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Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5

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Madame de Sévigné se trompait: à la fièvre succéda une enflure générale, plus forte aux mains que dans le reste du corps, et elle continua pendant quelque temps encore à user des secours de son fils, qui cependant put la quitter pour aller à Paris traiter de sa charge de guidon avec le jeune de Viriville850. Mais quoiqu'elle se portât dès lors de mieux en mieux, ses mains ne désenflèrent que lentement. Alors la jeune fille de la dame voisine des Rochers, dont nous avons parlé comme la rivale préférée de la du Plessis, fut pour elle «le petit secrétaire aimable et joli qui vint au secours de sa main engourdie et tremblante851.» Ses lettres à madame de Grignan devinrent plus longues, plus jaseuses et plus abandonnées, soit parce que sa santé s'améliorait, soit qu'elle craignît d'ennuyer son fils en le forçant d'écrire longuement sur sa maladie, soit qu'elle éprouvât quelque gêne à rendre le frater confident de son excessive tendresse pour sa sœur852.

Vers la fin de mars, elle commence à s'intéresser à ce qui se passe à Paris et à la cour; et, se ressouvenant de cette maîtresse de Bussy dont elle avait tant à se plaindre, elle parle à madame de Grignan d'un mariage qui, tel que celui de madame de Courcelles, dont il a été question dans ces Mémoires, montre jusqu'où Louis XIV poussait le despotisme quand il s'agissait de favoriser par des alliances ceux de ses généraux et de ses officiers qui se distinguaient à son service. «Le mariage, dit-elle, du duc de Lorges avec Geneviève de Fremont (fille de Nicolas de Fremont, seigneur d'Auneuil, garde du trésor royal) me paraît admirable; j'aime le bon goût du beau-père. Mais que dites-vous de madame de la Baume, qui oblige le roi d'envoyer un exempt prendre mademoiselle de la Tivolière d'entre les mains de père et mère, pour la mettre à Lyon chez une de ses sœurs? On ne doute point qu'en s'y prenant de cette manière elle n'en fasse le mariage avec son fils853

A ce sujet, le chevalier Perrin, le premier éditeur des lettres de madame de Sévigné, fait observer qu'ainsi que madame de Sévigné l'avait prévu Camille de la Baume, comte de Tallard, depuis maréchal de France et duc d'Hostun, épousa, par contrat du 28 décembre 1677, Marie-Catherine de Groslée de Viriville de la Tivolière. Il semble qu'il était dans la destinée de madame de la Baume de toujours nuire à madame de Sévigné sans en avoir l'intention, car ce mariage projeté de Tallard empêcha de Viriville d'acheter la charge de Sévigné. Et madame de Sévigné dit à sa fille: «Voilà nos mesures rompues; ne trouvez-vous pas cela plaisant, c'est-à-dire cruel? Madame de la Baume frappe de loin854

Enfin madame de Sévigné annonce son départ des Rochers; mais c'est encore avec la main de son petit secrétaire; car les siennes, toujours enflées, lui refusaient le service. «Je me porte très-bien, dit-elle; mais pour mes mains, il n'y a ni rime ni raison. Je me sers donc de la petite personne pour la dernière fois; c'est le plus aimable enfant du monde. Je ne sais ce que j'aurais fait sans elle: elle me lit très-bien ce que je veux; elle écrit comme vous voyez; elle m'aime; elle est complaisante; elle sait me parler de madame de Grignan. Enfin, je vous prie de l'aimer sur ma parole855

On regrette de ne pas connaître le nom de cette jeune fille, à laquelle madame de Sévigné a su nous intéresser en nous faisant connaître l'amour qu'elle lui avait inspiré. Dans la lettre datée de Laval le mardi 24 mars, jour où elle partit des Rochers pour se rendre à Paris, elle dit:

«Et pourquoi, ma fille, ne vous écrirais-je pas aujourd'hui, puisque je le puis? Je suis partie ce matin des Rochers par un chaud et charmant temps; le printemps est ouvert dans nos bois. La petite fille a été enlevée dès le grand matin, pour éviter les grands éclats de sa douleur: ce sont des cris d'enfant qui sont si naturels qu'ils en font pitié. Peut-être que dans ce moment elle danse; mais depuis deux jours elle fondait: elle n'a pas appris de moi à se gouverner. Il n'appartient qu'à vous, ma très-chère, d'avoir de la tendresse et du courage856

Rien ne nous prouve mieux que ces lignes combien le cœur de madame de Sévigné était souvent blessé par la froide raison de sa fille et par le défaut de cette faculté sympathique qu'on nomme sensibilité, cause de tant de jouissances et encore plus de tant de tourments.

Quoique madame de Sévigné se trouvât bien du changement d'air, que sa santé se rétablît assez promptement, sa main, continuant à être gonflée et tremblante, la forçait toujours à dicter ses lettres; néanmoins, quand elle écrivait à sa fille, elle aimait mieux s'en servir que d'employer la main de l'ami le plus intime. Rendue à Paris, elle y trouva Corbinelli, qui un jour, pour la soulager, écrivit dans une de ses lettres les nouvelles qu'elle voulait mander à madame de Grignan; mais en reprenant la plume elle ajoute aussitôt: «Je n'aime point à avoir des secrétaires qui aient plus d'esprit que moi; ils font les entendus, je n'ose leur faire écrire toutes mes sottises. La petite fille m'était bien meilleure857

C'est le 8 avril que nous la retrouvons à Paris écrivant ainsi à madame de Grignan. Elle avait passé huit jours au château de Malicorne, où elle s'arrêta comme elle avait fait cinq ans auparavant858. Là elle fut choyée par la marquise de Lavardin comme une amie convalescente qu'on avait craint de perdre. Les Lavardin étaient de l'illustre maison de Beaumanoir, et Coulanges avait dans ses chansons célébré la beauté de la grande salle du château de Malicorne, que décoraient tous les portraits des Beaumanoir et des personnages illustres avec lesquels cette famille avait formé des alliances859. Madame de Sévigné et madame de Lavardin vivaient à une époque trop féconde en grands événements, en hommes illustres pour avoir envie de s'entretenir des siècles passés. Le souvenir de Turenne ne s'effaçait pas, et les regrets de sa mort ne pouvaient se calmer; la publication de l'oraison funèbre de ce héros par Fléchier les avait encore ranimés. Madame de Sévigné, que sa maladie avait empêchée de se mettre au courant des événements qui survenaient et des nouveautés littéraires, ne connaissait pas ce discours, chef-d'œuvre de ce très-élégant et très-spirituel écrivain. Elle avait entendu, elle avait lu l'œuvre de Mascaron sur le même sujet: «C'est une action pour l'immortalité, avait-elle dit;» et elle s'était figuré que l'éloquence de l'évêque de Tulle ne pouvait être surpassée ni même égalée860.» Mais à Malicorne elle changea d'avis. «En arrivant ici (écrit-elle à son gendre)» madame de Lavardin me parla de l'oraison funèbre de Fléchier; nous la fîmes lire; et je demande mille et mille fois pardon à M. de Tulle; mais il me parut que celle-ci était au-dessus de la sienne: je la trouve plus également belle partout. Je l'écoutai avec étonnement, ne croyant pas qu'il fût possible de trouver encore de nouvelles manières d'exprimer les mêmes choses; en un mot, j'en fus charmée861

 

Madame de Sévigné était partie de Paris le 9 septembre862 (1675); elle y était revenue le 7 ou 8 avril de l'année suivante (1676): elle était donc restée sept mois absente de la capitale, du centre des affaires et des nouvelles; et comme dans cet intervalle madame de Grignan était informée de tout aussi rapidement qu'elle-même, madame de Sévigné s'abstint dans ses lettres de lui en parler, ou elle ne lui en parla que brièvement. Durant ces sept mois néanmoins de grands événements eurent lieu; la guerre sur terre et sur mer se continua, glorieuse pour la France, entre Louis XIV et les puissances de l'Europe coalisées contre lui. Le 14 septembre, le prince de Condé fit lever le siége de Saverne; trois jours après mourut à Birkenfeld Charles IV, duc de Lorraine, et la France fut délivrée d'un ennemi dangereux, d'un allié plus dangereux encore863. Le 7 octobre l'armée française envahit le pays de Waës. Cependant les négociations se poursuivaient, et l'on convint de prendre Nimègue pour le lieu de réunion d'un congrès européen. Nimègue devait devenir un lieu célèbre par la conclusion d'une paix que toutes les puissances désiraient avec ardeur et qui fut pourtant encore longtemps différée. Les prétentions variaient selon les victoires ou les défaites. La douceur de l'hiver permettait de continuer les opérations de la guerre. Le 9 janvier 1676 Duquesne défit la flotte espagnole près des îles de Strombali; le 22 mars on rasa la citadelle de Liége; le 25 du même mois le maréchal de Vivonne tailla en pièces sept mille hommes près de Messine. C'est par madame de Grignan que madame de Sévigné apprend cet exploit de son ami le gros Crevé; et l'on voit, par ce qu'elle en dit, combien elle détestait ces tueries: «Quelle rage aux Messinois d'avoir tant d'aversion pour les Français, qui sont si jolis! Mandez-moi toujours toutes vos histoires tragiques, et ne vous mettez point dans la tête de craindre le contre-temps de nos raisonnements: c'est un mal que l'éloignement cause, et à quoi il faut se résoudre tout simplement864.» Vivonne s'était emparé de Messine; mais la licence des troupes françaises occasionna des révoltes et des conspirations; il fallut en venir à des rigueurs, à des massacres, enfin abandonner la Sicile865.

Le 26 avril la ville de Condé fut forcée par le roi, après huit jours de siége866; le 12 mai Bouchain fut pris après huit jours de tranchée. Le 31 juillet Aire est pris en six jours par le maréchal d'Humières, qui, le 9 août, s'empara aussi du fort de Linck.

La nouvelle de la mort de Charles IV, duc de Lorraine, ne parvint à Versailles, où était alors Louis XIV, que le 23 septembre; et madame de Sévigné n'en parle dans une de ses lettres que quatre jours après867. Pavillon ne s'est point écarté de l'histoire, quand il dit dans l'épitaphe satirique de ce duc:

 
Ci-gît un pauvre duc sans terres,
Qui fut jusqu'à ses derniers jours
Peu fidèle dans ses amours,
Et moins fidèle dans ses guerres.
 
 
Il donna librement sa foi
Tour à tour à chaque couronne;
Il se fit une étrange loi
De ne la garder à personne.
 
 
Trompeur même en son testament,
De sa femme il fit une nonne,
Et ne donna rien que du vent
A madame de Lillebonne868.
 

Madame de Lillebonne était la fille du duc de Lorraine; lorsqu'elle en parlait, elle disait toujours Son Altesse mon père869. C'est pourquoi madame de Sévigné, lorsqu'elle apprend cette grande nouvelle, écrit à sa fille: «Mais n'admirez-vous point le bonheur du roi? On me mande la mort de Son Altesse royale mon père, qui était un bon ennemi; et que les Impériaux ont repassé le Rhin pour aller défendre l'empereur des Turcs, qui le pressent en Hongrie. Voilà ce qui s'appelle des étoiles heureuses; cela nous fait craindre en Bretagne de rudes punitions870.» Ainsi la Bretagne était à ce point désaffectionnée de Louis XIV qu'elle désirait qu'il eût des revers pour qu'il fût plus facile de s'opposer à son despotisme.

Madame de Sévigné écrivit, au sujet de la mort du duc Charles IV, à madame de Lillebonne et à sa belle-fille la princesse de Vaudemont. Aimable, belle, discrète et dévouée, la princesse de Vaudemont avait été fréquemment employée dans les négociations du duc Charles IV871, et elle fut de tout temps l'amie intime de madame de Grignan. Lorsque cette princesse, longtemps après l'époque dont nous traitons, résidait à Rome avec son mari, pensionnée par l'Espagne, et que toute liaison avec la France lui était interdite, elle eut durant le conclave une entrevue secrète avec Coulanges, au risque de se rendre suspecte au parti espagnol et d'être privée de ses revenus. Elle ne voulait que s'entretenir avec lui de madame de Grignan et le charger de lui transmettre l'assurance de sa constante amitié872.

Quand madame de Sévigné rentra dans Paris, le roi, qui était resté à Versailles depuis la fin de juillet de l'année précédente, allait en partant emmener avec lui un grand nombre de ses amis. Néanmoins, à son arrivée dans la capitale, elle trouva encore le chevalier de Grignan (le chevalier de la Gloire), qui commandait le régiment de Grignan, et s'était si fort distingué à Altenheim. «C'est un aimable garçon, dit-elle; il cause fort bien avec moi jusqu'à onze heures. J'ai obtenu de sa modestie de me parler de sa campagne; nous avons repleuré M. de Turenne873.» Elle apprend que le comte de Lorges, qui le 1er août précédent repoussa l'ennemi au delà du Rhin, avait été nommé maréchal de France; et elle dit, avec un petit sentiment d'envie pour son fils et son cousin Bussy: «Le maréchal de Lorges n'est-il point trop heureux? Les dignités, les grands biens et une très-jolie femme!… La fortune est jolie, mais je ne puis lui pardonner les rudesses qu'elle a pour nous874

 

Elle apprit en même temps et manda à sa fille dans la même lettre, la première de Paris depuis son arrivée, une anecdote qui présageait un changement de fortune dans la famille de Grignan. Le duc de Vendôme, nommé, encore enfant, gouverneur de Provence, et dont le comte de Grignan tenait la place comme lieutenant général875, avait fait sa première campagne en Hollande en 1672, âgé seulement de seize ans: il en avait vingt-deux en 1676, et devait partir en même temps que le roi pour la campagne de Flandre; mais, aimant le plaisir et se trouvant gêné à la cour, il manifesta le désir d'aller occuper son gouvernement.

«M. de Vendôme dit au roi, il y a huit jours: Sire, j'espère qu'après cette campagne Votre Majesté me permettra d'aller dans le gouvernement qu'elle m'a fait l'honneur de me donner.—Monsieur, lui dit le roi, quand vous saurez bien gouverner vos affaires, je vous donnerai le soin des miennes876

Heureusement pour M. de Grignan et madame de Sévigné que le duc de Vendôme, au lieu d'être simplement un aimable débauché, prit goût au métier de la guerre, devint un grand général, et abandonna longtemps au comte de Grignan le soin de gouverner la Provence877. Turenne mort, Condé accablé par l'âge et les infirmités, Louis XIV fatigué, Vendôme s'annonçait dès lors comme devant être le héros de cette jeune noblesse brillante, frondeuse et dissolue qui, par sa bravoure et ses talents militaires, soutint le trône et l'État. Mais, mécontente, elle sépara sa gloire de celle de son roi, elle déserta sa cour, elle discrédita sa personne et son gouvernement, et commença le déclin de la monarchie fondée par Henri IV, Richelieu et Louis XIV. La France et son roi avaient dès cette époque, dans le stathouder de Hollande, un ennemi puissant par son génie politique: il était de la race des Cromwell, des Ximenès, des Richelieu, des Mazarin; redoutable par son caractère énergique, patient et persévérant comme celui du peuple dont il réglait les destinées. Après chaque défaite des alliés, après chaque victoire des armées françaises, Guillaume redoublait d'efforts pour empêcher Louis XIV de conclure une paix glorieuse. Comme Pitt quand il parlait de Bonaparte, Guillaume disait aux souverains et aux peuples: «La guerre, la guerre! toujours la guerre! c'est le seul moyen de salut.» Ce n'était pas seulement par ses armes que le prince d'Orange s'opposait aux progrès de la puissance de Louis le Grand; c'était par des écrits qui formaient un piquant contraste avec les louanges qu'on lui donnait. L'industrieuse habileté des imprimeurs de Hollande avait su exploiter à leur profit les productions littéraires de la France: les éditions des livres français sorties de leurs presses, souvent plus belles, moins coûteuses et non mutilées par la censure, étaient partout préférées aux éditions originales; par là elles contribuaient à accroître l'influence de la littérature, des modes, des usages de la France. Mais Guillaume sut diriger contre Louis XIV cette universalité de la langue française, conquête des beaux génies protégés par ce monarque et gloire éternelle de son règne. Guillaume savait que la presse, comme la lance d'Achille, guérit les blessures qu'elle a faites; à la fois arme et bouclier propre également à protéger contre les coups d'un ennemi ou à le frapper à mort. Par les soins de ce chef de la coalition et par ses encouragements, l'Europe fut inondée d'écrits contre la France et contre son roi. Un grand nombre n'étaient que des libelles infâmes, calomnieux et orduriers contre Louis XIV et les hauts personnages de sa cour; mais plusieurs aussi étaient très-habilement rédigés, et empruntaient le langage ferme et éloquent de l'histoire pour retracer les torts de la France et de son monarque et les rendre odieux aux souverains et aux peuples de l'Europe. Dans ce nombre est un très-court écrit que Guillaume, en cette même année 1676, répandit avec profusion dans les Pays-Bas, où quelques provinces qui avaient appartenu autrefois à l'Espagne inclinaient à se détacher de la Hollande et à se donner à la puissance prépondérante, comme seule capable de les protéger contre les maux de la guerre. Ce court écrit était intitulé Mauvaise foy ou violences de la France.

L'auteur de cet écrit (anonyme inconnu) commence par rappeler les envahissements de Henri IV, de Richelieu, de Louis XIV, et la politique tour à tour insidieuse et menaçante de la France, toujours la même sous trois règnes différents, toujours tendant au même but, l'extension de sa domination sur toute l'Europe. Il retrace en termes énergiques l'incendie du Palatinat et toutes les cruautés commises par les Français dans les guerres qu'ils ont suscitées. Il inspire ainsi au bas peuple, qui souffre le plus de la suite de ces désastres, la crainte de la faim et de la mort. Aux nobles flamands il prédit les affronts et les humiliations qui les attendent, en renouvelant le souvenir des indignes traitements qu'ont éprouvés le prince de Ligne, les comtes de Solre et toute la noblesse flamande; aux bourgeois des villes il leur retrace tout ce qu'amèneront de désastreux pour leur bonheur domestique les mœurs corrompues, les modes, le luxe, les usages et les habitudes licencieuses des Français, leur soumission aveugle à un despote, la servilité dont ils se glorifient, leur haine et leur mépris pour les républicains. Il n'oublie pas de leur tracer le tableau des avanies, des humiliations, des affronts que seront forcés d'endurer leurs respectables magistrats. Enfin il met toutes les classes en garde contre les déceptions du vainqueur, qui promet de respecter leurs franchises et qui les violera toutes; et il les exhorte à n'espérer d'autres remèdes à tant de maux que dans leur courage et dans une opiniâtre résistance.

«Mais, quand même, dit-il, notre lâcheté serait si grande, la foi si légère et l'honneur si faible que de céder à la force ou aux charmes de la France, nos chaînes n'en seraient pas plus douces, la liberté plus réelle.

«Si la Guyenne, le Languedoc, la Bourgogne, la Bretagne, le Roussillon et les autres provinces ne sont plus que l'ombre de ce qu'elles étaient sous leurs princes légitimes, doit-on s'attendre à un repos qu'elles ne goûtent pas sous la pesanteur des tailles, des gabelles et de la violence des édits qui les accablent? Et les nôtres n'étant ni héréditaires ni dévolues par un droit fixe à la couronne, mais trahies ou volontairement esclaves, seront-elles traitées moins inhumainement et avec plus de modération?

«Est-ce que l'on dormira ou que l'on fera un voyage en repos? Les modes de France et ses libertés odieuses ne nous seront-elles pas aussi offensantes? Leurs visites à sept heures le matin, à minuit et aux ruelles d'un lit et d'une misérable chambre que l'on se réserve, ne nous feront-elles pas souvenir de notre tranquillité passée, par la tyrannie présente? Le faible sexe sera exposé à ces outrages; le nôtre aura les siens, et n'en sera plus exempt.

«Outre la honte de voir ces choses, on nous défendra jusqu'au murmure et le moindre soupir.

«On voudra encore les sommes entières que l'on demande; et si quelqu'un du magistrat en murmure ou en dit son sentiment avec la liberté passée, on lui donnera cent coups, ou un pied en l'endroit même que l'on fit à un bourgmestre en Hollande, en lui disant piquamment: Allez, monsieur le souverain!

«La cour de France tient que rien ne lui est défendu pour troubler ses voisins et y semer la division; qu'il y a une secrète joie à y faire le crime; que la pitié est une vertu lâche, et qu'elle renverse les couronnes; que la crainte en est l'appui, l'impiété la base; que les armes inspirent le respect; que les troupes sont d'admirables avocats, et qu'elles plaident bien une cause; que le droit canon l'emporte sur les autres droits; que la justice est un fantôme, la raison une chimère, le mariage une bagatelle, la foi des traités une illusion, ses paix une amorce, ses congrès pleins de mystères, ses conférences insidieuses, et ses serments un piége agréable, le jouet des enfants, l'appât d'un dupe et le charme d'un innocent878

Ces violentes diatribes ne produisirent leur effet que plus tard. Au temps où nous sommes parvenu, il restait devant le grand roi vingt années encore de prospérité, de grandeur et de gloire. Nous n'aurons donc point à nous occuper, dans la suite de ces Mémoires (si nous leur donnons une suite), des désastres et des malheurs qui assombrirent le dernier période de ce long règne. Le commencement de ce période coïncide, plus ou moins exactement, avec l'époque de la mort de Racine, de la Fontaine, de madame de Sévigné et aussi avec la naissance de Voltaire, auquel Ninon tendit la main pour l'introduire (l'écolier merveilleux!) dans ce nouveau siècle, dont elle ne vit pas finir le premier lustre879.

850SÉVIGNÉ, Lettres (20 février, 14 et 15 mars 1675), t. IV, p. 351, 367, 370, édit. G. Conférez aussi la Vie de la Fontaine, et SÉVIGNÉ, Lettres (18 mars 1676), t. IV, p. 371, édit. G.
851SÉVIGNÉ, Lettres (27 janvier 1676), t. IV, p. 323, édit. G.
852SÉVIGNÉ, Lettres, (8, 11, 14 et 18 mars 1676), t. IV, p. 359, 363, 365.
853SÉVIGNÉ, Lettres (18 mars 1676), t. IV, p. 310-11; et conférez t. I, p. 184-187; t. III, p. 195, édit. G.—CHOISY, Mémoires, t. LXIII, p. 418.
854SÉVIGNÉ, Lettres (28 mars 1676), t. IV, p. 379, édit. G.
855SÉVIGNÉ, Lettres (22 mars 1676), t. IV, p. 373, édit. G.
856SÉVIGNÉ, Lettres (24 mars 1676), t. IV, p. 377, édit. G.
857SÉVIGNÉ, Lettres (8 avril 1676), t. IV, p. 383, édit. G.
858Conférez Mém. sur madame DE SÉVIGNÉ, IVe part., p. 3, ch. I.
859DE COULANGES, Chansons, ms. aut. de la Bibl. nat., p. 66 verso. Dans la protestation contre le pape Innocent XI (Paris, 1688, in-18, p. 3), Lavardin se nomme lui-même Henri-Charles, sire de Beaumanoir, marquis de Lavardin.
860SÉVIGNÉ, Lettres (6 et 10 novembre 1675), t. IV, p. 194-196.—Ibid. (1er janvier 1676), t. IV, p. 285, édit. G.
861SÉVIGNÉ, Lettres (28 mars 1676), t. IV, p. 378 et 380, édit. G.
862SÉVIGNÉ, Lettres (9 septembre 1675), t. IV, p. 87.—Ibid. (8 avril 1676), t. IV, p. 383, édit. G.
863Sur le duc de Lorraine, conférez les Mémoires sur Sévigné, 1re part., p. 347, 359, 401, 404, 405, 413, 418, 432, 441; 2e part., p. 191, 394, 440, 441; 3e part., p. 200.
864SÉVIGNÉ, Lettres (28 mars 1676), t. IV, p. 380, édit. G.
865SÉVIGNÉ, Lettres (6 novembre 1675), t. IV, p. 190, édit. G.—BOILEAU, Œuvres, lettre au maréchal de Vivonne, t. IV, p. 17-21.
866PELLISSON, Lettres historiques (22, 23, 24 et 27 avril 1676, au camp devant Condé), t. III, p. 2-28.
867PELLISSON, Lettres historiques (23 septembre 1675), p. 415.—SÉVIGNÉ, Lettres (29 septembre 1675), t. IV, p. 118, édit. G.
868SÉVIGNÉ, Lettres (15 octobre 1675), t. IV, p. 151, édit. G.—PAVILLON, Œuvres, 1715 et 1720, in-12.
869SÉVIGNÉ, Lettres (4 septembre 1675), t. IV, p. 77, édit. G.
870SÉVIGNÉ, Lettres (29 septembre 1675), t. IV, p. 119, édit. G.
871SÉVIGNÉ, Lettres (19 février 1672), t. II, p. 394.—Ibid. (6 avril 1672), t. II, p. 451, édit. G.
872DE COULANGES, Mémoires (1820, édit. in-12).—SÉVIGNÉ, Lettres (15 mai 1691), t. X, p. 378, 379, édit. G.
873SÉVIGNÉ, Lettres (8 avril 1676), t. IV, p. 382.—Ibid. (1er novembre 1671), t. II, p. 2-8.—Ibid. (7 août 1675), t. III, p. 500, édit. G.
874Conférez 3e part. de ces Mémoires, p. 291, chap. I, 1re part.; p. 249, chap. IX.
875SÉVIGNÉ, Lettres (8 avril 1676), t. IV, p. 382, édit. G.
876SÉVIGNÉ, Lettres (8 avril 1676), t. IV, p. 388, édit. G.
877SÉVIGNÉ, Lettres (19 juillet 1677), t. V, p. 291.—Ibid. (18 août 1680), t. VII, p. 164, 165, édit G.
878Mauvaise foy ou violences de la France, avec une exhortation sincère au peuple des Pays-Bas sur leur constance; Villefranche, Jean Petit, 1677, in-18 (29 pages), pages 35, 37, 39, 41, 46, 47.
879Conférez la 1re partie de ces Mémoires sur Sévigné, 2e édit., p. 236, 249.—Hist. de la vie et des ouvrages (de) la Fontaine, 3e édit., p. 440.