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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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Le 14, au soir, Henri était à Nérac, où il trouva les gentilshommes qu'il avait «élus». On signalait, de toutes parts, l'approche de l'ennemi; d'un moment à l'autre, il pouvait bivouaquer à portée de canon. Quoique le roi eût passé toute la journée à cheval, il déploya une activité sans égale dans les préparatifs de son expédition. Pour tromper les espions de Mayenne, qu'il supposait aux aguets dans le voisinage, il fit descendre ostensiblement des chevaux au pied des murs, du côté le plus escarpé du château, en face des collines sur lesquelles, selon toute apparence, devaient prendre position les détachements de l'armée de Mayenne. Au milieu de la garnison et de la bourgeoisie armée, il affecta de se montrer lui-même sur les remparts, à la lueur des torches, comme s'il eût pris ses dernières dispositions pour repousser un assaut. La nuit se passa en démonstrations de ce genre, qui eurent pour résultat, comme le roi l'avait prévu, de mettre l'armée ennemie en éveil, depuis les faubourgs de Nérac jusqu'aux divers passages de la Garonne. En même temps, Henri faisait courir le bruit qu'il allait traverser le Condomois pour s'enfermer dans Lectoure, ou que, s'enfonçant dans les landes, il irait se mettre à l'abri dans Casteljaloux. Les officiers attachés à sa poursuite couvaient déjà des yeux cette noble proie; à l'exemple de Mayenne, qui, peu de jours auparavant, avait mandé à la cour que «le Béarnais» ne pouvait lui échapper, Poyanne envoya un message à Henri pour le supplier, vu l'inutilité de la défense, de déposer les armes et de daigner se rendre à lui. Le roi, ayant pris quelque repos et choisi son escorte, donna l'ordre, sur la fin de la nuit, de tirer vivement le canon, afin qu'à ce bruit, l'ennemi courût vers la ville et n'eût d'yeux et d'oreilles que pour ce qui s'y passait; puis, sortant tout à coup de Nérac avec ses amis, suivi de deux cents chevaux, il s'élance à découvert sur la route de Condom, la suit quelques instants, fait un détour à travers bois, revient passer à l'ouest de Nérac, mais hors de vue, prend à Barbaste la direction de Casteljaloux, la quitte près de Xaintrailles, et descend vers Damazan, où il fait halte une heure. De là, il repart pour Casteljaloux, passe dans le voisinage, laisse la ville à gauche, traverse tout ce petit pays montueux qu'on appelle le Queyran, gagne les forêts de Calonges et du Mas-d'Agenais, s'engage dans les ravins qui débouchent près de Caumont, et entre dans ce château, à la nuit tombante, ayant gardé avec lui seulement une vingtaine de cavaliers et indiqué Sainte-Foy pour rendez-vous au reste de son escorte.

Pendant cette course rapide et stratégique, qui ne fut qu'un jeu pour le roi, habitué à parcourir en chasseur les campagnes et les bois du pays, il fut sur le point, plus d'une fois, d'en venir aux mains avec les détachements qui couraient vers Nérac. Mais de courtes haltes ou des détours faits à propos lui permirent d'éviter toute rencontre. A Caumont, Henri et son escorte tombaient de fatigue. La Garonne était là, à leurs pieds, et, à travers la brume, ils pouvaient apercevoir ou deviner les feux de quelques bivouacs ennemis, sur l'une ou l'autre rive; mais il fallait à la fois reprendre des forces et attendre l'instant favorable. On n'eut pas grand loisir: trois heures après, en pleine nuit, l'alarme fut donnée au château par l'approche d'un gros détachement, commandé, disait-on, par Poyanne. Le roi et sa troupe remontent à cheval, s'aventurent sur les bords de la rivière, s'y procurent une barque, passent l'eau les uns après les autres, et, de nouveau réunis, entament la seconde étape de cette course vertigineuse. On est obligé de voyager tout juste au milieu des ennemis. C'est d'abord Marmande, dont on effleure la contrescarpe, de continuels qui-vive auxquels on ne répond rien ou que l'on accueille par des chansons; puis, le jour venu, c'est la garnison de La Sauvetat et quelques autres voulant voir de trop près les héros de cette odyssée, et stimulant par d'hostiles démonstrations la rapidité de leur marche. Elle eut son terme enfin, le 16 mars, dans Sainte-Foy, «auquel lieu, dit Sully, semblablement se rendirent, sur le soir même, tous ceux qui étaient demeurés derrière avec les bagages, sans qu'il eût été fait perte d'un seul valet ni d'un seul cheval».

Il est aisé de s'imaginer la confusion et la colère du duc de Mayenne en apprenant l'insuccès de cette campagne toute personnelle contre le roi de Navarre. Il cria et fit crier bien haut à la trahison; le vicomte d'Aubeterre, qui commandait à La Sauvetat, fut particulièrement soupçonné d'avoir livré passage à Henri. Rien n'est moins prouvé qu'un pareil acte de complaisance; mais le voyage du roi de Navarre fut jugé si audacieux, qu'on s'efforça d'en expliquer le succès par la complicité supposée de quelques officiers de l'armée de Mayenne. Quoi qu'il en soit, le vicomte d'Aubeterre, ayant eu avis des accusations portées contre lui, fit savoir à tout venant qu'il «ferait mentir le premier qui lui tiendrait de pareils propos», et personne, pas même Mayenne, n'osa relever ce défi.

CHAPITRE II

Caumont et Sainte-Bazeille. – Préparatifs de résistance. – Le chroniqueur royal. – Siège et reddition de Sainte-Bazeille. – Sévérité du roi de Navarre. – Castets acheté à Favas par le duc de Mayenne. – Mésintelligence entre Mayenne et Matignon. – Siège et reddition de Monségur. – André de Meslon. – Séjour et intrigues de Mayenne à Bordeaux. – Affaires de Poitou et de Saintonge. – Retour d'Angleterre de Condé. – Prise du château de Royan. – Exploits de Condé. – Siège de Brouage. – Arrivée du roi de Navarre devant cette place. – Obstruction du second havre de France. – Le maréchal de Biron en Saintonge. – Siège de Marans. – Trêve entre le roi de Navarre et le maréchal. – Le vrai motif de cette trêve. – Tentatives de négociation. – Un chef-d'œuvre épistolaire. – Lettre prophétique d'Elisabeth d'Angleterre à Henri III. – Siège et prise de Castillon par Mayenne et Matignon. – Le dernier exploit du duc de Mayenne en Guienne. – Brocard huguenot. – Apologie du duc et réponse des calvinistes.

En passant à Caumont, dont Geoffroy de Vivans était gouverneur en même temps que de Sainte-Bazeille, Henri avait pu juger des périls auxquels étaient exposées ces deux places. Quoiqu'il eût confié le commandement supérieur, en Guienne et en Gascogne, au vicomte de Turenne, il ne laissa pas de suivre d'un œil vigilant tout ce qui se faisait ou se préparait dans ces provinces. Le 18 mars, de Sainte-Foy, il écrivit à Vivans: «J'envoie demain deux compagnies à Sainte-Bazeille. Je vous prie vous y trouver pour les y recevoir, et si l'ennemi y tourne, assurez-vous que j'y mettrai plus de six cents hommes, et pour ce, résolvez-vous de vous y jeter, comme vous m'avez promis. Si vous pensez le faire, je vous enverrai douze ou quinze gentilshommes des miens, qui ont envie d'être à un siège avec vous.» Les lettres de Henri, à cette époque, sont les seuls documents que l'histoire puisse invoquer pour fixer les souvenirs relatifs au siège de Sainte-Bazeille et à quelques autres faits de guerre de moindre importance. Laissons donc parler le royal chroniqueur.

Le 20 mars, il écrit à Geoffroy de Vivans: «Parce que vous m'avez mandé que vous ne pouviez vous mettre dedans Saint-Bazeille, parce que vous étiez obligé de garder Caumont, qui est, à la vérité, de grande importance, j'ai pensé d'y donner ordre et la pourvoir de gens et de munitions…; il a fallu m'aider du régiment de Coroneau qui était à Montpaon (Rouergue); mais d'autant qu'il y a telle division entre Bajorans et lui, qu'il a demandé à servir partout ailleurs, sinon là, j'ai résolu de vider ce différend en y envoyant le sieur d'Espeuilles, pour y commander généralement… Si M. de Turenne ne vous accommode de ce qu'il vous faut, je vous prie me le mander, afin que je vous envoie tout ce que je pourrai…»

Le 25 mars, au même: «Vous ne sauriez croire combien on tue tous les jours de gens de l'armée de M. du Maine (Mayenne). Deux régiments ont voulu prendre le fort de Monbalen (ou Monbahus); ils ne l'ont fait, et y est demeuré des assiégeants soixante soldats et trois capitaines. – Boisdomain, étant de retour de Montflanquin, s'est logé dedans La Sauvetat; il y a pris quelques gens d'armes de M. de Lauzun, tué sept ou huit soldats et pris autant. A Clairac, ils (les religionnaires) ont mis en pièces douze ou quinze corps de garde. – Ils meurent encore dans leur armée. J'ai pris un messager que M. du Maine envoyait à Madame du Maine. J'ai su, par les lettres qu'il portait, qu'une matinée on avait enterré dix-huit des officiers de la maison de M. du Maine.»

Le 2 avril, au même: «J'ai ici des nouvelles de la cour, et ne vient aucun rafraîchissement à ses armées, qui se défont et se diminuent tous les jours. Quant à Caumont, je m'assure qu'ils n'oseraient l'avoir regardé pour l'attaquer. J'ai si bien pourvu à Sainte-Bazeille qu'ils s'y morfondront pour le moins. S'ils en viennent à bout, ils ne seront plus en état d'aller à Caumont. Quand vous aurez besoin de gens, je donnerai ordre de vous les faire tenir… Assurez-vous, monsieur de Vivans, que je ne vous laisserai en peine… Je tiens vingt gentilshommes prêts et deux cents arquebusiers…»

Le 8 avril, au même: «J'ai mandé à M. de Turenne de vous envoyer Fouguères et sa compagnie. Je vous ai envoyé Boësse (Boisse) et Panissaud, qui sont en chemin avec la poudre. Je mande à M. de Turenne de vous en bailler encore autant… Je tiendrai d'autres hommes prêts pour vous les envoyer quand il sera besoin, et n'épargnerai chose quelconque qui soit en mon pouvoir pour votre conservation et votre place…»

On voit, par ces extraits, où se peignent d'une façon intime la sollicitude, la prévoyance et l'on peut dire presque la camaraderie royales, quel prix Henri attachait à la défense victorieuse de Sainte-Bazeille. Ce n'était pourtant, au dire de Rosny, qui alla y prêter la main au gouverneur, qu'une ville bâtie en terre, avec des remparts sans consistance; mais, à la bien défendre et à y fatiguer les assaillants, les partisans du roi de Navarre devaient gagner, comme il le dit, de rendre beaucoup moins vives et moins dangereuses les tentatives sur Caumont, place dont il avait grandement à cœur la conservation. Or, d'incident en incident, il arriva précisément que Sainte-Bazeille, malgré sa forte garnison, fut mal défendue et rendue presque sans coup férir. Le capitaine d'Espeuilles et ses huit cents hommes firent d'abord bonne contenance; mais, dès les premiers effets des batteries, qui furent foudroyants, le gouverneur perdit courage et négocia aussitôt une capitulation. Mayenne la lui accorda d'autant plus volontiers, qu'il appréhendait l'arrivée de nouveaux secours envoyés par Vivans ou par le roi de Navarre. La place, investie le 9 avril, fut livrée, avant le 20 du même mois. Cette date approximative est fixée par une lettre du roi de Navarre à Vivans: «Je ne vous dirai autre chose, sinon que j'ai trouvé fort étrange qu'on soit entré en négociation et qu'on ait traité avec les ennemis, sans m'en avertir et sans nécessité. Cela fait connaître à nos ennemis, qui ne sont pas si bien comme aucuns pensent, que nous n'avons pas le cœur qu'ils craignaient. Je voudrais, Monsieur de Vivans, que vous sachiez et avec quel mépris de nous et de quelle façon nos ennemis parlent de ce traité.»

 

L'Estoile et Sully nous ont laissé des détails sur la reddition de Sainte-Bazeille. Le journal de Faurin atteste que le siège commença le 9 avril. L'Estoile dit qu'elle fut rendue dans le même mois, mais sans faire mention du jour. «En ce mois, dit-il, la ville de Sainte-Bazeille, en Gascogne, que le duc de Mayenne avait assiégée et battue de dix-huit canons, lui fut rendue par les huguenots, avec composition fort avantageuse pour eux, et peu pour les soldats de la Ligue, qui ne trouvaient nul profit à la prise de telles places, où ils ne faisaient butin que de quelques rats affamés ou de quelques chauves-souris enfumées». Toutefois, si la prise de Sainte-Bazeille n'était pas un exploit militaire pour le prince lorrain, remarque Berger de Xivrey, c'était un véritable échec pour le roi de Navarre. Les Mémoires de Vivans parlent des efforts de ce gentilhomme, qui envoya vainement au secours de cette ville une partie de la garnison de Caumont. Le ton de la lettre royale s'accorde aussi parfaitement avec ce que raconte Sully du mécontentement de Henri. Vingt gentilshommes de marque, du nombre desquels était Rosny, avaient instamment demandé la permission de se jeter dans Sainte-Bazeille pour acquérir de l'honneur avec M. d'Espeuilles, capitaine brave et expérimenté. «La capitulation, dit Sully, fut d'autant plus blâmée, qu'elle se trouva plus avantageuse et plus exactement observée, les rois et les chefs d'armée approuvant davantage que l'on sorte des places, le bâton blanc en la main, après avoir tenté tout hasard et péril, et s'être défendu jusqu'à l'extrémité, que de s'en revenir avec armes et bagages, tambour battant, enseignes déployées, mèches allumées des deux bouts, balles en bouche et pièces roulantes, et ne s'être point battus. Aussi trouvâmes-nous, lorsque nous arrivâmes à Bergerac, le roi de Navarre en merveilleuse colère contre tous nous autres, de sa maison principalement, jusques à n'en vouloir pas voir un seul, croyant que tout se fût passé de leur avis. Mais, quand il eut été informé de la vérité, il demeura plus content de nous autres, et tourna tout son courroux contre M. d'Espeuilles, lequel ayant envoyé quérir, après qu'il eut fait la révérence, il lui dit: «Eh bien! Monsieur d'Espeuilles, qu'avez-vous fait de la place que je vous avais donnée en garde pour le service de Dieu et la conservation des Eglises? Car je sais bien que ces gentilshommes que je vous avais baillés pour acquérir de l'honneur et apprendre le métier avec vous n'ont pas été de votre opinion.» A quoi l'autre (tout en furie et mutiné de ce qu'il avait ouï dire que le roi l'accusait de lâcheté) lui répondit: «Sire, j'en ai fait ce que V. M. en eût pu faire, si, étant à ma place, elle eût rencontré tous les habitants et la plus grande partie des soldats entièrement bandés contre toute autre résolution que celle que j'ai prise.» – «Par Dieu! repartit le roi, plus irrité qu'auparavant, vous n'aviez que faire de m'alléguer ainsi mal à propos, et par ma comparaison penser couvrir votre faute; je n'eusse jamais fait cette bêtise que de laisser entrer mes ennemis en ma place, avec une entière liberté de parler à un chacun, et encore moins me fussé-je mis entre leurs mains pour capituler. Et afin que, par votre exemple, les autres soient enseignés à user de plus de générosité et de prudence, suivez cet exempt des gardes, qui vous mènera où vous méritez. Et en cette sorte, sans lui donner loisir de répliquer, il fut mené en prison.»

La perte de Sainte-Bazeille fut d'autant plus sensible au roi de Navarre qu'elle suivit de près celle de Castets, assiégé de nouveau et réduit à l'extrémité par Matignon. Mayenne, sans même prendre l'avis du maréchal, l'acheta pour douze mille écus d'or à Favas, marché qui, soit dit en passant, donnait au vendeur comme à l'acheteur une figure plus mercantile qu'héroïque. L'acquisition de Castets par le duc de Mayenne servit, du moins, les intérêts du roi de Navarre, en ce que la mésintelligence qui existait entre les deux généraux s'en accrut et devint irrémédiable. Ils ne purent s'entendre sur un projet d'attaque contre Caumont, dont les Bordelais souhaitaient la chute non moins que celle de Sainte-Bazeille et de Castets. Retenu à Meilhan par une maladie réelle ou feinte, Matignon insista pour que le duc tournât ses forces contre Monségur, qui rompait, disait-il, les grands chemins et le commerce du Limousin, du Périgord et du Quercy. «Le nom de cette ville qui veut dire mont d'assurance, dit Mézeray, montre assez que sa situation est sur un haut, où, sans être commandée d'aucun endroit, elle commande toute la plaine d'en dessous; plus étroite et plus avancée du côté qu'elle regarde Duras, plus large et plus habitée de celui qu'elle regarde La Réole, et voyant couler à ses pieds la petite et fertile rivière du Drot, au milieu d'une belle et longue prairie. Le duc ayant fait ses approches sur la fin d'avril, devint malade à son tour d'une fièvre double tierce: ce qui obligea depuis Matignon d'y venir, et après qu'ils se furent abouchés à Rochebrune, il lui laissa tout le commandement. Il s'était jeté dedans cinquante gentilshommes, outre deux compagnies de gens de guerre, qui avec les habitants faisaient environ huit cents hommes, nombre bien petit pour tenir contre une si puissante armée, mais encouragé par le vicomte de Turenne qui était aux environs avec un camp volant de cinq cents chevaux et deux mille hommes de pied, qu'il mettait à couvert quand il voulait dans les villes de Sainte-Foy, Bergerac, Gensac et Castillon. Après que les assiégeants leur eurent ôté l'espérance de ce secours, la batterie commença par trois endroits, si furieuse que l'on y compta deux mille quatre cents coups de canon en un jour. Ceux de dedans ne s'étonnèrent point de ces grandes esplanades, ni de l'assaut qui leur fut donné, mais ils le soutinrent courageusement, et se retranchèrent derrière les ruines. L'émulation d'entre les royaux et les ligués et le défaut des poudres, dont il en fut trop consumé à tirer à coup perdu, retardèrent la prise de la place, jusques à temps que l'on eût fait venir de nouvelles munitions de Bordeaux, et qu'on eût agrandi les brèches. Le quinzième de mai, les assiégés capitulèrent aux conditions qu'ils seraient conduits en lieu de sûreté, avec armes et bagages, mèches éteintes et tambours couverts; mais la composition leur fut mal gardée; quelques compagnies se jetèrent sur eux, en tuèrent deux cents et dépouillèrent les autres, la licence du soldat mal discipliné s'étant portée à cette cruauté, sans être réprimée par ses capitaines qui pensaient par là gagner l'estime des Parisiens et les bonnes grâces des prédicateurs séditieux de la Ligue, au dire desquels c'était impiété de faire miséricorde aux hérétiques, et pis qu'infidélité de leur garder la foi.»

Léo Drouyn, dans ses Variétés girondines, rappelle que «Meslon fut accusé de n'avoir pas résisté autant qu'il aurait pu le faire, ou d'avoir manqué de courage dans cette occasion. Quelques officiers de la garnison, soupçonnés d'avoir fait courir des bruits malveillants contre lui, déclarèrent par écrit qu'on les avait calomniés… Après la prise de Monségur, Meslon dut, malgré ses services passés et la résistance désespérée de la ville, tomber en disgrâce. On lui reprocha non seulement cet échec, mais la non-réussite de quelques autres entreprises. Le roi de Navarre paraissait l'oublier…» Mais, en 1588, Henri lui écrivit de La Rochelle: «Monsieur de Meslon, il me semble que c'est assez demeurer chez soi, sans témoigner à son maître et au parti l'affection qu'on doit avoir à l'un et à l'autre. Disposez-vous donc à me venir trouver»; et en 1590, il le nomma mestre-de-camp de dix compagnies. Ces témoignages vengèrent noblement l'ancien gouverneur de Monségur des ingratitudes passagères et des calomnies dont il avait eu à souffrir47.

Heureux de voir que Caumont échappait à l'étreinte des deux armées, le roi de Navarre se consola aisément des échecs que lui avaient infligés Mayenne et Matignon. En écrivant, le 29 avril, de Bergerac, à Ségur pour lui recommander de hâter de tout son pouvoir l'arrivée des secours allemands, il lui donne ce plaisant bulletin de la campagne: «Le grand effort de cette armée, depuis cinq ou six mois, est tombé sur deux maisons assez mauvaises que vous connaissez, Montignac et Sainte-Bazeille, et sur la maison privée d'un gentilhomme nommée Castets, laquelle est au sieur de Favas. Ils eussent pu les acheter, de gré à gré, pour vingt ou trente fois moins qu'ils n'y ont fait de dépense, sans la perte de cinq ou six mille hommes, morts de maladie ou de main. Nous avons été trop longtemps sur la défensive.» Et le 15 mai: «J'ai trois armées en mon gouvernement: celles de MM. de Mayenne, de Matignon et de Biron (en Poitou et en Saintonge). Ils n'ont pas beaucoup gagné sur nous; jusques-ici leurs trophées sont sur Montignac, Castets, Sainte-Bazeille et Monségur.»

Comme il était déjà question du siège de Castillon par Mayenne, Henri ajoutait: «Le duc du Maine assiège Castillon. Il y aura de l'exercice pour quelque temps». – L'allusion à la «défensive» entr'ouvre l'horizon des luttes prochaines, qui, grâce au secours allemand attendu ou, tout au moins, à la diversion qu'il devait apporter, aboutirent, du côté du roi de Navarre, à la journée de Coutras. Henri ne luttait pas au jour le jour: il voyait de haut et prévoyait de loin.

Avant d'aller accomplir à Castillon son dernier exploit en Guienne, le duc de Mayenne, malade ou fatigué, avait séjourné quelque temps à Bordeaux, pendant que Matignon prenait Monségur. Il ne négligea rien pour gagner la ville et le pays à la Ligue. «En ce temps, dit le Journal de L'Estoile, le duc de Mayenne, après la prise de Monségur, se retire en la ville de Bordeaux, pour là se rafraîchir et faire panser d'une maladie qu'il avait; où il fit assez long séjour avec sa femme, qui l'était venue trouver pour le secourir en sa maladie. Et eut-on opinion qu'y étant logé à l'archevêché, il fit tout ce qu'il put pour ranger la ville à la dévotion de ceux de la Ligue et à la sienne.» Matignon conçut de telles défiances des intrigues de Mayenne à Bordeaux, «qu'il suscita le parlement, dit Mézeray, à députer vers le duc pour se plaindre de sa conduite». Malgré les remontrances et les bouderies du parlement de Bordeaux, la maladie ou les intrigues de Mayenne se prolongèrent jusqu'au milieu de l'été. Nous le retrouverons devant Castillon, où il ne parut qu'au mois de juillet, les deux armées royales ayant accordé au pays qu'elles occupaient une sorte de trêve pendant la durée des moissons. Nous avons maintenant à nous rendre compte de ce qui s'était passé en Saintonge, depuis que le roi de Navarre s'en était rapproché en quittant la Gascogne.

D'abord déconcertés, vers la fin de l'année 1585, par la débandade des troupes de Condé et les échecs qui s'ensuivirent, en Poitou et en Saintonge, les réformés reprirent peu à peu courage. «Là-dessus, revint (d'Angleterre) le prince de Condé en fort glorieux équipage, accompagné de dix vaisseaux de la reine Elisabeth et chargé de cinquante mille écus d'argent qu'elle lui avait prêtés, avec promesse d'assister son parti et sa personne, tout autant que le salut de son Etat le pourrait permettre.» Rassurés par ce retour triomphant, les calvinistes de Saintonge reprirent la lutte avec autant de succès que de vigueur. Ils se saisirent, au mois de février, du château de Royan, à la possession duquel étaient attachés deux cent mille écus de contributions annuelles. Toutes les petites places qui gênaient les mouvements de La Rochelle tombèrent en leur pouvoir. Entre deux expéditions, le prince de Condé épousa, le 16 mars, Charlotte de La Trémouille, et, le jour même de ses noces, provoqué par une compagnie de cavalerie passant dans le voisinage de Taillebourg, il eut les honneurs d'une brillante escarmouche.

 

Au mois de mai, les calvinistes dirigèrent contre Brouage une entreprise considérable. Renonçant à prendre cette place, que gardait toujours Saint-Luc, ils résolurent d'en obstruer le port: «Les Rochelais, qui en avaient toujours été jaloux, à cause qu'ayant assez d'eau pour recevoir les grands navires en tout temps, il ôtait la chalandise au leur, où l'on ne pouvait entrer que de haute marée, contribuèrent volontiers à ce dessein; pour lequel ayant été armés vingt-cinq vaisseaux ronds, quatre galères et quelques barques, Saint-Gelais qui en était amiral allait enfoncer de vieux corps de navires pleins de lest en forme de palissade, au lieu le plus étroit de ce port. La renommée ayant porté jusques aux oreilles du roi de Navarre la gloire que le prince de Condé acquérait en ces combats, il partit de Sainte-Foy pour y avoir part; et son émulation la lui faisant prendre à tous les périls, il hâta tellement l'exécution de l'entreprise, qu'il vit achever la palissade en peu de jours. Les courants amenèrent au travers de cette palissade un grand sillon de vases qui, se liant avec ces vaisseaux, les tenait tellement embourbés qu'on n'en pût arracher que les plus légers. Ainsi ce havre, qui était le second de France pour sa bonté, devint enfin un havre de nulle considération.»

La Rochelle triomphait; mais à ce triomphe la France perdait un de ses meilleurs ports. Tels sont les fruits désastreux de la guerre, et surtout de la guerre civile: on ne peut se vaincre mutuellement qu'en amoindrissant la patrie.

Les calvinistes de Guienne et de Gascogne ne semblaient plus avoir à redouter les entreprises de Mayenne et de Matignon, et l'on vient de voir que leurs affaires s'étaient fort améliorées entre La Rochelle et Saint-Jean-d'Angély; mais le maréchal de Biron, à la tête d'une troisième armée, venait de traverser le Poitou et d'arriver en Saintonge. Le roi de Navarre, qui connaissait par expérience la vigueur et le talent de cet adversaire, envoya La Trémouille rassembler des forces dans le Bas-Poitou, pour les joindre à celles dont il disposait et être prêt à tenir la campagne contre le nouvel arrivant. Il le fut, dès la fin du mois de mai. En juin, Biron, ayant avec lui cinq ou six mille hommes, débuta par le siège de Marans. Il l'investit puissamment, à grand renfort de travaux extraordinaires, et paya si bien de sa personne qu'il eut une main mutilée par une arquebusade. Néanmoins, Marans, qui ne semblait pas pouvoir lui échapper, ne fut pas pris: Henri et Biron conclurent inopinément une trêve, aux termes de laquelle le maréchal, laissant Marans au roi, avec la faculté d'y mettre un gouverneur, qui fut La Force, le propre gendre de Biron, fit reculer son armée au delà de la Charente et poussa la condescendance jusqu'à renoncer à toute entreprise sur Tonnay-Charente. Cette trêve fit accuser Biron de connivence avec le roi de Navarre, et il faut convenir que cette accusation ne manquait pas de vraisemblance. On pouvait supposer, en effet, que Biron, par les avantages qu'il accordait à Henri, voulait s'assurer, dans l'avenir, la bienveillance de la «seconde personne du royaume»; mais la véritable cause de l'entente subite qui s'établit entre le roi de Navarre et le maréchal fut le désir exprimé par Henri III, inquiet des progrès de la Ligue, de négocier une fois de plus avec son beau-frère, comme il en était question depuis plusieurs mois. Une entrevue de ce prince avec Catherine de Médicis avait été projetée, dès l'année précédente: elle n'eut lieu qu'au mois de décembre 1586. Le roi de Navarre lui-même ne laissait échapper aucune occasion de faire tenir à Henri III des exhortations dans le sens de la paix. «Sur la fin de ce mois (juin 1586)», note P. de L'Estoile, «La Marsilière, secrétaire du roi de Navarre, vint trouver le roi à Paris, par commandement de son maître, qui tâchait à divertir le roi de la guerre, lui proposant beaucoup d'inconvénients qui pouvaient lui en arriver et lui donnant des expédients très beaux et très sûrs pour se défaire et se dépêtrer de la Ligue et des ligueux. Mais le roi, qu'on avait peine à faire sortir d'une cellule de capucin, tant plus il y pense et plus il trouve de faiblesse de son côté et d'avancement aux affaires de la Ligue: tellement que, comme si le duc de Guise l'eût déjà tenu par le collet, la générosité lui manque et le cœur lui fault. Et s'en retourna ledit La Marsilière avec réponse aussi froide comme était douteuse et tremblante la résolution de ce prince.»

Libre dans Marans, après comme avant le siège, le roi de Navarre s'y transporta vers la mi-juin, et, au retour, le 17, il en envoyait à la comtesse de Gramont cette description, qui a pris place parmi les chefs-d'œuvre épistolaires du XVIe siècle: «C'est une île renfermée de marais bocageux, où, de cent en cent pas, il y a des canaux pour aller chercher le bois par bateau. L'eau claire, peu courante; les canaux de toutes largeurs; les bateaux de toutes grandeurs. Parmi ces déserts, mille jardins où l'on ne va que par bateau. L'île a deux lieues de tour, ainsi environnée; passe une rivière par le pied du château, au milieu du bourg, qui est aussi logeable que Pau. Peu de maisons qui n'entrent de sa porte dans son petit bateau. Cette rivière s'étend en deux bras qui portent non seulement grands bateaux, mais les navires de cinquante tonneaux y viennent. Il n'y a que deux lieues jusques à la mer. Certes, c'est un canal, non une rivière. Contre mont vont les grands bateaux jusques à Niort, où il y a douze lieues; infinis moulins et métairies insulées; tant de sortes d'oiseaux qui chantent; de toute sorte de ceux de mer. Je vous en envoie des plumes. De poisson, c'est une monstruosité que la quantité, la grandeur et le prix; une grande carpe, trois sols, et cinq un brochet. C'est un lieu de grand trafic, et tout par bateaux. La terre très pleine de blés et très beaux. L'on y peut être plaisamment en paix, et sûrement en guerre. L'on s'y peut réjouir avec ce que l'on aime et plaindre une absence. Ha! qu'il y fait bon chanter!» – Le roi de Navarre perdit Marans en 1587, à la reprise des hostilités.

Le 25 juin, Henri ayant reçu d'Angleterre une copie des lettres adressées par la reine Elisabeth au roi de France et à la reine-mère, au sujet du traité de Nemours, communiquait ces curieux documents à la comtesse de Gramont. Voici quelques extraits de la lettre de la reine d'Angleterre à Henri III; ils viennent à leur place dans ce livre, car les prophétiques pensées qu'ils expriment étaient, vers le milieu de l'année 1586, déjà justifiées en partie par des faits éclatants.

«Je m'étonne, disait Elisabeth, de vous voir trahi en votre conseil même, voire de la plus proche qu'ayez au monde (Catherine de Médicis), et qu'êtes si aveugle de n'en sentir goutte…» – Contre les Guises et la Ligue: «Je prie Dieu qu'ils veulent finir là; je ne le crois, car rarement on voit les princes vivre, qui sont si subjugués… Dieu vous garde d'en faire la preuve…» – Elle lui offre ses bons offices: «S'il vous plaît user de mon aide, vous verrez que nous leur ferons ressentir avec la plus grande honte que jamais rebelles eurent…» Salutation finale: «… Priant le Créateur vous assister de sa sainte grâce et vous relever les esprits. – Très bonne sœur et cousine, très assurée et fidèle, Elisabeth.»

47Appendice: