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Récits d'une tante (Vol. 4 de 4)

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Ce pauvre petit enfant, repoussé de tout le monde, est mort bientôt après à Livourne, chez un agent d'affaires où on l'avait déposé comme un paquet également incommode et compromettant.

Je ne sais si le nom du véritable père demeurera un mystère pour l'histoire, quant à moi je l'ignore. Faut-il en conclure, ainsi que monsieur de Chateaubriand me répondait un jour où je l'interrogeais à ce sujet: «Comment voulez-vous qu'on le dise, elle-même ne le sait pas!»

Une véritable séide de la princesse (je puis aussi bien la nommer, madame de Chastellux), dans un premier accès de colère contre elle, me tint à peu près le même langage: «Figurez-vous, ma chère, me dit-elle, qu'elle a eu l'incroyable audace d'oser qualifier ce misérable enfant d'enfant de la Vendée!.. en un sens elle a raison…», ajouta-t-elle plus bas.

Les grandes fureurs assoupies, le mot d'ordre fut donné et le parti carliste s'y soumit merveilleusement d'accorder les tristes honneurs de cette paternité à monsieur de Mesnard. Les anciennes relations qu'on lui supposait avec la princesse leur rendaient, je ne sais pourquoi, cette version moins amère.

Charles X sembla l'accréditer en témoignant une grande animadversion au comte de Mesnard et en lui défendant obstinément sa présence, ce qui, pour le dire en passant, était une gaucherie dès qu'il feignait d'admettre l'authenticité du mariage.

En Bretagne, personne ne croyait à monsieur de Mesnard; l'opinion la plus généralement admise désignait l'avocat Guibourg. Deux hommes également bien placés pour être des mieux informés m'ont nommé l'un, monsieur de Charette, l'autre, un fils du maréchal Bourmont. Peut-être le temps révélera-t-il ce honteux secret; personne jusqu'ici n'a réclamé une si triste célébrité.

Le départ de France de madame la duchesse de Berry fut un grand soulagement pour tout le monde. Les gens de son parti ne fixaient pas volontiers leur vue sur Blaye, et ceux qui tenaient au gouvernement pouvaient sans cesse y redouter une catastrophe.

On le fit suivre très promptement par la levée de l'état de siège dans les provinces de l'Ouest. C'était, de fait, une amnistie; mais, comme elle arrivait à la suite des jugements d'acquittement simultanément rendus par les divers tribunaux envers tous les accusés politiques, on n'en sut aucun gré au gouvernement et cela passa pour un signe de faiblesse.

Je puis me tromper, mais je crois encore que la déportation de madame la duchesse de Berry en Bohême au moment de son arrestation et l'amnistie, déclarée en même temps, auraient placé le trône nouveau sur un meilleur terrain.

Sans doute, madame la duchesse de Berry serait restée un chef de parti pour quelques imaginations exaltées et un certain nombre d'intrigants. Toutefois, on venait d'avoir la mesure de ce qu'il était en sa puissance d'accomplir dans les circonstances les plus favorables pour elle. Cela n'était pas bien formidable, et la longanimité du gouvernement, la générosité du Roi auraient ramené beaucoup de gens qui ne demandaient qu'un prétexte pour rester tranquilles.

On savait le roi Charles X et madame la Dauphine peu disposés à encourager les entreprises de madame la duchesse de Berry. Une fois à Prague, et il était facile d'exiger qu'elle y arrivât, elle serait retombée dans leur dépendance et aurait été forcée à plus de sagesse.

Il faut le reconnaître, d'ailleurs, les prévisions les plus sagaces ont un terme. Il était impossible d'imaginer que la captive jouerait si obstinément le jeu de ses adversaires; mais, je dis plus, en eût-on eu parole, il aurait été plus habile, à mon sens, de ne s'y point exposer; car, pour le léger avantage de perdre un chef en jupes, dont l'événement a montré, du reste, toutes les faiblesses, on a accumulé beaucoup de haines et de reproches légitimes sur des têtes royales. Dans un temps où le manque de respect pour les personnes et pour les choses se trouve une des grandes difficultés du pouvoir, on s'est plu à traîner dans la boue une princesse que son rang et quelques qualités brillantes devaient tenir à l'abri de l'insulte du vulgaire.

On a fait répéter, avec une apparence de vérité, comment les familles royales étalaient sans honte les plaies que les familles bourgeoises cachaient avec soin et comment les haines politiques l'emportaient dans leur cœur sur les liens de la parenté et toutes les affections sociales.

Cela pouvait être sans risque autrefois, alors que les grands seuls avaient droit de parler aux peuples d'eux-mêmes; mais, actuellement que leur conduite passe au creuset de la publicité et de la publicité malveillante, il leur faut, dans les actions de leur vie publique et privée, l'honnêteté, la pudeur et la délicatesse exigées du simple particulier. Je persiste donc à croire que personne n'a gagné au triste drame de Blaye, pas même ceux qui semblent y avoir triomphé.

La tâche de madame du Cayla n'était pas achevée. Non seulement le roi Charles X avait voulu qu'on lui présentât un mari, mais encore il exigeait, la preuve d'un mariage fait en temps opportun. Madame du Cayla se rendit en Italie à cet effet, et, grâce au désordre existant dans les registres de l'état civil, fit fabriquer un certificat de mariage dans un petit village du duché de Modène.

Le monde entier savait monsieur de Lucchesi en Hollande à la date que ce document portait; mais, soit que Charles X l'ignorât, soit qu'il lui convînt de fermer les yeux, il s'en contenta et consentit à recevoir monsieur et madame Lucchesi-Palli lorsqu'il aurait acquis la certitude qu'ils faisaient bon ménage.

Le Roi voulait enchaîner sa belle-fille à ce mari qui terminait sa carrière politique et lui enlevait tous ses droits de tutrice sur l'avenir de ses enfants. Ce n'était pas le compte de la princesse. Elle entendait conserver son nom, son rang, et même ses prétentions à la régence (que Charles X, au reste, n'avait admises en aucun temps), car elle n'a jamais compris à quel point elle était, déchue dans l'opinion publique.

Les dissensions dans la famille exilée entraînèrent de longues négociations où monsieur de La Ferronnays et monsieur de Chateaubriand furent employés sans succès. Il n'entre point dans mon projet d'en donner les détails; d'ailleurs je les sais mal.

Charles X s'obstina fort longtemps à nommer la princesse madame de Lucchesi. Celle-ci, de son côté, ne voulut pas accepter cette position et se contenta de prouver qu'elle faisait bon ménage en accouchant publiquement tous les ans et produisant ses nouveaux enfants à tous les regards.

À la fin, et par l'intercession de madame la Dauphine, le Roi s'adoucit. Madame la duchesse de Berry obtint permission de passer quelques jours dans sa famille, mais elle a cessé d'en faire partie.

Notons, comme chose extraordinaire et imprévoyable, que ce mari, improvisé par les intrigues de madame du Cayla, acheté à beaux deniers comptants par l'or de monsieur Ouvrard, acceptant sans trop de répugnance une position si humiliante et que tout devait faire présumer un misérable, s'est trouvé un très honnête homme, assez délicat, plein d'égards pour sa femme, de convenance dans ses rapports avec elle, avec les autres, et de dignité dans sa propre attitude. Enfin, d'après tout ce qui en revient, il mérite et obtient une véritable estime.

Je crois ne pouvoir mieux terminer ce récit que par une lettre dont l'amiral de Rigny m'a laissé prendre copie dans le temps. Je la donne tout entière pour lui conserver son caractère de franchise et de vérité.

Châtenay. – Septembre 1840
(Copie d'une lettre écrite par le commandant de l'Actéon.)
«Actéon, rade de Toulon,
le 11 juillet 1833.

«Vous savez, sans doute, mon cher monsieur Coste, que j'ai été envoyé à Palerme; j'ai fait un rapport officiel et je n'ai pu y insérer quelques petits détails qui sont en dehors de ma mission. J'avais bien pensé à les adresser particulièrement à l'amiral; mais, dans la crainte que cette liberté lui déplût, je me suis décidé à vous les donner, en vous priant de les lui communiquer si vous le jugiez convenable.

«À mon arrivée à Palerme, j'ai recherché tout ce qui concernait l'arrivée prochaine de la duchesse de Berry. Le soir, j'ai été présenté à son frère le prince Rodolphe, lieutenant général de la Sicile, et au prince de Campoforte, ministre dirigeant.

«J'ai vu aussi plusieurs autres personnes, et enfin j'ai reconnu que cet événement faisait peu de sensation dans le pays. On y est habitué aux écarts des princes et princesses et, comme l'immoralité est dans les mœurs de tous, aucun n'est étonné qu'une altesse ait un enfant d'un père inconnu.

«J'ai dit père inconnu. En effet, le comte Hector de Lucchesi, jeune et beau garçon, est arrivé à Palerme vers le 1er juillet; il venait de Naples et de la Haye où il vivait dans l'intimité de madame du Cayla.

«La paternité et l'épouse avaient été offertes à trois ou quatre jeunes princes napolitains ou siciliens.

«Monsieur Ouvrard sut vaincre, avec ses arguments ordinaires, les scrupules du comte Hector qui a accepté le tout, ce qui lui vaut à Palerme le surnom de saint Joseph.

«Ce qui préoccupait le plus les palermitiens, c'était de savoir comment le jeune Hector s'en tirerait avec la vieille princesse de Partano, à laquelle il a fait plusieurs enfants à Madrid lorsqu'il y était secrétaire d'ambassade avec le prince du même nom.

«Cette femme est très jalouse; on présume qu'elle fera quelques scènes à la duchesse de Berry qui lui enlève celui de ses amants qu'elle aime le mieux. Du reste, toute cette affaire occupe peu à Palerme.

«Tout le monde se prépare pour les fêtes dispendieuses qui auront lieu du 11 au 15 juillet en l'honneur de sainte Rosalie, patronne de la Sicile, et personne ne met en doute que l'héroïne de Nantes n'y prenne une part fort active.

 

«Dès que l'Agathe parut, je me rendis à bord. J'y ai passé toute la journée et, n'ayant qu'à attendre les ordres de Turpin, il m'a été facile d'observer le rôle que chacun a joué dans cette journée historique. En arrivant, j'ai été présenté à la duchesse par Turpin; elle a été fort aimable, gaie et même empressée.

«Je lui ai fait mes offres pour la France, ainsi qu'aux personnes fidèles qui l'entouraient. Sa santé est parfaite; elle m'a dit que le mal de mer l'avait d'abord éprouvée, mais qu'aujourd'hui elle se portait mieux que jamais.

«Pendant la journée, elle m'a adressé plusieurs fois la parole et avec un enjouement, une liberté d'esprit qui m'ont étonné dans la circonstance. Pendant le voyage, elle s'est attachée à se faire aimer de la marine et a montré de l'éloignement pour le général Bugeaud qu'elle nomme son geôlier.

«Je me suis aperçu que ce dernier, brave et franc militaire, n'avait pas mis les formes douces et polies que les officiers et le capitaine de l'Agathe emploient dans toutes leurs relations avec les déportés. Il est vrai de dire que son rôle à Blaye nécessitait des mesures de surveillance qui paraissent oppressives et qui deviennent inutiles à bord; de là, l'aversion de la duchesse qui trouvait une différence entre le traitement à la citadelle et à bord de l'Agathe.

«Aussi le général Bugeaud est-il fort mécontent de la duchesse, qu'il appelle ingrate, et je crois aussi un peu de la marine qui, selon lui, a été trop obséquieuse envers l'héroïne de Nantes.

«Je n'ai pas vu une seule fois la mère embrasser son enfant ou s'en occuper; elle était toute à la joie de recouvrer la liberté et au plaisir d'arriver juste pour les fêtes de sainte Rosalie qu'elle craignait beaucoup de manquer.

«La petite fille est forte et bien portante; c'est la nourrice ou une femme de chambre qui la tient toujours. Pendant la traversée, la mère s'en est un peu occupée. Cette petite lui ressemble, et elle-même n'a pas embelli: elle est maigre, noire et peu attrayante.

«Je ne vous parlerai pas de sa suite, de la petite princesse de Bauffremont, minaudière s'il en fut, et de son époux, grand, froid et plus qu'ordinaire (on le nommait prince Toto à la Cour).

«Monsieur de Mesnard mérite cependant une mention particulière, à cause de la mine qu'il fit dès que le comte Lucchesi parut. Il y avait dans sa contenance de la jalousie, du dépit, de la résignation. Son nez était écarlate (on dit que, chez lui, c'est un indice de colère), mais, en habile courtisan, c'est le seul qu'il ait laissé percer.

«On dit que, pendant la traversée, ses manières avec la duchesse avaient toute la gêne d'un ancien amant qui a échangé les douceurs de l'amour contre l'importance et l'influence d'un vieil ami.

«Vers deux heures, le comte Lucchesi est venu à bord, en frac, dans un bateau de passage, et seul. Il a demandé à voir la duchesse et s'est nommé; aussitôt on l'a introduit et on les a laissés seuls; l'entretien a dû être curieux. La petite était sur le pont; on ne l'a pas demandée.

«Une heure après, les époux sont venus sur le pont en se tenant sous le bras. La petite fille était là; il n'en a pas été question. Le prétendu père n'y a pas fait la moindre attention. J'ai bien observé cette circonstance qui est importante dans l'affaire; j'ai aussi remarqué que les fidèles voyageurs traitaient l'époux assez légèrement.

«C'est le moment de vous en parler. Il peut avoir cinq pieds six pouces, beau, brun, un embonpoint convenable aux conditions qu'il a acceptées. Il a l'esprit borné et peu orné; il parle cependant plusieurs langues. Il est renommé à Palerme pour ses succès de femmes; il a été secrétaire d'ambassade à Madrid où il vivait avec l'ambassadrice, et à la Haye où il vit avec une autre vieille femme, et enfin il justifie son goût des vieilles amours en se fixant avec la princesse.

«En paraissant sur le pont avec sa femme sous le bras, ils avaient l'un et l'autre l'air très embarrassé. Ce premier moment méritait un peintre habile, la curiosité sur toutes les figures, la bassesse masquée par la politesse dans les manières des courtisans.

«Le nez de monsieur de Mesnard a rougi aussitôt: des favoris, des moustaches, une barbe blanche qu'il a laissée croître lui donnaient une physionomie étrange; il semblait un coq blanc se préparant à la bataille. On voyait son dépit, son chagrin, sa colère; mais, quand il parlait au préféré, sa figure était gracieuse, elle reprenait son autre aspect dès qu'il ne se croyait plus aperçu par Hector.

«Mes regards se portaient surtout sur le père; je tenais à m'assurer qu'il ne s'occupait pas de la petite fille. En faisant observer cette circonstance au général Bugeaud, nous nous rappelions qu'elle dit en accouchant: «Que le bon Lucchesi sera content, lui qui désirait tant une fille!»

«Le prince Rodolphe, frère de la duchesse, lieutenant général de la Sicile, ne vint pas à bord la voir; il envoya le commandant de la marine Almagro pour la complimenter et l'accompagner à terre.

«L'Agathe était entourée d'au moins cent cinquante canots et bateaux contenant des curieux, des musiciens qui tous parlaient, criaient, chantaient et jouaient des instruments; le tout faisait un vacarme tel qu'on ne s'entendait pas à bord de la corvette.

«Je ne vous ai encore rien dit de monsieur Deneux, le fidèle accoucheur, que la duchesse accablait de préférences, d'attentions à Blaye et qu'à bord elle n'a plus regardé. Le jour du débarquement, elle ne l'a pas engagé à venir la voir à terre, non plus que monsieur Mesnière, le jeune médecin. Ces deux messieurs en ont été fort blessés, d'autant plus qu'elle a fait toutes ses grâces aux autres, et pourtant elle leur a quelque obligation.

«Quand le général Bugeaud a été lui faire ses adieux, elle n'a pu s'empêcher de lui dire qu'elle estimait son caractère et qu'elle reconnaissait qu'il avait rempli, sa tâche difficile avec modération et franchise.

«Enfin, vers quatre heures et demie, elle s'est embarquée dans le canot de Turpin qui lui donnait le bras. Les officiers rangés en haie l'ont saluée de l'épée; puis vingt et un coups de canon lui ont été tirés en hissant les pavois. Dans le premier canot se trouvaient, dans l'ordre suivant de leur embarquement: 1o la duchesse, monsieur et madame de Bauffremont, monsieur de Mesnard, et monsieur Lucchesi; remarquez que le mari a passé le dernier et que la petite fille est restée pour le canot des domestiques.

«Cette petite m'intéressait toujours; l'abandon dans lequel la laissaient sa mère véritable et son père supposé m'occupait beaucoup, et je faisais des questions insidieuses aux acteurs principaux pour en conclure quelque chose. Mes soupçons se portent sur Deutz et monsieur Guibourg l'avocat; c'est aussi l'avis du général Bugeaud.

«Toute la population de Palerme était sur les quais. Aussitôt qu'elle a été à terre, un canot est venu porter au général Bugeaud une lettre du prince Campoforte, premier ministre, père de Lucchesi, par laquelle il reconnaissait que madame la duchesse de Berry et sa fille avaient été débarquées à Palerme en parfaite santé.

«Ainsi finit cette affaire qui dure depuis quatorze mois et qui a irrité les esprits, qui est peu connue des masses en raison des récits et conjectures contradictoires qui ont été débités à dessein et accrédités par les ayants-cause afin de cacher la vérité qui n'est plus obscure pour moi.

«La duchesse de Berry conserve toujours dans ses propos un espoir de retour en France avec lequel elle récompense ceux qui lui témoignent de l'intérêt. Elle a donné vingt jours de solde à l'équipage de l'Agathe, ce qui fait environ deux mille cinq cents francs. Elle a été fort gracieuse avec les officiers quand ils ont pris congé d'elle.

«Elle a dit et fait dire que, plus tard, quand elle serait en France, elle récompenserait dignement l'état-major et l'équipage de la corvette. Dans tout ceci, elle s'est montrée reconnaissante, car il n'est, pas possible de mieux faire les choses que Turpin; il a su y mettre les égards et les attentions que mérite le malheur, tout en conservant les convenances de sa position.

«C'est ainsi qu'il a refusé de dîner avec la duchesse parce qu'il a su qu'elle n'inviterait pas le général Bugeaud, et il l'accablait de prévenances, de politesses les plus recherchées. Ne croyez pas que ma vieille amitié pour Turpin m'ait aveuglé. S'il en était autrement, je le dirais de même. J'aime mes amis, mais je ne suis ni aveugle, ni muet sur leurs fautes et leurs défauts.

«D'ailleurs là, je fais presque de l'histoire, je dois donc être avant tout véridique, et vous savez que je le fus toujours.

«Encore une anecdote. Peu de jours après le départ de Blaye, la casquette du général Bugeaud tomba à la mer. La duchesse lui dit: «Général, si on rapportait votre casquette à madame Bugeaud, elle vous croirait noyé.

« – Bah! répondit le général, cela ne fait rien, Madame, une veuve trouve toujours de beaux garçons pour la consoler».

«Il est presque certain que la duchesse se rendra sous peu à Prague.

«On assure que c'est à cette condition que messieurs de Mesnard et de Bauffremont ont consenti à l'accompagner. On veut en imposer au parti et voilà tout; car on a saisi à travers les propos de ces messieurs qu'ils ne seraient pas éloignés de se rallier à l'ordre de choses actuel.

«Le premier, monsieur de Mesnard, disait au général Bugeaud que la branche aînée avait laissé tomber la couronne et que Louis-Philippe n'avait fait que la ramasser. «Oui, lui répondit le général; mais nous l'avons attachée sur sa tête, et nous saurons nous battre pour la lui maintenir.» Le propos est un peu militaire, mais il faut convenir qu'il est vrai et surtout bien adressé.

«Voilà à peu près, mon cher monsieur Coste, les principaux événements de mon voyage à Palerme; il a été riche en récolte pour mes souvenirs. Le Consul voudrait souvent un bâtiment de guerre ici et à Naples, Messine, Catane, etc. Il croit et affirme qu'il serait utile au commerce et à la politique; ceci n'est plus de mon ressort. L'Actéon est bien, fort bien; il faudrait quinze hommes de plus pour le manœuvrer; il marche bien, j'ai retrouvé son ancienne vitesse, enfin j'en suis enchanté et je suis bien disposé à tout faire.

«Au revoir, portez-vous bien, répandez compliments et amitiés pour moi autour de vous, et recevez l'assurance de ma vieille amitié et de mon dévouement.

«Je vous serre la main de cœur.

«E. Nonay.»