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Récits d'une tante (Vol. 4 de 4)

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Celui-ci, très dévot et rigide dans ses mœurs, n'était nullement agréable à la princesse qu'on n'avait pas consultée pour accepter la proposition faite par lui de remplacer monsieur de Mesnard, et elle le reçut encore plus mal que madame d'Hautefort.

Toutes les préférences étaient alors pour monsieur Chousserie, colonel de gendarmerie. Il l'avait accompagnée de Nantes, où il avait aidé à sa capture, et commandait à Blaye. De longues conversations, d'éternels tête-à-tête s'établissaient entre eux, au point que les témoins en étaient étonnés et parfois scandalisés.

Le colonel Chousserie a raconté postérieurement qu'il était dans la confidence de son état et avait pris l'engagement de faire disparaître l'enfant sans qu'il en fût autrement question.

Selon lui, la difficulté de cacher cette aventure à monsieur de Mesnard la préoccupait beaucoup; et c'est pour cela qu'elle avait vu son départ avec tant de satisfaction. L'arrivée de monsieur de Brissac pourtant avait fort tempéré sa joie.

En apprenant l'intimité journellement croissante entre le commandant et sa prisonnière, monsieur Thiers conçut des inquiétudes et se décida à le faire changer. Il consulta monsieur Pasquier, devant moi, sur la convenance de le faire remplacer par un de nos amis communs, le colonel de Lascours, beau-frère du duc de Broglie.

Les cris que nous jetâmes l'un et l'autre avertirent monsieur Thiers des objections à faire à un pareil emploi que lui regardait comme une faveur. Assurément monsieur de Lascours aurait refusé une si maussade commission. Mais nous fûmes très étonnés de la savoir acceptée par le général Bugeaud, député assez influent, bon officier, homme d'honneur et d'esprit, mais ayant l'épiderme suffisamment calleuse pour ne point souffrir de tout ce que le métier dont il se chargeait présentait d'odieux.

Depuis quelque temps déjà les rapports du colonel Chousserie annonçaient la princesse très souffrante. Les lettres de madame d'Hautefort et de monsieur de Brissac parlaient d'une toux opiniâtre et d'un grand amaigrissement. Elle ne se plaignait pas, mais ses forces diminuaient.

L'inquiétude gagna le cabinet. Monsieur Pasquier ne négligea rien pour l'exploiter, d'autant plus qu'il la partageait.

Dans une nouvelle note remise au Roi, il rappela que la mère, l'archiduchesse Clémentine, était morte poitrinaire peu de temps après la naissance de madame la duchesse de Berry. Il observa combien les fatigues d'une vie aventureuse, qui avait dû exposer la princesse aux intempéries des saisons, étaient propres à développer le germe de cette maladie héréditaire. Il insista sur le fatal effet que produirait sa mort dans les murs de Blaye. Les contemporains établiraient et la postérité croirait que sa vie y aurait été sacrifiée.

Cette note donna lieu à une discussion en conseil, à la suite de laquelle deux médecins de Paris, les docteurs Orfila et Auvity, furent expédiés à Blaye.

Leur rapport officiel, inséré au Moniteur, se trouva satisfaisant sur l'état de la poitrine et les conditions sanitaires du séjour de la citadelle. Leurs propos confidentiels exprimèrent la pensée d'une grossesse assez avancée. Toutefois, la princesse avait éludé les observations qui l'auraient tout à fait constatée.

C'est le premier soupçon que le gouvernement en ait eu; car on a vu que ceux conçus par monsieur Thiers, avant l'arrestation de madame la duchesse de Berry, s'étaient entièrement dissipés; et, au fond, cette grossesse était si peu avancée au mois d'octobre que les confidents les plus intimes en pouvaient seuls être instruits.

Le docteur Guitrac, de Bordeaux, avait été appelé auprès de la princesse par le colonel Chousserie. On lui savait les opinions carlistes les plus exaltées. Il était, selon toutes les probabilités, dans leur confidence et aurait prêté assistance au moment opportun.

Le triste secret, renfermé jusque-là dans les murs de Blaye, ne tarda pas longtemps à être divulgué. Je ne sais d'où vinrent les indiscrétions; mais les petits journaux commencèrent une série de plaisanteries dont les partisans de la princesse se tinrent pour justement offensés.

Il s'ensuivit un nombre considérable de duels. Une légion de chevaliers français se forma pour défendre la vertu de Marie-Caroline envers et contre tous. Un de mes cousins, le comte Charles d'Osmond, se battit avec le rédacteur du Corsaire. Cette manie gagna les provinces; on olindait partout. Il fallut que le gouvernement et les chefs des différents partis s'interposassent pour mettre un terme à ces sanglantes prouesses.

Le rapport du docteur Orfila, d'une part, et ceux de Blaye, qui continuaient à représenter madame la duchesse de Berry comme très souffrante, de l'autre, décidèrent un nouvel envoi de médecins.

Les réclamations des carlistes furent d'autant plus violentes et insultantes sur l'infamie d'avoir mis au nombre monsieur Dubois (chirurgien des plus habiles, mais connu comme ayant accouché l'impératrice Marie-Louise) qu'eux-mêmes furent induits en erreur par leurs propres agents.

Le docteur Guitrac, que la commission venue de Paris s'associa, se trouvait dans le secret de la grossesse; mais, ayant mal interprété les réponses de la princesse et de sa femme de chambre, madame Hansler, qu'il ne put interroger en particulier, il crut le danger conjuré par quelque accident; et, à son retour à Bordeaux, il affirma les bruits répandus sur la grossesse de madame la duchesse de Berry entièrement faux et parfaitement calomnieux.

Sur cette assurance, monsieur Ravez, ami intime du docteur, publia la ridicule protestation où il répond sur sa tête de la vertu de Madame. Tout le parti reprit une complète sécurité et un redoublement de violence.

Le duc de Laval, le duc de Fitzjames, le comte de La Ferronnays, écrivirent de Naples pour demander à remplacer madame la duchesse de Berry dans les cachots et lui servir d'otages. Otages de quoi? Ils ne l'expliquaient pas.

Cela me rappela qu'avant de partir pour aller passer l'hiver à Naples, où la colonie des mécontents français menait bonne et joyeuse vie, dansant au bal et jouant la comédie, le duc de Laval m'avait dit: «Ne vous y trompez pas, chère amie, nous entrons dans les temps héroïques.»

Tout le monde jouait au roman historique avec d'autant plus de zèle que c'était sans danger. Sir Walter Scott avait remis les propos chevaleresques à la mode, aussi bien que les meubles du moyen âge; mais les uns et les autres n'étaient que de misérables imitations.

Les lettres de madame d'Hautefort devenaient plus gênées, moins explicites; un profond mécontentement y perçait parfois; et pourtant le parti carliste, fort des paroles du docteur Guitrac, demeurait en sécurité.

Le gouvernement, en revanche, éclairé par les autres médecins et les rapports du général Bugeaud, ne formait guère de doutes sur l'état de la princesse.

La brochure de monsieur de Chateaubriand, dont j'avais entendu lire quelques passages manuscrits (Mémoire sur la captivité de madame la duchesse de Berry), avait produit une assez grande sensation, occasionné des manifestations bruyantes et forcé l'autorité à la saisir.

La phrase qui la terminait: «Madame, votre fils est mon roi», était devenue comme une sorte de mot d'ordre pour le parti. Un certain nombre de jeunes gens venaient la crier dans la cour de monsieur de Chateaubriand et la répétaient en toast dans les banquets où l'héroïne de Nantes était célébrée.

Les journaux carlistes rendaient un compte exagéré de ces événements, et il avait fallu sévir, malgré soi, contre des actes si publiquement hostiles au gouvernement établi.

Monsieur de Chateaubriand fut acquitté, par respect pour son nom, à la suite d'un discours habile, digne et modéré de sa part, et d'une plaidoirie fort ampoulée de monsieur Berryer où l'avocat se remarquait bien plus que l'homme d'État. Mais ce triomphe fut cruellement empoisonné; car, ce jour-là même, le Moniteur contenait la déclaration faite par madame la duchesse de Berry d'un mariage secret. Personne n'en fut dupe et le parti s'en trouva atterré.

Je me souviens d'avoir assisté la veille à un grand dîner chez le baron de Werther, ministre de Prusse. Nous étions une quarantaine de personnes, la plupart assez bien informées pour savoir la nouvelle reçue par le gouvernement à la fin de la matinée; mais aucune ne se souciait d'en parler la première.

Je ne pense pas qu'il y eut dix paroles échangées avant de se mettre à table. Il régnait dans ce salon une sorte de honte générale, mêlée à la tristesse.

Pendant le dîner, chacun chuchota avec son voisin, et, en sortant de table, on s'abordait en se demandant, sans autre commentaire, si cela serait, en effet, dans le Moniteur du lendemain.

La pudeur publique y répugnait, car tout le monde lisait le mot de grossesse à la place de celui de mariage; mais madame la duchesse de Berry avait exigé la publicité de sa déclaration.

Quoique réelle, notre consternation n'approchait pas de celle de la Reine. Je la vis le matin et la trouvai désolée. Affligée comme parente, elle se sentait encore atteinte et comme reine et comme princesse et comme dame et comme femme: elle joignait les mains et pliait la tête.

Pour elle, la surprise était jointe au chagrin. Les ministres, ni le Roi, n'avaient jamais osé lui parler des soupçons qu'on avait conçus. Accoutumée aux infâmes propos des journaux, elle n'y avait fait aucune attention sérieuse; et même, monsieur le duc d'Orléans ayant, quelques jours avant, hasardé une allusion à ce sujet, sa mère, si douce pour lui habituellement, l'avait traité avec une très grande sévérité. Le coup qui la frappait lui était imprévu.

J'osai m'étonner et regretter que madame la duchesse de Berry n'eût pas eu recours à elle dans son malheur.

«Ah, ma chère, que ne l'a-t-elle fait!.. Ils auraient dit ce qu'ils auraient voulu mais rien ne m'aurait empêchée d'aller la soigner moi-même si on n'avait pas voulu la mettre à l'abri de cette honte!.. Après tout, c'est la fille de mon frère!.. et encore, c'est de Blaye que je m'occupe le moins; mais cette pauvre Dauphine! Oh, mon Dieu, cette pauvre Dauphine si pure, si noble, si sensible à la gloire! quelle douleur, quelle humiliation! voir salir ses malheurs! Ah! je sens tout ce qu'elle souffre, mon cœur en saigne, et je n'ose pas même le dire!»

 

Les larmes de la Reine coulaient abondamment.

Elle ne se faisait aucune illusion sur ce prétendu mariage. Je sais pourtant que, malgré la promesse donnée de ne plus se mêler du sort de madame la duchesse de Berry, elle essaya de tirer de cette déclaration qui de droit annulait les prétentions à la Régence un argument pour solliciter l'ouverture immédiate des portes de Blaye.

Mais la Reine avait contre elle le cabinet, monsieur le duc d'Orléans, je suis fâchée de l'avouer, madame Adélaïde et même le Roi qu'on avait enfin persuadé, et elle ne put rien obtenir. Je l'en ai vue tout à la fois désolée et courroucée.

On lui objectait qu'à peine rendue à la liberté madame la duchesse de Berry nierait son mariage apocryphe, prétendrait sa déclaration arrachée par la violence, affirmerait le bruit de sa grossesse inventée, répandu, accrédité par le cabinet des Tuileries, le traiterait de fable infâme, trouverait le moyen d'accoucher dans un secret dont personne ne serait dupe mais où tout son parti l'assisterait, et enfin que, pour mettre à couvert l'honneur impossible à sauver de la princesse, on compromettrait celui du Roi et du gouvernement français.

Tout cela se pouvait dire, quoique à tort selon moi. La Reine, accoutumée à céder, se soumit. Ce ne fut pas sans combats et elle en conserva une tristesse profonde pendant longtemps.

Je reviens à Blaye. Ici, on le comprend, je suis nécessairement livrée aux conjectures; mais j'ai lieu de croire qu'il y avait eu un malentendu entre la princesse et ses confidents, les communications ne pouvant être ni fréquentes, ni faciles, ni peut-être très explicites. Elle croyait avoir reçu le conseil de donner une grande publicité à une déclaration qu'on lui présentait au contraire comme une révélation secrète à confier dans un cas extrême.

Les carlistes ont avancé et soutenu que l'aveu de son état avait été fait par elle à la Reine et qu'elle avait réclamé son assistance, avant de faire cette déclaration de mariage. Cela est positivement faux de tous points, comme je viens de l'attester.

Madame la duchesse de Berry n'attachait pas une grande importance à la situation où elle se trouvait, et elle aurait cru déroger bien davantage à ses idées d'honneur en demandant la protection de la Reine.

J'ai été bien souvent étonnée que, poussée par la honte d'une position qui conduit fréquemment une servante d'auberge à se noyer dans un puits plutôt qu'à la voir divulguée, madame la duchesse de Berry, à laquelle on ne peut refuser un courage peu ordinaire et dont les idées religieuses ne lui faisaient certainement pas obstacle, n'ait pas préféré se précipiter du haut de ces remparts de Blaye où elle se promenait chaque jour, léguant ainsi à son parti une noble victime à venger, à ses ennemis un malheur irréparable à subir et se plaçant au premier rang dans le cœur de ses enfants aussi bien que sous le burin de l'histoire; car personne n'aurait osé prendre l'odieux de proclamer le motif réel de son désespoir.

Je crois que, tout simplement, elle n'avait pas compris l'énormité de sa chute. Elle n'attachait aucun prix à la chasteté; ce n'était pas sa première grossesse clandestine. Elle croyait les princesses en dehors du droit commun à cet égard et ne pensait nullement que cet incident dût influer sur son existence politique d'une façon sérieuse.

Elle s'était même persuadé qu'en annonçant un mariage quelconque elle s'ouvrirait les portes de la citadelle et se promettait bien de ne donner aucune suite à ce mensonge, quitte à le qualifier de ruse de guerre.

Quoi qu'il en soit, un jour où le général Bugeaud, qu'elle cajolait fort depuis quelque temps, entra chez elle pour lui rendre ses hommages quotidiens, elle se jeta inopinément dans ses bras, fondant en larmes et criant à travers ses sanglots: «Je suis mariée, mon père, je suis mariée.»

Le général parvint à la calmer; et alors, cette personne, si noble et si digne à Nantes, se donna la peine de jouer à Blaye une véritable scène de proverbe, semblant toujours au moment de révéler le nom de cet époux si chéri et pourtant toujours arrêtée par la crainte de lui déplaire en le nommant sans sa permission.

Elle donnait à entendre que c'était une alliance parfaitement sortable. De nouvelles réticences y laissaient presque entrevoir un caractère politique; puis, s'apercevant qu'elle dépassait le but, elle revenait à l'amour, l'amour passionné, irrésistible.

Bugeaud, bon homme dans le fond, avait commencé par être ému; mais ces tergiversations l'empêchèrent d'ajouter foi à ses paroles: il y vit une scène montée à l'avance.

Cependant, lorsque la princesse demanda à faire là déclaration de son mariage, à la condition qu'elle serait immédiatement insérée au Moniteur, il lui répondit que le nom de l'époux était indispensable à la validité du document. Elle s'y refusa obstinément.

La pauvre femme aurait été bien empêchée à le fournir, car ce mari postiche n'était pas encore découvert.

Madame la duchesse de Berry chargea monsieur Bugeaud de faire sa triste confidence à madame d'Hautefort et à monsieur de Brissac. Était-ce un moyen de mettre leur responsabilité à l'abri, ou bien avait-elle, en effet, gardé le silence envers eux jusque-là? Je ne sais, mais ils montrèrent plus de chagrin que de surprise.

Il est positif que, dans le même temps, monsieur de Mesnard s'exprimait à Montauban, où le procès dit du Carlo Alberto le retenait encore, dans des termes qui ne permettaient pas de le croire instruit de l'état de madame la duchesse de Berry, et la déclaration de mariage le jeta dans le désespoir.

Déjouée dans la pensée d'être aussitôt remisé en liberté et le gouvernement annonçant le projet de lui laisser faire ses couches à Blaye, il paraît que la princesse se plaignit amèrement à ses confidents du mauvais conseil qu'on lui avait donné; mais elle ne dissimula plus sa grossesse et bientôt fit demander à Deneux, son accoucheur attitré, de se rendre auprès d'elle.

Elle continua à entretenir le général Bugeaud, avec lequel elle s'était mise sur le ton de la familiarité la plus grande, des mérites de son mari, de l'amour qu'elle lui portait; et, quoiqu'il sût que, dans son plus intime intérieur, elle se riait de la crédulité qu'elle lui supposait, les bontés des grands ont une telle fascination qu'il en était séduit.

Tandis que le premier acte de cette comédie se jouait à Blaye, le second se préparait à la Haye.

Le goût de l'intrigue et celui de l'argent, si chers à tous deux, y avaient réuni en fort tendre liaison monsieur Ouvrard et madame du Cayla. Ils étaient auprès du roi Guillaume les agents de madame la duchesse de Berry.

Ouvrard s'occupait de l'emprunt dont Deutz avait révélé le projet, et madame du Cayla cherchait à prendre sur le vieux roi de Hollande la même influence exercée naguère sur le roi Louis XVIII.

J'ignore si elle reçut ou si elle se donna la commission de trouver un mari pour Marie-Caroline; mais il est certain qu'elle en a eu tout le mérite.

Monsieur de Ruffo, fils du prince de Castelcicala, ambassadeur de Naples à Paris, se trouvait de passage à la Haye dans ce moment. Toute sa famille, et lui-même, étaient fort attachés à madame la duchesse de Berry. Le jeune Ruffo lui avait fait sa cour à Massa.

La comtesse du Cayla, considérant les termes de la déclaration faite à Blaye, s'avisa que ce serait là un mari possible, et, dans un long tête-à-tête, elle employa toutes ses plus habiles insinuations à préparer monsieur de Ruffo, à accepter cet emploi.

Elle réussit du moins à se faire comprendre; car, à peine rentré à son auberge, il fit ses paquets, demanda des chevaux et, le lendemain matin, la négociatrice désappointée apprit qu'il s'enfuyait à grande course de la Haye.

Cependant le temps pressait. Loin de prendre la déclaration de Blaye comme une ruse de guerre, le roi Charles X exigeait que le frère de ses petits-enfants eût un père avoué et nommé. Sa colère n'épargnait pas les épithètes offensantes à la mère.

Madame la Dauphine était tombée dans le désespoir à la nouvelle de cette honte de famille si solennellement publiée. Elle savait dès longtemps l'inconduite de sa belle-sœur, mais ce scandale historique ne lui en était pas moins cruel. Elle aussi réclamait un mariage.

Il n'y avait donc pas à reculer; et, sans y regarder de si près, madame du Cayla mit la main sur un attaché à la légation de Naples, jeune homme de belle figure, de haute naissance, mais fort débauché et perdu de dettes.

Tel que le voilà, le comte Lucchesi était patemment à la Haye depuis dix-huit mois et ne s'en était pas absenté vingt-quatre heures; toutes les légations européennes accréditées en Hollande pouvaient en faire foi. Mais madame du Cayla ne s'arrêta pas à ces considérations, secondaires. Elle fit de belles phrases à monsieur de Lucchesi sur un si admirable dévouement à la sœur de son souverain, la postérité n'aurait pas assez d'éloges à lui donner, d'autels à lui dresser…

Puis survint Ouvrard, avec les arguments irrésistibles de don Basile, et cent mille écus décidèrent le comte Hector de Lucchesi-Palli, fils du prince de Campoforte, à mettre son nom à la merci des intrigants qui le lui avaient acheté; car, à cet instant, on pensait peu à sa personne.

Le parti carliste, d'abord écrasé par la chute de son héroïne, ne s'était pas trompé au sens de la déclaration et n'avait pas même cherché à l'expliquer autrement que nous; mais, se relevant petit à petit, il voulut faire une énigme de ce qui n'était que trop clair.

Les uns l'annonçaient une ruse de guerre inventée par la princesse, d'autres la niaient absolument, un certain nombre la proclamaient imposée par la violence matérielle; mais tous étaient d'accord pour supposer cette révélation arrachée par ce qu'ils nommaient des tortures morales.

On faisait mille contes à ce sujet. Il est positif cependant qu'elle a été entièrement spontanée. Personne n'en a été plus surpris que le général Bugeaud, si ce n'est le ministère. Madame la duchesse de Berry ne l'a jamais nié en aucun temps.

Je crois bien, à la vérité, que, si elle avait espéré trouver dans monsieur Bugeaud la même assistance clandestine que dans monsieur Chousserie, elle l'aurait préféré, et encore cela est-il douteux.

J'ai vu soutenir à de fort belles dames qu'elles auraient constamment refusé tout aveu et seraient accouchées en criant à tue-tête: «C'est une atroce invention de mes bourreaux… je ne suis pas grosse…» Mais cet excès d'impudence est plus facile à rêver qu'à mettre en action.

D'ailleurs, madame la duchesse de Berry, je l'ai déjà dit, n'attachait pas une très grande honte à un événement qui n'était pas nouveau pour elle et dont les exemples se rencontraient dans sa propre famille.

De plus, elle entendait être convenablement soignée, témoin le souci pris par elle-même d'appeler Deneux, qui exigea un ordre de sa main, et, dans ce but, elle se serait sans doute décidée à faire confidence de son état au général Bugeaud, comme elle l'avait fait au colonel Chousserie, à la dernière extrémité. Mais j'ai lieu de croire, je le répète, qu'un conseil venu du dehors et mal compris par elle l'entraîna à exiger la publicité d'une déclaration dont le modèle lui avait été envoyé, mais qui devait rester enfouie dans les murs de Blaye avec le triste secret qui s'y renfermait.

Aucun des partisans les plus dévoués de la princesse ne prenait au sérieux ce prétendu mariage, ni ne songeait à l'invoquer pour excuse. À la vérité, en ôtant toute chance possible de régence à Marie-Caroline, il lui enlevait son existence politique et les contrariait encore plus que la grossesse que, cependant, tout en y croyant parfaitement, ils s'étaient repris à nier, partant de ce principe que les gens capables de la proclamer devaient l'avoir inventée.

Lorsqu'on leur représentait que la déclaration parlait uniquement du mariage, plus sincères en cela qu'il ne leur est ordinaire, ils s'écriaient: «Ah bah, le mariage!..»

Un jour madame de Châtenay entra chez moi en riant: «Je viens de rencontrer madame de Colbert au coin de votre rue, me dit-elle, vous savez que, malgré notre liaison d'enfance, elle me tient rigueur pour mes mauvaises opinions; aujourd'hui elle m'a arrêtée. «J'espère, ma chère, que vous n'êtes pas de ceux qui croient à cette abominable invention contre madame la duchesse de Berry?

 

« – Hé, bon Dieu, j'aimerais fort à n'y pas croire, mais que voulez-vous, elle l'avoue elle-même; on dit qu'elle a mandé Deneux…

« – C'est un mensonge! c'est une horreur! c'est votre horrible gouvernement qui dit cela.» Tandis qu'elle se répandait en invectives contre le Roi, les ministres, la famille royale et tous leurs adhérents, et que j'attendais avec impatience un instant de répit pour m'esquiver, un cabriolet passe où était monsieur de Mesnard, qui nous salue. Madame de Colbert, changeant tout à coup de texte, s'écrie: «Ah! l'infâme, ah! le scélérat, je voudrais l'étrangler de mes propres mains, le misérable!» et se retournant vivement à moi… «C'est lui qui l'a fait, ce malheureux enfant!»

« – Je vois que vous y croyez et que vous en savez plus que moi, ma chère.»

«Madame de Colbert, un peu décontenancée, m'a souhaité le bonjour, nous nous sommes séparées à votre porte et voilà, dit madame de Châtenay en achevant son récit, ce qui me faisait rire.»

Madame de Colbert ne manquait pas d'esprit; mais elle était fort passionnée et représentait assez exactement les extravagances de son parti.

J'ignore de quelle façon madame la duchesse de Berry fut informée du nom de son prétendu mari. Elle avait certainement des moyens de correspondance occultes.

Aussi, le 10 mai 1833, monsieur Deneux fit par son ordre, en sa présence, et devant des témoins officiels, la présentation d'un enfant du sexe féminin, né en légitime mariage de Marie-Caroline, duchesse de Berry, et de Hector, comte de Lucchesi-Palli des princes de Campoforte.

Ce fut la première révélation donnée de ce nom. La princesse en avait gardé le secret et ses entours, aussi bien que ses plus dévoués partisans, l'apprirent avec le public. On alla aux informations, et bientôt le rire simultané de toute l'Europe accueillit la paternité postiche d'un homme qui n'avait pas quitté la Haye depuis deux ans.

Probablement madame la duchesse de Berry ignorait cette circonstance. En tout cas, elle affectait une grande satisfaction de son choix. Lorsqu'on lui annonça le sexe de son enfant: «Ah! j'en suis bien aisé, dit-elle, mon bon Lucchesi désirait beaucoup une fille; cela lui fera plaisir.»

Madame d'Hautefort et monsieur de Brissac refusèrent de signer le procès-verbal rédigé en leur présence. La princesse leur en sut extrêmement mauvais gré. Au reste, elle était fort mal avec eux depuis longtemps.

En s'enfermant à Blaye auprès d'elle, ils croyaient avoir à soigner de plus nobles infortunes et ne dissimulaient pas leur mécontentement, accru encore par la légèreté des propos de la princesse et son étrange familiarité avec les officiers de la petite garnison du château.

Toutefois, madame d'Hautefort se résigna à écrire, sous la dictée de madame la duchesse de Berry, quelques lettres où, en annonçant la naissance de la petite Rosalie, elle représentait la maison de Lucchesi-Palli comme tellement illustre et le comte Hector comme si personnellement distingué qu'en vérité tout l'honneur de l'alliance se trouvait pour la fille des rois.

Cette maladresse augmenta l'hilarité des malveillants et la tristesse des gens qui désiraient jeter un voile sur cette déplorable aventure.

On ne s'occupa plus à Blaye qu'à hâter le rétablissement de la princesse. Elle eut la promesse d'être reconduite en Sicile dès que sa santé le permettrait. La première pensée avait été de la diriger sur Trieste, mais le roi Charles X refusait positivement de la recevoir. Il devenait plus opportun alors de la remettre aux mains de son frère. On négocia à cet effet avec lui; il n'en voulait pas à Naples mais l'accepta en Sicile.

Madame d'Hautefort et monsieur de Brissac prétextèrent des affaires personnelles pour ne la point accompagner; elle-même s'en souciait peu. N'ayant pas encore compris à quel point elle était déchue, elle demanda de nouveau mademoiselle de Montaigne en promettant de la garder auprès d'elle; celle-ci se trouva d'accord avec sa famille, cette fois, pour refuser.

Madame la duchesse de Berry, dont les correspondances étaient parfaitement libres maintenant, s'adressa à la princesse Théodore de Bauffremont et lui écrivit en l'engageant à venir assister à Palerme à ces fêtes de la sainte Rosalie dont elle lui avait si souvent parlé.

Madame de Bauffremont hésita à se rendre à une demande si singulièrement rédigée. Cependant, elle avait été tellement avant dans toute cette intrigue politique et sa réputation de femme était si bien établie qu'elle consentit à deux conditions: son mari serait du voyage et, loin de s'arrêter à Palerme, madame la duchesse de Berry se rendrait directement en Bohême où tous deux l'escorteraient.

Monsieur de Mesnard, acquitté par le jury de Montauban, comme tous les passagers du Carlo Alberto, et que nous venons de voir courant très librement les rues de Paris, remplaça monsieur de Brissac à Blaye.

Quoique fort irritée de sa naissance, madame d'Hautefort, très bonne personne dans le fond, montrait de l'intérêt à la petite Rosalie et la mère en raffolait. La scène changea à l'arrivée de madame de Bauffremont; celle-ci la traita du haut de son mépris, ne daignant pas la regarder.

Monsieur de Mesnard ne cachait pas la répulsion qu'elle lui inspirait, et madame la duchesse de Berry s'en occupa beaucoup moins.

Le curieux de l'aventure, c'est que la pauvre madame d'Hautefort fut accueillie par tout le parti carliste avec la plus excessive malveillance. Dans sa province d'Anjou, les portes lui furent presque fermées et, l'hiver suivant, elle eut la naïveté de me faire dire, par un ami commun, qu'elle n'osait pas venir chez moi dans la crainte d'accréditer le bruit répandu qu'elle était vendue au gouvernement.

Malgré l'étrange rôle qu'elle nous faisait jouer par là, à toutes deux, cela m'a paru si ridiculement absurde que j'ai toujours négligé de m'en fâcher. J'ignore, au reste, ce qu'on lui reprochait; mais il n'y a pas d'invention saugrenue dont les exaltés du parti carliste ne soient capables.

Le 9 juin 1833, madame la duchesse de Berry s'embarqua à bord de la frégate l'Agathe, avec sa fille, le prince et la princesse Théodore de Bauffremont et le comte de Mesnard.

À son instante prière, le général Bugeaud consentit à l'accompagner; il manda à Paris ne pouvoir refuser cette marque d'amitié à toute l'affection filiale qu'elle lui montrait. Il avait la bonhomie d'y croire; son erreur ne fut pas de longue durée.

Dès que les côtes eurent suffisamment disparu pour ne plus laisser chance de retour, la princesse changea de procédés, et, parvenue en rade de Palerme, elle ne daigna pas prendre congé de lui sur le vaisseau, ni l'inviter à la venir voir à terre.

Bugeaud avait innocemment pris au positif les protestations de Marie-Caroline de le considérer comme un père. Il fut outré, et courroucé surtout du maussade voyage entrepris par pur zèle à sa suite. Il écrivit ici des lamentations sentimentales sur l'ingratitude de madame la duchesse de Berry qui ne laissèrent pas d'être fort divertissantes.

Il fallait un grand fonds d'ignorance des princes, de la Cour et du monde en général pour croire sincères les cajoleries dont on le comblait à Blaye, et, il faut en convenir, madame la duchesse de Berry n'avait pas de motif pour aimer à s'entourer des témoins du triste séjour qu'elle y avait fait.

Sa gaieté, au reste, ne se démentit pas un instant pendant tout le voyage. Son unique préoccupation était la crainte de manquer à Palerme les fêtés de sainte Rosalie; elle y avait assisté dans son enfance et en conservait un très vif souvenir.

La faveur de la petite Rosalie allait toujours en décroissant; mais elle fut entièrement mise de côté lorsque le père qu'on lui avait inventé, et que madame la duchesse de Berry ne s'attendait pas à trouver en Sicile, se présenta à bord de l'Agathe.