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VI
ENODATIO

– Maintenant, ici, dans ce laboratoire, que me voulez-vous, Vésalius? répétait Maria pleurante: que me voulez-vous? Je ne puis rester, l’odeur putride de ces corps me suffoque, ouvrez que je sorte, je souffre horriblement!

– Non, que m’importe! Ecoutez à votre tour: Vous avez eu trois amans, est-ce pas?

– Oui! monseigneur.

– Vous les enivriez de mon vin, est-ce pas?

– Oui! monseigneur.

– Eh bien, ce vin n’était pas pur, votre duègne y versait un narcotique, de l’opium, et vous dormiez long-temps et profondément, est-ce pas?

– Oui! monseigneur, et au réveil j’étais seule.

– Seule, est-ce pas?

– Oui! monseigneur, et je ne les revis jamais.

– Jamais! C’est bien! Mais venez donc!..

Et l’étreignant par un bras, il l’entraîna au fond de la salle; là il ouvrit une armoire dans laquelle était accroché un squelette complet avec ses articulations naturelles, et d’une blancheur d’ivoire.

– Reconnais-tu cet homme?

– Quoi! ces ossemens?..

– Reconnais-tu ce pourpoint, cette cape brune?

– Oui! monseigneur, c’est la cape du cavalier Alderan!

– Regardez donc bien, señora; et reconnaissez aussi ce beau cavalier qui portait cette cape, avec lequel vous dansâtes si galamment à nos noces?

– Alderan!.. – Maria jeta un cri qui eût évoqué des morts.

– Au moins, Doña, vous voyez que tout est profit à la science, lui dit-il, se retournant vers elle d’un air froid; vous le voyez, la science vous a de grandes obligations.

Puis, ricanant, il l’emmena vers une espèce de châsse ou de cage garnie de verrières, qui laissaient voir un squelette humain conservé prodigieusement; les artères étaient insufflées d’une liqueur rouge, et les veines d’une liqueur bleue; cette charpente osseuse semblait enveloppée de réseaux de soie; l’étude en était facile; quelques touffes de barbe et de cheveux adhéraient encore.

– Celui-ci, Doña, le remettez-vous en votre mémoire? Voyez sa belle barbe et sa blonde chevelure.

– Fernando!!! Vous l’avez tué?..

– Jusqu’ici, n’ayant point encore disséqué de corps vivans, on n’avait eu que de vagues et imparfaites notions sur la circulation du sang, sur la locomotion; mais, grâce à vous, señora! Vésalius a levé bien des voiles, et s’est acquis une gloire éternelle.

Alors, la saisissant par la chevelure, il traîna Maria vers un énorme bahut, dont il souleva le couvercle avec peine; par les cheveux il la penchait sur l’ouverture.

– Enfin, regarde encore ceci! c’est ton dernier, est-ce pas?

Le bahut contenait des bocaux pleins d’essences où trempaient des portions de chair et de cadavre.

– Pedro! Pedro!.. vous l’avez donc tué aussi?

– Oui! aussi!..

Alors avec un râle affreux, Maria tomba massivement sur la dalle.

Le lendemain un convoi sortit de l’hôtel.

Les fossoyeurs qui descendirent la bière dans les caveaux de Santa Maria la Mayor, remarquèrent entre eux, qu’elle était lourde et sonore, et qu’un bruit s’était fait dans sa chute, qui n’était pas le bruit d’un corps.

Et la nuit suivante, à travers les barbacanes de la porte, on aurait pu voir Andréa Vésalius, dans son laboratoire, disséquant sur son établi un beau cadavre de femme, dont les cheveux blonds tombaient jusqu’à terre.

VII
AFFABULATIO

A cette opulente cour de Madrid, gorgée de tous les trésors du monde de Christophe Colomb, et qui dominait puissamment toute l’Europe, Andréa Vésalius se reposait dans sa gloire, riche et hautement considéré. Entre l’inquisition et Philippe II, il favorisait autant qu’il était possible l’étude de l’anatomie, quand une accusation vint le précipiter dans d’horribles malheurs.

Faisant en public l’autopsie du cadavre d’un gentilhomme, le cœur parut palpiter sous le tranchant du scalpel. La rancunière inquisition, l’accusant d’homicide, demanda la mort du savant, et Philippe II obtint très difficilement que la peine fût commuée en un pélerinage en terre sainte. Vésalius s’achemina vers la Palestine avec Malatesta, chef des troupes vénitiennes.

Après avoir bravé bien des dangers dans ce scabreux voyage, il fut à son retour jeté par la tempête sur les côtes de Zante, où il mourut de faim, le 15 octobre 1564.

La république de Venise l’appelait alors à l’université de Padoue, veuve prématurément cette même année, de Gabriel Falloppe, son élève.

S’il faut en croire Boerhave et Albinus, Andréa Vésalius périt victime de ses éternelles goguenarderies sur l’ignorance, le costume et les mœurs des moines espagnols, et de l’inquisition, qui saisit avidement l’occasion de se défaire de ce savant fort incommode.

La grande anatomie d’Andréa Vésalius, de Corporis humani Fabrica, parut à Bâle, en 1562, ornée de figures attribuées au Tiziano, son ami.

THREE FINGERED JACK L’OBI

LA JAMAIQUE

 
…Tous nés sur cette terre,
Portez comme des chiens la chaîne héréditaire,
Demeurez en hurlant.....
Pour Jacoub, il est libre, il retourne au désert.
 
Alexandre Dumas.
 
When fortune means to men most good,
She looks upon them with a threat’ning eye.
 
Shakspeare.
 
Ambitieux à jalouse, corsaire à corsaire et demi.
 
André Borel.

I
NEXT NIGHT, AT THE THREE PALM-TREES

– Abigail, Abigail, contez-nous, contez-nous un conte!.. criait une troupe d’enfans à peau d’ébène, d’ivoire, de buis ou de cuivre, qui, suçant de longues cannes à sucre, jouaient sur le gravier, aux pieds d’une jeune noire, naïvement belle, parée d’une simple toile. Abigail – c’était le nom que lui avait imposé son maître puritain – , assise à terre à la porte d’une riche habitation, portait, juchée sur son joli doigt, un haras blanc qu’elle caressait; tantôt, lui fredonnant cet air créole des Antilles Françaises, dont assurément elle ignorait le sens:

 
Mounché Béqué li un boun blan,
Quand li coque li payé comptant,
Résonnablement!
 

tantôt, calme, mélancolique, la tête penchée sur l’épaule, elle paraissait enfouie dans les rêves intuitifs d’un bonheur à venir, dont se bercent toutes jeunes femmes.

– Abigail! mais contez-nous donc un conte, criait toujours la marmaille: nous serons bien sages, nous ne battrons plus le petit John Blackheat!

La jeune fille fut arrachée à sa douce méditation.

– Mais, enfans, que me voulez-vous?

– Un conte, Abigail!

– Un conte, je n’en sais pas, petits amis.

– Si, si si, celui des pikarouns, tu sais?.. qui t’emportaient, et où l’obi, tu sais?..

Alors Abigail, tout en passant les doigts dans les plumes de son haras, commença d’une voix lente, et toute la marmaille ouvrit de grands yeux noirs et de grandes bouches à quenottes blanches.

En ce temps-là, on était en guerre, et les pikarouns de Hispaniola – San-Domingo – la nuit faisaient souvent des descentes dans l’île; ils enlevaient les noirs endormis dans leurs cases, pour les revendre au marché de leur pays. Cette fois, malgré la vigilance des seize batimens gardes-côtes, ils s’étaient glissés dans une crique, et aventurés jusqu’aux abords de Sainte-Anne. Arrivés ici, tous armés jusqu’aux dents, ils s’introduisirent à pas de loup dans la plantation; ils avaient déjà emporté une centaine de noirs dans leurs sloops, quand ils arrivèrent à la case où dormait Abigail, votre bonne, qui vous aime quand vous êtes gentils; plusieurs hommes qui ressemblaient à des monstres dans l’ombre s’y précipitèrent, me saisirent toute sommeillante, me lièrent les bras, et m’entraînèrent vers le rivage.

Remarquez bien, petits amis, que ces hommes méchans étaient blancs, mais, quoique blancs, ils ne parlaient pas comme les blancs d’ici, leurs mots qu’ils grondaient comme des chiens, finissaient tous en o ou en a. Les sloops chargés de pauvres noirs qui pleuraient et criaient malgré leurs bâillons, voguaient au large, et moi-même j’étais dans un canot avec les derniers pikarouns restés en vigie; à peine fut-il démarré et lancé à quelques verges de la côte, que nous entendîmes comme le bruit d’un corps tombant dans l’eau, et aussitôt nous distinguâmes un noir qui nageait en hâte vers nous. —Que biba? … crièrent les pikarouns, ce qui veut dire sans doute en leur baraguoin: gare à nous.

L’homme nageait impétueusement entre deux eaux, et s’étant approché du canot dont il avait saisi le bord d’une main, un de ces sauvages leva une hache pour le frapper alors que, sortant à demi de la mer et donnant de tout son poids une secousse à la barque, il la renversa sur lui, la faisant chavirer et submergeant tous ceux qui la montaient.

Je reparus bientôt à la surface, et, soudainement, je me sentis étreinte par le milieu du corps. Portée pour ainsi dire sur la rive par le grand noir qui avait fait chavirer le canot, là, j’étais étendue, suffoquée, ce brave jeune homme me prodiguait des soins, il essuyait ma figure et mes cheveux trempés.

– Vous m’avez sauvée, oh! je vous dois la vie! lui dis-je revenant à moi.

– Peu de gens me la doivent, répliqua-t-il sourdement.

– Mais laissez-moi que je baise vos mains, dites au moins votre nom que je le bénisse.

– Mon nom… vous frémiriez!..

Tout à coup il se redressa au bruit de mousqueteries, et de pas et de cris approchans: c’étaient les colons voisins et les gens de l’habitation, qui, éveillés par le tumulte des pikarouns, les cris des noirs embarqués, accouraient tardivement à leur secours.

 

– Adieu, adieu, dit tout bas l’inconnu serrant mes doigts qui craquaient dans sa rude main, adieu!..

– Mais votre nom, de grâce? Je suis Abigail, moi, fille de John Fox!

– Moi, je suis pour les hommes moins qu’un chat-part qu’on chasse: je suis Three Fingered Jack du Libanus.

– Three Fingered Jack l’obiman?

– Oui, l’obiman!

Je poussai un cri de terreur; il disparut dans l’obscurité, et je restai anéantie comme si j’étais tombée du soleil. Sitôt, tous les colons arrivèrent sur le rivage, nulle barque n’y était amarrée pour pouvoir chasser en mer, furieux ils firent plusieurs fusillades qui ne portaient qu’à demi. Les pikarouns les saluèrent par des ricanemens lointains et des chants féroces qui étouffaient les hurlemens des pauvres noirs entassés.

Et la marmaille ouvrait de grands yeux noirs et de grandes bouches à quenottes blanches; et en ce moment, un sang mêlé sortit de derrière la case, passa près, et dit: – Abigail, cette nuit aux trois palmiers de la fontaine.

II
VOICES IN THE DESERT

Il était nuit avancée, tout était replongé dans le néant du sommeil, air, ciel et terre faisaient silence; et l’on n’entendait éparsement dans l’île, sur les montagnes, que les mélodieuses euphonies des petits oiseaux qui ne chantent que lorsque la terre est assourdie et que le ciel écoute, et, sous les trois palmiers de la fontaine, une voix mâle disant:

– Abigail, trêve un instant: Amour! amour! C’est bien!.. mais je suis ambitieux. Je t’ai conviée cette nuit, vois-tu, pour te faire des adieux pour quelque temps, et t’avouer un projet que j’accomplis. Je suis ambitieux, t’ai-je dit, car sous un dehors frivole je cache un cœur qui se ronge. Dans mes veines ruissèle un sang qui me ravale, et ce front qui pense, et ces reins puissans se courbent sous le fouet d’êtres stupides et féroces à peau blanche, qui savourent mes sueurs, qui s’égaient au râle que m’arrache la fatigue. J’ai assez souffert! cette lâche vie me tue, il m’en faut une autre! L’esclave veut se redresser et briser ses garrots. Je suis fier, vois-tu, je suis ambitieux, quelque chose en moi me pousse, moi esclave, à la domination; enfant, je rêvais royauté, je rêvais habits d’or, long sabre, cheval…

Pauvre Quasher! ta royauté, c’est le malheur!

Or donc, une occasion, un hasard se présente, je puis devenir riche, grand; je puis être gorgé d’or! Ceux qui me repoussent aujourd’hui bientôt me tendront la main, à mon tour je leur cracherai à la face!

– O mon Quasher, restons pauvres, la richesse rend méchant.

– La tête de l’obiman, Three Fingered Jack, est mise à prix, la somme est énorme!.. je l’aurai!..

– Vous êtes fou, Quasher! vous attaquer à Three Fingered Jack, un obi, vous êtes fou!

– Je sais que Jack et son obi sont forts, mais Quasher et son cœur sont forts aussi; d’ailleurs, suis-je pas résigné à la mort, plus de vie ou vie libre!

– Non, non, Quasher, je t’en prie, garde bien ta vie; si tu m’aimes restons pauvres, les pauvres seuls sont heureux, plus heureux que leurs maîtres; restons où la fatalité nous a jetés!..

– Eh! pourquoi rester pauvres?..

– Ah! pourquoi! pourquoi! Quasher, tu le comprends trop bien!

– Que peux-tu redouter, Abigail? je te racheterai, je me racheterai, nous serons libres; nous aurons notre habitation à nous, nous aurons nos esclaves à nous, nous pourrons nous aimer tout le jour, être seuls à tous deux, à toute heure, partout où il nous plaira; conçois-tu?.. être libre!..

– Mon Quasher, vous êtes ambitieux, vous me le disiez, vous vous en vantiez tantôt: quand vous serez riche, vous repousserez du pied cette pauvre négresse qui vous aime tant, vous voudrez une blanche d’Europe, je sens bien que je vous perds.

– Ecoute, Abigail, une femme qui amollit un homme fort, c’est une basse femme! Crois-tu que tes charmes soient assez puissans pour me clouer à toi? crois-tu que je varierai à des larmes? Non! tes embrassemens sont vains! Je veux, Quasher a dit: Je veux! sois confiante en lui, il t’a donné son amour, il t’es resté fidèle, sur Dieu et sa parole, il est à toi pour la vie. Ne sois ni soupçonneuse ni jalouse, et c’est à tes pieds qu’il viendra déposer cet or..... Pleure, pleure, n’espère pas m’amollir. Adieu!..

III
HATSARMAVETH, ABRAHAM, WESTMACOT

Restée seule, Abigail se leva brusquement, mue par une profonde jalousie et l’intime sentiment de la perte de son amant. Elle redoutait, et sans doute avec raison, connaissant sa fière ambition et son audace, ou qu’il perdît la vie dans un pareil combat, ou que, vainqueur, recevant la grosse somme promise, il ne se livrât à tous ses goûts effrénés, à ses penchans glorieux, et que, tuméfié d’orgueil et d’opulence, il ne détournât la tête à son appel; qu’il ne la repoussât de sa case neuve, elle pauvre esclave noire et bonne, pour ces grandes dames à beaux dehors qui colportent des cœurs secs, des âmes basses et vénales, chez tous les jeunes hommes dont elles convoitent le bien, comme le scorpion sa proie, ou que, plus sage, il ne se hâtât de faire choix parmi les filles fortunées pour s’engraisser encore de quelque large patrimoine, de quelque large dot. Cette pauvre enfant voyait son abandon inévitable, et cette pensée déchirante l’accablait.

Au lieu de reprendre la route qui ramenait à l’habitation, comme après une soudaine résolution, elle s’enfonça dans les savanes, marchant sans cesse, se dirigeant vers les montagnes, se cachant à l’approche des insulaires, évitant surtout la rencontre des marrons et des cudjos. Ce pénible pélerinage par les monts, les fondrières, les ravines, les bois vierges, la harassait. Ses pieds endoloris par la marche refusaient de toucher le sol. Elle n’avait pris pour toute nourriture que quelques pommes des acajous couvrant ses montagnes, et bu de l’eau des torrens, où elle baignait ses jolies jambes enflées par la marche sur ces terres brûlantes.

Le troisième jour, vers cette heure de l’après-midi, appelée solennellement crépuscule par les faiseurs de romances à forté-piano, et simplement, entre chien et loup, par madame de Sévigné: à cette heure à laquelle la nature s’assombrit, et, mystérieuse, se voile comme une belle dame qui abat le tulle de son chapeau, et rend sa beauté douteuse aux regards avides, à cette heure où les couleurs s’évanouissent et les contours se découpent nettement comme des ombres phantasmagoriques sur une haute-lice azurée. Par une sente rapide et pierreuse bordée ou plutôt embarrassée de mélèzes, Abigail, tête baissée appuyée sur une branche flexible, se traînait comme ces pauvres voyageurs, qu’on voit arriver le soir dans les faubourgs cherchant d’un œil éteint l’enseigne consolatrice d’une auberge; la sueur ruisselait sur son front; elle soupirait violemment, et jetait quelquefois des plaintes quand son pied heurtait des cailloux. Ce sentier montait droit à une roche ardue qu’il pourtournait; au sommet de ce rocher, quelqu’un moins lassé, moins pensif, aurait remarqué un corps alongé, noirâtre, immobile, semblant le mât rompu d’un navire coulé, ou plutôt, un peulvan druidique des dunes armoricaines de la vieille Gaule. Abigail était à peine à trois cents pas de cet être mystérieux, quand soudainement il fut éclairé par un phosphore accompagné d’une détonation semblable à celle d’une arme à feu, qui gronda long-temps dans les plaines; elle poussa un cri lamentable et tomba la face sur terre. Aussitôt, avec la vélocité d’un lévrier qui se précipite sur le gibier atteint par le chasseur, le gnôme noir descendit la roche et la sente, volant droit à Abigail; à son aspect il recula consterné, laissant tomber ce mot: – Une femme! – Se heurtant la poitrine et s’agenouillant il la souleva et l’étendit sur des herbes. Ce fantôme était simplement un noir d’une haute stature, portant une longue carabine comme les Bédouins, un grand sabre et un coutelas à la ceinture.

– Femme, femme! vous êtes blessée! répétait-il, tâchant d’adoucir la raucité de sa voix.

Mais Abigail restait muette en sa douleur; la balle l’avait frappée dans les chairs de la jambe. Le noir, écartant sa robe, et accolant ses lèvres sur la plaie, pompait le sang épanché. Un voyageur témoin de cette scène si effroyable en apparence, sans doute, aurait pensé voir un vampire se repaissant d’une femme. Puis ensuite il versa l’eau-de-vie de sa gourde sur des feuillages, ceignit cette compresse sur la blessure, et lui frotta les tempes du reste de la liqueur. Bientôt, Abigail rouvrit les yeux et les égara autour d’elle.

– Femme n’ayez peur, l’homme que vous avez près de vous est votre ami.

– C’est vous qui m’avez tuée cependant, répondit-elle, se soulevant et s’adossant contre un arbre.

– Ne m’en voulez pas, femme! Jack a tant d’ennemis, qu’il ne peut laisser aborder sa retraite. La faible lueur du couchant m’a trompé, j’ai cru frapper un homme. Pardonnez-moi, ce sont les hommes que je hais, parce qu’ils sont lâches et féroces, d’autant plus féroces qu’ils sont d’autant plus lâches. Consolez-vous, la blessure n’est pas grave.

– N’avez-vous pas nom Jack Three Fingered?.. Oh! béni soit Dieu! je vous trouve enfin, je vous cherchais.

– Eh! pourquoi?

– Je suis Abigail, avez-vous souvenance d’elle?

– Non.

– Vous rappelez-vous cette femme que vous sauvâtes, il y a deux ans, des pikarouns qui l’emportaient?

– Quoi, c’est vous!

– Jack, votre tête est à prix.

– Je le sais.

– Je vous dois la vie, et si je suis venue dans ces montagnes vous chercher, c’est pour acquitter cette dette; tenez-vous sur vos gardes, Quasher, pour remporter le prix de votre sang, viendra ces jours-ci vous pourchasser et vous tuer.

– Me tuer… redit froidement Jack.

– Evitez-le bien, mais ne me le tuez pas, je vous prie!

– Femme, je te remercie, oublie le mal que je t’ai fait malgré mon cœur.

– Oh! si je vous pardonne! ne vous dois-je pas la vie? Vous avez disposé de votre bien.

– Femme, maintenant, que veux-tu que je fasse de toi? Veux-tu venir reposer dans mon repaire?

– Il y a trois jours que j’ai quitté l’habitation de mon maître, il doit être bien inquiet; si je n’étais blessée…

– Oh! si ce n’est que cela, reprit Jack, tiens, prends cela en souvenir de moi, porte-le toujours sur toi, avec cela, tu seras forte. – C’était un sachet obien. – Et, levant doucement Abigail, il la chargea sur ses épaules robustes, descendit le sentier et disparut sous les acajous.

Le jour commençait à poindre, cependant tout dormait encore aux environs de Sainte-Anne, quand parut, devant l’habitation, Three Fingered Jack chargé d’Abigail. Il la portait aussi légèrement qu’une jeune fille porte son urne à la fontaine. S’étant approché de la case, il la déposa à l’entrée.

– Adieu, Abigail!

– Adieu, Jack, veillez bien sur vous!

L’obi heurta rudement la porte de son coutelas et s’enfuit prompt comme un cerf.

Hatsarmaveth Abraham Westmacot sortit accompagné, rencontrant du pied cette femme étendue et sanglante, il jeta un cri d’effroi.

– Calmez-vous, n’ayez peur, mon maître; c’est votre servante Abigail!

– Abigail!..

– Oui!.. des marrons, après m’avoir blessée, m’avaient emmenée dans les montagnes, et m’ont rejetée à votre porte.