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Le crime et la débauche à Paris

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V
LE DIVORCE D'APRÈS LE DROIT CANONIQUE

Les écrivains chrétiens proclamèrent le principe de l'indissolubilité du mariage, dès les premiers temps. Jésus-Christ avait dit aux Pharisiens: «c'est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes100.» Et la doctrine nouvelle, qui ordonnait à l'homme de ne s'attacher qu'à une seule femme, était rigoureusement commentée par les Apôtres. «Celui, dit saint Luc, qui renvoie son épouse et en épouse une autre, commet un adultère101.» Saint Mathieu admettait cependant la répudiation basée sur l'adultère de la femme, le mari pouvait alors se marier sans crime102. Saint Paul exprimait nettement que les époux n'avaient que le droit de se séparer et non pas celui de rompre le lien conjugal103. «J'ordonne, disait-il, ou plutôt c'est le Seigneur qui ordonne, par ma bouche, à ceux qui sont unis par le mariage que l'épouse ne s'éloigne pas de son mari; si elle le quitte, qu'elle reste sans se marier ou se réconcilie avec son mari.» Mêmes préceptes dans l'épître aux Romains104.

Des théologiens, comme saint Épiphane105, saint Ambroise, Astérius, évêque d'Amasie, la combattaient et saint Augustin, malgré sa vive opposition au divorce, avoue lui-même qu'il règne, en cette matière, une très grande obscurité, que chacun est libre de croire ce qu'il veut106.

Quelle que fût encore l'incertitude sur ce point, les principes de la doctrine nouvelle sur la famille et le mariage n'en étaient pas moins en complet désaccord, avec l'état des législations et des mœurs. Nous avons constaté déjà les efforts faits à diverses reprises par les empereurs chrétiens, pour mettre le droit de l'empire en harmonie avec la morale plus pure, enseignée par la religion nouvelle.

Chez les barbares, l'idée chrétienne pénétra plus facilement qu'à Rome: elle n'avait pas à combattre une législation séculaire, mais seulement des compilations romaines à peine comprises et diversement appliquées. Les différentes modifications, survenues dans les coutumes germaniques après la conquête rendaient plus faciles de nouvelles modifications telles que la reconnaissance légale de l'indissolubilité du mariage. L'idée grossière du mariage barbare, sorte de vente et d'achat, à peine transformée par le droit gallo-romain, devait offrir une médiocre résistance à l'idée plus austère et plus civilisatrice professée par le christianisme. Ce ne fut pas sans doute l'œuvre d'un jour que ce triomphe des principes nouveaux, et nous avons à signaler les hésitations, qui marquèrent l'établissement du droit canonique en Gaule.

Les conciles songèrent à formuler d'abord les principes, reconnus par les docteurs, mais privés encore de la forme précise, qui devait en rendre l'admission plus facile dans le monde chrétien. Remarquons que si les canons de certains conciles renferment quelques divergences sur le principe de l'indissolubilité du mariage, on peut répondre que ces conciles particuliers ne pouvaient avoir l'autorité d'un concile œcuménique et qu'il ne faut pas accorder aux canons d'un synode la valeur qu'on donne aux principes, reconnus par l'assemblée générale des évêques de la chrétienté.

Un premier concile, celui d'Elvire, en 313, frappait d'excommunication la femme répudiée, qui se remariait du vivant de son mari107. Mais celui d'Arles, en 314, conseillait seulement au mari d'une femme adultère de ne pas se marier, tant qu'elle vivrait (canon 10). Le concile de Milève, en 416, confirma les dispositions du concile d'Elvire108. La femme, dit le Concile de Fréjus (791), ne peut prendre mari, ni pendant la vie, ni après la mort de celui qu'elle a trompé109. Le concile de Tibur, en 895, vint encore confirmer ces dispositions: (canon 45) que, «le mari, tant que la femme vivait, ne pouvait en épouser une autre.»

D'ailleurs les papes s'étaient déjà prononcés pour l'indissolubilité du mariage. Une lettre d'Innocent Ier à l'archevêque de Toulouse, en 405, condamne la pratique du divorce110. Quelques conciles œcuméniques abandonnaient pourtant le divorce à la loi civile; c'étaient ceux de Constantinople, en 381, d'Ephèse en 431, et de Chalcédoine, en 451. D'autres conciles s'occupèrent encore du divorce. Celui de Soissons, en 744, renfermait, dans son canon 9, la disposition suivante: «Une femme du vivant de son mari, ne peut en prendre un second, parce qu'un mari ne doit pas renvoyer sa femme, à moins qu'il ne l'ait surprise en flagrant délit d'adultère111

Le concile de Verberie dispose (art. 9) que si la femme refuse de suivre son mari, hors de la province ou du duché, elle doit rester sans se marier, tant que vit son mari et celui-ci peut, au contraire, contracter une nouvelle union; le mari ne peut répudier sa femme que lorsque celle-ci veut le faire assassiner112. Et un autre article du même concile prévoit un cas plus grave: «si quelqu'un a dormi avec l'épouse de son frère, que les deux adultères soient privés du mariage, pendant toute leur vie. Quant au mari, s'il veut, qu'il prenne une autre épouse.» Plus tard (756), le concile de Compiègne permettait le divorce au conjoint du lépreux.

Il y avait donc une certaine hésitation, dans l'Église, à proclamer l'indissolubilité du mariage, surtout au cas d'adultère. Bientôt le concile de Fréjus (791) trancha la question: «il n'est pas permis, dit le canon 10, au mari, qui a brisé le lien conjugal pour cause d'adultère, d'épouser une autre femme, tant que la sienne vit. La femme coupable de son côté, ne peut prendre un autre mari, ni pendant sa vie, ni après la mort de celui qu'elle a trompé.

Mais si le principe de l'indissolubilité du mariage était depuis longtemps reconnu et proclamé par l'Église, il n'avait pénétré que lentement dans les mœurs et n'était entré que tardivement dans la législation des Capitulaires. Pépin le Bref défendait au mari de se remarier du vivant de sa femme113. Mais en 752, un autre capitulaire, modifié par Yves de Chartres et Gratien114, ne prononce plus la nullité du mariage, contracté du vivant de sa femme par le mari divorcé; il se contente de lui infliger une pénitence.

 

Nous arrivons aux Capitulaires de Charlemagne. L'influence de l'Église devient désormais prépondérante. L'empereur ne fait que consacrer solennellement le principe de l'indissolubilité du mariage. Baluze nous a conservé les paroles mêmes du puissant empereur qui s'exprime ainsi dans un capitulaire daté d'Aix la Chapelle, en 789: «Ni la femme renvoyée par son mari ne doit en prendre un second, ni le mari ne doit prendre une autre femme du vivant de la première… Que chaque prêtre annonce publiquement au peuple qu'il doit s'abstenir de toute union illicite, et que tout mariage illicite, suivant la loi divine, ne peut être dissous pour une raison quelconque, nequaquam posse ullâ occasione separari115.» L'empereur dit encore ailleurs: «Celui qui, du vivant de sa femme, convolera à une nouvelle union, quoique son mariage paraisse dissous (c'est-à-dire séparé de corps), il est impossible de ne pas le considérer comme adultère; en est de même de la personne à laquelle il est uni116.» Ainsi, aucun mariage ne peut être dissous, pour aucune cause et d'aucune manière. Une seule ressource reste aux époux qui ne peuvent supporter la vie commune: ils peuvent vivre séparément; c'est ce qu'on appelait la séparation à thoro et mensà. Le mariage n'en subsistait pas moins, avec tous ses effets.

Malgré ces dispositions législatives, malgré le principe nettement posé et généralement reconnu de l'indissolubilité du mariage, les mœurs étaient encore trop barbares pour s'accommoder de ces prescriptions rigoureuses de la doctrine chrétienne. L'Église elle-même fut obligée de se montrer tolérante; c'est ainsi qu'elle fut indulgente pour les divorces de Charlemagne, se sentant impuissante à contredire la ferme volonté du conquérant. Mais elle protesta plus tard contre celui de Lothaire II, qui divorçait cependant avec l'assentiment du concile de Metz (862). Le Roi fut frappé d'excommunication.

Ainsi l'Église s'attribuait le droit de réglementer le mariage, de s'immiscer dans les droits de la famille, fidèle à la doctrine de saint Paul, qui ne voyait dans le mariage qu'un sacrement: «sacramentum hoc magnum est, ego autem dico in Christo et in Ecclesiâ117

D'ailleurs on sut gré au clergé de prendre en main la juridiction du mariage et de tout ce qui touchait aux sacrements. Les prétentions de l'Église rencontrèrent peu de résistance, dans ce temps d'ignorance, de vexations où le peuple était habitué à trouver des défenseurs, parmi les évêques contre les brutalités des vainqueurs, où la procédure laïque n'était qu'un assemblage de règles grossières et d'oppressions déguisées, où enfin le clergé renfermait seul assez de science et d'équité, pour appliquer ce qui subsistait encore du droit romain, en y adaptant des principes conformes à la doctrine de l'Évangile et aux besoins du temps.

Ce fut donc à la fois pour étendre son influence sur le droit séculier et pour réhabiliter le mariage que l'Église s'attribua la connaissance des questions de validité et de nullité du lien conjugal et fit admettre des règles nouvelles de procédure et de droit, qui formèrent, peu à peu, le droit canon.

La jurisprudence fut d'abord assez indécise; après les Capitulaires de Charlemagne et l'application sévère faite par l'Église du principe de l'indissolubilité du mariage, on vit un nouveau temps d'arrêt. On se relâcha de cette sévérité et au onzième siècle les Assises de Jérusalem permettent à chaque époux de demander la répudiation au juge ecclésiastique, toutes les fois que l'autre époux est atteint d'une maladie qui rend la commune vie impossible118. L'époux malade est alors enfermé dans un couvent, l'autre peut se remarier, à condition d'assurer l'existence de son conjoint. «Le mari peut prendre un autre moullier (femme) par droit, puisqu'il sera parti de l'autre feme, qui ce sera rendue en ordre de religion.» Du reste, sauf cette exception l'Assise proclamait hautement l'indissolubilité du mariage: «La loi et l'Assise commande et dit que puisqué l'ome et la feme se sont prins par mariage, ils ne se peuvent partir, par aucun jour de leur vie, si ce n'est par mort ou non.»

Ainsi le principe était déjà universellement admis; à partir du douzième siècle, aucun concile ne permet plus le divorce entre chrétiens. Mais la séparation pouvait encore avoir lieu, lorsque l'un des époux voulait entrer en religion ou simplement lorsqu'il avait fait vœu de vivre, en état de parfaite continence.

Une décrétale d'Alexandre III119 permit aux futurs de rompre unilatéralement le mariage, en entrant au couvent avant la consommation du mariage. Ces conditions étaient nécessaires: la réception des ordres sacrés ne suffisait pas à dissoudre le mariage non consommé; il fallait de plus que l'époux ordiné se retirât du monde120. De plus, si la séparation avait été indépendante de la volonté des conjoints, l'époux séparé par violence pouvait toujours venir reprendre vie commune, sans que l'autre pût s'y refuser121. A partir du treizième siècle, on distingua donc deux périodes dans le mariage: «matrimonium ratum et consummatum, et matrimonium ratum sed non consummatum.» On ne pouvait rompre désormais le mariage consommé que pour vivre, dans une continence perpétuelle.

Le corpus juris canonici précisa de nouveau les causes de séparation. Outre les cas déjà admis, l'adultère, l'hérésie, la maladie incurable et le vœu de la chasteté, le droit canonique en reconnaissait un nouveau: la séparation était permise à l'époux, qui était empêché, par son conjoint, d'accomplir ses devoirs religieux.

Si du droit canonique nous passons aux anciennes coutumes, nous y verrons la trace évidente de l'influence canonique, en ce sens que des faits, jusqu'alors jugés assez graves pour entraîner le divorce, n'étaient plus que les causes d'une simple séparation.

Beaumanoir, dans la Coutume de Beauvoisis122 énumère les cas de séparation que les femmes peuvent invoquer contre les maris: «Bonne cause, dit-il, a la fame de soi partir de son mary en dépeçant du tout le mariage ou en soi eslongier de lui, quand elle a mary qui la veut fére peschier de corps… quand les maris les menacent à tuer ou à voler, quand ils ne vuelent donner ne boire ou ne manger ne vestir, quand mary vient vendre la terre de ferme ou son domaine par forche, quand il la boute hors, par sa volonté sans meff à la fame, quant elle s'empart pour che que, il tient autre fame, en sa méson à la veue et la seue des voisins.»

Dans la Somme rurale, Jehan Bouteiller signale deux causes de séparation: «Quand les époux, parents l'un de l'autre à un degré prohibé, n'avaient pas obtenu les dispenses pontificales et quand le mari était impuissant ou incapable de payer «ce que les clercs appellent, la dette conjugale123.»» La femme dont le mari était absent ne pouvait se remarier, tant qu'elle n'avait pas la preuve certaine de sa mort. Cependant, au bout de sept ans, si l'opinion générale est qu'il est mort, ou bien si un témoin, au moins, affirme qu'il l'a vu mort, dans tel lieu et d'autres qu'ils sont allés sur son tombeau ou ont assisté à ses obsèques, la femme a la faculté de se remarier. Nous trouvons enfin, dans les Institutes coutumières de Loysel, une disposition concernant l'adultère de la femme: la femme est privée de tout droit au douaire et ne peut réclamer sa dot.

VI
LE DIVORCE APRÈS LA RÉFORME ET LE CONCILE DE TRENTE

Tel était l'état du droit canonique et des institutions coutumières, lorsque la révolte de Luther vint ébranler l'Allemagne et tout le monde chrétien. Le moine insurgé contre la papauté rejetait tous les sacrements, excepté le baptême et la cène. Il reniait toutes les doctrines de l'Église et proclamait l'indépendance des consciences, il battait en brèche toutes les immixtions de Rome dans le pouvoir civil et revendiquait notamment, pour le droit particulier de chaque nation, la réglementation du mariage.

Ces idées hardies, jetées dans un siècle encore ignorant et grossier, séduisirent facilement les princes d'Allemagne, que le pouvoir exorbitant de l'Église commençait à effrayer. Leur exemple entraîna les masses, toujours promptes à suivre ceux qui leur jettent la promesse d'une liberté plus grande et toujours prêtes à s'enthousiasmer des nouveautés, même des révoltes, pourvu qu'elles soient bruyantes. Dès lors, une partie du monde chrétien se sépara de l'Église et celle-ci, ne tarda pas à employer, pour ramener les fidèles à Rome, des moyens, que sa dignité devait lui défendre et qui d'ailleurs nuisirent plus à sa cause qu'elles ne lui profitèrent. C'est ainsi qu'on la vit faire usage de documents fabriqués, Décrétales apocryphes, textes falsifiés connus aujourd'hui sous le nom de collection pseudo-Isidorienne. L'autorité de l'Église s'en trouva atteinte, son influence en souffrit.

 

Dès lors la réforme s'étendit, de plus en plus. Le divorce pénétra aussitôt dans les mœurs; l'Allemagne vit ses princes répudier leurs femmes et prendre de nouvelles épouses, imitant ainsi Luther lui-même qui, pour accentuer son défi à la papauté, avait épousé une religieuse.

Devant cette révolution qui menaçait d'absorber la chrétienté entière, l'Église sentit le besoin de se préparer à une longue lutte, en affirmant hautement ses doctrines, dans un grand concile œcuménique.

Il fallait épurer les formules, établir les principes de la foi, fixer, une fois pour toutes, les limites de chaque croyance: ce fut l'œuvre qu'entreprit le concile de Trente, avec une louable ardeur. Le principe de l'indissolubilité du mariage et la condamnation du divorce furent proclamés par le concile, en décembre 1565, dans sa session XXIV. Voici le texte des trois canons les plus importants:

Canon 2.– «Si quelqu'un dit qu'il est permis aux chrétiens d'avoir plusieurs épouses à la fois et que cela n'est défendu par aucune loi divine, qu'il soit anathème.»

Canon 3.– «Si quelqu'un dit que pour cause d'hérésie, d'incompatibilité d'humeur ou d'absence volontaire, le lien du mariage peut être dissous par l'époux, qu'il soit anathème.»

Canon 7.– «Si quelqu'un dit que l'Église se trompe quand elle enseigne et a enseigné, selon la doctrine évangélique et apostolique, que l'adultère de l'un des époux n'autorise pas la dissolution du mariage; qu'il est interdit à tous les deux, même à l'innocent, de se remarier du vivant de leur conjoint: et enfin que celui-là ou celle-là commet un adultère qui, ayant renvoyé son époux coupable, en prend un autre: qu'il soit anathème.»

Cependant tous les théologiens n'avaient pas été d'accord sur les règles à poser en cette matière124.

Cajétan et Catharin admettaient que l'adultère devait dissoudre le mariage; de plus, les Grecs des îles Méditerranéennes, alors sous la domination de Venise, pratiquaient le divorce, en cas d'adultère de la femme. Les ambassadeurs vénitiens, désirant que cet usage fût laissé aux sujets Grecs de la République, réclamèrent contre l'anathème, que le concile voulait lancer contre l'adultère. Aussi voyons-nous le canon 7 employer une formule ambiguë, pour condamner non pas ceux qui divorçaient pour adultère, mais ceux qui prétendaient que l'Église se trompait, en condamnant le divorce d'après l'Évangile et les Apôtres.

Rien n'est intéressant comme de suivre les discussions du concile de Trente sur la réglementation du mariage. On vit le théologien Soto soutenir, avec une grande largeur de vue, que l'indissolubilité du mariage venait de la loi naturelle, que l'Évangile ne semblait en effet avoir rien ajouté à la force de ce lien; que la différence des religions ne pouvait donc rien changer à sa nature et que, dans le passage de saint Paul qu'on interprétait en faveur du divorce, au cas d'adultère125, il ne s'agissait pas d'une dissolution du lien conjugal, mais seulement d'une cessation de cohabitation.

Le concile s'occupa également des mariages clandestins, qui, depuis trois siècles, étaient d'un usage fréquent. Ces mariages clandestins appelés aussi fiançailles par paroles de présent ou sponsalia de præsenti, ne différaient du mariage proprement dit qu'en ce qu'ils n'étaient pas accompagnés de la bénédiction sacerdotale. La volonté des conjoints était simplement constatée par un notaire. Les théologiens français se prononcèrent énergiquement contre la validité des mariages secrets; ils finirent par triompher et le concile proclama la nécessité de l'intervention religieuse dans la célébration du mariage. Déjà au sixième siècle le concile d'Arles avait prescrit les formalités de publicité et de consécration par un prêtre. Charlemagne avait fait de la même prescription une disposition de ses Capitulaires. Le concile de Trente reconnaissait donc définitivement au mariage le caractère d'un sacrement126. L'ordonnance de Blois, en 1579, partant de la même idée, imposa la célébration à l'église, par le curé de la paroisse de l'un des époux devant quatre témoins. On fit ainsi entrer l'acte religieux dans le droit civil. Mais en même temps on pouvait se demander si le caractère d'indissolubilité était inhérent à la forme du sacrement, et si, par conséquent, on pouvait rompre un lien contracté sous les formes solennelles de la religion. C'était encore une fois la question déjà posée par saint Ambroise127, et par saint Jean Chrysostome128. Le pape Innocent III l'avait même résolue, dans une décrétale, en décidant qu'un époux pourrait convoler, en secondes noces, lorsque, son mariage n'ayant pas été sanctifié par le sacrement, son conjoint refuserait de cohabiter, avec lui, ou bien serait hérétique129. Le pape Benoît XIV admit la même idée130. Mais on fit remarquer plus tard que cette décision reposait sur une fausse interprétation de l'épître de saint Paul, et à partir de l'affaire du Juif Borach Levy, en 1775, on reconnut l'indissolubilité du mariage, alors même qu'il n'avait pas été revêtu des formes du sacrement, parce que, disait-on, le lien du mariage ne résulte que du vœu que font les conjoints de se donner l'un à l'autre.

Cette manière de voir fut adoptée par les Parlements. Certains pays conservèrent au mariage, même après le concile de Trente, le seul caractère de contrat civil. Le simple échange des consentements suffit encore, dans certaines parties des États-Unis et de la Grande-Bretagne. En Allemagne la même idée domina jusqu'à notre époque: «Encore aujourd'hui, dit le docteur Stammler, aux yeux du peuple, une union consentie et accomplie dans une intention de mariage, sans l'intervention de l'Église, et abstraction faite de la loi civile, a la valeur d'un mariage religieux et indissoluble131

En résumé, le concile de Trente établit nettement dans l'Église le principe de l'indissolubilité du mariage. Une seule exception fut faite: il fut permis, comme avant le concile, de dissoudre le mariage pour entrer dans la vie religieuse, mais une condition nouvelle était que le mariage ne fût pas consommé132.

Du reste si le divorce était bien supprimé en théorie, il faut reconnaître qu'en pratique on aboutissait facilement à la dissolution du mariage, grâce aux cas de nullité qui s'étaient multipliés singulièrement, et qui servaient à couvrir de véritables divorces. Il suffit d'énumérer les cas admis par le droit canon pour montrer l'extrême latitude qu'il laisse aux époux.

Les causes de nullité sont, suivant les expressions mêmes du droit canonique:

1º L'erreur sur les qualités essentielles de la personne;

2º La condition (cause très variable qui tantôt était l'état de servitude d'un des conjoints, tantôt toute clause insérée au contrat et d'après laquelle les contractants s'obligeraient à en violer les lois essentielles);

3º Les vœux solennels;

4º La parenté naturelle jusqu'au degré de cousins issus de germains;

5º La parenté spirituelle (naissant du baptême et de la confirmation);

6º Le crime (commis de complicité entre les conjoints, avant le mariage);

7º La disparité des cultes;

8º L'ordre;

9º L'honnêteté (fiançailles antérieures de l'un des conjoints avec les parents de l'autre);

10º L'affinité ou l'alliance, résultant même de relation illégitime;

11º La clandestinité, résultant de ce simple fait que le mariage a été célébré par un prêtre autre que le propre curé des contractants;

12º Le rapt, par violence ou séduction;

13º L'impuissance naturelle ou la non-consommation naturelle du mariage.

Nous avons vu les règles posées par le concile de Trente et les dispositions du droit canonique en matière de dissolution du mariage. L'Église venait de se prononcer ouvertement contre le divorce. La réforme au contraire le rétablissait et en répandait l'usage: «De nos jours encore133 les protestants l'autorisent non seulement pour cause d'adultère de la femme, mais encore pour d'autres motifs. En parlant de répudiation pour cause d'adultère, disent-ils, le Christ n'a pas entendu limiter le divorce à ce cas, il n'a fait que répondre à une question, qui lui était posée pour trancher une controverse entre les disciples d'Hillel et de Schenuna. Le Christ n'a rien dit du divorce, par consentement mutuel, ni du divorce pour causes déterminées par la loi civile, et il n'a entendu prohiber ni l'un ni l'autre134

100Saint Mathieu, ch. XIX, 8.
101Saint Luc, ch. XIV, 18.
102Ch. V, 32.
1031 Corinth, VII, 10, 11.
104Rom. VII, 2, 3.
105Adversus hæreses, nº 59.
106Saint Aug. De fide op. Cap., IX, 35.
107Canon IX, Acta conc. collect. Labbe, t. I, col. 971.
108Acta conc., t. II, col. 1537, canon XVII.
109Acta conc., t. VII, col. 991.
110Labbe, t. II, p. 1254.
111Acta conc., t. VI, col. 1552.
112Acta conc., t. VI, col. 1552.
113Baluze, t. Ier, p. 159.
114Ces deux canonistes suppriment la fin du canon IX du concile de Verberie, qui permet au mari de prendre une autre femme.
115Baluze, liv. VI, ch. 191.
116Baluze, liv. VII, ch. 83.
117Ephes. V, 25.
118Ed. Beugnot, p. 118, cour des bourgeois, ch. 175. «S'il avient que un hons ait prise une feme et cetse feme devient puis mezele (lépreuse), ou chie dou mauvais mau trop laidement (épileptique), ou li pue trop fièrement la bouche et le nes, ou pisse aucune nuit au lit, si que tout se gastent ses draps, la raison commande que se le mari s'en claime à l'Église, et ne veut plus estre o (avec) luy, por ce malsaing qu'il i a, que l'Eglise le det despartir par dreit.»
119Cap. et public. de convers. conjug. 1189.
120Extravag. Jean XXII, Cap. unic. de voto et voti redemp. 1322.
121Innocent III. Cap. accedens ext. de convers. conjug. 1212.
122Ch. 57.
123Somme rurale, liv. II, 18.
124V. Fra Paolo Sarpi, Histoire du concile de Trente, liv. VII, § 42 et suiv.
125Hist. du conc. de Trente, liv. VII, § 44.
126V. M. Glasson, Étude sur le consentement des époux au mariage, p. 41.
127Liv. VII, in Luc…
128Hom. XIX, cap. VII, ép. 1.
129Decret. Liv. II, tit. XIX, ch. VII. De divort.
130De synodo, ch. VI, § 3. Benoît XIV.
131Über die Stellung der Frauen im alten deutschen Recht, p. 28.
132Canon VI, sess. 14. Bellarmin, De monach, I. II, cap. 36. – Suarès. De relig., t. III, l. 9, ch. XXIII, nº 29.
133Le mariage civil et le divorce, p. 30, 1879.
134Voir Schœffner: Geschichte des franzœsischen Rechts. – C. pr. Varnkænig et Stein: Franzœsische Staats- und Rechtsgeschichte.