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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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La version du vieil écrivain sur les derniers moments de Jeanne d'Albret est celle que l'histoire sérieuse a retenue, celle qui prévaut aujourd'hui, à travers les controverses passionnées de trois siècles. L'accusation d'empoisonnement aurait pu se produire, avec quelque apparence de raison, après le mariage de Henri: commis à ce moment, le crime eût été peut-être profitable; auparavant, il était nuisible et absurde. Il fut soupçonné, pourtant, et longtemps encore après l'événement; et même de nos jours, la thèse qui en fait la preuve contre la vérité et la raison se perpétue dans plus d'un livre nouveau. Il y a une école d'historiens, recrutée dans tous les camps, qui semble s'être vouée à la réhabilitation des anciennes erreurs.

La reine de Navarre mourut en pleine possession d'elle-même. Elle comprit, dès la première atteinte du mal, qu'elle allait, selon son expression, «entrer du tout (entièrement) dans l'autre vie», et se prépara avec résignation à ce terrible passage. Son testament porte l'empreinte d'une âme forte et religieuse13. La conscience humaine a pu hésiter, en d'autres temps, devant cette femme extraordinaire. Aujourd'hui que, sans l'emporter peut-être sur les générations du XVIe siècle, nous sommes loin des passions qui les armaient les unes contre les autres, nous ne saurions nous abandonner ni au dénigrement systématique, ni à l'admiration sans bornes. La mère de Henri IV eut un grand cœur et une âme royale, double héritage que recueillit et fit fructifier son fils. L'esprit de fanatisme lui dicta des actes iniques et attentatoires à la liberté humaine, qu'elle s'imaginait servir mieux que les catholiques; mais qui donc, à cette époque, surtout parmi les têtes couronnées, respecta toujours la liberté, fut constamment fidèle à la justice? Les deux auteurs du démembrement du royaume de Navarre furent un pape et un roi, Jules II et Ferdinand le Catholique, le souverain laïque agissant avec l'épée, le souverain religieux fulminant l'interdit, tous deux d'accord pour punir Jean, roi de Navarre, aïeul de Jeanne d'Albret, de n'avoir pas voulu trahir le roi de France, son allié et leur adversaire. Le souvenir de cette double iniquité, qui vécut toujours au cœur des petits souverains de Pau, ne suffirait pas, néanmoins, pour expliquer l'apostasie et le fanatisme de Jeanne d'Albret; mais il faut rappeler aussi les caresses prodiguées par Marguerite de Valois à la Réforme, et dont Jeanne fut témoin; il faut relire l'histoire des palinodies d'Antoine de Bourbon, contre qui Jeanne défendit, quelque temps, ses croyances traditionnelles, et qu'elle suivit enfin dans l'Eglise calviniste, mais lentement, à mesure que la conviction et la passion la maîtrisaient, et pour n'en plus sortir, pour en sortir d'autant moins que son mari en sortit lui-même, un peu avant sa mort, par ambition personnelle, au moment où ses fausses vues politiques et les scandaleux dérèglements de sa vie frappaient deux fois au cœur la reine de Navarre. L'histoire ne doit ni amnistier, ni excuser, mais expliquer. A la lumière de ses explications, Jeanne d'Albret nous apparaît comme une statue qui, vue de profil, resplendirait de beautés héroïques, et vue de face, attristerait le regard par ses difformités.

CHAPITRE IX

Henri roi de Navarre. – Ses hésitations à Chaunai. – Il entre dans Paris avec huit cents gentilshommes. – Son mariage. – La Saint-Barthélemy. – Le «Discours de Cracovie». – La préméditation. – Le roi de Navarre et le prince de Condé sommés d'abjurer. – Conséquences de l'abjuration. – Abjuration forcée, comédie obligatoire. – Comment Henri joua son rôle. – Révolte de La Rochelle. – Siège de La Rochelle. – Défense héroïque. – Le duc d'Anjou élu roi de Pologne. – Accommodement avec les Rochelais. – L'édit par ordre. – Le massacre de Hagetmau. – Naissance du parti des «Malcontents». – Le duc d'Alençon et ses complots. – La conspiration de 1574. – La déposition du roi de Navarre. – Les calvinistes reprennent les armes et sont combattus par trois armées royales. – Mort de Charles IX. – Ses dernières paroles au roi de Navarre. – Henri III fait bon accueil à son beau-frère. – Autres complots du duc d'Alençon. – Il s'échappe de la cour et se ligue avec les protestants. – Le roi de Navarre médite un projet d'évasion.

Henri, désormais roi de Navarre, reçut à Chaunai, petite ville du Poitou, la nouvelle de la mort de sa mère. Terrassé par ce coup inattendu, le prince fut saisi de telles angoisses, qu'une fièvre violente s'empara de lui et l'empêcha de se remettre en route. Le 13 juin, il n'avait pas encore quitté Chaunai, d'où il écrivait la lettre suivante au baron d'Arros, lieutenant-général en ses Etats souverains. Il avait déjà pris connaissance du testament de Jeanne d'Albret, et il fait allusion à ce document: «J'ai reçu en ce lieu la plus triste nouvelle qui m'eût dû advenir en ce monde, qui est la perte de la reine ma mère, que Dieu a appelée à lui ces jours passés, étant morte d'un mal de pleurésie qui lui a duré cinq jours et quatre heures. Je ne vous saurais dire, Monsieur d'Arros, en quel deuil et angoisse je suis réduit, qui est si extrême que m'est bien malaisé de le supporter. Toutefois, je loue Dieu du tout. Or, puisque, après la mort de ladite reine ma mère, j'ai succédé à son lieu et place, il m'est donc de besoin que je prenne le soin de tout ce qui était de sa charge et domination; qui me fait vous prier bien fort, Monsieur d'Arros, de continuer, comme vous avez fait en son vivant, la charge qu'elle vous avait baillée en son absence, en ses pays de là, de la même fidélité et affection que vous avez toujours montrée, et tenir principalement la main à ce que les édits et ordonnances faites par Sa Majesté soient à l'avenir, comme je désire, gardés et observés inviolablement, de sorte qu'il ne soit rien attenté ni innové au contraire; à quoi je m'assure que vous vous emploierez de tout votre pouvoir…»

Le roi de Navarre débattit assez longtemps en lui-même et avec ses conseillers la résolution qu'il convenait de prendre. La prolongation de son séjour à Chaunai menaçait de ruiner tant de projets, du côté des huguenots comme du côté de la cour, que, des deux parts, il était assailli de sollicitations. Enfin, pressé par Coligny lui-même, il partit, accompagné du prince de Condé et de huit ou neuf cents gentilshommes, et entra dans Paris, le 20 juillet. Malgré la cordialité de l'accueil qu'il y reçut du roi, de la reine-mère et de leur entourage, Henri partagea difficilement la confiance et la satisfaction de ses coreligionnaires: des incidents de toute sorte surgissaient à chaque instant, qui, à trois siècles de distances, nous semblent avoir été de clairs avertissements. L'inaltérable bienveillance de Catherine, la débonnaireté subite et imperturbable de Charles IX à l'égard des huguenots, les indiscrétions qui se colportaient, mille bruits, mille indices, avant comme après le mariage, rien ne put dessiller les yeux, faire évanouir le rêve; à peine fut-il troublé, de temps à autre, chez les plus avisés.

La question du mariage avait offert de grandes difficultés: Rome s'y opposait. Avant l'arrivée des dispenses, Charles IX, impatient, donna des ordres absolus. Les fiançailles eurent lieu au Louvre, le 17 août, et, le 18, le mariage fut célébré, grâce aux aventureuses complaisances du cardinal de Bourbon, «sur un haut échafaud dressé devant la principale entrée» de la cathédrale de Paris. Après la bénédiction nuptiale, les catholiques entrèrent dans le chœur pour entendre la messe, et les calvinistes se tinrent ostensiblement à l'écart. Ainsi fut conclu le pacte jugé nécessaire pour l'exécution des desseins qui aboutirent à la Saint-Barthélemy.

Le récit de cette terrifiante journée n'exige pas sa place dans notre étude. Il est de ceux que le monde entier connaît, ce massacre ayant eu le triste don, par ses dramatiques péripéties, de fasciner la curiosité humaine, souvent cruelle dans ses investigations. Parmi les documents célèbres qui abondent sur la Saint-Barthélemy, nous n'en connaissons pas de plus riche en révélations poignantes, en aveux effrayants, en clartés terribles, que la relation du duc d'Anjou, roi de Pologne, que l'histoire a enregistrée sous le nom de «discours de Cracovie14». Nous la mentionnons parmi les pièces recueillies à la fin de cet ouvrage. Ici, la probité dicte quelques réflexions.

L'œuvre sanglante de la Saint-Barthélemy a été, dans ces derniers temps, le sujet d'éclatantes controverses. On a écrit des volumes, d'ailleurs instructifs, sur cette question: «La Saint-Barthélemy a-t-elle été préméditée?» Par quel étrange abus de mots, par quel goût malsain pour les discussions byzantines, en est-on arrivé à transformer en problème ce qui, pendant trois siècles, n'a réclamé aucune démonstration? Depuis la paix de Saint-Germain jusqu'à l'attentat contre l'amiral, pendant plus de deux années, il n'y a pas, dans la politique de Catherine de Médicis, un seul acte qui ne tende visiblement à endormir la méfiance des calvinistes, à encourager leurs espérances, à flatter, sinon à satisfaire leurs ambitions; la cour leur promet tout, leur offre tout, leur donne tout; les Valois orthodoxes jettent leur fille dans les bras du Bourbon hérétique; toutes les amorces partent du Louvre et y ramènent l'élite de la France protestante: la voilà qui accourt au son des cloches de l'hymen royal. Et il n'y a pas eu de préméditation dans ce qui s'est fait, et il n'y en aura pas dans ce qui va suivre! C'est donc pour livrer la monarchie et le pays aux calvinistes qu'on les a rassemblés, leurs chefs en tête, autour du trône; ou bien, c'est par hasard que mille manœuvres inconscientes ont rempli deux années pour aboutir à l'immense manœuvre des derniers jours! Certes, une Saint-Barthélemy a été préméditée, longuement et savamment préméditée, si jamais quelque chose le fut en ce monde. Qu'on ait réglé, six mois, six semaines ou six jours auparavant, la mise en scène de l'effroyable dénouement; qu'on ait fait d'avance, dans l'œuvre de destruction, la part du feu, du poison et des cachots; qu'on ait condamné les uns, gracié les autres; que le nom de l'amiral ait figuré le premier ou le dernier sur la liste de proscription; qu'on ait hésité longtemps sur les mesures à prendre, sur les têtes à frapper, sur les agents à employer, sur l'économie du sinistre cérémonial, ce sont là des sujets précieux pour l'historiette, mais qui n'enlèvent rien à la réalité de ce grand fait caractérisant un grand crime: la préméditation.

 

La veille du massacre, dans le dernier conseil secret qui précéda l'exécution, «la vie du roi de Navarre et du prince de Condé», – dit Mézeray, qui résume ses devanciers, – «fut balancée quelque temps entre la grâce et la mort. Les Guises, à ce qu'on croit, ayant déjà conçu quelque rayon d'espérance de parvenir à la couronne, eussent bien souhaité qu'on les eût ôtés du monde, si bien que leurs confidents apportèrent quelques raisons dans le conseil pour le persuader, mais bien différentes de celles qui les mouvaient en effet. Quant au roi de Navarre, il fut considéré que le fait, qui de soi-même était fort étrange, paraîtrait beaucoup plus horrible aux nations étrangères, si un grand prince dont le père était mort au service du roi, et qui avait été enveloppé dans les mauvaises opinions par le malheur de sa naissance, était massacré dans le Louvre, à la vue de son beau-frère, entre les bras de sa nouvelle épouse; qu'au reste, l'on ne pourrait point se décharger d'un meurtre si atroce sur les Guises, parce que l'on savait bien qu'ils n'avaient point d'inimitié entre eux; et qu'après tout, ce serait une trop grande honte au roi de dire que ses sujets auraient eu l'audace de tuer son beau-frère à ses pieds. Ces puissantes raisons et d'ailleurs la facilité de son naturel, sa modération et sa grande bonté, qui, depuis qu'il était à la cour, avaient imprimé dans les cœurs de bons sentiments de lui, furent cause que le Conseil, presque tout d'une voix, conclut de lui sauver la vie. Mais pour celle du prince de Condé, comme son humeur inflexible et la mémoire de son père aggravaient sa cause, elle se trouva en grand danger. Il n'y eut que le duc de Nevers, qui avait épousé la sœur de sa femme, qui se montra ferme pour lui: ce qu'il fit de sorte qu'il l'emporta à la fin, mais avec grand'peine, en se rendant caution qu'il demeurerait dans l'obéissance du roi et se ferait catholique.»

Le 25 août, vers neuf heures du matin, d'autres disent vers deux heures et au plus fort du massacre, Charles IX manda le roi de Navarre et le prince de Condé. Réveillés par les archers de la garde, qui ne leur permirent pas de prendre leurs épées, ils furent traînés devant le roi comme des criminels. Charles IX, depuis deux ou trois jours en proie à une sorte de frénésie, «leur déclara que tout ce qu'ils voyaient avait été exécuté par son commandement; qu'il avait été forcé de se servir d'un si violent remède pour mettre fin à toutes les guerres et séditions; et que c'était ainsi qu'il faisait périr ceux qu'il ne pouvait faire obéir; qu'au reste, il avait sujet de les haïr mortellement eux deux, et occasion de se venger de ce qu'ils avaient osé se faire chefs d'une méchante et opiniâtre faction; toutefois qu'il donnait ce ressentiment à l'alliance et au sang, pourvu qu'ils changeassent de vie, et qu'ils embrassassent la religion catholique, parce qu'il n'était plus résolu d'en souffrir d'autre dans ses terres; qu'ils avisassent donc à lui témoigner leur obéissance en ce point: autrement qu'ils se préparassent à recevoir le même traitement qu'ils avaient vu faire à leurs domestiques. Le roi de Navarre, extrêmement étonné de ces mots prononcés avec une voix menaçante, et de l'effroyable spectacle qu'il avait vu devant ses yeux, répondit qu'il priait Sa Majesté de laisser leur vie et leur conscience en repos, et que du reste ils étaient prêts de lui obéir en toutes choses. Mais le prince repartit plus hautement, que Sa Majesté ordonnât comme il lui plairait de sa tête et de ses biens, qu'ils étaient en sa disposition; mais que pour sa religion il n'en devait rendre compte qu'à Dieu seul, duquel il en avait reçu la connaissance. Cette réponse mit le roi en si grand courroux, qu'il l'appela par plusieurs fois enragé séditieux, rebelle et fils de rebelle, jurant que si dans trois jours il ne changeait de langage, il le ferait étrangler; et après avoir exhalé sa colère par ces menaces, il commanda qu'on les gardât soigneusement, et qu'on ne permît à personne qu'à ceux qu'il ordonnerait d'approcher d'eux.»

Quelques historiens ont prétendu que Henri et Condé avaient obéi au roi, le premier sur-le-champ, et le second dans le délai fixé par Charles IX. La vérité paraît être que, pendant près d'un mois, «toute la cour travailla à la conversion de ces princes, lesquels, dit Mézeray, étant les chefs de cette faction, semblaient devoir amener les plus opiniâtres après eux».

L'abjuration forcée du roi de Navarre, prisonnier et politiquement irresponsable, entraîna pour lui les plus humiliantes conséquences. Il ne pouvait être, en ce moment, ni catholique de cœur, ni indifférent en matière de religion, puisque ses coreligionnaires et ses meilleurs amis venaient d'être massacrés, sous prétexte d'hérésie, et qu'on le contraignait lui-même à répudier leur mémoire. Il était condamné à jouer devant la cour et devant le pays une comédie pénible, d'une durée incertaine, et qui pouvait à jamais gâter son cœur et avilir son caractère. Sa jeunesse, sa souplesse d'esprit et, s'il faut le dire, ses penchants naturels, trop flattés par les mœurs corrompues de la cour, l'aidèrent à traverser cette épreuve, sans que ses amis eussent le droit de désespérer de lui, sans que ses ennemis eussent l'occasion de pénétrer son arrière-pensée. Après l'abjuration, il reçut de Charles IX l'ordre de rendre manifeste son changement de religion: ses lettres de soumission et celles du prince de Condé furent portées à Rome par M. de Duras.

Les protestants ne furent nullement ébranlés par ces apparentes défections. Les Rochelais, bien avant la Saint-Barthélemy, avaient exprimé au roi de Navarre, à l'amiral et aux autres chefs calvinistes leur mécontentement de les voir s'abandonner aux séductions de la cour. Après les massacres, «ils recueillirent humainement, dit Pierre Mathieu, tous ceux qui avaient échappé à cet orage, et s'ils n'eussent relevé les courages et les espérances, c'était fait du parti; mais ils retirèrent tous les gens de guerre qui étaient dispersés çà et là. Les gentilshommes de cette religion qui ne se sentaient assurés en leur maison s'y rendirent incontinent. La Rochelle donna moyen de vivre à cinquante-cinq ministres, et se mit en tel état qu'elle eut l'audace de refuser l'entrée à Biron, que le roi lui envoyait pour gouverneur. Pour ce, le roi lui fit écrire par le roi de Navarre et le prince de Condé de ne se précipiter aux malheurs que cette désobéissance lui apporterait».

A la suite de ces exhortations, deux partis se formèrent à La Rochelle: l'un voulait obéir, l'autre résister; mais les massacres qui, au mois d'octobre, eurent lieu à Bordeaux et dans quelques autres villes, tournèrent décidément les esprits vers la résistance, et les Rochelais s'y préparèrent avec une énergique résolution. En vain, la cour, sentant la nécessité d'une pacification générale, essaya-t-elle d'éviter le conflit: ses négociations, même celle de La Noue, qui voulut bien servir d'intermédiaire, trouvèrent les Rochelais inflexibles. Au mois de novembre, Biron investit la ville rebelle, et, le mois suivant, le siège était formé. Les habitants se défendirent vaillamment; on vit les femmes elles-mêmes s'exposer à tous les périls. L'arrivée du duc d'Anjou, envoyé par le roi comme généralissime, n'intimida pas les assiégés. Ce prince amenait avec lui la plupart des grands personnages du royaume, parmi lesquels fut obligé de figurer le roi de Navarre. Le siège fut rude et funeste à beaucoup d'officiers catholiques; le duc d'Anjou faillit y périr. De leur côté, les Rochelais endurèrent des souffrances de toute sorte. Ils eurent, un moment, l'espoir d'être secourus par Montgomery, arrivant d'Angleterre avec des troupes et des munitions; mais il ne put parvenir jusqu'à eux. Néanmoins, la place ayant reçu des poudres, les assiégés reprirent courage, et, malgré des assauts répétés, malgré la disette et la famine même, ils se montrèrent intraitables. Il fut heureux, pour l'honneur des armes royales, que l'élection du duc d'Anjou au trône de Pologne vînt faire diversion et provoquer des accommodements. La Rochelle ne fut pas forcée: il était réservé à la main de fer de Richelieu de détruire cette forteresse, sinon d'abattre cette fierté. La paix avec les Rochelais fut signée le 6 juillet 1573. Le 19 août, la ville de Sancerre, une des fortes places du Haut-Berry, révoltée comme La Rochelle, et que les calvinistes avaient défendue pendant huit mois, ouvrit ses portes à l'armée royale.

Pendant qu'il était devant La Rochelle, le roi de Navarre fut amené à s'occuper des affaires de ses Etats. Le 16 octobre, sur l'injonction de Charles IX, il avait rendu un édit pour rétablir la religion catholique dans ses pays souverains. Bafoué par les calvinistes, l'édit provoqua de nombreux soulèvements. Les bruits avant-coureurs de ces désordres étant venus jusqu'à la cour, Henri fut contraint d'écrire plusieurs lettres à ses officiers pour leur recommander la soumission au comte de Gramont, qu'il venait de nommer son lieutenant-général. On eut si peu égard à ses avis, à ses ordres et à ses prières, que le jeune baron d'Arros, excité par son père, massacra toute l'escorte du comte de Gramont, dans la cour de son château de Hagetmau. Gramont ne dut la vie qu'aux supplications et aux larmes de sa belle-fille, Diane d'Andouins. Le 8 juin, Henri écrivit à d'Arros pour condamner ces violences et ordonner la mise en liberté du comte de Gramont.

Ce fut au siège de La Rochelle, s'il faut en croire quelques historiens, que prit naissance le parti des «Malcontents», qui allait bientôt exercer une influence marquée sur les affaires du royaume. Il est certain, du moins, qu'après l'élection du duc d'Anjou, son frère, le duc d'Alençon, esprit inquiet et brouillon, forma ou se laissa inspirer des projets ambitieux. Charles IX régnait à peine et gouvernait moins que jamais. Le duc d'Alençon pouvait être roi, son frère aîné n'ayant pas d'enfant mâle, et le duc d'Anjou étant pourvu d'une couronne étrangère. Il se trouva subitement, à l'âge de dix-huit ans, et sans capacité reconnue, le chef d'un nouveau tiers-parti, où entrèrent des catholiques et des huguenots.

Tantôt d'accord, tantôt en querelle avec Henri, le duc d'Alençon ourdit intrigues sur intrigues, si bien qu'il devint aussi suspect que le roi de Navarre: il se laissa pousser jusqu'aux complots. Nous n'avons pas à énumérer toutes ces tentatives; mais il faut rappeler au moins la conspiration de 1574, qui devait faire concorder une reprise d'armes des huguenots avec l'évasion du roi de Navarre et du duc d'Alençon. On sait qu'elle coûta la vie à La Mole et à Coconnas, gentilshommes du duc. Les deux princes furent incarcérés, accusés d'un crime d'Etat et interrogés dans les formes. «Le duc, dit Mézeray, répondit en criminel, lâchement et en tremblant; l'autre, en accusateur plutôt qu'en accusé, avec des reproches qui firent perdre contenance à la reine-mère.» La déposition du roi de Navarre15 fit juger, dès lors, quel homme il serait, à l'heure de la maturité. Marguerite de Valois prétend, dans ses Mémoires, qu'elle avait rédigé ce document, qui passe en revue toute la vie du royal accusé. Nous n'y contredisons pas, et la déposition n'en acquiert que plus de prix aux yeux de la postérité; mais si Marguerite a écrit, Henri a dicté, car on rencontre, à chaque alinéa, sa trempe d'esprit et sa finesse native.

 

Le complot, déjoué à la cour, n'en éclata pas moins en province. Montgomery, débarqué d'Angleterre, dirigea une prise d'armes dans la Basse-Normandie, et s'empara de quelques places; La Noue recommença la guerre autour de La Rochelle; les huguenots rouvrirent les hostilités dans le Dauphiné, la Provence et le Languedoc; le prince de Condé, qu'on se bornait à surveiller dans son gouvernement nominal de Picardie, s'était enfui en Allemagne, d'où il comptait ramener des troupes auxiliaires, en vue d'un soulèvement général des calvinistes français. Catherine de Médicis, à qui Charles IX, malade de corps et d'esprit, laissait tout le fardeau du gouvernement, déploya, dans cette crise, une remarquable activité. Trois armées furent simultanément mises sur pied: la première, commandée par Matignon, alla s'opposer à Montgomery, qu'elle força dans la ville de Domfront; la deuxième, sous les ordres de Montpensier, marcha contre La Noue; la troisième, avec le comte d'Auvergne, fils de Montpensier, qu'on appelait le prince Dauphin, fut envoyée dans le Dauphiné.

Au milieu de ces nouvelles luttes, Charles IX achevait de mourir. Le 30 mai 1574, il expira, laissant la régence à sa mère. Quoiqu'il eût criminellement abusé de son pouvoir sur la personne du roi de Navarre, il avait toujours eu pour ce prince des sentiments d'affection, et, au lit de mort, il les affirma avec quelque solennité: «Mon frère», dit-il à Henri après l'avoir embrassé, «vous perdez un bon maître et un bon ami. Je sais que vous n'êtes point du trouble qui m'est survenu. Si j'eusse voulu croire ce qu'on m'en voulait dire, vous ne seriez plus en vie. Je me fie en vous seul de ma femme et de ma fille: je vous les recommande.»

L'accueil que Henri III, à son retour de Pologne, fit au roi de Navarre et au duc d'Alençon, tenus en chartre privée par Catherine, eut l'apparence d'une mise en liberté. «La reine-mère, qui était venue de Paris à Lyon (au-devant de Henri III), dit Pierre Mathieu, poussa jusques au Pont-de-Beauvoisin pour le rencontrer. Elle lui présenta le duc d'Alençon et le roi de Navarre, lui disant: «Voici deux prisonniers que je vous remets; je vous ai averti de leurs fantaisies; c'est à vous d'en faire ce qu'il vous plaira». Le roi les embrassa, mais avec un peu de froideur, car un meilleur visage leur eût fait présumer qu'il ne croyait ce qu'elle venait de dire contre eux. Ils se mirent sur les excuses… Le roi leur dit: «Je vous donne la liberté, et ne veux pour cela autre chose de vous, sinon que vous m'aimiez et vous aimiez vous-mêmes, en vous préservant de ce qui vous peut nuire et offenser l'honneur de votre naissance.»

Les deux princes n'eurent qu'une médiocre confiance dans cette bonne grâce royale. Henri se contenta, pour le moment, des coudées franches dont on semblait lui faire l'octroi; mais le duc d'Alençon ne perdit pas de temps et se remit à conspirer. Le parti des Malcontents s'organisa sérieusement autour de lui, aidé par l'attitude du maréchal de Damville, gouverneur de Languedoc, qui venait d'établir, entre les catholiques «politiques» et les réformés, un pacte par lequel fut considérablement modifiée la situation générale. Au cours d'un de ces complots qui remplirent toute sa vie, le duc d'Alençon fut soupçonné par le roi d'avoir tenté de l'empoisonner, et Henri III essaya de s'entendre avec son beau-frère pour «se défaire de ce méchant». Henri eut beaucoup de peine à dissuader le roi, dont il ne voulut, à aucun prix, servir les rancunes.

Enfin, le 16 septembre 1575, après une feinte réconciliation avec Henri III, le duc d'Alençon quitta brusquement la cour, au moment où les troubles renaissaient de toutes parts, et où les reîtres venaient de passer la frontière, guidés par Guillaume de Montmorency, seigneur de Thoré. Le 10 octobre, Thoré était battu, entre Dormans et Château-Thierry, par le duc de Guise, qui reçut là sa balafre historique; mais la fuite de Monsieur jetait dans un trouble profond la politique royale, et Catherine tenta les plus grands efforts pour arriver à une pacification. A défaut d'un traité, dont les bases offraient des difficultés insurmontables, la reine-mère signa, le 22 novembre, une trêve générale de six mois. Quoiqu'elle en fît tous les frais, elle ne parvint à contenter personne: la trêve, mal observée, fut comme le signal d'une recrudescence d'hostilités, surtout de la part de Condé et de ses auxiliaires allemands. En quelques semaines, Monsieur et Condé comptèrent autour d'eux une armée de quarante mille hommes, Français ou étrangers, vivant, pour la plupart, aux dépens du Bourbonnais et du Berry.

Telle était la situation au mois de janvier 1576. Le roi de Navarre, entièrement effacé, presque oublié, pendant l'année précédente, n'en avait pas suivi d'un œil moins attentif la marche des événements, et l'heure lui sembla venue, sinon de s'y mêler avec éclat, du moins d'en profiter pour reconquérir sa liberté personnelle et son indépendance politique.

13Appendice:
14Appendice:
15Appendice: