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Récits d'une tante (Vol. 4 de 4)

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«Général, je ne dois pas être insultée… cela vous regarde.

– Soyez tranquille, Madame.

– Je me fie à vous.»

La route était bordée d'une haie de soldats. Elle la franchit d'un pied et d'un cœur fermes, causant avec son escorte militaire, d'une grande liberté d'esprit, mais refusant toute réponse au préfet qui était survenu au moment de son départ.

Parvenue au château, elle donna des ordres sur les soins à rendre à ses compagnons d'infortune, principalement à monsieur de Mesnard qui paraissait fort mal, avec une sorte d'autorité, puis elle demanda à se reposer. Conduite dans sa chambre avec mademoiselle de Kersabiec, elle en ressortit un instant après, sous le prétexte de recommander que le médecin, appelé auprès du comte de Mesnard, vînt lui faire son rapport.

L'homme de la police, accoutumé à observer tous les gestes, s'aperçut qu'une très petite boule de papier avait passé de la main de la princesse dans celle de l'avocat Guibourg. Le désir de s'en emparer suggéra la pensée de fouiller les prisonniers aussitôt que Marie-Caroline se fut éloignée.

Le papier, trouvé sur monsieur Guibourg, contenait ces mots écrits au crayon: «Insistez, surtout, pour n'être pas séparé de moi.»

Cette circonstance, sue dans le temps et infidèlement racontée, accrédita le bruit, déjà répandu, d'une intrigue amoureuse entre la princesse et l'avocat. Je n'oserais garantir qu'il n'en fût rien.

Mais monsieur Guibourg était en fuite, avec une condamnation capitale sur le corps. Madame la duchesse de Berry se croyait une sauvegarde pour ses entours et cette pensée suffisait à expliquer les termes du billet.

Elle avait mangé une soupe, bu un verre de vin de Bordeaux, avait dormi paisiblement quelques heures et s'était relevée, pour le moment du dîner, dans un état de calme qui ne se démentait pas. Monsieur Maurice Duval lui-même, quoique fort blessé de ses procédés envers lui, parlait du maintien de la princesse avec admiration. Les généraux en étaient émus, et le ministre dans l'enthousiasme.

En outre des rapports des autorités de Nantes, monsieur Thiers était armé, en venant chez moi, de la décision du conseil qui, en enlevant madame la duchesse de Berry à la juridiction des tribunaux, faisait de sa position une mesure politique sur laquelle les Chambres auraient à statuer. La pièce était bien rédigée. Il voulait la montrer à monsieur Pasquier et le consulter sur la forme de sa publication.

Après une longue discussion, on s'arrêta à un article officiel du Moniteur, ne portant le titre ni d'ordonnance ni de déclaration, qui, s'appuyant sur les précédents de la marche suivie pour le bannissement de la branche aînée des Bourbons et de la famille Bonaparte, établirait en principe que les princes et princesses de races proscrites, se trouvant en dehors de la loi commune, ne pouvaient en réclamer les bénéfices ni en subir les rigueurs. Leur sort, dès lors, devait être réglé arbitrairement, d'après les exigences des intérêts politiques.

Monsieur Pasquier insistait derechef pour qu'on embarquât la princesse au plus vite. «Vous ne serez maître de son sort, répétait-il, et à l'abri des obstacles que peuvent susciter le zèle aveugle ou malveillant des magistrats secondaires, qu'après le départ de Nantes.»

Monsieur Thiers adoptait cette pensée et partageait les mêmes sollicitudes. Aussi avait-il donné, et déjà renouvelé, l'ordre d'un embarquement immédiat que les préparatifs matériels pour la sûreté du transport et la commodité du voyage arrêtaient encore bien malgré lui.

La princesse demandait un délai, fondé sur l'état de santé du comte de Mesnard; mais monsieur Thiers, fort à regret dans sa disposition actuelle, avait positivement refusé.

Comme il ne fallait pas compliquer la question relative à madame la duchesse de Berry, en assimilant à son sort d'autres personnes compromises vis-à-vis des tribunaux, on se décida à les rendre à leurs juges naturels. Monsieur Guibourg fut renvoyé là où son procès avait été déjà instruit. Mademoiselle de Kersabiec accompagna la princesse à Blaye, puis fut reconduite immédiatement à Nantes.

Dès le premier jour de l'arrestation, monsieur Maurice Duval avait prévenu monsieur Thiers qu'il pouvait s'emparer de messieurs de Bourmont, de Charette et de plusieurs de leurs coopérateurs les plus actifs. On les savait cachés dans les maisons voisines de celle occupée par Marie-Caroline. Deutz avait vu le maréchal. En persistant à cerner le quartier, on était assuré de les prendre.

Mais le ministre en avait autant qu'il lui en fallait pour se présenter à l'ouverture de la session et ne se souciait pas de multiplier ses embarras. Plus il se trouverait de gens arrêtés dans les mêmes prédicaments que madame la duchesse de Berry, plus il serait difficile de la soustraire à la loi commune; car elle se trouverait réclamée, comme principal accusé, par tous les tribunaux où les affaires seraient portées.

Vu de loin, et lorsque les passions sont calmées, il semble que rien n'était plus simple et plus facile que la marche adoptée par le gouvernement; mais, dans ce moment où l'amour de l'égalité se trouvait poussé jusqu'à l'enivrement, il fallait une ferme volonté, beaucoup de courage et même une certaine audace pour oser dire hautement que Marie-Caroline, en sa qualité de princesse, ne serait pas passible de la loi commune. Encore, devait-on avoir recours à l'argument, que j'ai déjà mentionné, de la considérer placée hors la loi par la proscription prononcée contre elle en 1830.

Monsieur Thiers, en prenant cette décision, n'ignorait pas qu'il affrontait les colères des oppositions et bravait le mécontentement de beaucoup de ses partisans.

Toutefois, des obstacles insurmontables pouvaient surgir à Nantes d'un moment à l'autre, et, dans cette crainte, on décida que l'article convenu ne serait inséré au Moniteur que lorsqu'on saurait la princesse voguant vers Blaye.

Je demandai tout bas à monsieur Thiers si ce qu'il m'avait dit de l'état de madame la duchesse de Berry était confirmé; il me répondit à haute voix: «Il n'y a pas un mot de vrai. Elle est, au contraire, très maigre, très mince, et très agile. Ce bruit, cependant, nous était venu de gens qui auraient dû être bien informés; mais ce n'est qu'un méchant propos de ses bons amis.»

Si madame la duchesse de Berry dédaignait de parler des souffrances matérielles qu'elle avait supportées pendant les dix-sept heures passées dans le tuyau de cheminée, ses compagnons racontaient volontiers le martyre subi par quatre personnes serrées de façon à ne pouvoir faire aucune espèce de mouvement, exposées au vent, à la gelée dont un toit en claire-voie les défendait fort mal. Elles bravaient pourtant ces douleurs; mais, ce qui acheva de rendre leur situation intolérable, c'est la fumée épaisse et puante des papiers imprimés. La cachette n'était pas séparée du tuyau de la cheminée jusqu'en haut; elle s'en remplit incontinent et ses malheureux habitants en furent comme asphyxiés.

Lorsque la souffrance d'une extrême chaleur s'y joignit et que la robe de madame la duchesse de Berry prit feu, le comte de Mesnard (qui déjà avait ouvert l'avis de se rendre, après avoir entendu l'ordre donné aux gendarmes de ne quitter la chambre sous aucun prétexte et compris que toutes les issues étaient gardées), le comte de Mesnard, sans demander de nouveau une permission obstinément refusée, donna dans la plaque le premier coup de pied qui appela l'attention des gendarmes. Une fois la décision irrévocable, madame la duchesse de Berry ne fit point de reproches et se conduisit comme nous avons vu.

Ma mémoire ne me fournit aucune circonstance particulière sur son embarquement. Elle fut conduite à bord de la Capricieuse, goélette de l'État, en prisonnière bien gardée, mais avec les égards dus à son rang et le respect acquis à des malheurs supportés avec un aussi grand courage.

Son arrestation ne provoqua aucune manifestation en Bretagne ni en Vendée. Elle montra un très vif dépit en apprenant que monsieur Guibourg restait à Nantes et parut très émue en s'en séparant. Du reste, son calme, accompagné d'une sorte de gaieté et d'une complète liberté d'esprit, ne se démentit pas. Le zèle de monsieur de Mesnard suppléant à ses forces, il insista pour la suivre.

Elle laissa, parmi toutes les autorités de Nantes, un sentiment d'admiration et de sympathie dont le contrecoup retentit sur leurs chefs à Paris; mais cela ne s'étendit pas au delà et ne gagna pas le public. On voulait avant tout la tranquillité.

Au conseil, monsieur Guizot se montra partisan des procédés généreux, et il proposa de diriger la Capricieuse sur Trieste; mais monsieur Guizot, nouvellement arrivé aux affaires par l'obstinée exigence du duc de Broglie, avait peu de poids vis-à-vis de ses collègues, et la détention à Blaye fut décidée à une unanimité où il se rangea.

Je ne lui en sus pas moins un très grand gré, dans le temps, et le lui témoignai vivement. Peut-être mon approbation dépassait-elle son mérite. Il avait pu facilement reconnaître le vœu intime du Roi et prenait, dès alors, l'habitude de s'associera la pensée du monarque, de la faire sienne et de l'habiller en paroles magnifiques. C'est l'origine et l'explication d'une faveur qui ne peut que s'accroître.

Dans la cachette même, où s'était réfugiée madame la duchesse de Berry, on trouva les deux sacoches de cuir désignées par Deutz, renfermant ses papiers les plus importants. Elles étaient réunies par une bretelle et la suivaient dans toutes ses pérégrinations soit sur le col de son cheval, soit sur les épaules d'un guide.

Si on avait recherché les violences, il y avait de quoi porter le trouble et la proscription dans une multitude de familles; mais on n'en fit aucun usage. C'est là où l'on trouva les lettres de mesdames de Chastellux et de Bauffremont engageant madame la duchesse de Berry à se rendre à Paris et offrant de l'y cacher. J'ignore si elles ont eu connaissance de cette découverte.

 

Ces sacoches renfermaient des documents qui excusaient la folle entreprise de la descente en France. De nombreux correspondants annonçaient cent mille hommes dans le Midi et deux cent mille dans l'Ouest, armés, organisés, prêts à se déclarer au premier signal. L'arrivée de «Madame» enfanterait en outre des légions innombrables dans tout le royaume.

Les correspondants les plus raisonnables, en présentant le pays comme dans un fâcheux état de calme, admettaient que la présence de la princesse exciterait sans doute un grand mouvement d'enthousiasme, et pourrait faire jaillir la flamme de ces masses inertes.

Ajoutons à ces appels que madame la duchesse de Berry avait constamment entendu reprocher aux princes de la Maison de Bourbon de ne s'être point associés aux travaux de la Vendée; et peut-être excusera-t-on son esprit aventureux d'avoir cru faire de l'héroïsme en débarquant sur la plage de Marseille et en se jetant dans la Vendée. Il est au moins certain qu'à Nantes elle supporta royalement le revers de sa fortune et la chute de ses espérances.

Le cabinet, car il y en avait un sérieux et de véritable importance dans ce temps-là, le cabinet, donc, tint parole à monsieur le duc d'Orléans. À peine la duchesse de Berry arrêtée, le prince, accompagné de son frère le duc de Nemours, se rendit à l'armée qui franchissait la frontière. Il n'entre pas dans mon sujet de le suivre au siège d'Anvers où il commença la brillante carrière due à sa distinction personnelle, autant qu'à son haut rang, et s'empara de tous les cœurs par sa valeur, sa bonne grâce et son affabilité.

Nul, et je n'en excepte ni monsieur Thiers ni même monsieur Maurice Duval, ne ressentit une plus vive satisfaction de l'arrestation de madame la duchesse de Berry que monsieur de Chateaubriand. Son rêve sur le séjour de Lugano s'était dissipé en y regardant de plus près.

Cette presse libre, dont il espérait tirer de si splendides succès pour sa cause et surtout pour sa famosité personnelle, se trouvait soumise aux caprices d'un conseil de petits bourgeois, relevant lui-même d'une multitude intimant ses volontés à coups de pierres. On se procurerait une fort bonne chance d'être lapidé, dans une émeute suisse, en s'établissant à Lugano pour y faire de la politique légitimiste.

Privé d'ailleurs du tribut de louanges quotidiennes, libéralement fournies par le petit cercle où il passe exclusivement sa vie à Paris, monsieur de Chateaubriand périssait d'ennui et ne savait comment revenir après les adieux si pompeux adressés publiquement à sa patrie. Il avait beau se draper à l'effet dans le manteau d'un exil volontaire, on le remarquait peu; les génevois trouvent qu'on doit se tenir très heureux d'être à Genève et ne compatissaient point à des peines qu'ils ne comprenaient pas.

Dans l'embarras de ce dilemme, monsieur de Chateaubriand accueillit comme l'étoile du salut l'arrestation faite à Nantes.

De nouveaux devoirs, en lui imposant une nouvelle conduite, lui évitaient le petit ridicule d'une palinodie trop rapide. Oubliant ses griefs contre la princesse, il se jeta dans une voiture de poste et accourut à Paris pour lui porter secours.

Chemin faisant, il médita le texte d'une brochure qui parut incontinent après.

Un billet de madame Récamier m'annonça son retour et le désir qu'il avait de me voir chez elle. J'y courus. Je les trouvai en tête à tête; il lui lisait le manuscrit de la prochaine publication, originairement destinée à être imprimée à Lugano, mais qu'il avait arrangée pour la situation actuelle. Il continua à ma prière la lecture commencée.

Après une hymne très éloquente aux vertus maternelles de l'intrépide Marie-Caroline, lue avec émotion, il arriva à quelques phrases, admirablement bien écrites, sur madame la Dauphine; sa voix s'entrecoupa et son visage s'inonda de larmes.

J'avais encore dans l'oreille les expressions de mangeuse de reliques d'Édimbourg et de danseuse de corde d'Italie que, si récemment, je lui avais entendu appliquer à ces deux princesses, et je fus étrangement frappée de ce spectacle.

Cependant, monsieur de Chateaubriand était sincère en ce moment aussi bien que dans l'autre; mais il possède cette mobilité d'impression dont il est convenu en ce siècle que se fabrique le génie. Éminemment artiste, il s'enflammait de son œuvre, et c'était à l'agencement de ses propres paroles qu'il offrait l'hommage de ses pleurs.

Ce n'est point comme un blâme que je cite ce contraste, mais parce que j'en ai conservé une vive impression et que les hommes de la distinction incontestable de monsieur de Chateaubriand méritent d'être observés avec plus d'attention que le vulgaire.

Il avait réclamé ma visite pour me charger de demander son admission au château de Blaye. En qualité de conseil de madame la duchesse de Berry, il voulait conférer avec l'accusée. Cela était de droit, selon lui, ainsi que la libre correspondance avec les personnes chargées des affaires de ses enfants dont elle était tutrice.

Sans partager son opinion, je me chargeai du message. La réponse fut négative. Comme conseil judiciaire, sa présence à Blaye était inutile, puisque aucune procédure ne devait être dirigée contre la princesse, et le gouvernement n'était pas assez niais pour le lui envoyer comme conseil politique.

Il ne pouvait non plus, par les mêmes raisons, autoriser la correspondance libre et fréquente demandée par monsieur de Chateaubriand, mais les lettres ouvertes, soit d'affaires, soit de famille, seraient religieusement remises entre ses mains.

Je ne saurais exprimer la fureur de monsieur de Chateaubriand lorsque je lui transmis cette réponse si facile à prévoir. J'en fus confondue et madame Récamier consternée. Mais je dois dire qu'elle tomba principalement sur cette misérable qui n'avait pas su se faire tuer pour léguer du moins un martyr à son parti et n'avait réussi, par toutes ses extravagances, qu'à en constater la faiblesse et à préparer des succès, couronnés de l'ostentation d'une fausse modération, à ses antagonistes.

Évidemment, la conduite adoptée envers Marie-Caroline déplaisait fort aux siens et cela m'y réconciliait un peu.

Nous la savions arrivée à Blaye le 15 novembre en assez bonne santé, malgré une traversée pénible, orageuse, dangereuse même, où elle montra son intrépidité accoutumée, intrépidité qui lui valait partout l'admiration des militaires et acheva de gagner le cœur du colonel Chousserie.

Il l'avait accompagnée de Nantes et demeura son gardien à Blaye où il prit le commandement du fort, tandis que la Capricieuse et quelques autres petits bâtiments croisaient dans la rivière.

Les appartements de madame la duchesse de Berry étaient suffisamment vastes, convenablement meublés, et, hormis la seule chose qu'elle eût voulue, la liberté, on s'empressait à satisfaire à ses souhaits.

Malgré la parole arrachée à la Reine de ne plus se mêler en rien de son sort, elle s'occupait constamment de lui procurer les allégements compatibles avec sa situation. Monsieur Thiers eut ordre de faire trouver à Blaye des livres, de la musique, un piano, ainsi que les atours et les recherches nécessaires à sa toilette et à ses habitudes, connues de sa tante.

Les ouvriers de Paris, accoutumés à la servir, les fournirent. Toutefois, le petit sanhédrin des dames du faubourg Saint-Germain firent d'amples lamentations sur ce que madame la duchesse de Berry avait été enlevée sans aucune espèce de bagage, et s'offrirent à lui procurer par souscription un trousseau.

Madame de Chastellux fut députée vers moi pour me charger de solliciter de monsieur Thiers l'autorisation de cet envoi. J'eus la satisfaction de pouvoir répondre que tout avait été prévu à ce sujet. Il ne manquait rien à l'illustre prisonnière, et je le savais mieux que personne, y ayant été employée.

Mais cela ne suffisait pas à un parti accoutumé à se repaître de niaiseries. Les patronnesses voulaient une souscription ayant un certain retentissement. On décida que la princesse ne devait pas porter des vêtements fournis par ses persécuteurs; et je consentis à demander l'entrée à Blaye de ceux qu'on y voulait expédier.

Je l'obtins à grand'peine, et, pendant trois semaines, les salons légitimistes furent exclusivement occupés de cet envoi. Chacun ajoutait un petit symbole de zèle ingénieux et de dévouement spirituel à son offrande. Mais tout cela prenait un certain temps pendant lequel la recluse était forcée à porter ces chemises de Nessus si redoutées pour elle.

Ajoutons, en passant, que la princesse ne partageait apparemment pas les scrupules de ces personnes dévouées; car, en quittant Blaye, elle a emporté non seulement les effets destinés à sa personne, mais encore les meubles les plus élégants de son appartement, disant qu'elle n'en trouverait pas d'aussi bien fabriqués à Palerme.

L'offrande des dames du faubourg Saint-Germain, on doit le comprendre, fut soumise à un rigoureux examen. Un livre de prières, par la largeur de ses marges, je crois, excita l'attention des personnes accoutumées à ces sortes de visites. Il était le don de madame de Chastellux. On y trouva, en effet, beaucoup d'écriture à l'encre sympathique, des assurances de fidélité éternelle, des conseils sur la conduite à tenir, des espérances de bouleversement prochain, etc.

La chose la plus importante était l'avis donné que toutes les promesses pécuniaires qui seraient faites par madame la duchesse de Berry pour gagner les gens dont elle était entourée, soit pour recouvrer la liberté, soit pour établir des communications au dehors, se trouveraient immédiatement acquittées.

Monsieur Thiers me vint raconter cette trouvaille, me témoignant assez d'humeur de ma persévérance à obtenir l'accomplissement d'une œuvre qui, je l'avoue, me semblait parfaitement insignifiante et dont le refus aurait fait crier à la persécution.

Je fus un peu déconcertée de l'aventure du livre. Heureusement, monsieur Thiers ne se souciait guère de se faire de nouvelles affaires et ne redoutait nullement les conspirations de ces dames; il se calma et garda le silence sur sa découverte. Je ne pense pas que madame de Chastellux en ait été instruite, du moins ne lui en ai-je jamais parlé.

Cependant, l'ouverture des Chambres avait eu lieu, et mes prévisions de malheurs s'étaient justifiées: on avait tiré sur le Roi. C'est le commencement d'une détestable série de tentatives d'assassinat. Bergeron, qui s'échappa, fut enfin arrêté, jugé et acquitté d'un crime dont lui-même depuis s'est publiquement vanté.

Il professait les idées républicaines, mais la suite l'a montré trop vénal pour être à l'abri du genre de séduction que le parti carliste avait à sa disposition, et il était bien exaspéré dans ce moment.

Quoi qu'il en soit, dès la discussion de l'adresse, monsieur Thiers avait dû défendre son prédécesseur, monsieur de Montalivet, contre l'opposition de gauche pour la non-arrestation de madame la duchesse de Berry, et lui-même contre l'opposition de droite, pour son incarcération.

Monsieur Berryer, revenu de ses terreurs en voyant la longanimité si manifeste du gouvernement, fit une sortie violente sur ce que la liberté individuelle du citoyen français avait été violée en sa propre personne, sous le régime atroce de la mise en état de siège, et eut l'impudence de reprocher la détention arbitraire de madame la duchesse de Berry que le despotisme prétendait soustraire au jugement des tribunaux.

Monsieur Thiers répondit victorieusement à tous les arguments et obtint une forte majorité.

Il ne serait pas impossible, au surplus, que, dans des intérêts de parti ou dans la pensée de s'illustrer par l'éloquence d'une défense ne présentant à cette heure aucun danger pour lui, monsieur Berryer désirât sincèrement le scandale d'un procès. L'envie qu'il en témoignait, au reste, servait à en éloigner l'immense majorité des députés.

La prise d'Anvers, arrivée avant la fin de l'année, consolida le cabinet et lui donna la force dont il a vécu jusqu'au moment où lui-même s'est divisé; mais ceci appartient à l'histoire.

Je reprends ma spécialité et retourne au commérage.

L'absence de mademoiselle de Kersabiec allait laisser madame la duchesse de Berry sans dame autour d'elle. Lui en nommer d'office semblait une aggravation à sa captivité. La Reine s'en préoccupait fort lorsqu'elle reçut de la duchesse de Reggio (la maréchale Oudinot), dame d'honneur de madame la duchesse de Berry, la demande d'aller rejoindre sa princesse.

Rien ne pouvait être plus désirable. Madame de Reggio joint à beaucoup d'esprit un tact exquis des convenances, et elle aurait maintenu les formes les plus dignes autour de la princesse. Celle-ci le savait bien, aussi refusa-t-elle d'accueillir la maréchale.

 

Elle désigna mademoiselle de Montaigne dont la famille éleva des difficultés. Madame de Gourgue s'offrit à son tour et fut repoussée. Madame la duchesse de Berry et la comtesse Juste de Noailles, sa dame d'atour, se refusèrent mutuellement et simultanément.

On en était là de cette négociation, la Reine désirant vivement une dame sortable auprès de sa nièce sans oser s'en mêler ostensiblement et la princesse ne s'en souciant guère, lorsque je reçus une lettre de la comtesse d'Hautefort, alors chez elle en Anjou, me demandant, au nom de notre ancienne amitié, de supplier la Reine de l'envoyer à Blaye.

Elle s'engageait à ne prendre part à aucune intrigue, à ne conserver aucune correspondance au dehors, à ne recevoir aucune visite. Elle voulait uniquement se consacrer à alléger à la princesse, dont elle était dame, les longues heures de la captivité. Elle m'aurait une reconnaissance éternelle si je pouvais lui obtenir cette faveur.

Je lui répondis immédiatement combien j'appréciais et je comprenais ses sentiments et ses vœux. Ce qu'elle demandait n'était pas à la disposition de la Reine, mais sa lettre serait mise sous les yeux des personnes aptes à en décider.

En effet, j'en parlai à monsieur Thiers. Je lui dis, ce que je crois encore, madame d'Hautefort trop honnête personne pour manquer à ses engagements. La surveillance établie à Blaye, d'ailleurs, serait nécessairement exercée sur elle, et, avec l'intention où il m'assurait être de prodiguer les soins et les égards à l'auguste captive, lui-même devait désirer des témoins, sincères quoique hostiles, qui le pussent affirmer.

La lettre, lue en conseil, détermina à proposer madame d'Hautefort à madame la duchesse de Berry, en même temps, qu'on lui faisait savoir le refus de mademoiselle de Montaigne. Elle consentit froidement; et je fus chargée d'informer madame d'Hautefort que les portes de la citadelle lui seraient ouvertes, à la condition de s'y rendre directement et sans passer par Paris.

Elle me répondit par des hymnes de reconnaissance et se mit en route sur-le-champ.

J'ai regret de n'avoir pas conservé cette correspondance: elle ne laisserait pas que d'être assez curieuse; mais je ne m'avisais point en ce moment que madame d'Hautefort et moi nous faisions de la chronique, si ce n'est tout à fait de l'histoire. Je n'étais mue que par la pensée de l'obliger, le plaisir d'être utile à madame la duchesse de Berry et la certitude de complaire aux vœux de la Reine.

J'ai lieu de croire que la personne de la comtesse d'Hautefort fut accueillie à Blaye tout aussi froidement que l'avait été l'offre de son dévouement, et qu'elle en fut très blessée.

On eut encore recours à moi pour obtenir de monsieur Thiers l'envoi d'une femme de chambre dont madame la duchesse de Berry souhaitait fort la présence. L'aventure du livre de prières le mettait en garde contre mes sollicitations et je le trouvai récalcitrant.

Cependant, à force de lui démontrer les avantages, que je croyais très réels, d'environner la personne de madame la duchesse de Berry de gens à elle, pouvant attester des bons procédés employés à son égard, je parvins à enlever son consentement, à la condition d'en garder le secret et même de communiquer un refus.

Quelques jours après, il m'écrivit de lui envoyer madame Hansler, sans lui laisser le temps de parler à personne. Un de mes gens l'alla chercher et la conduisit chez le ministre où il la laissa. Monsieur Thiers lui annonça que, si elle voulait aller à Blaye, il fallait partir sur-le-champ.

Après quelques hésitations et de nombreuses objections, elle se soumit. On la fit monter dans une calèche toute attelée de chevaux de poste, et elle se mit en route sous l'escorte d'un agent de police. Elle obtint, par concession, de passer chez elle pour y prendre des effets à son usage, soumis à l'inspection de son camarade de voyage.

Je ne m'attendais pas à un si brusque enlèvement, quoique monsieur Thiers m'eût énoncé la volonté de l'isoler des conseils de la coterie qui l'expédiait. Celle-ci, en effet, comptait bien endoctriner madame Hansler et avait réservé les avis les plus importants pour le dernier moment; elle se trouva fort désappointée de ce départ improvisé et m'en sut très mauvais gré comme si c'était ma faute.

Les services que j'avais été à même de rendre dans ces circonstances me valurent, comme de coutume, un redoublement d'hostilité du parti henriquinquiste. Je fus tympanisée dans ses journaux, et on répandit la belle nouvelle que j'allais épouser monsieur Thiers. J'étais fort au-dessus de m'occuper de ces sottises, et on ne réussit même pas à m'impatienter.

Tous les partis sont ingrats, et surtout celui-là qui s'intitule par excellence le parti des honnêtes gens. Au demeurant, le but où je tendais a été atteint. Car, à travers toutes les vociférations de la haine, de la colère, de la vengeance, personne n'a osé prétendre que la captive de Blaye ne fut pas traitée avec les égards qui lui étaient dus.

À peine madame la duchesse de Berry était-elle sous les verrous, que monsieur Pasquier se préoccupait des moyens de les lui faire ouvrir. Il n'en voyait la possibilité dans les circonstances données, que par une amnistie générale où elle serait comprise, et l'intérêt gouvernemental, encore plus que celui de la princesse, le décida à la conseiller dans une note remise au Roi.

Les cours de Blois, de Nantes, de Rennes, d'Aix, de Montauban, etc., allaient être appelées à juger les complices de Marie-Caroline et ne manqueraient pas de réclamer sa présence. Ce serait une première difficulté d'avoir à la refuser. Ne devait-on pas craindre (et cela est effectivement arrivé) que l'absence de la principale accusée ne fît acquitter tous les inculpés?

Or, ces acquittements, quoique purement de fiction légale, seraient exploités comme un encouragement national par le parti légitimiste; la voix du juré, pour le coup, serait proclamée la voix du pays. Tandis qu'en publiant une amnistie, fondée sur le point de vue de la guerre civile vaincue et de l'Ouest pacifié par l'éloignement et la dispersion des chefs, on évitait ce danger, en se plaçant dans la meilleure et la plus généreuse attitude.

D'ailleurs, ajoutait monsieur Pasquier, si on ne profitait pas de ce moment, quand pourrait-on terminer une captivité qui serait toujours une source de peines et d'inquiétudes pour la famille royale? Ce ne pourrait être lorsque l'acquittement des autres accusés aurait donné une sorte de bill d'indemnité à madame la duchesse de Berry, et nulle circonstance favorable n'était à prévoir.

Cette note, lue au conseil, y trouva peu de faveur; moins accoutumés aux scrupules de la magistrature, les ministres ne voulurent pas admettre la possibilité de voir les complices de la princesse, gens si évidemment, si palpablement coupables, innocentés.

Peut-être aussi la connaissance qu'avait monsieur Thiers de la répugnance de monsieur Pasquier à voir l'arrestation de madame la duchesse de Berry lui faisait-il croire à une prévention personnelle, dans cette circonstance, et attacher moins d'importance à son opinion, d'autant qu'à l'occasion de pétitions, dont les unes demandaient que la princesse fût mise en jugement, les autres qu'elle fût rendue à la liberté, le ministre obtint des Chambres un vote approbatif des mesures qu'il avait adoptées.

Les assises de Montauban, où l'on devait juger les passagers et l'équipage du Carlo Alberto, exigeant la comparution du comte de Mesnard, il dut quitter Blaye. Madame la duchesse de Berry ne témoigna aucun chagrin de son départ, mais elle fut vivement contrariée de le voir remplacer par le comte de Brissac, son chevalier d'honneur.