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Récits d'une tante (Vol. 4 de 4)

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FONTAINEBLEAU EN 1834

J'avais été invitée au premier voyage de la Cour à Fontainebleau en 1834 et j'en conservais l'idée la plus riante.

C'était comme une oasis au milieu de ces sept années de tribulations publiques et privées qui m'ont assaillie depuis la révolution de Juillet.

L'émeute était usée; l'assassinat n'était pas né; les terreurs du choléra étaient oubliées. Le Roi se flattait d'une popularité retrempée dans l'énergie qu'il avait montrée contre les factieux armés. L'instruction du grand procès d'avril se poursuivait paisiblement, et les gens sages espéraient qu'une amnistie, suivant de près l'acte d'accusation, témoignerait à la fois de la culpabilité des accusés et de la longanimité du gouvernement sans l'exposer aux chances d'un procès qui, malgré l'habileté avec laquelle il a été conduit, n'est devenu possible que par les fautes multipliées des accusés et de leurs défenseurs, fautes qu'il était impossible de présumer et imprudent d'espérer.

Le ministère s'était récemment affaibli par la retraite du duc de Broglie. La présidence nominale du maréchal Gérard ne lui rendait pas l'ensemble qu'il avait perdu; mais messieurs Guizot, Thiers, Rigny et Duchâtel présentaient un quatuor qui promettait quelque force.

La sécurité était donc assez grande en ce moment où l'on pouvait regarder les plus violentes crises comme passées, et la situation morale des esprits contribuait à rendre le voyage projeté agréable pour tout le monde. Il devait durer dix jours; les invitations étaient divisées en trois séries. Je me trouvai faire partie de la première.

J'arrivai le lendemain du jour où la famille royale, se rendant à Fontainebleau, avait bien voulu s'arrêter à Châtenay et me renouveler de vive voix l'invitation officielle qui m'était parvenue.

C'était au commencement d'octobre; il faisait un temps magnifique qui dura tout le voyage.

On me mena dans un très joli appartement, arrangé avec un soin minutieux pour l'agrément et la commodité. Un feu énorme réchauffait la chambre et le salon qui la précédait; et, cinq minutes après mon arrivée, un valet de chambre entra, portant un plateau couvert de fruits, de gâteaux, de carafes de vin et d'eau à la glace.

Je ne fis point honneur à ces courtoisies, et, sortant de chez moi, pendant qu'on y préparait mon établissement, j'allai faire des visites dans le château.

Je vis successivement arriver les ambassadeurs de Naples, de Russie, le ministre de Prusse, quelques autres, personnes du corps diplomatique ainsi que divers équipages dont les livrées ne me révélaient pas les propriétaires. Mes courses me menèrent à l'heure de la toilette. Les costumes étaient fort élégants, mais conservaient la simplicité de la campagne, excepté les jours destinés aux bals où l'on était plus paré mais pourtant sans pierreries.

Je trouvai dans le salon d'attente des aides de camp qui, me faisant traverser la salle du trône, me conduisirent dans le salon dit de famille. La Reine, les princesses et un assez grand nombre de dames s'y trouvaient déjà réunies; les politesses royales s'y distribuaient aux nouveaux arrivés.

Bientôt on passa au dîner, dans la galerie qui s'appelait encore de Louis XVIII. Le banquet était magnifique, la chère bonne, la société choisie. Sous prétexte de costume de voyage, les gens portaient des vestes bleues galonnées d'argent, livrée des rois prédécesseurs. Tout ce qui entourait était semé de fleurs de lys.

Il y avait, dans ce voyage, un certain parfum de trône, tout au moins une évidente velléité à remonter d'une marche l'échelle de la royauté. Les ambassadeurs étrangers le remarquaient et s'en réjouissaient. J'avoue, de bonne foi, que je partageais leur satisfaction.

C'était la première fois, depuis la Révolution, que je voyais le Roi oser se souvenir qu'il était petit-fils d'Henri IV. Cette demeure si aristocratique de Fontainebleau rappelait le sang Bourbon dans ses veines et il y prenait goût. Toutefois, c'était avec les nuances sociales que le siècle imposait; et, quoique plus royales que je ne les avais encore vues à l'extérieur, les formes étaient pleines d'urbanité et le commerce entre les illustres hôtes et leurs convives aussi facile qu'obligeant.

Un spectacle bien choisi remplit la soirée. La salle contenait, en outre des invités du château, toutes les notabilités de la ville, enchantées de voir recommencer ces brillants voyages de Fontainebleau, interrompus pendant la Restauration.

Aussi le Roi fut-il reçu avec des acclamations qu'il retrouvait dans la population toutes les fois qu'il se montrait dans les rues ou dans le parc, ce qui lui arrivait perpétuellement et presque seul. Il n'avait pas encore été condamné aux précautions que la manie du régicide lui a imposées bientôt après.

Quoique des rafraîchissements eussent été largement distribués à tout ce qui était dans la salle, nous trouvâmes, en sortant du spectacle, une table à thé préparée dans le salon de famille. Madame Adélaïde s'y assit, la Reine se tint debout à causer, le Roi et les princesses ses filles se retirèrent; et chacun, suivant son goût on sa fatigue, suivit celui de ces exemples qui lui convenait le mieux. J'étais lasse; je choisis le dernier.

On était averti officiellement que le déjeuner était à dix heures et officieusement que la Reine entendait la messe à neuf heures et demie. J'y allai.

C'était dans cette jolie chapelle de saint Saturnin que le furetage artistique du Roi avait découverte, servant de salle à manger à la quatrième table du commun depuis bien longtemps, et qu'il avait rendue à la destination pour laquelle saint Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry, l'avait bénie dans le douzième siècle.

La Reine et les princesses étaient dans leur tribune. Nous nous trouvâmes cinq à six femmes dans la chapelle, sans qu'on fit attention à celles qui y assistaient ou qui y manquaient. Il n'y avait pas un homme.

Le déjeuner fut mieux suivi et les quatre-vingt-quatorze couverts étaient tous occupés.

En sortant de table, on se réunit dans le salon de famille. Une partie des femmes se mirent à travailler; les autres s'établirent autour de grandes tables couvertes de gravures et d'ouvrages remarquables, la plupart relatifs au château où nous nous trouvions et que le Roi devait nous faire visiter en détail, sitôt qu'il aurait terminé avec le maréchal Gérard une conférence que celui-ci venait de réclamer. Sauf qu'il y avait plus de monde, l'aspect du salon était précisément le même que dans une maison de campagne, chez un particulier, à pareille heure.

Le maréchal expédié, le Roi vint dégager sa promesse. On ne peut imaginer un cicerone plus instructif, plus amusant et plus amusé que le roi Louis-Philippe quand il montre et explique les travaux qui font sa seule récréation depuis qu'il est monté sur le trône.

Son admirable mémoire lui fournit, à chaque instant, quelque anecdote historique ou artistique très piquante qui donne la vie aux lieux que l'on parcourt et, quoiqu'il nous fit faire la visite bien en conscience, qu'il ne nous fit pas grâce d'un chou, et qu'il nous retint plus de deux heures et demie sur nos jambes, personne ne s'aperçut de sa fatigue.

Je fis supérieurement ma cour dans cette occasion. J'avais, en 1828, passé une semaine à Fontainebleau chez mon oncle Édouard Dillon, auquel Melchior de Polignac, gouverneur du château, avait prêté un appartement pour l'été, de façon que, l'ayant vu en détail tel qu'il était alors, je pouvais mieux reconnaître et apprécier les énormes restaurations déjà faites par le Roi.

Cette circonstance l'attacha à mes côtés et lui fit trouver plus de plaisir à me désigner les nouveaux travaux qu'il comptait entreprendre. Ceux de la belle galerie de François II étaient déjà commencés. Le plafond, tout dévissé et démonté, gisait sur le parquet, et nous pûmes remarquer la perfection de cet ouvrage d'ébénisterie, et je dirai presque d'orfèvrerie, exécuté avec le soin qu'on apporterait à faire une tabatière.

Monsieur Alaux, artiste distingué, avait préparé un échantillon de sa restauration des peintures du Primatice pour le soumettre à l'approbation du Roi. Pendant qu'il l'examinait et donnait quelques ordres, il nous confia à la gouverne de monsieur le duc d'Aumale, alors âgé de douze ans et aussi parfaitement intelligent qu'il était beau.

Il nous fit les honneurs de la bibliothèque en étalant sa jeune science, sans pédanterie, mais avec satisfaction. Il appela notre attention sur l'inscription de la porte. Elle dit cette bibliothèque l'œuvre de François II, roi des Français.

L'usage de cette appellation existait donc sous les Valois, et c'était par une concession aux prétentions des citoyens que les rois s'étaient appelés de France. Il ajouta une réflexion philosophique sur la rotation des diverses idées attribuées aux mêmes expressions. Il était charmant dans son enfantine sagesse. Le Roi nous ayant rejoints, il rentra dans son rôle d'écolier et se prit à courir devant nous.

Revenus par la porte dorée aux appartements occupés par le Roi, il nous fit remarquer un petit guéridon de bois fort commun sur lequel l'Empereur avait signé son abdication et me dit d'y lire l'inscription placée pendant la Restauration.

Je vis, gravé sur une plaque de cuivre: «C'est sur cette table que Bonaparte a signé l'acte de sa démission dans le second cabinet du Roi, où S. M. fait sa toilette.» Il faut convenir que cette inscription était bien digne d'avoir été inventée sous un monarque qui datait de la vingtième année de son règne, au retour de vingt-deux ans d'exil.

Je sus gré au roi Louis-Philippe, entourés comme nous l'étions d'étrangers et d'ennemis de la branche aînée, de n'avoir dirigé mon attention sur cette plaque qu'à voix basse. À la vérité, la Reine venait de nous rejoindre et sa présence impose toujours les sentiments délicats.

 

Elle nous montra elle-même son appartement, décoré de toutes les élégances de Marie-Antoinette qui semblaient bien mesquines à côté des magnificences de Louis XIII, de Louis XIV et même du rococo de Louis XV, mais qui l'emportaient de beaucoup sur le raide et le guindé de l'Empire.

Depuis longtemps, je n'avais vu à la Reine l'air aussi serein. L'affligeant épisode des tristes aventures de la duchesse de Berry l'avait désolée; elle en avait été atteinte et comme parente et comme princesse, et comme dame et comme femme; cette pénible impression commençait à s'affaiblir et, comme je l'ai déjà dit, la situation des affaires publiques paraissait sous un jour assez favorable.

Je restai un instant en arrière avec la Reine dans son boudoir. Je lui dis, en lui baisant la main, combien j'étais heureuse de la voir contente et réconciliée à sa situation:

«Non, ma chère, pas un jour, pas une heure, pas un instant; ici, comme à Paris, comme partout, c'est toujours comme dans ma chambre à coucher de Neuilly, toujours, toujours!!..»

Elle était fort troublée. Elle m'embrassa les larmes aux yeux, et nous rejoignîmes le groupe des visiteurs où elle reprit immédiatement son maintien calme et enjoué.

Ce rappel à la scène de Neuilly où elle avait pleuré si amèrement dans mes bras le jour où il avait fallu quitter sa douce et paisible existence pour venir prendre la couronne d'épines à laquelle elle se trouvait condamnée me frappa d'autant plus en ce moment que j'étais sous le charme de ces grandeurs héréditaires, pour lesquelles elle semblait si bien faite, mais qui pourtant lui paraissaient si lourdes à porter.

L'usurpation, me dis-je, même la plus forcée, même la plus innocente, même la plus utile, est donc un grand fardeau! Cette impression fut très profonde en moi et me gâta le reste de mon séjour à Fontainebleau. Ces sourires que je voyais ne cachaient-ils que des soucis?

On annonça les voitures. Quatorze calèches, à quatre et à six chevaux, étaient réunies dans la cour du Cheval blanc; on avait d'avance réglé comment elles devaient être occupées, et des aides de camp nous établissaient chacun à notre place.

Le Roi, la Reine, Madame, les ambassadrices et les ambassadeurs remplissaient un énorme char à bancs, dit de famille, qui contenait seize personnes. Dans un véhicule de la même nature, se trouvaient les jeunes princesses, avec toutes les demoiselles de la société; la plupart étaient jolies, toutes étaient gaies, et cette troupe couverte de fleurs récréait la vue au milieu du cortège plus sérieux qui la précédait et la suivait.

Le désordre du départ, à travers les flots de la population qui se pressait jusques aux roues des voitures, présentait un spectacle animé et amusant. Tout le monde étant installé, les voitures partirent au petit pas et on traversa la ville aux acclamations des habitants.

Nous fîmes une très longue promenade dans la forêt, et je conserve peu de souvenir d'une scène plus pittoresque que celle que nous offrit le relais.

Les écuries du Roi n'y suffisant pas, il fut composé de chevaux de poste que nous trouvâmes dans un carrefour de la forêt. Ils étaient placés sur une pelouse ombragée d'arbres centenaires. Leurs cris un peu sauvages, leurs mouvements désordonnés faisaient contraste à l'attitude civilisée des camarades qu'ils étaient destinés à remplacer, comme les costumes des postillons de poste, aux livrées galonnées des gens du Roi.

On dételait déjà les premières voitures que les dernières roulaient encore sans bruit à travers le sable, laissant le silence derrière elles, et arrivaient à ce mouvement, à ces cris, à ces jurements, à ces hennissements si variés, et tout cela sous une ombre épaisse qui reposait d'un ciel sans nuage.

Ce mélange formait un des plus charmants tableaux qui se puissent imaginer. Là, comme dans tous les sites voisins des villages, les paysans étaient réunis en foule. Le Roi s'arrêtait toujours pour leur parler, et souvent descendait de sa voiture et restait quelques moments au milieu d'eux; personne de nous ne songeait encore à s'en inquiéter.

Nous ne fûmes de retour au château que pour l'heure de la toilette. On nous avait prévenues qu'elle pouvait être très simple. En effet, on se réunit au salon en robes de mousseline. La soirée était consacrée au repos; il n'y assista que les habitants du château. On plaça des tables de jeu, pour ceux qui voulurent en user, dans le salon de Louis XIII. La jeunesse s'établit à une espèce de jeu de poule, le macao, je crois. Les femmes jouèrent ou travaillèrent à leur choix.

Le thé et les rafraîchissements furent servis dans le salon de famille, de sorte que la société se trouvait dispersée entre ces deux pièces et la salle du trône qui les sépare. On gagna ainsi minuit fort agréablement et dans une entière liberté.

Le lendemain matin, la promenade dans la forêt fut remplacée par une visite à la grande treille où il y eut bien des livres de raisin dévorées. Je n'ai pas besoin d'en faire l'éloge; il suffit de dire qu'il soutenait sa réputation.

Comme, pour l'amener à cette perfection, il ne doit être enveloppé ni de sacs, ni même de filets, le jardinier se procure une escouade de petits garçons qui, depuis le lever jusqu'au coucher du soleil, se promènent devant la treille, armés de longs chasse-mouches, et crient et chantent pour effrayer les oiseaux.

Tous les petits garçons de Fontainebleau et des environs arrivent en foule pour profiter de cette aubaine dont ils se réjouissent fort. Ils se trouvaient rangés en file sur notre passage. La Reine leur parla avec sa bonté ordinaire pour les enfants de toutes les classes.

Je faisais réflexion, en les voyant là si contents, qu'un bon nombre de ces coutumes féodales, contre lesquelles les déclamations modernes ameutent nos esprits, ne paraissaient sans doute pas plus cruelles à ceux qui y étaient employés que si, par exemple, pour battre les étangs, dans l'intention de faire taire les grenouilles, dont le croassement dérangeait le sommeil de la châtelaine, les vassaux obtenaient quelques douceurs ou étaient payés d'une façon quelconque, ils se trouvaient peut-être tout aussi heureux que les enfants de Fontainebleau, car, à la rigueur, on parviendrait à faire des phrases d'indignation philanthropique sur ces enfants réduits à la condition de servir d'épouvantail aux oiseaux.

La promenade se continua dans le grand parc, mais je retournai au château, ce qui composait notre carrossée se trouvant d'accord pour préférer un peu de repos.

Melchior de Polignac s'était retiré, avec sa femme et sa nombreuse famille, dans une petite maison de la ville où il vivait dans la retraite que son manque absolu de fortune lui imposait, mais où il jouissait de la considération acquise dans sa place de gouverneur.

J'ai déjà dit avoir passé huit jours au château pendant qu'il exerçait ses fonctions. Son nom et sa position rendaient naturellement Melchior et les siens fort hostiles à ce qui tenait au gouvernement de Juillet. J'hésitai à les aller voir, dans la crainte qu'un hôte du château leur fût importun à recevoir; mais je me rendis la justice que ma visite serait faite à intention bien amicale (Je connaissais sa femme et lui depuis leur enfance) et je m'y décidai. J'eus la satisfaction qu'elle fut reçue dans la même disposition.

Je note cela avec plaisir, parce que j'ai trouvé souvent de l'aigreur dans des circonstances où elle était bien moins excusable. Melchior de Polignac me parla même avec intérêt et approbation des travaux que le Roi faisait exécuter dans le château où, ce que je comprends, il ne mettait plus les pieds après y avoir longtemps commandé.

Je racontai ma visite et ma réception à la Reine, et je trouvai en elle cette sympathie réelle qu'elle a toujours pour la position des autres. Je ne sache personne qui les comprenne mieux et les apprécie avec autant de bienveillance.

Le dîner fut plus nombreux que la veille; il y avait des invités des environs, entre autres le duc et la duchesse de La Trémoïlle. Il y eut spectacle le soir, après lequel je pris congé de la famille royale, mon invitation ne s'étendant pas au delà de cette journée.

Le lendemain matin, après avoir déjeuné dans nos appartements respectifs, tout ce qui composait la première fournée du voyage partit pour céder ses chambres à la seconde.

Nous croisâmes nos remplaçants sur la route de Paris.

Monsieur le duc d'Orléans et monsieur le duc de Nemours étaient au camp et n'arrivèrent que le lendemain pour le bal qui se donnait le jour de naissance du Roi. Il eut lieu dans la galerie de Henri II et fut très brillant. J'aurais assez aimé à en voir le coup d'œil; mais, il était fort rationnel que la fournée du bal fut composée de jeunes femmes. Elle fut la troisième et la dernière.

Le beau temps tint fidèlement compagnie à tout ce voyage dont chacun revint enchanté.

Cet admirable Fontainebleau, égayé et ranimé, semblait une résurrection qui plaisait à toutes les imaginations; si quelques grogneries s'élevèrent, elles ne parvinrent pas jusqu'à moi.

FÊTES À FONTAINEBLEAU POUR LE MARIAGE DE M. LE DUC D'ORLÉANS EN 1837

OUVERTURE DE VERSAILLES

I

Malgré la satisfaction que nous causait le mariage de monsieur le duc d'Orléans, nous n'apportions pas à Fontainebleau, lorsque nous fûmes appelés à y assister, la même disposition qu'au moment du voyage de 1834.

Le ciel s'était bien rembruni depuis deux ans. La catastrophe où Fieschi avait joué un rôle si atroce, mais si étrange, avait été suivie de tentatives sur la vie du Roi qui se renouvelèrent plusieurs fois. D'autres étaient perpétuellement dénoncées comme imminentes; pas une journée ne s'écoulait sans que des révélations plus ou moins fondées ne vinssent entretenir un constant effroi.

L'attentat d'Alibaud, surtout ses propos, sa conduite pendant le procès, son attitude sur l'échafaud avaient frappé d'épouvante la famille royale et fait tressaillir même le cœur du Roi, jusque-là si intrépide.

Il se tint pour victime dévouée, et ne douta pas que le 28 juillet 1836, jour de la revue, ne dût être le dernier d'une existence qu'il regrettait d'autant plus vivement qu'il se savait encore bien nécessaire à son pays et à sa famille.

Monsieur Thiers s'aperçut de cette terreur générale, sonda le moment de faiblesse du Roi, et, la veille même du jour où la revue devait avoir lieu, prit l'initiative et la responsabilité de la décommander.

À la vérité, les dispositions matérielles, ordonnées par lui, étaient en sens inverse de ce que la raison commandait. Elles plaçaient le Roi et sa famille dans une situation qui redoublait les chances du danger et en aggravait les suites.

La décision du président du conseil fut accueillie avec satisfaction à Neuilly; la Reine seule s'y opposa et la combattit fortement. Son noble cœur avait sur-le-champ pressenti les regrets que le Roi ne tarderait pas à en éprouver.

Je voudrais croire que des craintes réelles eussent seules agi sur la résolution de monsieur Thiers dans cette conjoncture; mais j'ai surpris dans ses gestes, dans ses paroles, dans toute son attitude, le jour même de cette revue manquée où je lui en témoignais mon affliction, j'ai surpris, dis-je, des éclairs de joie qui m'ont à l'instant même inspiré l'idée qu'il était guidé principalement par des vues ambitieuses.

Peut-être s'était-il flatté que, par suite, le Roi, se sentant humilié d'un instant de faiblesse, n'oserait plus résister en rien au ministre qui l'avait découvert, caressé et couvert du manteau de sa responsabilité gouvernementale. Je l'ai pensé, et je le pense encore.

S'il me fallait déduire ici sur quoi cette idée est fondée, cela me serait bien difficile; mais ce sont de ces intuitions qui arrivent subitement par des nuances qui, bien que fugitives, laissent une profonde impression.

Au reste; le Roi est trop réellement et habituellement brave pour s'être senti honteux d'une démarche que la prudence pouvait commander et qu'elle justifiait certainement. S'il lui en est resté quelque sentiment envers monsieur Thiers, c'est plutôt du mécontentement, pour des précautions mal ordonnées et des inquiétudes exagérées semées autour de lui que de la reconnaissance pour l'initiative prise par le ministre en conseil.

Quoi qu'il en soit, si monsieur Thiers avait, comme je le crois, fondé des espérances de domination sur cette circonstance, il ne tarda pas à en reconnaître la vanité.

Personne n'admet plus que moi l'esprit supérieur et même le talent de monsieur Thiers; mais, selon qu'il se pose devant son imagination mobile en Oxenstiern ou en Turenne, en Colbert ou en Richelieu, il veut que les événements se dénouent par la politique ou par la guerre, par la prospérité intérieure ou par l'intimidation.

 

Sa pensée, en entrant au ministère, avait été de rattacher la dynastie nouvelle aux trônes européens et de sceller cette alliance par le mariage de monsieur le duc d'Orléans avec une archiduchesse.

En conséquence, il avait adopté vis-à-vis de la Suisse le langage d'un membre de la Sainte-Alliance; puis il avait jeté à l'Autriche des paroles napoléoniennes et envoyé notre prince à Vienne, dans l'espoir que sa présence brusquerait une affaire que, dans son ignorance diplomatique, il croyait bien engagée, mais qui échoua d'une façon désagréable pour le pays et pour la famille royale.

Monsieur Thiers, furieux de ce mésuccès, revint à ses instincts révolutionnaires, tempêta contre l'insolence des souverains et des grands seigneurs, et, pour se venger des Cours du Nord, prétendit s'emparer militairement de l'Espagne. Comme il prévoyait que la sagesse du Roi s'y opposerait, il tenta de le tromper matériellement sur les ordres qu'il lui faisait signer, persuadé qu'à la dernière extrémité le Roi était trop dans sa dépendance pour oser lui résister.

Mais ses espérances furent encore déçues, et, après des scènes fort vives, le Roi et son ministre, n'ayant pu se persuader mutuellement, se séparèrent.

Je crois que, si jamais le Roi a eu un ministère selon son cœur, c'est celui qu'il fonda à cette époque de messieurs Molé, Guizot et Montalivet; mais, avant même qu'il fût inséré au Moniteur, monsieur Guizot avait fait, éliminer le nom de monsieur de Montalivet et, dès lors, il se trouva en rivalité directe, et sans contrepoids, avec monsieur Molé.

Mon intention n'est pas d'entrer dans tous les détails, des intrigues mutuelles qui, en peu de mois, amenèrent l'expulsion des doctrinaires et de leur chef. Son alliance avec monsieur Molé n'avait pas été heureuse.

Rien n'avait réussi à ce cabinet. L'échauffourée de Strasbourg, l'enlèvement de Louis Bonaparte qui faisait de lui et de tous ses cousins des espèces de prétendants au trône, l'acquittement des complices par le jury de Strasbourg, la désastreuse retraite devant Constantine, le rejet de plusieurs lois importantes, de nouvelles attaques sur la personne du Roi, etc., étaient autant d'échecs dont les deux partis composant le ministère se renvoyaient les torts et la responsabilité.

Après de longs et déplorables débats, monsieur Molé resta maître du terrain. J'ai lieu de croire qu'à cette époque les vœux du Roi n'étaient pas pour lui et que les doctrinaires ne perdirent le pouvoir que par ces habitudes de suffisance auxquelles tout leur esprit ne parvient pas à les faire échapper. Ils se croyaient sûrs de rentrer dans la place tambour battant et dictant leurs lois.

Comme toutes les congrégations, les doctrinaires ne reconnaissent de mérite qu'à ce qui forme leur coterie, et, à force de le répéter, ils se le persuadent à eux-mêmes, de sorte que, très consciencieusement, ils n'admettent pas la possibilité que le vaisseau de l'État puisse être en d'autres mains et la position leur paraît anormale, comme ils disent, lorsqu'ils ne le dirigent pas.

Or, comme les situations anormales sont nécessairement passagères, il est logique de conclure qu'elles doivent promptement cesser. En conséquence, ils se refusèrent à porter aucun secours au nouveau cabinet.

Monsieur Molé fut obligé de le composer de non-valeurs, ou du moins de personnes à peu près inconnues sous le rapport politique. Monsieur de Salvandy seul avait acquis une réputation d'écrivain polémiste, mais elle ne pesait pas assez pour être d'une grande assistance.

Monsieur Molé se jeta donc à peu près seul sur cette mer orageuse, et, jusqu'à présent (septembre 1838), la Providence a justifié son courage; mais, à l'époque dont je parle, il était loin d'avoir et surtout d'inspirer autant de confiance.

Quoique l'attentat de Meunier et les diverses tentatives, dites complot de Neuilly et de la Terrasse, eussent nécessairement renouvelé les inquiétudes de la famille royale, cependant le Roi ne pouvait plus résister à l'ennui de la réclusion à laquelle on l'astreignait, et s'en dégageait insensiblement.

Il adopta avec empressement la proposition qui lui fut faite de passer la garde nationale en revue; et cette cérémonie, qui levait les arrêts forcés imposés par le dernier ministère, eut lieu peu de jours avant celui où il se rendit à Fontainebleau pour y célébrer les fêtes du mariage.

Au nombre des bonnes fortunes du ministre Molé, je mets en première ligne celle d'avoir ouvert les portes de la France à la charmante princesse que le duc de Broglie a eu l'agréable commission de nous amener.

La princesse Hélène de Mecklembourg me paraît préférable, même comme position sociale, à l'archiduchesse que nous avions recherchée.

Monsieur le duc d'Orléans est assez grand prince pour faire sa femme grande princesse; et je crois qu'en tout temps l'héritier d'un puissant royaume n'a rien à gagner par une alliance avec les filles des souverains prépondérants. Cela est surtout vrai dans notre position où les déclamations sur l'influence autrichienne n'auraient pas manqué d'élever leur clameur à chaque occasion.

De plus, il y avait dans le pays une sorte de répulsion superstitieuse contre le noble sang de Marie-Thérèse; il semblait qu'il ne pût être qu'infortuné dans notre France et lui porter malheurs et calamités.

Une objection plus rationnelle se présentait aux esprits sérieux; c'est l'inconvénient des mariages multipliés entre les mêmes familles.

La fille de l'archiduc Charles, chétive et maladive, ne donnait pas l'espoir de se soustraire à la morbide influence de ces unions. On devait prévoir qu'elle ne soutiendrait, ni dans l'aspect ni dans la santé de ses enfants, la belle race de la famille d'Orléans.

Ces considérations m'avaient empêchée de souhaiter le succès de la négociation entamée à Vienne et de donner un soupir à son insuccès.

Toutes les relations qui nous arrivaient de la princesse Hélène la disaient accomplie; et j'avais grand empressement d'en juger par moi-même.

Depuis qu'elle avait mis le pied sur le territoire français, un courrier, expédié de Paris, lui apportait chaque jour un bouquet et un billet de monsieur le duc d'Orléans, auquel elle répondait avec autant d'esprit que de grâce. Le prince, ne pouvant résister à l'impatience de la voir, se fit son propre messager pour le bouquet expédié à Châlons.

Il se mit dans une voiture légère, arriva à l'heure du déjeuner des princesses, demanda à la grande-duchesse douairière, qui accompagnait sa belle-fille, la permission de lui faire sa cour, passa une heure avec les deux princesses, les escorta jusqu'à leurs équipages de voyage pour continuer leur route avec l'étiquette convenue d'avance, et, se rejetant dans sa calèche, brûla le pavé pour arriver à Fontainebleau dire à ses parents combien il était satisfait de sa noble fiancée.

Deux jours après, les princesses arrivèrent à Melun. Elles y furent reçues par monsieur le duc d'Orléans. Il s'y était rendu avec toutes, les personnes destinées à former la maison de madame la duchesse d'Orléans, qu'il lui présenta lui-même.

Bientôt la princesse se retira pour se faire habiller par les ouvrières de Paris, destinées à la dégermaniser. Mais son costume ne différait guère du nôtre, et c'était plutôt une forme d'étiquette que de convenance. Parée par des mains françaises, elle monta dans les voitures de gala de la Cour.

La grande-duchesse, la princesse Hélène et le duc de Broglie occupaient la première berline. Le duc d'Orléans avec son frère, le duc de Nemours, suivaient. Les autres équipages étaient remplis par les personnes de la suite.

L'arrivée à Fontainebleau avait été calculée pour quatre heures. Mais l'allure des chevaux de parade, et la nécessité de s'arrêter à chaque village et à chaque carrefour pour être harangués par les maires de toutes les communes trompèrent les prévisions. Il était près de huit heures lorsque le cortège se montra à la grille du château.