Tasuta

Henri IV en Gascogne (1553-1589)

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Kuhu peaksime rakenduse lingi saatma?
Ärge sulgege akent, kuni olete sisestanud mobiilseadmesse saadetud koodi
Proovi uuestiLink saadetud

Autoriõiguse omaniku taotlusel ei saa seda raamatut failina alla laadida.

Sellegipoolest saate seda raamatut lugeda meie mobiilirakendusest (isegi ilma internetiühenduseta) ja LitResi veebielehel.

Märgi loetuks
Šrift:Väiksem АаSuurem Aa

Pendant que la trêve conclue avec Biron permettait au roi de Navarre de fortifier ses places et de remettre ses troupes sur un bon pied, l'armée de Mayenne, appuyée d'une partie des troupes de Matignon, s'acheminait vers Castillon, où elle mit le siège, du 10 au 12 juillet. Cette entreprise fut une affaire de famille. Au double point de vue militaire et politique, la prise de Castillon ne pouvait être que d'une médiocre importance; Mayenne aurait dû attaquer plutôt Sainte-Foy et surtout Bergerac. Mais Castillon appartenait à Henriette de Savoie, sa femme, dont il trouva bon de recouvrer le bien avant de guerroyer dans le seul intérêt de l'Etat. La place était défendue par le baron de Savignac et Alain, un des meilleurs officiers de siège de l'époque. La garnison se composait de neuf cents hommes d'une valeur éprouvée. Il fallut, pendant un mois et demi, l'effort de toute l'armée de Mayenne pour briser la résistance des assiégés, que soutenaient, à l'extérieur, les escarmouches de nombreux détachements dirigés par Turenne contre les assiégeants. Les munitions ayant manqué à ceux-ci, et la peste s'étant mise dans leurs rangs, Mayenne était sur le point de lever le siège, lorsque Matignon parvint à décourager les défenseurs de la place, réduits à un très petit nombre par la maladie et les combats, en empêchant l'entrée d'un secours envoyé par Turenne et en se procurant des poudres que lui vendirent des marchands de La Rochelle, «plus adonnés, dit Mézeray, à leur profit particulier qu'à l'intérêt de la cause commune». Castillon capitula le 31 août 158648. Mayenne lui fit de dures conditions, et le parlement de Bordeaux, appliquant les édits dans toute leur rigueur, condamna à mort ceux des habitants de Castillon qui furent livrés à sa justice. Ce nouvel exploit de Mayenne lui attira plus de sarcasmes que de louanges, si l'on en juge par une note de L'Estoile: «Au commencement de septembre (1586), arrivèrent à Paris les nouvelles de Castillon rendu, lorsque les assiégés désespérant plutôt d'y pouvoir vivre que de le défendre, toute composition étant honorable à ceux qui ne pouvaient plus combattre et que la peste avait tellement abattus que les médicaments leur étant faillis et les chirurgiens morts, il n'y avait plus que deux femmes pour secourir les malades, qui leur servaient de garde, de chirurgien et de médecin. La ville fut donnée au pillage, mais on n'y trouva que quelques vieux haillons pestiférés: en quoi on remarqua la bonne affection du duc de Mayenne à l'endroit de l'armée du roi, à laquelle il bailla libéralement la peste en pillage. Et ici finirent les trophées de ce grand duc, lequel (comme dit Chicot à son maître, lorsqu'on lui en apporta les nouvelles): «S'il ne prend, ce dit-il, que tous les ans trois villes sur les huguenots, on en a encore pour longtemps.»

Le premier chagrin passé de la prise de Castillon, le roi de Navarre eut de quoi se consoler en voyant que le siège de cette place avait achevé la ruine de l'armée de Mayenne. Décimée par les combats et par la peste, mal payée, condamnée à courir de grands risques pour de minces profits, cette armée se désagrégea rapidement, malgré les efforts de Mayenne et de la Ligue pour obtenir du roi qu'elle fût fortifiée d'hommes et d'argent. A l'entrée de l'automne, il n'en restait pas quatre compagnies intactes, et le duc, jetant feu et flammes contre la cour et contre Matignon, quitta la partie et le pays en emmenant de vive force, comme son plus précieux trophée, Anne de Caumont, jeune et riche héritière qu'il destinait à son fils. Mais cette entreprise elle-même ne réussit pas dans la suite. Sur la plainte de M. de La Vauguyon, tuteur de la jeune femme, Henri III refusa d'autoriser le mariage rêvé par Mayenne, et Anne de Caumont épousa plus tard le comte de Saint-Pol. Le jugement de L'Estoile sur la campagne qui s'acheva par cet enlèvement est devenu celui de l'histoire: «Le duc de Mayenne n'avait rien fait qu'accroître la réputation du roi de Navarre et diminuer la sienne». Il fut poursuivi jusque dans Paris par un brocard huguenot qui n'avait rien d'excessif: «N'ayant pu prendre la Guienne, il a pris une fille». Mais un semblable avortement n'était pas du goût de la Ligue et de la Maison de Lorraine. Aussi, de retour à Paris, le duc de Mayenne fit-il publier une pompeuse relation de ses faits et gestes; par malheur pour lui, les calvinistes avaient des plumes expertes, et la relation fut bafouée par Du Plessis-Mornay en personne49.

CHAPITRE III

Les ambassadeurs des princes protestants à Paris. – Leur requête et la réponse de Henri III. – Entrevue de Saint-Brice. – Méfiance des calvinistes. – Discussions pendant l'entrevue. – Ajournement et reprise des négociations. – Catherine de Médicis et Turenne. – Perfidie de la reine-mère. – Rentrée en campagne. – Reprise de Castillon par Turenne. – Succès du roi de Navarre en Saintonge et en Poitou. – L'armée du duc de Joyeuse et ses succès. – Joyeuse retourne à la cour. – Expédition de Henri jusque sur la Loire. – Le comte de Soissons et le prince de Conti entrent à son service. – Henri rétrograde jusqu'en Poitou. – Les trois nouvelles armées royales. – Henri III à Gien. – Le nouveau manifeste du roi de Navarre.

La trêve conclue en Saintonge entre le roi de Navarre et Biron, ou plutôt accordée gracieusement par Biron au roi de Navarre, avait été suggérée par Henri III, effrayé des entreprises de la Ligue et de la perspective d'une invasion allemande. Des pourparlers avaient lieu constamment pour amener une nouvelle entrevue de la reine-mère et du roi de Navarre; Henri III se flattait de gagner son beau-frère en le ramenant à la religion catholique, et Catherine se proposait, au pis-aller, de faire tomber ce prince dans quelqu'un des pièges familiers à sa diplomatie. La reine-mère était déjà venue en Poitou, au mois de juillet; mais elle n'avait pu décider le roi de Navarre à se prêter à une négociation personnelle. L'arrivée à Paris des ambassadeurs des princes protestants et les allures de plus en plus hautaines des chefs de la Ligue déterminèrent Catherine à faire de nouvelles instances auprès de Henri. La démarche des princes protestants avait un caractère comminatoire qu'il faut expliquer.

Ces princes, sollicités depuis deux ans par le roi de Navarre, avaient pris enfin la résolution d'intervenir en France. «Très difficiles à échauffer, dit Mézeray, et ne s'émouvant que par des raisons de grand poids, ils différaient toujours à se mêler des affaires de leurs voisins, jusqu'à ce qu'il leur eût manifestement paru qu'il s'agissait purement de la religion, et non pas de l'obéissance des sujets envers leur prince. Lorsqu'ils en furent pleinement informés par les édits mêmes et les mandements du roi, et que le roi de Navarre leur eût fourni des marchands qui assuraient les premiers paiements des capitaines et gens de guerre, tant sur les joyaux qu'il avait fait porter en ce pays-là par Ségur-Pardaillan, que sur les promesses de la reine Elisabeth, et sur la caution du duc de Bouillon et de quelques autres seigneurs, ils conclurent entre eux d'assister les religionnaires tout de bon; mais auparavant ils jugèrent à propos de députer une grande et solennelle ambassade vers le roi, par laquelle ils l'exhorteraient de vouloir entretenir les édits de pacification; croyant que si les prières de tant de princes et d'Etats ses anciens alliés ne trouvaient point de lieu auprès de lui, au moins elles témoigneraient que leur envie n'était pas de faire la guerre à un roi de France de gaîté de cœur, mais de secourir les opprimés et de maintenir la religion qu'ils professaient.»

Henri III s'efforça d'abord d'éconduire les ambassadeurs en affectant de quitter Paris, de séjourner à Lyon, de voyager en divers lieux, pendant qu'ils l'attendaient à deux pas du Louvre. Il lassa la patience des uns, qui repartirent sans audience, mais ne put éviter les autres ni leurs remontrances, qui tendaient d'une manière générale au rétablissement des édits de pacification et contenaient des reproches sur le peu de foi qu'il avait gardé aux huguenots. Le roi n'accueillit qu'avec une extrême hauteur reproches, conseils et souhaits, et congédia définitivement les ambassadeurs après une seule audience. Il y eut quelque chose de légitime dans la fierté dont fit preuve Henri III en cette occasion; mais les historiens s'accordent à reconnaître qu'il lui eût été facile de faire sentir son autorité et de maintenir sa dignité, sans jeter le gant à des princes dont il pouvait déconcerter ou ajourner l'entreprise par une attitude moins provoquante.

Après le départ des ambassadeurs protestants, Henri III se tourna avec une vivacité nouvelle du côté du roi de Navarre. Catherine de Médicis, malgré la goutte qui l'incommodait, se rendit à Poitiers et obtint enfin, non sans une série de contre-temps et de laborieuses négociations, qu'une conférence aurait lieu entre elle et le roi de Navarre. Le rendez-vous fut pris au château de Saint-Brice, près de Cognac, pour la mi-décembre. Henri et Condé, assistés de plusieurs conseillers, s'y entourèrent de toutes les précautions imaginables. Le château appartenait à un de leurs amis; mais cette sûreté ne leur suffit pas, ni plusieurs autres que leur accordait Catherine. Ils exigèrent la présence dans le voisinage de quatre de leurs régiments, dont un gardait le château, pendant chaque séance. Par-dessous leurs habits de gala, Henri, Condé, Turenne et d'autres chefs calvinistes affectèrent de porter des armes défensives, et la reine-mère s'en étonnant, Condé répondit: «C'est encore trop peu, Madame, d'un plastron et d'une cuirasse pour se couvrir contre ceux qui ont faussé les édits du roi. Nos biens ayant été mis à l'encan, il ne nous reste plus que des armes, et nous les avons prises pour défendre nos têtes proscrites.» Henri lui-même se départit de ses allures confiantes, dont tout le monde connaissait l'habituelle bonhomie. Quand la reine-mère voulait entretenir à part Henri, Condé ou Turenne, les deux autres gardaient la porte eux-mêmes, comme le régiment gardait le château. Catherine de Médicis était accompagnée des ducs de Montpensier et de Nevers, du maréchal de Biron et de quelques officiers ou gentilshommes dévoués à Henri III, mais non inféodés à la Ligue. Son escorte n'aurait pu la tirer des mains des protestants, s'ils eussent voulu porter la main sur elle, comme la pensée leur en vint, ainsi que le raconte Mézeray: «Mais Henri, qui avait dans le fond de l'âme, non pas à l'intérieur seulement, les véritables sentiments d'honneur, abhorrait tellement toutes les lâchetés, qu'il ne put consentir à celle-là, et crut indigne de sa générosité de se servir des moyens qu'il avait si souvent reprochés à ses ennemis.»

 

L'histoire a recueilli sur la conférence de Saint-Brice un grand nombre de détails qui peignent en traits pittoresques la situation et les caractères. Voici, d'après l'historiographe Pierre Mathieu, la plus grande partie du dialogue de la reine-mère et du roi de Navarre dans la première entrevue:

«La reine-mère, après les révérences, embrassements et caresses dont elle était fort libérale, parla en cette sorte: «Eh bien, mon fils, ferons-nous quelque chose de bon?

– «Il ne tiendra pas à moi; c'est ce que je désire, repartit le roi de Navarre.

– «Il faut donc que vous me disiez ce que vous désirez pour cela.

– «Mes désirs, Madame, ne sont que ceux de Votre Majesté.

– «Laissons ces cérémonies, et me dites ce que vous demandez.

– «Madame, je ne demande rien, et ne suis venu que pour recevoir vos commandements.

– «Là, là, faites quelque ouverture.

– «Madame, il n'y a point ici d'ouverture pour moi.

– «Mais quoi, ajoute la reine, voulez-vous être la cause de la ruine de ce royaume, et ne considérez-vous point qu'autre que vous après le roi n'y a plus d'intérêt?

– «Madame, ni vous, ni lui ne l'ont pas cru, ayant dressé huit armées pour cuider me ruiner.

– «Quelles armées, mon fils? Vous vous abusez. Pensez-vous que si le roi vous eût voulu ruiner, il ne l'eût pas fait! La puissance ne lui a pas manqué, mais il n'en a jamais eu la volonté.

– «Excusez-moi, Madame, ma ruine ne dépend point des hommes: elle n'est ni au pouvoir du roi ni au vôtre.

– «Ignorez-vous la puissance du roi et ce qu'il peut?

– «Madame, je sais bien ce qu'il peut, et encore mieux ce qu'il ne pourrait faire.

– «Eh quoi donc! ne voulez-vous pas obéir à votre roi?

– «J'en ai toujours eu la volonté, j'ai désiré de lui en témoigner les effets, et l'ai souvent supplié de m'honorer de ses commandements, pour m'opposer, sous son autorité, à ceux de la Ligue, qui s'étaient élevés en son royaume, au préjudice de ses édits, pour troubler son repos et la tranquillité publique.»

«Là-dessus la reine toute en colère: «Ne vous abusez point, mon fils, ils ne sont point ligués contre le royaume; ils sont Français, et tous les meilleurs catholiques de France, qui appréhendent la domination des huguenots, et pour le vous dire tout en un mot, le roi connaît leur intention, et trouve bon tout ce qu'ils ont fait. Mais laissons cela; ne parlez que pour vous, et demandez tout ce vous voulez: le roi vous l'accordera.

– «Madame, je ne vous demande rien; mais si vous me demandez quelque chose, je le proposerai à mes amis et à ceux à qui j'ai promis de ne rien faire ni traiter sans eux.

– «Or bien, mon fils, puisque vous le voulez comme cela, je ne vous dirai autre chose, sinon que le roi vous aime et vous honore, et désire vous voir auprès de lui, et vous embrasser comme son bon frère.

– «Madame, je le remercie très humblement, et vous assure que jamais je ne manquerai au devoir que je lui dois.

– «Mais quoi, ne voulez-vous dire autre chose?

–«Et n'est-ce pas beaucoup que cela?

– «Vous voulez donc continuer d'être cause de la misère, et à la fin de la perte de ce royaume?

– «Moi, Madame, je sais qu'il ne sera jamais tellement ruiné qu'il n'y en ait toujours quelque petit coin pour moi.

– «Mais ne voulez-vous pas obéir au roi? Ne craignez-vous point qu'il ne s'enflamme et s'irrite contre vous?

– «Madame, il faut que je vous dise la vérité: il y a tantôt dix-huit mois que je n'obéis plus au roi.

– «Ne dites pas cela, mon fils.

– «Madame, je le puis dire; car le roi, qui m'est comme père, au lieu de me nourrir comme son enfant et ne me perdre, m'a fait la guerre en loup; et quant à vous, Madame, vous me l'avez faite en lionne.

– «Eh quoi! ne vous ai-je pas toujours été bonne mère?

– «Oui, Madame; mais ce n'a été qu'en ma jeunesse: car depuis six ans je reconnais votre naturel fort changé.

– «Croyez, mon fils, que le roi et moi ne demandons que votre bien.

– «Madame, excusez-moi, je reconnais tout le contraire.

– «Mais, mon fils, laissons cela; voulez-vous que la peine que j'ai prise depuis six mois ou environ demeure infructueuse, après m'avoir tenue si longtemps à baguenauder?

– «Madame, ce n'est pas moi qui en suis cause; au contraire, c'est vous. Je ne vous empêche que vous reposiez en votre lit; mais vous, depuis dix-huit mois, m'empêchez de coucher dans le mien.

– «Et quoi! serai-je toujours en cette peine, moi qui ne demande que le repos?

– «Madame, cette peine vous plaît et vous nourrit; si vous étiez en repos, vous ne sauriez vivre longuement.

– «Comment, je vous ai vu autrefois si doux et si traitable, et à présent je vois sortir votre courroux par les yeux, et l'entends par vos paroles.

– «Madame, il est vrai que les longues traverses et les fâcheux traitements dont vous avez usé à mon endroit m'ont fait changer et perdre ce qui était de mon naturel.

– «Or bien, puisque ne pouvez faire de vous-même, regardons à faire une trêve pour quelque temps, pendant lequel vous pourrez conférer et communiquer avec vos ministres et vos associés, afin de faciliter une bonne paix, sous bons passeports, qui à cette fin vous seront expédiés.

– «Eh bien! Madame, je le ferai.

– «Eh quoi, mon fils, vous vous abusez! Vous pensez avoir des reîtres, et vous n'en avez point.

– «Madame, je ne suis pas ici pour en avoir nouvelles de vous.»

Par cette première entrevue, qui se passa toute en semblables propos, la reine-mère se convainquit de la difficulté de sa mission. Il était évident que le roi de Navarre venait à elle plutôt avec le parti pris de ne pas s'accommoder qu'avec des idées de conciliation. Elles étaient, en effet, loin de son esprit, parce que derrière la reine-mère ou derrière le roi de France, non irréconciliables, comme la suite le prouva, Henri et ses amis voyaient la Ligue, leur ennemie mortelle, dont la destruction seule pouvait assurer leur existence. Catherine pourtant ne s'avoua pas vaincue; elle eut encore deux entrevues avec le roi de Navarre. Dans la seconde, elle lui demanda de contremander la levée allemande, et insista sur le changement de religion, première condition d'un accord et d'une paix durables. «Madame, répondit Henri, le respect du roi et ses commandements m'ont fait demeurer faible et donner aux ennemis, avec la force, l'audace qui est la fièvre de l'Etat. Votre accusation est comme celle du loup à l'agneau; car mes ennemis boivent à la source des grandeurs. Vous ne me pouvez accuser que de trop de fidélité; mais moi je me puis plaindre de votre mémoire, qui a fait tort à votre foi.» Il se défendit de toute concession au sujet de la levée allemande, faisant sentir à la reine qu'il pénétrait l'arrière-pensée cachée sous cette demande, et qu'il n'était pas homme à se désarmer, quand on s'efforçait de l'accabler de toutes parts. Et quant au changement de religion: «Comment, ajouta-t-il, ayant tant d'entendement, êtes-vous venue de si loin pour me proposer une chose tant détestée et de laquelle je ne puis délibérer avec conscience et honneur que par un légitime concile auquel nous nous soumettrons, moi et les miens?»

Les conseillers de Catherine, prenant à leur tour la parole, s'efforcèrent de séduire Henri par la perspective des bonnes grâces royales, dont il tirerait de si grands avantages. Le roi de Navarre avait réponse à tout; et Nevers, ayant eu la hardiesse de lui dire: «Sire, vous seriez mieux à faire la cour au roi de France qu'au maire de La Rochelle, où vous n'avez pas le crédit d'imposer un sou en vos nécessités», ce duc, d'origine italienne, s'attira cette piquante réponse, qui visait Catherine de Médicis et tous ses compatriotes si bien en cour: «Nous n'entendons rien aux impositions, car il n'y a pas un Italien parmi nous. Je fais à La Rochelle ce que je veux, n'y voulant que ce que je dois.»

Catherine tenta un nouvel effort dans une troisième entrevue. Elle proposa de suspendre pour une année l'exercice de la religion réformée, et de conclure en même temps une trêve, afin de pouvoir assembler les Etats-Généraux auxquels on soumettrait les conditions d'un accommodement. Mais Henri et Condé «connurent bien que cet expédient ne tendait qu'à détourner le grand secours d'Allemagne, qu'ils ne pourraient jamais rassembler, s'il était une fois dissipé; ils consentirent seulement, au cas qu'on leur promît un concile et que le roi leur en donnât lettres, de faire des trêves pendant lesquelles ils manderaient les députés des provinces, sans lesquels ils ne pouvaient rien conclure». A son tour, Catherine refusa, si bien qu'il ne put y avoir accord que sur une trêve de douze jours, pour donner le temps de rendre compte de la conférence au roi et de prendre ses nouveaux ordres. Là-dessus la reine-mère se retira à Niort, puis à Fontenay, et le roi de Navarre à La Rochelle. La trêve expirait le 6 janvier. Catherine s'efforça de renouer les négociations, mais Henri ne voulut plus traiter en personne. Il envoya à Fontenay le vicomte de Turenne, qui «traitait adroitement de plusieurs choses avec la reine-mère, dit Davila, mais n'en concluait aucune».

Le dernier mot de Catherine fut que le roi voulait une seule religion dans son royaume, et Turenne, en arrivant aux sarcasmes, répondit: «Les calvinistes le veulent bien aussi, Madame, pourvu que cette religion soit la leur; autrement il faut se battre». Ainsi finit la conférence. Catherine chercha les moyens de la recommencer, jusqu'au mois de février, où quelques troubles suscités par les Seize la rappelèrent à Paris.

Mais la diplomatie de la reine-mère, après avoir échoué dans les négociations directes, faillit réussir par les bruits perfides qui coururent touchant la conférence de Saint-Brice. Pendant qu'elle avait lieu, Catherine manœuvra de telle sorte que l'on commençait à douter des résolutions du roi de Navarre. Il fut obligé d'en écrire à ses amis pour rétablir la vérité: il la fit connaître tout au long, en France et à l'étranger, dès que les pourparlers eurent pris fin. «Il s'est passé, écrivait-il de La Rochelle, beaucoup de temps aux traités d'avec la reine, sans beaucoup de certitude du fruit qu'on en devait attendre, qui m'a fait toujours résoudre de ne m'attacher point si fort à la suite de cette négociation que le soin de pourvoir à nos affaires en fût amoindri. Les mouvements qui sont depuis survenus à Paris l'ont rappelée, et j'ai évité, à son départ, qu'elle eût occasion ni prétexte de se plaindre de nous, lui ayant fait offrir par M. de Turenne d'employer ma personne et tous mes biens pour rétablir l'autorité du roi anéantie par ceux de la Ligue et acquérir un perdurable repos à ses sujets.» Il ajoutait à ses explications l'avis de sa prochaine rentrée en campagne. Et, en effet, il s'était déjà empressé d'envoyer Turenne mettre tout en ordre, en Guienne, en Gascogne et dans le Haut-Languedoc. Turenne vit à Castres le maréchal de Montmorency, remplit sa mission dans diverses provinces et revint pour reprendre Castillon, ce qu'il fit en un tour de main. Alain, le vaillant défenseur de la place contre Mayenne, fit dresser au bon endroit une échelle, qui introduisit les assiégeants dans la place, Turenne en tête. La prise de Castillon avait coûté plus de deux cent mille écus à Mayenne; Turenne la reprit avec une échelle qui valait bien quatre écus: beau sujet d'épigrammes pour les adversaires de la Ligue et les ennemis particuliers de la Maison de Lorraine.

 

Le roi de Navarre, de son côté, s'était remis à l'œuvre. Du mois d'avril au mois de juin, il prit, en Saintonge et en Poitou, une vingtaine de villes et de châteaux, entre autres Talmont, Chizé, Sauzé, Saint-Maixent, Fontenay. Une lettre datée de Saint-Maixent et adressée au duc de Montpensier peut donner une idée de l'activité qu'il déploya dans cette campagne: «Je n'ai point couché dans mon lit depuis quinze jours, disait-il, par les soins, la fatigue ou les tracas que la conduite de l'artillerie apporte.»

En juin, il eut devant lui une armée commandée par le duc de Joyeuse et qui ne permit pas à ses petites troupes de tenir régulièrement la campagne. Il fortifia les garnisons de ses meilleures places, rasa les plus faibles et s'en tint aux escarmouches. Joyeuse prit Tonnay-Charente et Maillezais, reprit Saint-Maixent, écrasa un parti huguenot, à la Mothe-Saint-Eloi, et se montra partout impitoyable. Il arrivait déjà près de La Rochelle, lorsque, prétextant quelques maladies qui fatiguaient ses troupes, il les laissa sous les ordres de Lavardin, son maréchal de camp, et repartit pour la cour, où il redoutait fort les entreprises et les succès de son rival, le duc d'Epernon. Le jour de son arrivée à Paris, un courrier lui apportait la nouvelle d'une défaite que le roi de Navarre venait d'infliger à son armée. «Comme le roi de Navarre, dit Mézeray, fut averti par un nommé Despondes son domestique, qui était prisonnier de Joyeuse, que Lavardin remmenait son armée, il se résolut de la suivre et de la charger sur sa retraite, lorsqu'elle croirait être bien loin de tout danger. Il en attrapa et défit plusieurs compagnies, entre autres celle des gens d'armes du duc logée à Vismes, deux lieues en deçà de Chinon, où il prit la cornette blanche. Lavardin, étonné de savoir que sa cavalerie avait ainsi été surprise et taillée en pièces dans ses logements, se rangea le plus promptement qu'il put dans la petite ville de La Haye sur la Creuse. Le roi de Navarre l'y investit aussitôt, s'assurant bien de le forcer dans l'épouvante où il le voyait; mais, faute de canon, dont quelques-uns rejetaient la faute sur la jalousie du prince de Condé qui avait dû en amener, il ne put parachever un si beau dessein.»

Il est probable qu'en poussant de la sorte les troupes de Lavardin, Henri avait recherché, outre les succès obtenus, l'occasion d'aller au-devant de son cousin, le comte de Soissons. Ce prince venait de prendre, avec le prince de Conti, la résolution de combattre sous les drapeaux du roi de Navarre. De Montsoreau, où il s'arrêta, Henri envoya Turenne vers le comte de Soissons, qui arriva bientôt à la tête de trois cents gentilshommes et de mille arquebusiers. Le prince de Conti devait rallier prochainement l'armée avec d'autres troupes, qu'il s'occupait de réunir au delà de la Loire. Avec les forces que Turenne venait de lui amener, le roi de Navarre était en mesure de tenir la campagne, mais il avait à choisir entre deux directions: ou marcher un peu à l'aventure, et peut-être prématurément, vers l'armée des reîtres, qui venait à peine de franchir la frontière, ou rebrousser en Poitou, s'y fortifier et partir de là, à bon escient, pour aller donner la main aux auxiliaires. Le second parti prévalut, et l'armée rétrograda. Or, sur ces entrefaites, Henri III, pressé par la Ligue, venait de mettre sur pied trois nouvelles armées: la première, commandée par le duc de Guise, reçut l'ordre de s'opposer à la marche des Allemands; la deuxième, formée des troupes restées sous le commandement de Lavardin, mais fortifiée de cavalerie et d'une magnifique troupe de noblesse, allait être menée contre le roi de Navarre par le duc de Joyeuse; la troisième enfin, conduite par Henri III en personne, devait opérer sur la Loire. Au mois d'août, la France entière était couverte de soldats. «C'était pitié, dit Mézeray, de voir alors ce misérable royaume gémissant sous le faix insupportable de tant d'armées qui le ravageaient sans miséricorde. Car le duc de Joyeuse en conduisait une en Guienne, le roi de Navarre y en avait une autre, Matignon une troisième; Montmorency et Lesdiguières en levaient une en Languedoc et Dauphiné; le prince de Conti ralliait tout ce qu'il pouvait d'hommes dans l'Anjou et pays du Maine; cette armée étrangère, semblable à un essaim de sauterelles, dévorait toutes les contrées par où elle passait; et celle du roi, qui s'était ramassée de toutes les provinces, avec le désordre et les pillages qui sont ordinaires dans un temps de licence, ravageait ces riches pays qui sont depuis Orléans jusqu'à Nevers.»

Henri III partit de Paris, le 12 septembre, pour aller rejoindre son armée à Gien; le duc de Guise et le duc de Joyeuse étaient déjà en campagne; Lesdiguières en Dauphiné, Montmorency en Languedoc étaient aux prises tantôt avec les troupes royales, tantôt avec les partisans de la Ligue. Avant que cette grande levée de boucliers fût complète, vers la mi-juillet, le roi de Navarre, d'accord avec le prince de Condé et le duc de Montmorency, avait lancé un nouveau manifeste destiné à justifier sa prise d'armes et à en expliquer les mobiles. Ce document faisait le procès à la Ligue et aux Guises, déclarait que les religionnaires prenaient les armes uniquement pour «garantir et défendre le roi, la Maison de Bourbon et tous les bons Français de l'oppression des ennemis conjurés de la couronne et de l'Etat», et concluait en ces termes: «Nous, Henri, roi de Navarre, premier prince et pair de France, Henri de Bourbon, prince de Condé, et Henri de Montmorency, premier officier de la couronne et maréchal de France… supplions S. M. d'avoir pour agréable la prise de nos armes et de croire que nous ne les prenons que pour elle, pour sa liberté et pour son service; que nous sommes prêts d'aller la trouver dans tel endroit qu'il lui plaira nous commander. Prions aussi tous rois, princes, seigneurs… tant voisins qu'alliés de cette couronne, nous vouloir assister et secourir… Déclarons tous ceux qui s'y opposeront ennemis conjurés de cet Etat et de la tranquillité de ce royaume, protestant les prendre en notre protection et sauvegarde… sans rien altérer ni innover en aucune façon, ainsi que nous agissons en Guienne, Languedoc et Dauphiné.»

48Appendice:
49Appendice: