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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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CHAPITRE VI

Sixte-Quint et la Ligue. – La bulle du 9 septembre 1585 contre le roi de Navarre et le prince de Condé. – Réponse de Henri à la bulle. – Début de la «guerre des Trois Henri». – Condé reprend les armes en Poitou et en Saintonge. – Il assiège Brouage. – Sa désastreuse expédition dans l'Anjou. – Henri III se décide à faire la guerre aux calvinistes. – Formation de trois armées royales. – Energie du roi de Navarre. – La comtesse de Gramont. – Son caractère; son dévouement au roi de Navarre; son rôle. – Voyage de Henri à Montauban.

Après le départ des envoyés de la cour, Henri venait d'expédier à tous les princes protestants et à divers personnages la copie de la protestation collective dont nous venons de parler, lorsque les foudres du Vatican grondèrent sur sa tête. Le pape Grégoire XIII était mort, au mois d'avril. Le Père Daniel rapporte que, «peu de jours avant sa mort, s'entretenant avec le cardinal d'Este, il lui dit que les Ligués de France n'auraient jamais ni bulle, ni bref de lui, d'autant qu'il ne voyait pas assez clair dans cette intrigue. Toutefois la conduite qu'il tint à cet égard autorisa extrêmement la faction, et la condescendance qu'il eut de laisser mettre son nom par le cardinal de Bourbon à la tête de la liste des souverains qui y entraient, fit un étrange effet sur les catholiques». Le successeur de Grégoire, Sixte-Quint, n'hésita pas à désapprouver hautement la Ligue, dont il condamnait l'esprit et les vues factieuses; il donna même une bulle que le duc de Nevers, de passage à Rome, fut chargé de remettre à Henri III, par laquelle «il excommuniait en même temps ceux qui donneraient des secours aux huguenots, et ceux qui entreprendraient quelque chose contre le roi et contre son royaume». C'était viser la Ligue en pleine poitrine; mais les intéressés ne virent là que ce qu'ils voulaient voir. Cette première bulle n'eut aucun retentissement. Il n'en fut pas de même de celle que donna le Pape, cinq jours après, le 9 septembre 1585. Elle excommuniait le roi de Navarre et le prince de Condé, les privait, eux et leurs successeurs, de tous leurs Etats, spécialement du droit de succéder à la couronne de France, et déliait leurs vassaux et sujets de leur serment de fidélité. Par cette bulle, le Saint-Père n'entendait pas venir en aide à la Ligue, qu'il ne mentionnait pas; mais la coïncidence était précieuse pour les factieux: le Pape lançait les foudres spirituelles contre les princes qu'ils voulaient terrasser par leurs armes, afin qu'il n'y eût plus personne entre le trône de France et eux. La Ligue, antérieurement désavouée par Sixte-Quint, allait probablement lui devoir son triomphe.

Le Père Daniel assure que le roi de Navarre répondit à la bulle par quatre manifestes: c'est une erreur. Henri fit à l'anathème du Saint-Siège deux réponses: l'une indirecte et adressée «à MM. de la Faculté de théologie du Collège de Sorbonne45»; l'autre directe, et qui, au mois d'octobre ou de novembre, fut affichée aux portes mêmes du Vatican. Le Père Daniel dit, au sujet de cet écrit: «Il y appelait comme d'abus de cette bulle au parlement et au concile général, et il implorait le secours des souverains, qui devaient tous s'intéresser dans sa cause, par l'injure que le Pape faisait à l'autorité royale, en s'attribuant la puissance de disposer des couronnes et le droit de décider sur de tels différends. On dit que Sixte-Quint, quoiqu'il n'eût pas sujet d'être satisfait de cette insulte, ne la blâma pas, et qu'à cette occasion il dit au marquis de Pisany (ambassadeur de France) qu'il serait à souhaiter que le roi son maître eût autant de résolution contre ses ennemis que le roi de Navarre en faisait paraître contre ceux qui haïssaient son hérésie: ce qui est assez conforme à ce qu'on a écrit dans la vie de ce Pape, que, de tous les souverains de la chrétienté, il n'estimait guère que ce prince et Elisabeth, reine d'Angleterre.»

Quant à la lettre à MM. de la Sorbonne, datée de Mont-de-Marsan, 11 octobre 1585, c'est une dissertation à la fois politique et théologique, et qui exprimait sans doute les sentiments du roi de Navarre, mais dont la rédaction était de Du Plessis-Mornay, en voie de mériter son surnom de «pape huguenot». Il faut noter, d'ailleurs, que la bulle de Sixte-Quint ne fut accueillie avec satisfaction que par la Ligue. Le parlement de Paris n'était pas loin d'y voir un attentat contre la couronne, et Henri III lui-même se montra plus mécontent que satisfait du décret pontifical.

Le prince de Condé, toujours pressé d'en venir aux mains, commença, dès le mois de septembre, les hostilités dans le Poitou. Il y trouva devant lui le duc de Mercœur, gouverneur de Bretagne, et le rejeta dans son gouvernement; puis, descendant vers la Saintonge, il mit le siège devant Brouage, vaillamment défendu par Saint-Luc, mais dont il se fût rendu maître, selon toute apparence, si la nouvelle d'un coup de main tenté par les protestants sur Angers n'était venue modifier ses plans. La citadelle d'Angers avait été surprise par une poignée de religionnaires, qui réclamaient de prompts secours. Le prince prit deux mille chevaux, laissa le commandement du siège à un de ses lieutenants, et courut à Angers. Il y arriva trop tard: ses amis avaient capitulé. Condé fit une tentative désespérée sur les faubourgs de la ville, et fut obligé de battre en retraite. Ce fut une débandade, dans laquelle il eut beaucoup de peine à se sauver; il passa de Normandie en Angleterre, d'où la reine le fit reconduire à La Rochelle. Pendant cette retraite désastreuse, le reste de son armée était contraint de lever le siège de Brouage, à l'approche de l'armée de Matignon manœuvrant pour faire sa jonction avec celle de Mayenne, qui, à son tour, en s'avançant dans le midi, interrompit les succès de Turenne en Limousin, où il s'était emparé de la ville de Tulle. A ce moment, Lesdiguières parcourait victorieusement le Dauphiné et les contrées voisines; il prenait Chorgues, Montélimar, Embrun, et se mettait en mesure de tenir tête à l'armée que menait contre lui le duc d'Epernon. Tels furent les débuts de la «guerre des Trois Henri».

Dès que l'on fut aux prises sur tous les points, c'est-à-dire dans les premiers jours du mois d'octobre, les chefs de la Ligue, dit le Père Daniel, «enflés de leurs succès, pressèrent le roi de mettre à exécution l'article du traité de Nemours par lequel tous les huguenots devaient être chassés du royaume, quoique les six mois qu'ils avaient pour en sortir ne fussent point encore expirés. Ils obtinrent, par leurs importunités, l'avancement de ce terme; et le roi eut la faiblesse de donner un édit dans son conseil au mois d'octobre, qui ordonnait, sous peine de confiscations des biens et de crime de lèse-majesté, à tous les calvinistes, de faire abjuration de leurs erreurs dans quinze jours; et après ce court espace, on commença à exécuter l'édit. Le roi de Navarre attendit quelque temps, pour voir si l'on continuerait à le faire; et, ayant su qu'on y procédait avec beaucoup de rigueur, il fit, de son côté, une déclaration par laquelle il fut ordonné, dans tous les pays dont il était le maître, de traiter les catholiques comme le roi traitait les huguenots. On saisit et on vendit leurs biens, et on les chassa des villes et de leurs terres. Une infinité de gens de tous côtés, tant catholiques que calvinistes, furent réduits à la dernière misère, et on ne vit jamais dans le royaume une pareille désolation.»

Ni les échecs du prince de Condé, ni la mise en campagne de trois armées royales, ni les nouvelles mesures de rigueur prises contre les huguenots, n'eurent raison de l'énergie du roi de Navarre. Des derniers jours du mois de septembre au commencement du mois de décembre, il entretint une correspondance exclusivement militaire avec un grand nombre de gouverneurs et de capitaines, Saint-Geniès, Geoffroy de Vivans, Favas, André de Meslon, sénéchal d'Albret, Chouppes, un des héros de Cahors, Manaud de Batz, gouverneur de l'Eauzan, etc. Le 1er décembre, il envoie des lettres de respectueuse mais ferme protestation à Henri III et à la reine-mère; puis il tire résolûment l'épée.

C'est à ce moment que, pour la première fois, suivant la chronologie adoptée par le recueil de Berger de Xivrey, nous rencontrons, mêlée à la vie publique de Henri, une femme d'un grand cœur et d'un haut caractère, cette illustre Diane d'Andouins, veuve de Philibert comte de Guiche et de Gramont, et que les chroniqueurs du XVIe siècle ont surnommée la «belle Corysandre46». Si jamais les atténuations furent de mise dans les jugements du moraliste sur une liaison irrégulière, l'histoire les apporte toutes ici en témoignage. La femme du roi de Navarre, frappée de toutes les déchéances, était devenue son ennemie; humainement parlant, il était libre et, plus encore, seul; l'amitié, l'appui, l'alliance politique de la comtesse de Gramont, pourtant catholique, s'offrirent naturellement à lui, qui manquait si souvent d'amis, de partisans, de toutes les ressources si nécessaires à sa vie de combats. Ainsi commença le pacte qui se consomma dans l'amour. Il ne faut pas confondre cette passion avec celles qui ont si souvent gâté la jeunesse et même la maturité de Henri de Bourbon. Cette maîtresse fut une amie fidèle, ingénieuse et puissante. Plus d'un de ces vaillants capitaines qui se pressaient autour de lui dans les batailles, et qui le conduisirent jusqu'au trône, n'a pas fait autant pour son service, et par conséquent pour le salut et l'honneur de la France, que cette noble femme, restée irréprochable après la séparation comme elle l'avait été avant de se donner à lui et à sa royauté proscrite. Henri fut son héros quand il était aux prises avec la mauvaise fortune, et il n'y a pas dans l'histoire trace d'une seule faveur royale pour elle. Cent fois elle lui vint en aide, comme aurait pu le faire un prince, tantôt par ses biens qu'elle engageait, tantôt par les hommes d'Etat et de guerre dont elle lui conquérait le talent et la bravoure, tantôt enfin par des actes d'un dévouement héroïque, tels qu'une ingérence hardie dans les affaires militaires et le danger personnel intrépidement affronté. Plus d'une fois, le roi de Navarre n'eut sous ses ordres que des troupes levées et soldées par la comtesse de Gramont, et c'est bien à elle qu'il écrivait, le 9 décembre 1585: «Je vous porterai toutes nouvelles et le pouvoir de faire vider les forts

 

A cette date, il était en campagne depuis quelques jours déjà, et parcourait, à travers les détachements ennemis, quelques contrées de l'Albret et de l'Armagnac, afin de pourvoir à leur sûreté. Dans la lettre dont on vient de lire une phrase si caractéristique, il raconte un fait de guerre: «Dimanche, se fit près Monheurt une jolie charge, qui est certes digne d'être sue. Le gouverneur, avec trois cuirasses et dix arquebusiers à cheval, rencontra le lieutenant de La Bruyère (ou Brunetière), gouverneur du Mas-d'Agenais, qui en avait douze, et autant d'arquebusiers tous à cheval. Le nôtre se voyant faible et comme perdu, dit à ses compagnons: «Il les faut tuer ou vaincre.» Il les charge de façon qu'il tue le chef et deux gendarmes et en prend deux prisonniers, les met à vau-de-route, gagne cinq grands chevaux et tous ceux des arquebusiers, et n'eut qu'un blessé des siens.»

«Je fais force dépêches», ajoutait-il dans la même lettre. Il ne faisait pas moins de chevauchées, non pour chercher personnellement la bataille, ce n'en était pas encore l'heure, mais pour armer ses places, ramasser des troupes, faire acheter et transporter des poudres, et se préparer enfin, de toutes façons, à la guerre défensive dont il avait conçu le plan. Le temps ne lui manqua pas pour cette grosse besogne; il en eut assez pour traverser l'Armagnac et l'Agenais, et se rendre, dans les derniers jours du mois de décembre 1585, à Montauban, d'où il méditait d'adresser au pays plusieurs manifestes et de le prendre à témoin de la justice de sa cause.

LIVRE QUATRIÈME
(1586-1589)

CHAPITRE PREMIER

Les quatre manifestes du roi de Navarre. – Jonction de l'armée de Mayenne et de l'armée de Matignon. – Conduite du maréchal. – Prise de Montignac en Périgord par Mayenne. – Dénombrement des deux armées royales. – Résolution et bonne humeur. – Premier siège de Castets. – Henri fait lever ce siège à Matignon. – Le plan du roi de Navarre. – Voyage de Henri à Pau. – Les Etats de Béarn et les subsides. – Retour précipité. – Le roi cerné. – Les deux messages de Henri à son «Faucheur». – La comédie militaire de Nérac. – Illusions de Mayenne et de Poyanne. – Odyssée du roi de Navarre, de Nérac à Sainte-Foy. – Le duc de Mayenne et le vicomte d'Aubeterre.

L'année 1586 s'ouvre par quatre manifestes datés de Montauban le 1er janvier, et adressés au clergé, à la noblesse, au Tiers-Etat, à la ville de Paris. Voici la conclusion de la lettre au clergé: «Nous croyons un Dieu, nous reconnaissons un Jésus-Christ, nous recevons un même Evangile. Si, sur les interprétations de même texte, nous sommes tombés en différend, je crois que les courtes voies que j'avais proposées (le concile libre) nous pourraient mettre d'accord… La guerre que vous poursuivez si vivement est indigne de chrétiens, indigne entre les chrétiens, de ceux principalement qui se prétendent docteurs de l'Evangile. Si la guerre vous plaît tant, si une bataille vous plaît plus qu'une dispute, une conspiration sanglante qu'un concile, j'en lave mes mains: le sang qui s'y répandra soit sur vos têtes. Je sais que les malédictions de ceux qui en pâtiront ne peuvent tomber sur moi, car ma patience, mon obéissance et mes raisons sont prou connues. J'attendrai la bénédiction de Dieu sur ma juste défense, lequel je supplie, Messieurs, vous donner l'esprit de paix et d'union pour la paix de cet Etat et l'union de son Eglise.»

Dans le manifeste à la noblesse de France, après l'exposé apologétique, il touche la fibre nationale: «Ils (les ligueurs) se sont formalisés aussi du gouvernement de cet Etat, ont voulu pourvoir à la succession, l'ont fait décider à Rome par le pape. Vous donc qui tenez le premier lieu en ce royaume, si le besoin d'icelui l'avait requis, auriez-vous été si nonchalants de vous laisser prévenir par étrangers en cet office? N'auriez-vous point eu de soin de la postérité?.. Car qu'a-t-on vu que Lorrains en tous ces remuements? Mais certes, pour réformer ou transformer l'Etat, comme ils désirent, il n'était besoin de votre main, il n'appartenait qu'à étrangers de l'entreprendre… Le procès ne se pouvait juger en France… il fallait qu'il fût jugé en Italie.» – Rappelant son défi au duc de Guise «pour sauver le peuple de ruine, pour épargner le sang de la noblesse», il jette le gant et compte sur l'avenir: «Ne pensez, Messieurs, que je les craigne… On sera plutôt lassé de m'assaillir que je ne serai de me défendre; je les ai portés, plusieurs années, plus forts qu'ils ne sont, plus faible beaucoup que je ne suis. Vous avez expérience et jugement: le passé vous résoudra de l'avenir.» – Il y a, dans la conclusion, très pathétique, des mots poignants, des élans sublimes: on n'avait jamais peut-être, depuis Jeanne d'Arc, parlé un langage aussi national: «Je plains certes votre sang répandu et dépendu (dépensé) en vain, qui devait être épargné pour conserver la France; je le plains, employé contre moi, à qui le deviez garder, étant ce que Dieu m'a fait en ce royaume, pour joindre une France à la France, au lieu qu'il sert aujourd'hui à la chasser de France»…

Voici la conclusion de la lettre au Tiers-Etat: «Je compâtis à vos maux; j'ai tenté tous les moyens de vous exempter des misères civiles; je n'épargnerai jamais ma vie pour les vous abréger… Je sais que, pour la plupart, vous êtes assujettis sous cette violence; je ne vous demande à tous qui, selon votre vocation, êtes plus sujets à endurer le mal que non pas à le faire, que vos vœux et vos souhaits et vos prières».

Quant au manifeste à la ville de Paris, il était bien ce qu'il devait être. Dans cette page, Henri ne démontre pas: il affirme, et compte sur la pénétration de l'esprit parisien. L'exorde seul dit tout: «Je vous écris volontiers, car je vous estime comme le miroir et l'abrégé de ce royaume; et non toutefois pour vous informer de la justice de ma cause, que je sais vous être assez connue; au contraire, pour vous en prendre à témoins, vous qui, par la multitude des bons yeux que vous avez, pouvez voir et pénétrer profondément tout ce qui se passe en cet Etat».

Dès les premiers jours de janvier, «tout est en armes en France», comme l'écrit le roi de Navarre au baron de Saint-Geniès. Le duc de Mayenne et Matignon s'étaient rencontrés à Châteauneuf, sur la Charente, vers la fin du mois de décembre. Ils parurent se mettre d'accord pour le plan de campagne; mais, outre qu'ils se méfiaient l'un de l'autre, il a été reconnu que Matignon avait reçu de Henri III l'ordre secret, non, comme l'ont dit quelques-uns, de ménager le roi de Navarre, mais, tout en le combattant, d'agir le moins possible de concert avec le duc, afin de ne pas multiplier les succès de la Maison de Guise. A la vérité, aucun témoignage authentique n'est venu confirmer précisément cette interprétation de la conduite du maréchal; mais on n'en peut nier la vraisemblance, quand on étudie les actes de Matignon pendant le cours de la campagne. Si aucune arrière-pensée ne dirigea quelques-uns de ses actes, il faut avouer alors qu'ils furent sous l'influence d'une sorte de fatalité, dont profita, dans une large mesure, la cause du roi de Navarre.

Après leur entrevue, le duc et le maréchal semblèrent avoir hâte de se séparer: Matignon revint en Guienne, et Mayenne, qui n'osa pas assiéger Saint-Jean-d'Angély, où régnait la peste, prit quelques bicoques, en Saintonge et en Périgord. Pierre de L'Estoile note un de ces exploits: «Le 6e jour de février (1586), la ville de Montignac en Périgord, ou plutôt bicoque, que tenaient ceux de la Religion, fut rendue, par composition, au duc de Mayenne. Le roi de Navarre n'avait auparavant qu'un concierge dans cette place, sans vouloir souffrir qu'on y fît la guerre. Aussi, deux jours après cette belle prise, les habitants, qui tous étaient de la Religion, se rachetèrent pour mille écus, qu'ils baillèrent à Hautefort, et fut, par ce moyen, remise en leur puissance. Voilà comme on commença à exterminer l'hérésie, par vider la bourse des hérétiques; et toutefois la Ligue, à Paris, en fit un trophée au duc de Mayenne.»

Le chiffre des troupes que mettaient en mouvement le duc de Mayenne et le maréchal de Matignon n'est donné qu'approximativement par les historiens: il n'était pas inférieur à vingt mille hommes de toutes armes, sans compter les gentilshommes qui servaient en volontaires et se joignaient habituellement au gros de l'armée, quand elle passait ou séjournait dans leur voisinage. Il y avait, dans cette accumulation de forces, de quoi inquiéter, sinon effrayer le roi de Navarre et ses partisans. Ils attendirent l'orage de pied ferme, et même avec autant de bonne humeur que de courage. Du Plessis-Mornay écrivait à la duchesse d'Uzès, qui vivait à la cour de Henri III: «Nous sommes attendant M. de Mayenne. Son armée s'évapore en menaces, et les effets en seront tant moindres. Croyez, Madame, qu'il nous tarde de le chasser et que ce saint est taillé à ne pas faire grands miracles en Guienne.» Et Henri écrivait, de son côté, avec une pointe de forfanterie qui ne déplaît pas: «Depuis quatre mois, ils n'ont pas assiégé une seule bicoque des nôtres, ils n'ont pas défait une seule de nos compagnies, et les leurs, de maladie ou d'autre incommodité, se sont défaites de la moitié; espérant bien, avec le moindre secours que je puis avoir, les combattre ou tout au moins les chasser de mon gouvernement, auquel j'ai eu jusqu'ici mes allées et venues franches, les tenant encore par delà les rivières.» Le roi de Navarre était alors à Montauban, ayant sous la main un corps d'élite de deux mille hommes environ, prêt à se porter sur les points faibles, ou à profiter de l'occasion pour tenter quelque coup heureux. Le 25 janvier, il était à Nérac ou dans le voisinage de cette ville, quand il eut connaissance de «lettres écrites par le maréchal de Matignon au premier président de Toulouse», lettres qui annonçaient que le dessein des deux armées était de «nettoyer la rivière (la Garonne) et réduire toutes les villes qui sont auprès, suivant le commandement du roi fait au duc, à la requête de ceux de Toulouse et de Bordeaux, afin de rendre le commerce desdites villes libre». Cette lettre interceptée lui donnait de précieuses indications; il les utilisa sans délai en envoyant chercher des poudres en Béarn pour les distribuer, en supplément, à quatre places qu'il jugeait pouvoir être assaillies: Clairac, Nérac, Casteljaloux et Castets. Huit jours après, l'armée de Matignon paraissait devant Castets.

Castets appartenait à Favas. Ce n'était qu'un château, mais fortifié de main de maître, bien armé et approvisionné. Favas l'avait donné en garde au capitaine de Labarrière, qui s'y était enfermé avec une troupe aguerrie. Vingt fois les Bordelais avaient demandé à Matignon d'enlever aux calvinistes cette place, non seulement parce qu'elle était la propriété d'un de leurs plus redoutables adversaires, mais encore et surtout parce qu'elle pouvait interrompre, selon le bon plaisir de la garnison, toutes les communications par eau entre Bordeaux et le haut pays. Le maréchal, venu devant Castets avec une grande partie de son armée, ordonna de vigoureuses attaques, qui furent repoussées. Labarrière, digne lieutenant de Favas, exécuta même deux sorties où la garnison eut l'avantage. Le siège durait depuis quelques jours, lorsque le roi de Navarre, avec une petite armée de deux ou trois cents maîtres et de dix-huit cents arquebusiers, parut tout à coup aux environs de la place. Matignon décampa, sans même risquer une escarmouche, et alla s'embusquer dans Langon. Nous disons s'embusquer, car, ayant près de cinq mille hommes et huit canons, il pouvait aisément tenir tête au roi de Navarre. Sa retraite à Langon fut évidemment la manœuvre d'un général qui recule devant l'ennemi pour l'attirer dans un piège où sa défaite est inévitable. Henri aurait accepté le combat, puisqu'il venait l'offrir, mais il se détourna sagement du piège. Il entra dans Castets, y dîna pour témoigner de son succès, et repartit sans bravade inutile, mais après avoir complètement réussi dans son entreprise. Il a fait lui-même le récit de ce coup heureux dans une lettre à Saint-Geniès datée de Montpouillan, le 21 février: «J'ai été, avec mes troupes, jusque près de Langon, à une lieue, et fus hier dîner à Castets. Et après dîner, j'en partis en bataille, après avoir fait ce que j'avais desseigné (projeté), sans que jamais nous ayons eu une seule alarme. Au contraire, nos ennemis en ont été tellement alarmés que M. de Matignon resserra toute sa cavalerie dedans Langon. Ils ont fait barricades, mis des pièces aux avenues et fait tout ce qu'on a accoutumé quand on doit être assailli. Dieu a béni mon voyage, qui a été utile, encore que je l'aie entrepris contre l'opinion de tout le monde: à lui seul en soit la gloire.»

 

A ce moment, le roi de Navarre était en marche, mais sans armée, vers le Béarn, où l'appelait le soin d'affaires importantes dont la plupart des historiens ne semblent pas avoir soupçonné l'existence. Ce voyage faisait partie d'un plan conçu avec hardiesse et qui fut exécuté avec audace.

Lorsque Henri fut convaincu que deux armées, se donnant la main ou manœuvrant dans le voisinage l'une de l'autre, allaient parcourir le gouvernement de Guienne et l'assaillir dans ses propres Etats, il lui fallut d'abord songer à mettre, autant que possible, en sûreté toutes les places capables de résistance, ce qu'il fit, comme nous l'avons vu. Puis, il envisagea les chances et les suites probables d'une lutte personnelle en Guienne et en Gascogne. Il l'eût soutenue, et victorieusement sans doute, avec une armée toujours disponible. Mais il n'en avait aucune: pour faire lever à Matignon le siège de Castets, il avait rassemblé deux mille hommes pris dans ses garnisons. Les armées de Mayenne et de Matignon tenant la campagne et investissant ou guettant les places du roi de Navarre, il pouvait, à la rigueur, inquiéter de temps à autre l'ennemi, lui infliger quelques échecs, lui tendre çà et là des embuscades, lui faire, en un mot, une guerre de partisans assez meurtrière, mais, par contre, imposer longuement à tout le pays le poids de cette guerre d'une issue douteuse. Sans autre champ de bataille néanmoins, il eût certainement voulu vaincre ou périr sur celui où tendaient à le cerner Mayenne et Matignon. Mais le terrain de la lutte était fort étendu, et il se trouvait même que, par la présence des deux armées en Guienne et en Gascogne, où elles rencontraient des obstacles à chaque pas, la place lui était laissée libre en Saintonge pour y être à portée, soit de rassembler de nouvelles forces, en vue de les pousser vers le duc et le maréchal, soit de les employer avantageusement dans un large rayon autour de La Rochelle, soit enfin de s'en servir pour aller, à travers le Poitou soulevé, au-devant de l'armée étrangère, dont l'entrée en France n'était qu'une question de temps.

De toute façon, le roi de Navarre était déterminé, non à abandonner ses Etats, d'ailleurs bien défendus, mais à transporter son action personnelle au delà des limites où allait s'exercer l'action des deux armées royales. Il avait donc formé le projet de tourner ou de traverser ces deux armées, aussitôt que l'état de ses affaires lui permettrait d'exécuter cette entreprise. Après son expédition à Castets, il fut informé des mouvements de Mayenne, qui suivait une route encore indécise, mais tracée de telle sorte qu'elle devait le mettre en mesure d'occuper rapidement tous les passages de la Garonne, depuis les lignes de Matignon jusque dans le voisinage d'Agen. Henri n'avait pas de temps à perdre; et quoiqu'il eût dit en riant: «Monsieur de Mayenne n'est pas si mauvais garçon qu'il ne me permette de me promener quelque temps en Gascogne», il revit en courant plusieurs places où il restait quelques ordres à donner, et séjourna huit jours à Nérac. Là, il entretint avec sa sœur Catherine, régente de Béarn, une correspondance active, mais qui n'aboutit pas au gré de ses désirs. Le 6 mars, il quittait Nérac, allait coucher à Eauze, et, le 7, il couchait à Pau, où il passa deux jours entiers. Ce voyage, au moment où Mayenne inondait l'Agenais de ses troupes, a été reproché à Henri comme une aventure galante. «Il s'oubliait auprès de la belle Corysandre», disent vingt historiens, le grave Mézeray en tête. S'il se fût oublié à Pau, ce n'eût pas été auprès de la comtesse de Gramont, qui était à Hagetmau, mais auprès de la régente. La vérité est que ce voyage fut nécessité par une question de subsides que la correspondance mentionnée plus haut n'avait pu résoudre selon les vues de Henri.

Nous avons fait connaître les bonnes relations qui existaient entre le roi de Navarre et les Etats de Béarn. En 1585, les Etats, comprenant la gravité du péril qui menaçait leur souverain et même leur existence, car ils pouvaient redouter plus que jamais un retour offensif de l'Espagne, alliée de la Ligue, s'étaient assemblés quatre fois, pour aviser aux meilleurs moyens de mettre le pays en état de défense.

Le 25 février 1586, Henri leur adressa de Nérac une longue lettre où il dépeignait les dangers de la situation que lui avait créée l'alliance du roi de France avec la Ligue, et sollicitait de nouveaux subsides. Si l'on songe que le roi de Navarre manquait d'argent, comme il en manqua presque toujours, et en avait besoin plus que jamais, on comprendra de quelle importance était pour lui le succès de sa requête aux Etats de Béarn. Il ressentit sans doute quelque mauvaise impression du premier accueil fait à cette requête, et peut-être essaya-t-il d'avoir gain de cause à ce sujet, sans quitter Nérac, où il séjourna huit jours, comme dans l'attente de quelques nouvelles; mais tout porte à croire qu'il jugea nécessaire de se transporter à Pau pour assurer l'issue favorable de cette négociation. Il ne rapporta de son voyage que le vote d'un subside de trente mille écus environ, qui ne firent pas long usage, mais dont il ne pouvait se passer au début de la campagne. Plus tard, les Etats votèrent tous les emprunts demandés pour subvenir aux frais de la guerre, et ils se départirent franchement de leur économie ombrageuse et intempestive, quand ils eurent connaissance du projet qu'avait conçu la Ligue de livrer la Basse-Navarre à son allié Philippe II.

Il y a apparence que les nouvelles des mouvements de Mayenne abrégèrent le séjour de Henri dans la capitale de ses Etats souverains. Il en partit dans l'équipage le plus restreint, le 10 mars; il passa en courant à Nogaro, à Eauze et à Hagetmau, et il était, le 12 ou le 13, dans cette dernière ville, résidence de la comtesse de Gramont, quand il apprit, de source certaine, que le cercle des troupes royales se resserrait de plus en plus autour de lui: les passages de la Garonne étaient gardés; de forts détachements battaient l'estrade depuis Bayonne jusque dans le Condomois, et Baylens de Poyanne, gouverneur de Dax, marchait vers Nérac, à travers la Chalosse, l'Armagnac et l'Albret.

Si rapides qu'eussent été les mouvements du roi de Navarre, il se voyait cerné et serré de fort près. Il ne fallait plus songer à gagner de vitesse l'ennemi, mais à l'affronter, à le dépister à force d'audace, et, au besoin, à franchir ses lignes, l'épée à la main. Le 12 ou le 13 mars, il écrit de Hagetmau à Manaud de Batz, gouverneur d'Eauze: «Ils m'ont entouré comme la bête et croient qu'on me prend aux filets. Moi, je leur veux passer à travers ou dessus le ventre. J'ai élu mes bons, et mon Faucheur en est. Que mon Faucheur ne me faille en si bonne partie, et ne s'aille amuser à la paille, quand je l'attends sur le pré. – Ecrit à Hagetmau, ce matin, à dix heures.» Le porteur avait ordre, sans doute, d'indiquer au baron de Batz un rendez-vous fixé par le roi; mais, avant que le message fût accompli, de nouveaux avis parvinrent à Henri, qui l'obligèrent à modifier son itinéraire et celui des officiers qui devaient le rejoindre, soit à Hagetmau, soit sur le parcours de Hagetmau à Nérac; il fallait se hâter, et les chemins ordinaires n'étaient pas sûrs: ce fut la raison d'un second message. Armand de Montespan partit pour Eauze avec ce billet, dont le sentiment et le style seront admirés tant que vivront la langue française et le souvenir de Henri IV: «Mon Faucheur, mets des ailes à ta meilleure bête. J'ai dit à Montespan de crever la sienne. Pourquoi? Tu le sauras de moi, demain, à Nérac; mais par tout autre chemin, hâte, cours, viens, vole: c'est l'ordre de ton maître et la prière de ton ami. – Ecrit à Hagetmau, à midi.»

45Appendice:
46Appendice: