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Récits d'une tante (Vol. 4 de 4)

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EXPÉDITION DE MADAME LA DUCHESSE DE BERRY EN 1832

Si les romans historiques sont encore à la mode dans quelques siècles, un nouveau Walter Scott trouvera difficilement un sujet plus poétique que celui de l'expédition de madame la duchesse de Berry en France pendant les années 1832 et 1833.

Lorsque le temps aura permis de voiler la fatale et ridicule catastrophe fournie par l'inexorable histoire, on s'exaltera volontiers sur une princesse, une mère, bravant toutes les fatigues, tous les périls, tous les dangers, pour venir réclamer l'héritage de son fils proscrit et déjà orphelin par un crime.

Voilà de ces positions éternellement destinées à intéresser le cœur et l'imagination. Et j'ai toujours été surprise que l'action de madame la duchesse de Berry n'ait pas excité plus d'enthousiasme parmi ses partisans. Cela s'explique, sans doute, par l'extrême mansuétude du nouveau gouvernement.

Dans un temps où le bien-être matériel tient une si grande place et où l'égoïsme personnel se dissimule sous les formes d'une tendresse illimitée pour les petits enfants, on veut bien déverser l'injure sur le pouvoir qui protège, mais on redoute, en l'attaquant ouvertement, d'aventurer sa propre tranquillité.

L'opposition de nos ancêtres se manifestait d'autre sorte. Ils donnaient de grands coups de lance et versaient du sang; nos contemporains ne se battent qu'en paroles et ne répandent que de la boue. Ce métier est trop peu attrayant, trop peu honorable, pour se prolonger. Cette opposition, honteuse et tracassière, s'éteindra prochainement, on le doit espérer, dans son propre venin.

En attendant que les aventures de madame la duchesse de Berry soient devenues le domaine de l'histoire et du roman, elles restent dans celui de la chronique. C'est à ce titre que je prétends raconter ce que j'en ai aperçu du point de vue où j'étais placée.

Je ne pense pas m'écarter en cela du parti que j'ai ci-devant annoncé de ne rien écrire de confidentiel. Cet épisode est tout à fait en dehors de la conduite des affaires à l'intérieur et ne peut donner lieu à aucune révélation indiscrète.

Madame la duchesse de Berry a de l'esprit naturel, le goût, l'instinct des arts et l'intelligence de la vie élégante. Elle porte habituellement de la bonté, de la facilité dans son commerce, mais trop souvent aussi la maussaderie d'une personne gâtée, d'une enfant mal élevée.

Comprenant mal les exigences de son haut rang, elle n'avait jamais songé combien c'est un métier sérieux d'être princesse au dix-neuvième siècle, et elle ne prétendait y puiser que de l'amusement et des plaisirs.

Les gens de son intimité savaient sa conduite assez désordonnée, mais, soit qu'on fût porté à l'indulgence envers elle, par l'injuste réprobation qu'inspiraient les vertus un peu austères de madame la Dauphine, soit que le secret fût passablement gardé, on n'en glosait guère et madame la duchesse de Berry était très populaire.

Il se disait bien, à l'oreille, qu'une certaine attaque de goutte, suivie d'une réclusion de plusieurs semaines à Rosny, avait eu pour motif la naissance d'un enfant à cacher; mais, en général, on croyait ces rapports calomnieux et, pour mon compte, j'y étais complètement incrédule.

Madame la duchesse de Berry s'est toujours montrée fort courageuse. Elle aimait et recherchait le danger souvent jusqu'à la témérité, s'aventurait à nager dans la mer lorsque la vague était assez grosse pour effrayer les matelots eux-mêmes, préférait monter les chevaux les plus fougueux, passer par les chemins les plus difficiles, affronter enfin tous les obstacles qui, ordinairement, font reculer les femmes.

Aussi incliné-je à croire, et on me l'a affirmé, que le vendredi 30 juillet 1830, elle eut la pensée d'enlever son fils de Saint-Cloud et de l'apporter, dans ses bras, à l'Hôtel de Ville de Paris pour le confier à la protection de l'assemblée tumultueuse qui s'était arrogé le droit de parler au nom de la ville et même du pays.

Ce coup de tête aurait certainement beaucoup embarrassé les factieux, et il est impossible de dire aujourd'hui quel eût été le résultat d'une semblable marque de confiance donnée à la population. Mais le roi Charles X et monsieur le Dauphin en eurent quelque soupçon et firent garder à vue la mère et l'enfant.

J'ai déjà raconté comment, trois jours plus tard, d'autres personnes songèrent à remettre monsieur le duc de Bordeaux aux mains de monsieur le duc d'Orléans, lieutenant général du royaume, et comment cette proposition fut accueillie à Rambouillet.

Madame la duchesse de Berry s'y opposa avec emportement, car, cette fois, elle ne devait jouer aucun rôle personnel, mais s'éloigner avec le reste de la famille. Cela n'entrait plus dans ses projets.

J'ai aussi déjà dit sa folle satisfaction des ordonnances et son puéril entrain de cette bataille des trois journées où la monarchie était en jeu. Lorsque le sort en eut fatalement décidé, la princesse ajouta à ces erreurs de jugement des actions niaisement ridicules.

Vêtue d'un costume masculin et armée d'un pistolet qu'elle tirait à tout instant, elle prétendait se montrer aux troupes dans cet équipage. C'est pendant la courte halte de Trianon qu'elle accomplit cette mascarade.

J'ai entendu raconter au duc de Maillé, premier gentilhomme de la chambre, que, dans cette bagarre de Trianon, il se trouvait seul auprès du Roi, dans une pièce où Charles X s'était réfugié.

Le vieux monarque, très accablé, occupait un fauteuil sur le dossier duquel monsieur de Maillé s'appuyait. La porte s'ouvrit avec fracas; madame la duchesse de Berry s'élança dans la chambre, en faisant ses évolutions belliqueuses, et tira son pistolet chargé à poudre.

Cette apparition ne dura qu'un éclair mais frappa de stupéfaction les deux vieillards. Après un moment de silence, le Roi, se retournant vers monsieur de Maillé, lui dit piteusement:

«Comment la trouves-tu, Maillé?

– A… bo… mi… na… ble, Sire,» répondit le duc, d'un ton tout aussi lamentable, la force de la vérité l'emportant en cet instant sur les habitudes de la courtisanerie. Le pauvre Roi plia les épaules.

Le duc de Maillé racontait cette scène, dont le cadre était si déplorable, de la façon la plus amusante.

J'ignore quelles influences firent reprendre à madame la duchesse de Berry le costume de son sexe; mais elle ne conserva pas longuement celui dont le Roi et monsieur de Maillé se tenaient pour si mal édifiés.

Ceux qui accompagnaient la famille royale, dans cette incroyable retraite vers Cherbourg, remarquèrent la faveur dont monsieur de Rosambo jouissait auprès de la princesse; mais les circonstances semblaient pouvoir excuser les privautés accordées à une personne complètement dévouée, quoique, cependant, l'étiquette fût seule, dans ces jours néfastes, à conserver ses droits.

Et, puisque j'ai occasion de parler de ce triste voyage, je veux consigner ici une petite anecdote qui est à ma connaissance spéciale, dans le seul intérêt de montrer à quel point cette étiquette enveloppait de ses petitesses nos pauvres princes.

Ils devaient dîner à Laigle, chez madame de Caudecoste fort empressée à les recevoir. Les officiers de la bouche précédaient. Tout fut mis à leur disposition. Ils demandèrent une table carrée et, comme il ne s'en trouva pas, ils scièrent une belle table d'acajou, le Roi, disaient-ils, ne devant pas manger à table ronde. Si je ne me trompe, un pareil soin, en pareil temps, en dit bien long et me paraît une excuse à nombre de reproches fréquemment répétés.

En approchant la côte d'Angleterre, madame la duchesse de Berry, que son humeur vagabonde entraînait dans tous les coins dû bâtiment, éclata tout à coup en cris et en sanglots. Elle se précipita dans la cabine où se trouvaient réunis les princes et les principaux passagers, proclamant une infâme trahison du capitaine. Celui-ci, fort étonné, parvint enfin avec peine à la faire expliquer.

En errant sous le pont, elle avait saisi quelques mots du pilote proposant d'entrer dans la rade de Saint-Hélens, le vent se tenant mauvais pour Spithead, et elle s'était déjà vue mettant à la voile pour le rocher où une autre grandeur déchue avait récemment terminé sa brillante carrière.

Le capitaine dut avoir recours à l'inspection d'une carte pour calmer les alarmes si singulièrement conçues.

L'habitation de Lullworth, vaste pour des particuliers, paraissait bien étroite à des habitudes princières. Madame la duchesse de Berry surtout avait peine à se soumettre à la communauté où elle se trouvait avec sa royale famille, et s'en affranchissait par de fréquentes absences.

Elle assista, entre autres, à l'ouverture du chemin de fer de Manchester à Liverpool et, suivant ses goûts aventureux, monta dans le premier wagon que la vapeur eût lancé sur des rails, lorsque cela paraissait encore une tentative pleine d'épouvante.

Les courses répétées, quoique accomplies sans faste dans un demi-incognito, déplaisaient à madame la Dauphine. Elle y voyait un oubli des convenances dont elle était blessée. La retraite, le silence, lui semblaient, à juste titre, l'attitude la plus digne à conserver dans leur cruelle position qui, d'ailleurs, trouvait peu de sympathie dans la population anglaise pleine d'enthousiasme pour la révolution de Juillet où elle reconnaissait l'exemple donné par elle-même en 1688.

Madame la Dauphine témoignait hautement à sa belle-sœur un mécontentement partagé du Roi et de monsieur le Dauphin. Aussi la réunion de l'auguste intérieur devenait chaque jour plus orageuse. Cependant madame la duchesse de Berry ne s'en sépara pas tout de suite: elle s'établit quelque peu de temps à Édimbourg, puis s'éloigna sous prétexte de santé.

Elle fit un assez long séjour à Bath. On manda qu'elle y était accouchée d'une fille; la suite rend tout croyable. Dans le moment, je n'y vis qu'une calomnie de l'esprit de parti dont je fus indignée.

 

Les registres des aubergistes, répétés par les gazettes, nous apprirent que madame la duchesse de Berry avait traversé l'Europe pour se rendre à Naples où elle n'était aucunement désirée. Il n'y avait guère moyen toutefois de repousser absolument une sœur réclamant asile. On accepta donc une visite en refusant l'établissement.

Ce point fixé, elle fut bien accueillie. Elle se montra d'autant moins exigeante dans cette transaction qu'elle était, dès lors, sous l'influence de ses espérances et en pleine intrigue pour leur exécution. Ses entours ne doutaient pas plus qu'elle de leur succès.

La princesse fit l'acquisition de deux bateaux à vapeur, destinés à parcourir la Méditerranée à l'effet d'entretenir et de faciliter les intelligences qu'elle pensait avoir en France.

L'un des deux lui échappa. L'autre, avec plus ou moins de complicité du gouvernement piémontais, arbora le pavillon sarde en restant à ses ordres, et devint ce Carlo Alberto qui a joué un rôle principal dans les événements que je vais m'appliquer à retracer sous l'aspect où ils me sont apparus.

Je dirai ce qui est à ma connaissance, d'après des témoignages authentiques, et, parfois, je hasarderai des conjectures en les signalant comme telles. Sans doute cette relation différera, en bien des points, de celles fournies par les partisans de la princesse, et il y aura nécessairement des lacunes que ses complices seuls pourraient remplir.

Quelque récit véridique les racontera peut-être à la postérité. Ces matières ne sauraient être abordées franchement qu'avec un parti pris, le plus positif, contre toute espèce de publicité et presque de confidence contemporaine.

Il avait paru, dans l'automne de 1830, une caricature représentant un personnage, fort bien mis, saluant honnêtement un homme du peuple et lui demandant chapeau bas: «Monsieur, pourriez-vous m'indiquer ce que sont devenus les royalistes?» Elle peignait assez exactement la situation. L'opposition, dite du faubourg Saint-Germain, était alors aussi modeste qu'elle s'est montrée arrogante par la suite. Beaucoup d'entre ceux qui sont devenus depuis ses coryphées allaient au Palais-Royal, plus ou moins ouvertement.

Si des personnes particulièrement attachées à la maison des princes s'en abstenaient, celles-là même n'annonçaient que des regrets de convenance et un temps de deuil limité. Je pourrais citer bien des gens dont j'ai été chargée de porter les paroles qui probablement les renieraient aujourd'hui.

Les propos étaient dépourvus d'hostilité; on se rencontrait sans répugnance; on causait de tout les uns avec les autres. Le blâme universel s'attachait aux ordonnances de Charles X, la pitié aux malheurs qu'elles avaient provoqués; la reconnaissance s'exprimait pour ceux qui, se jetant à travers la mêlée, avaient arrêté l'irritation de la multitude et prévenu les violences dont la crainte était fréquemment rappelée par les émeutes qui grondaient autour de nous.

Je me souviens que, causant amicalement et confidentiellement avec le duc de Laval, je lui demandai s'il laisserait écouler le temps fixé par la nouvelle Charte pour faire sa soumission et siéger à la Chambre des pairs.

«Ma décision n'est pas absolument arrêtée, me répondit-il, mais voyez-vous, ma chère amie, en fin de compte on sera toujours trop heureux de nous avoir quand nous voudrons et, en se rattachant isolément, on fera plus d'effet et mieux ses conditions.»

Mon pauvre ami se croyait encore au temps de la Fronde où l'on traitait avec les grands seigneurs et [où] un Montmorency faisait ses conditions.

Les souvenirs de l'Empire pouvaient, dans une certaine mesure, entretenir ces illusions, mais, ici, il était dans l'erreur de tous points. Aussi ne rapporté-je cette circonstance que pour montrer quelle était, à cette époque, la mesure des répugnances aristocratiques contre la révolution de Juillet.

À bien dire, le parti, d'abord appelé carliste et plus tard légitimiste, n'existait pas encore. Des bouches qui grimacent aujourd'hui en disant: «Monsieur Philippe» ou «Madame Amélie», s'ouvraient très naturellement pour les qualifier «du Roi» et «de la Reine».

En un mot, on avait peur. Cette situation dura jusqu'après le procès des ministres de Charles X.

Quand il fut bien constaté que le gouvernement réunissait à la force la volonté de protéger ses ennemis, alors seulement on songea à lui faire subir des impertinences.

La première fut une manifestation dans l'église Saint-Germain-l'Auxerrois, le 13 février 1831, mais on la choisit d'une nature trop ostensible, aux yeux du peuple. Elle souleva sa colère et il en tira une vengeance, à jamais déplorable, qui suspendit pour quelque temps les entreprises et retarda l'organisation du parti.

Dans des proportions différentes, tout le monde blâma l'imprudence commise à Saint-Germain-l'Auxerrois et réprouva avec indignation le vandalisme exercé sur cette église et sur l'archevêché. On avait vu la Seine entraînant les meubles, les livres, les manuscrits précieux sous ses ponts, tandis que le cortège du bœuf gras (car c'était un mardi gras de funeste mémoire) les traversait et que des processions de misérables bandits, affublés de chasubles, d'étoles, de surplis, d'ornements pontificaux, la croix, la crosse, les bannières religieuses en tête, inondaient ses quais en se mêlant aux masques. Je conserve de ce hideux spectacle un bien pénible souvenir.

Comme il arrive d'ordinaire dans les effervescences politiques, on n'avait pas pillé, et on se croyait héroïquement généreux pour n'avoir fait que détruire.

Tout ce qui paraît utile aux masses populaires, le linge, les litages, l'argenterie trouvés à l'archevêché, avaient été portés à l'Hôtel-Dieu, et les gazettes du parti révolutionnaire vantèrent le lendemain la magnanimité de ce peuple qu'elles cherchaient à pousser dans tous les excès.

L'archevêque aurait bien pu courir quelques risques à ce premier moment, mais heureusement on avait réussi à le faire évader et pas une goutte de sang, du moins, n'était à regretter dans cette œuvre de destruction conduite avec une fabuleuse célérité.

L'église de Saint-Germain avait été dévastée très rapidement, mais, là, on s'était borné à dépouiller les autels, à enfoncer les armoires, à briser les fenêtres, les lambris, les vitraux, les boiseries sculptées, enfin tout ce qui offrait une sorte de fragilité; tandis qu'en moins de trois heures il ne restait pas pierre sur pierre de l'archevêché et que la grille même qui entourait le jardin avait disparu. Un tremblement de terre n'aurait pas agi d'une façon plus prompte et plus efficace.

J'ai presque répugnance à ajouter que la cathédrale et le quartier ont également gagné à la démolition du palais de l'archevêque.

Les intrigants du parti carliste durent renoncer pour lors à obtenir des manifestations des gens ayant quelque chose à perdre, mais la sécurité ne tarda pas à renaître parmi eux et, lors qu'il fut bien constaté, d'une part, qu'il n'y avait rien à craindre du nouveau gouvernement, soit pour sa personne, soit pour sa propriété (protection égale étant donnée, à tous) et, de l'autre, qu'il n'y avait rien à gagner à le servir, ni pour l'importance, ni pour les intérêts personnels, qu'il n'y avait plus de Cour, plus de courtisans, plus de places de faveur, plus de crédit à exploiter, encore moins de privilèges à obtenir, alors l'opposition royaliste s'organisa.

Quelques-uns étaient encore arrêtés par les avantages attachés à l'hérédité de la pairie. On voulait les conserver, ou les acquérir; la loi qui les détruisit acheva de les éloigner.

Les gens de ce parti vivent, selon l'habitude qui leur a été si fatale, exclusivement entre eux, parqués dans les mêmes salons. Ils se touchèrent le coude et, se sentant tous hostiles, ils crurent être tout le monde.

Leur première espérance fut celle de ruiner Paris. On réforma une partie de ses gens, de ses chevaux; on diminua son ordinaire; on décommanda à grand bruit les meubles, les voitures, les bijoux, tous les objets de luxe que les marchands devaient fournir.

Les dames partirent pour la campagne sans acheter de chapeaux d'été, et reprirent leurs robes de l'an dernier à leurs femmes de chambre. Elles croyaient bonnement retrouver l'herbe croissante dans les rues de la cité criminelle.

Le commerce souffrit, en effet, pendant la première année de la révolution, d'une si violente commotion, mais il ne tarda guère à se relever. Le luxe se développa rapidement, et même avec une certaine exagération d'assez mauvais goût.

Les habitants des châteaux, à leur grand étonnement, trouvèrent au retour plus d'équipages élégants, plus de diamants, plus de magnificences extérieures dans la ville qu'ils n'en avaient jamais vu et Paris déjà plus brillant que pendant la Restauration.

Toutefois, le mouvement était donné, la bouderie établie, l'hostilité constatée. Le plus grand nombre des personnes de l'ancienne Cour, qui allaient encore au Palais-Royal en 1831, s'abstinrent des Tuileries en 1832.

La destruction de l'hérédité de la pairie leur servit de prétexte, ou peut-être de motif réel, pour s'éloigner. Leur place, au reste, était déjà prise par une classe, riche et arrogante, qui marchait sur les talons de la noblesse depuis longtemps et n'était nullement disposée à lui rendre ni même à partager la situation que ses ressentiments lui faisaient abandonner dans l'État.

J'ai vu de près les prétentions individuelles des hommes qui se trouvaient distingués par leur fortune reconnue ou par leur capacité présumée, et j'ose affirmer qu'elles ne cèdent en rien à celles des ducs et des marquis de l'ancien régime, qu'elles sont tout aussi exigeantes, tout aussi exclusives, habituellement plus ridicules, toujours plus grossièrement formulées, et amènent beaucoup plus fréquemment l'expression et la pensée rendue par les mots: «un homme comme moi!»

Le parti carliste se cimenta pendant les derniers mois de 1831. Madame la Dauphine y contribua assez habilement, quoique dans la ligne qui convient à son grand cœur incapable de fomenter l'intrigue.

Elle s'était de tout temps érigée en protectrice zélée et fort éclairée des jeunes militaires. Ceux qui servaient dans la garde royale, surtout, lui étaient personnellement connus. Dans des lettres adressées à Paris, elle avait soin d'insérer leurs noms et faisait remercier, tantôt les uns, tantôt les autres, plus souvent les familles, de la fidélité conservée à la légitimité.

Ces messages étaient autant d'engagements pour ceux qui les recevaient et ont arrêté bien des jeunes gens prêts à reprendre du service. J'ai lieu de penser que les correspondants de la princesse ne se faisaient faute d'inventer des paroles dans ce sens, lorsqu'ils les croyaient utiles à employer.

D'un autre côté, les agents de madame la duchesse de Berry recrutaient d'une façon plus active et cherchaient à organiser une guerre civile dans la Vendée. Là, comme ailleurs, le parti se divisait en deux classes distinctes, l'une voulait forcer les événements et l'autre les attendre.

La comtesse de La Rochejaquelein, née Duras et veuve du prince de Talmont, dirigeait la première; tout ce qui restait de vieux chefs vendéens se ralliait à la dernière.

De même, à Paris deux comités directeurs se disputaient le pouvoir. L'actif reconnaissait pour chefs Gaston de Montmorency, prince de Robecque, et sa clientèle de jeunes gens; le temporisme, monsieur de Chateaubriand, monsieur Pastoret et monsieur Berryer.

Monsieur Hyde de Neuville flottait entre les deux. D'anciennes habitudes le stimulaient à entrer dans toute espèce de conspirations et il y résistait difficilement. D'après ses propres paroles, il doit avoir eu connaissance de celle de la rue des Prouvaires, s'il n'y prit pas une part directe.

Il est à peu près avéré aussi que le maréchal Bourmont l'autorisa de sa présence et parvint à s'évader de la maison où ses complices furent arrêtés.

Le plan était de pénétrer par la galerie du Louvre, où l'on se tenait sûr d'être furtivement introduit, jusqu'au palais des Tuileries dans la nuit du 1er au 2 février 1832.

Le Roi donnait un grand bal; l'attention était appelée sur les autres issues. On s'était procuré les clefs de la porte qui ouvre dans le pavillon de Flore, et on espérait que l'invasion de quelques douzaines d'hommes, armés et tirant, produirait une telle confusion qu'on pourrait se débarrasser de la famille régnante d'un seul coup.

On comptait d'ailleurs, avec l'illusion commune à tous les partis politiques, qu'il suffisait d'attacher le grelot et que tout le monde se joindrait aux conspirateurs. Il ne serait pas impossible, au reste, qu'ils eussent des complices parmi les nombreux convives du Roi.

 

Quoi qu'il en soit, la famille royale, avertie de ce nouveau danger, ne témoigna pas la plus légère agitation; et le Roi sut à onze heures, par monsieur Perier, que l'état-major des assaillants, dans la rue des Prouvaires, était occupé par la police, et quelques-uns des factieux arrêtés. En attendant plus tard, la capture aurait été plus nombreuse et plus importante, mais il est dangereux en temps de révolution de risquer une collision; il suffisait de déjouer le plan, sans commettre plus de monde qu'il n'était nécessaire.

Le lendemain, les salons du faubourg Saint-Germain se partageaient entre ceux qui se moquaient des vaines terreurs de Louis-Philippe, en niant le projet, et ceux qui se désolaient de son insuccès.

Une personne moins bien pensante (pour me servir de l'argot de ces salons), ayant hasardé de témoigner un peu d'horreur à l'idée de voir entrer deux cents assassins au milieu d'un bal, fut vertement tancée par un jeune homme s'étalant dans un excellent fauteuil.

«Mais enfin, reprit-elle, vos sœurs auraient pu y périr!..

– Tant pis pour elles… pourquoi vont-elles là?..»

Si cette réponse n'est pas fort chevaleresque, elle est du moins très spartiate.

Au demeurant, cet échec dégoûta des conspirations de ce genre. On renvoya de Paris les subalternes, anciens gardes du corps et sous-officiers de la garde royale, en les dirigeant vers les provinces de l'ouest; et les chefs se renversèrent de nouveau sur les fauteuils rembourrés, d'où ils frondaient tout à l'aise, renonçant à descendre dans la rue, autre terme d'argot de la même époque appartenant aux républicains.

La tentative de la rue des Prouvaires avait coûté beaucoup d'argent. De toutes les nombreuses conspirations tombées dans le domaine des tribunaux pendant le cours de ces années si fertiles en ce genre, c'est la seule où l'on ait trouvé la trace de sommes considérables dépensées.

Le comité s'y était décidé par condescendance pour un petit nombre de carlistes qui ressentent véritablement et sincèrement la répugnance que tous professent hautement pour le secours de l'étranger. Il n'y en a pas un qui ne se dise et ne se croie, peut-être, prêt à courir à la frontière pour en repousser l'étranger, et fort peu qui n'aient l'instinct de rattacher aux succès d'une armée ennemie toutes leurs espérances. Ils renouvelleraient volontiers l'appellation de nos amis les ennemis célébrée par Béranger en 1814, et en conviennent même lorsqu'en tête à tête on les presse d'arguments.

En attendant l'alliance offensive avec les puissances, les carlistes s'étaient ménagé celle des ambassades. L'habitude leur y donnait accès.

Ils s'y rendaient en foule, demeuraient maîtres des salons et y faisaient des impertinences aux jeunes princes (les ducs d'Orléans et de Nemours) qu'ils y rencontraient, au point que monsieur le duc d'Orléans se trouva forcé d'en demander raison au duc de Rohan (alors Fernand de Chabot) et se conduisit dans cette circonstance avec son tact et son esprit accoutumés.

Bientôt l'ambassade d'Angleterre fut fermée à ces factieux de contredanse. Ils continuèrent à dominer dans celle d'Autriche et nos princes cessèrent petit à petit de se montrer dans le monde.

L'échec de la rue des Prouvaires était fort sensible au parti. Un jeune carliste, monsieur de Berthier, rencontrant peu de jours après, dans le Carrousel, le Roi, à pied et donnant le bras à la Reine, lança contre eux le cabriolet qu'il menait, cherchant évidemment à les écraser au tournant de la rue de Chartres.

Il y aurait certainement réussi si le cheval, poussé avec fureur, ne s'était providentiellement abattu. Cette brillante prouesse fut célébrée dans les salons et monsieur de Berthier devint le héros du jour.

À force d'imprudences et d'impertinences, madame de La Rochejaquelein parvint enfin à attirer l'attention de l'autorité sur sa demeure. La visite de son château fut ordonnée pour y arrêter des réfractaires qu'elle n'y recélait pas mais dont elle faisait trophée.

À l'approche de la force armée, la terreur s'empara de la générale, comme elle se faisait appeler et de son aide de camp, mademoiselle de Fauveau, autre tête écervelée.

Toutes deux se cachèrent dans le four d'une ferme voisine. Elles en sortaient quelques heures plus tard, noires comme des ramoneurs, au milieu des politesses empressées que leur prodiguaient les officiers devant lesquels elles avaient fui. Le ridicule de cette aventure ne fut agréable ni à ces dames ni à leur monde.

Néanmoins, les manifestations se multipliaient. Les chefs, dans la crainte de voirie découragement s'emparer de leurs gens, faisaient circuler le bruit de la faveur secrète que madame la duchesse de Berry trouvait auprès de toutes les puissances, de son alliance intime avec Ferdinand VII en Espagne, dom Miguel en Portugal, et surtout avec le roi de Hollande.

La connivence du duc de Modène était évidente, et on se vantait de la sympathie des rois de Naples et de Sardaigne. Les plus initiés laissaient échapper l'annonce d'une entreprise prochaine d'un succès assuré.

Chacun, dans ces prédicaments, voulait se munir tout au moins d'une impertinence au nouveau gouvernement, à faire valoir auprès de Madame Régente. Ceux qui s'étaient montrés modérés jusque-là exagérèrent l'hostilité pour se faire pardonner.

Alors commença la véritable scission dans la société et jusque dans les familles, entre les personnes qui allaient aux Tuileries et celles qui s'en tenaient éloignées, accompagnée d'un redoublement de vitupérations inimaginables.

Si je répétais les propos, tenus dans ces temps-là par les bouches les plus aristocratiques et les plus dévotes, on n'y croirait ni pour le fond ni pour la forme, et j'aime mieux oublier ceux mêmes que j'ai entendus de mes oreilles.

Le ciel nous préparait à tous une terrible distraction. Il aurait manqué quelque chose aux calamités que la génération dont je fais partie est appelée à subir, si le fléau de la peste lui avait été épargné. Le choléra acquitta cette dette de la Providence.

Depuis plusieurs années, il s'avançait vers nous, et les récits qu'on en faisait préparaient les esprits à le recevoir avec effroi. Les plus grands génies partageaient cette terreur avec le vulgaire; et nulle part il n'était autant redouté qu'au sein de l'Académie des sciences, comme si elle avait, dès lors, prévu combien elle en serait décimée et y perdrait ses plus beaux titres de gloire.

Jusqu'à cette heure, on avait vu le choléra s'avancer pas à pas, hésitant un peu dans sa marche, choisissant fantastiquement un point plutôt qu'un autre, mais ne s'égarant que de peu de lieues. Son allure fut différente en France. Il éclata violemment à Paris et faiblement à Calais, au même jour, sans qu'aucun point intermédiaire en eût été frappé.

Personne ne s'attendait à une si brusque invasion, et, quoique de nombreuses précautions eussent été méditées, le gouvernement, qui ne voulait pas effrayer la population prématurément, fut pris au dépourvu. Toutefois, il ne se découragea pas et les secours s'improvisèrent avec autant de promptitude que d'intelligence.

Cette utile sollicitude imposa sur-le-champ à tous les quartiers de la ville l'aspect le plus sinistre. De nombreux établissements, où des lanternes et des drapeaux rouges indiquaient, jour et nuit, des ambulances, destinées à recevoir les malades tombés dans la rue, aussi bien que des escouades de médecins réunis prêts à se rendre à votre domicile au premier appel, en annonçant l'assistance signalaient le danger.

Chacun, au reste, en était suffisamment averti par ses impressions personnelles. Mais nul, en revanche, ne faillit à son devoir, et l'époque du choléra restera à l'éternel honneur de toutes les classes des habitants de Paris.