Jake, qui avait été renvoyé du FBI avant l’arrivée de Riley. Elle dit :

— Il parait qu’il faisait tout rater.

— Oui, on peut le dire. Dans un des bars, il a ramassé un verre dans lequel le tueur avait bu et il a mis ses empreintes partout.

— Il y avait des empreintes sur les boites d’allumettes ou les blocs-notes ?

— Pas après leur séjour sous la terre. Mon partenaire a tout foutu en l’air. On aurait dû le virer à ce moment-là. Après, ça n’a pas traîné longtemps. Il parait qu’il travaille dans une épicerie, maintenant. Bon débarras.

Riley entendit Jake taper sur son clavier. Il devait avoir tous les documents sous la main.

— OK. Ferme les yeux, dit Jake.

Riley ferma les yeux en souriant. Il allait lui faire faire le même exercice qu’elle avait demandé à ses étudiants. Elle tenait ça de lui.

Jake dit :

— Tu es le tueur, mais tu n’as encore tué personne. Tu entres dans un pub à Brinkley, le McLaughlin, et tu te présentes à une fille nommée Melody Yanovich. Tu lui sors le grand jeu et ça a l’air de bien marcher.

Riley commençait à se glisser dans la tête du tueur. Elle voyait très clairement la scène. Jake dit :

— Il y a des boites d’allumettes dans un grand bol, sur le comptoir. Tu en attrapes une et tu la mets dans ta poche. Pourquoi ?

Riley sentait presque la boite entre ses doigts. Elle s’imagina en train de la glisser dans sa poche de chemise.

Mais pourquoi ? se demanda-t-elle.

Quand l’affaire avait été ouverte, l’explication semblait toute trouvée. Le tueur avait laissé des boîtes d’allumettes venues des bars et du papier à lettre venu des motels sur les corps des victimes pour se moquer de la police.

Elle réalisa soudain que Jake pensait que c’était faux.

Elle le pensait également.

Elle dit :

— Il ne savait même pas qu’il allait la tuer, du moins tant qu’il était au pub, pas la première fois. Il a ramassé la boîte d’allumettes comme pour avoir un souvenir, un trophée du bon moment qu’il allait passer avec la fille.

— Bien, dit Jake. Et après ?

Riley visualisa le tueur aidant Melody Yanovich à entrer dans sa voiture, puis la conduisant au motel.

— Melody était d’accord. Il avait confiance en lui. Dès qu’ils sont entrés dans la chambre, elle est partie dans la salle de bain pour se préparer. Pendant ce temps, il a ramassé un bloc-notes avec le logo du motel, en souvenir, pour la même raison qu’il avait ramassé la boite d’allumettes. Puis il s’est déshabillé et il s’est glissé dans le lit. Melody est sortie de la salle de bain…

Riley s’interrompit pour visualiser la scène.

La femme était-elle nue à ce moment-là ?

Non, pas exactement, pensa Riley.

— Melody était enroulée dans une serviette. Il a commencé à être mal à l’aise. Il avait parfois des problèmes d’impuissance. Et si ça recommençait ? Elle est montée à côté de lui et elle a retiré sa serviette et…

— Et ? la poussa Jake.

— Et il a compris qu’il n’y arriverait pas. Il s’est senti humilié. Il ne voulait pas que la fille sache qu’il ne pouvait pas. Aveuglé par une rage soudaine, il a perdu toute humanité. Il l’a prise par la gorge et l’a étranglée dans le lit. Elle est morte rapidement. Puis sa rage a disparu. Il a compris ce qu’il avait fait. Il s’est d’abord senti coupable, puis…

L’esprit de Riley passa en revue la fin de l’histoire. Le tueur n’avait pas seulement enterré ses victimes dans des tombes peu profondes, mais également tout près de la route. Il savait parfaitement que les corps allaient être découverts. Il avait tout fait pour.

Riley ouvrit brusquement les yeux.

— Je comprends, Jake. Il a ramassé la boite d’allumettes et le bloc-notes pour s’en faire des souvenirs. Après les meurtres, ses objets sont devenus autre chose. Il les a laissés sur les corps pour aider la police, pas pour se moquer. Il voulait être arrêté. Il n’avait pas le courage de se rendre à la police, alors il a laissé des indices.

— Tu piges, dit Jake. Moi, je pense que les deux premiers meurtres se sont déroulés comme ça. Maintenant, va lire les rapports de police.

Riley les balaya du regard sur son écran d’ordinateur.

— Qu’est-ce qui s’est passé différemment la troisième fois ? demanda Jake.

Riley lut le texte. Elle remarqua quelque chose qu’elle n’avait pas vu avant.

— Tilda Steen était habillée quand il l’a enterrée. Il n’a même pas essayé d’avoir un rapport sexuel avec elle.

Jake dit :

— Maintenant, dis-moi comment il a tué ces trois victimes.

Riley relut le texte.

— Strangulation, dit-elle. Les trois.

Jake poussa un grognement.

— C’est là où la police se trompe, dit-il. Les deux premières, Melody Yanovich et Portia Quinn, ont été étranglées. Mais en parlant au médecin légiste, j’ai appris qu’il n’y avait aucune trace sur le cou de Tilda Steen. Elle a été étouffée, mais pas étranglée. Qu’est-ce que tu en dis ?

A la lumière de cette nouvelle information, Riley sentit un déclic dans sa tête.

Elle ferma les yeux et essaya de visualiser la scène.

— Il s’est passé quelque chose quand Tilda est entrée dans la chambre, dit Riley. Elle lui a dit quelque chose, peut-être quelque chose qu’elle n’avait jamais dit à personne. Ou peut-être qu’elle lui a dit quelque chose à propos de lui-même qu’il ne voulait pas entendre. Il l’a tout à coup trouvée…

Riley se tut. Jake dit :