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Le crime et la débauche à Paris

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22 vendémiaire, an II (13 oct. 1793). Décret qui autorise le conjoint demandeur à faire apposer les scellés, sur les effets mobiliers de la communauté.

8-14 nivôse, an II (28 déc. 1793, 3 janv. 1794). Décret qui attribue aux tribunaux de famille la connaissance des contestations, relatives aux droits des époux divorcés.

4-9 floréal, an II (23-28 avril 1794). Décret qui fait disparaître certaines dispositions très sages de la loi de 1792.

Désormais, après une séparation de fait de six mois, un des époux pouvait demander le divorce et l'obtenir, sur la simple présentation d' un acte authentique ou de notoriété publique. Si le mari absent faisait partie des armées ou remplissait des fonctions publiques dans un pays éloigné, sa femme pouvait bien obtenir le divorce, mais recouvrait seulement sa dot. La femme divorcée pouvait se remarier aussitôt qu'il était prouvé, par un acte de notoriété publique, qu'il y avait dix mois qu'elle était séparée de fait de son mari; celle qui accouchait après le divorce, était dispensée d'attendre ce délai.

Enfin, un décret du 24 vendémiaire, an III (15 oct. 1793), fait en haine de l'émigration, déclare que la femme pouvant prouver, par acte authentique ou de notoriété publique, que son mari était émigré, à l'étranger ou dans les colonies, obtiendrait le divorce, sans assignation ni citation.

Cette loi et les tristes décrets qui la suivirent, produisirent des scandales et des abus inouïs. Le mariage était livré désormais à tous les caprices des passions humaines, à toutes les fantaisies des haines politiques ou religieuses; la licence des mœurs ne connut plus de bornes, la décadence morale fit de rapides progrès; le fanatisme révolutionnaire désorganisait la famille et, par là, portait à la société entière le coup le plus funeste: «Dans aucune partie peut-être, dit Zachariæ, il n'y eut tant à reprendre, ni tant de méprises du droit intermédiaire à réparer.»

Les scandales, qui résultèrent d'une pareille législation, furent si grands et si nombreux, que la Convention s'émut elle-même des tristes conséquences de son œuvre. Plusieurs membres présentèrent, à diverses reprises, des observations sur les abus du divorce et demandèrent une réglementation moins large. C'est dans ce sens, notamment, que parla le député Bonguyod à la séance du 28 floréal, an III. Le comité de législation fut même chargé d'étudier les réformes à faire; le rapporteur de ce comité, le député Mailhe, s'exprimait ainsi161: la loi du 20 septembre 1792 donna au divorce une latitude illimitée, mais du moins elle opposait à l'inconstance et au caprice des formes et des lenteurs, qui laissaient à la raison le temps et la possibilité de reprendre son empire. Les lois du 8 nivôse et du 4 floréal an II, rompirent ces faibles barrières. Vous ne sauriez arrêter trop tôt le torrent d'immoralité que roulent ces lois désastreuses.» Conformément aux conclusions de ce rapport, les décrets de nivôse et de floréal an II, furent abrogés par un décret du 15 thermidor an III.

Cependant l'abrogation de ces décrets ne suffisait pas à empêcher les abus; il fallait donner au divorce des garanties plus sérieuses encore; ce fut, ce qu'entreprit un décret du Directoire daté du premier jour complémentaire de l'an V (17 septembre 1797).

Ce décret portait que, dans toutes les demandes en divorce, fondées sur l'incompatibilité d'humeur et de caractère, l'officier public ne pourrait prononcer le divorce que six mois après la date du dernier des trois actes de non-conciliation, exigés par la loi de 1792 (art. 8, 10 et 11).

Mais ce n'était qu'une bien légère restriction à la facilité inouïe laissée par cette loi de 1762. Les abus et les scandales continuèrent. «Chose remarquable, dit M. Glasson162, le divorce produisit les mêmes effets qu'à Rome; il fut inutile ou dangereux: inutile dans les campagnes, où les paysans refusèrent d'y revenir; dangereux dans les grandes villes, où l'on se hâta d'en abuser.»

La statistique fournit en effet des chiffres justement effrayants.

A Paris, dans les vingt-sept mois qui suivirent la promulgation de la loi de 1792 on compta 5994 jugements, prononçant le divorce et, en l'an VI, le nombre des divorces dépassa celui des mariages.

Le député Mailhe avait déjà raison de dire, dès l'an III: «la loi du divorce est plutôt un tarif d'agiotage qu'une loi. Le mariage n'est plus en ce moment qu'une affaire de spéculation, on prend une femme, comme une marchandise, en calculant le profit, dont elle peut être et l'on s'en défait sitôt qu'elle n'est plus d'aucun avantage; c'est un scandale vraiment révoltant163

Telle était, pour la famille et la société, l'œuvre de la législation révolutionnaire. Sans doute ce fut au nom de la justice, au nom d'une liberté saine, que fut ouverte l'ère de rénovation politique et sociale. Mais ces tendances sages et libérales ne purent persister au milieu des circonstances difficiles, que la Révolution eut à traverser.

Bientôt les réformateurs dissimulèrent mal leur aversion profonde, pour toutes les traditions de la monarchie, et dès lors la législation nouvelle prit un caractère haineux, autoritaire et despotique: la Révolution voulut effacer brutalement le passé, briser les résistances et imposer des principes, qu'elle-même ne comprenait pas encore.

Les idées de justice aboutirent ainsi aux injustices les plus criantes et la Convention vit triompher ce despotisme démagogique, le pire de tous, qui ne se soutient que par la terreur et par le crime. Telle fut la législation intermédiaire, dans laquelle les jurisconsultes les plus autorisés ont eu souvent à flétrir la trace de passions et de haines brutales, aussi désastreuses pour les mœurs d'une société qu'indignes d'un législateur éclairé.

L'œuvre législative de la Convention n'avait qu'un but: formuler les principes qui devaient servir de base au droit civil, qu'on se proposait de rédiger, et régler provisoirement l'application de ces principes. La rédaction du Code civil, commencée en 1791, interrompue sans cesse par des préoccupations politiques d'ordre majeur, et toujours reprise sans succès, finit par être élaborée sérieusement, lorsque le premier Consul en eut ordonné l'achèvement. La tâche du législateur était immense; il fallait porter remède aux abus des lois révolutionnaires, il fallait réorganiser la famille, rendre au mariage sa dignité, en un mot, refondre entièrement toute la législation du divorce.

Le conseil d'État arrêta tout d'abord les bases sur lesquelles il comptait rédiger le titre VI du Code civil. Il maintint le mariage civil, conserva le divorce, qui lui sembla conforme aux principes essentiels, reconnus au mariage dans notre droit civil, et qui lui parut dangereux à supprimer, dans un temps où l'on en trouvait encore l'usage si répandu; mais il le réglementa plus sévèrement, il en diminua les causes légitimes; de plus, pour donner satisfaction au sentiment religieux, il rétablit la séparation de corps, afin que les catholiques ne fussent plus dans la nécessité de recourir au divorce, que leur foi repoussait énergiquement.

Tels furent les principes qui furent admis dans la préparation de la loi nouvelle; ce ne fut pas sans discussion et le rétablissement de la séparation de corps rencontra tout d'abord une vive opposition au sein du conseil d'État. C'est qu'à cette époque les haines politiques étaient encore vivaces et qu'une pareille satisfaction, accordée au catholicisme, semblait une concession importante faite aux idées de l'ancien régime. Néanmoins ce rétablissement fut admis en principe.

L'exposé des motifs de M. Treilhard au Corps législatif164 nous montre quelles furent les idées dominantes qui inspirèrent les rédacteurs du Code civil lorsqu'ils préparèrent le titre VI.

Tout d'abord, nous pouvons constater une préférence marquée en faveur du divorce: «Le divorce en lui-même ne peut pas être un bien; c'est le remède d'un mal; pour les époux le divorce est sans contredit préférable à la séparation.»

«Je ne connais qu'une objection, ajoute le rapporteur. On la tire de la possibilité d'une réunion: mais je le demande combien de séparations a vu le siècle dernier et combien peu de rapprochements! – » Il prévoit ensuite l'objection tirée des enfants. «Mais les enfants, les enfants, que deviendront-ils après le divorce? – Je demanderai à mon tour, que deviendront-ils après les séparations? Sans doute le divorce ou la séparation des père et mère forme, dans la vie des enfants, une époque bien funeste: mais ce n'est pas l'acte de séparation ou de divorce qui fait le mal, c'est le tableau hideux de la guerre intestine qui a rendu ces actes nécessaires. Au moins les époux divorcés auront encore le droit d'inspirer, pour leur personne, un respect et des sentiments qu'un nouveau nœud pourra légitimer… C'est peut-être ce qui peut arriver de plus heureux pour les enfants… Quant à la société, il est hors de doute que son intérêt réclame le divorce, parce que les époux pourront contracter dans la suite de nouvelles unions; pourquoi frapperait-elle d'une fatale interdiction des êtres que la nature avait formés pour éprouver les plus doux sentiments de la paternité? Cette interdiction serait également funeste aux individus et à la société: aux individus qu'elle condamne à des privations qui peuvent être méritoires, quand elles sont volontaires, mais qui sont trop amères, quand elles sont forcées: à la société qui se trouve ainsi appauvrie de nombre de familles, dont elle eût pu s'enrichir. Mais le pacte social garantit à tous les Français la liberté de leur croyance: si le divorce était le seul remède offert aux époux malheureux, ne placerait-on pas des citoyens, dans la cruelle alternative de fausser leur croyance ou de succomber, sous un joug qu'ils ne pourraient plus supporter? En permettant le divorce la loi laissera l'usage de la séparation. Ainsi nulle gêne dans l'opinion et toute liberté à cet égard est maintenue165

 

Ainsi le législateur laissait le choix aux époux. Quant aux dispositions nouvelles, régissant le divorce, nous allons les parcourir rapidement.

Le Code supprimait le divorce pour incompatibilité d'humeur, lorsqu'un seul des époux le demandait. Quant au divorce par consentement mutuel il fut vivement discuté. Le Tribunat voulait le prohiber, lorsque les époux avaient eu des enfants. Mais le conseil d'État le fit maintenir parce que, comme le faisait remarquer le conseiller Emmery, ce divorce avait l'avantage de couvrir les causes déterminées, que les époux ne voudraient pas divulguer et qui devaient être tenues d'autant plus secrètes qu'il y avait des enfants nés du mariage. D'ailleurs, le divorce par consentement mutuel était entouré de sérieuses garanties; il fallait le consentement mutuel et persévérant, exprimé d'une manière spéciale, sous des conditions et après des épreuves de nature à prouver que la vie commune était insupportable et qu'il existait par rapport aux époux une cause péremptoire de divorce (art. 233). Le conseil d'État rejeta une proposition du Tribunat tendant à permettre aux époux, divorcés par consentement mutuel, de se remarier ensemble. La loi proscrivit absolument ce second mariage, quelle que fût la cause du divorce.

Quant aux causes déterminées qui autorisaient désormais le divorce, le Code en réduisait singulièrement le nombre. Les seuls faits qui pouvaient motiver le divorce, étaient l'adultère de la femme, l'adultère du mari, lorsqu'il avait tenu sa concubine dans la maison, la condamnation à une peine infamante, les excès, sévices, ou injures graves.

Lorsque la séparation de corps avait été prononcée pour toute autre cause que l'adultère, elle pouvait être convertie en divorce, après trois ans sur la demande de l'époux, qui avait été défendeur à la séparation (art. 310); le tribunal devait prononcer le divorce à moins que l'époux demandeur originaire, présent ou dûment appelé, ne consentît immédiatement à faire cesser la séparation166. Cette disposition avait soulevé au conseil d'État un débat très animé. Cambacérès faisait remarquer que c'était là une atteinte très grave à la liberté de conscience du demandeur originaire, qui était ainsi amené à divorcer malgré lui, situation d'autant plus fâcheuse qu'il semblait l'avoir provoquée lui-même, en demandant la séparation, quoique ses convictions religieuses rejetassent une rupture complète du lien matrimonial par le divorce.

L'examen de la procédure spéciale du divorce semble sortir du cadre que nous nous étions tracé; cependant il n'est pas inutile de jeter un rapide coup d'œil sur cette partie de notre législation, que des lois nouvelles pourraient remettre en vigueur. Nous y verrons, d'ailleurs, chez les rédacteurs du Code, un souci véritable de la dignité du mariage, qui les fait entourer le divorce de sérieuses garanties et de sages lenteurs. Ce n'était plus l'encouragement au divorce, comme dans la loi de 1792, c'était, au contraire, un ensemble de moyens propres à laisser apaiser les passions passagères, à donner toutes les occasions de réflexion, à ménager habilement les rapprochements possibles et à bien mettre en relief pour le juge, les motifs et les mobiles, ainsi que la valeur véritable des faits invoqués.

La procédure s'ouvrait par une requête, que l'époux demandeur devait remettre personnellement au magistrat. Ce n'était plus en effet une assemblée de parents et d'amis, mais bien le tribunal de l'arrondissement du domicile, qui était appelé à statuer sur le divorce. Le juge ordonnait une comparution des parties devant lui et tentait une conciliation; s'il ne pouvait y parvenir, les pièces étaient transmises au ministère public et au tribunal entier, qui accordait ou refusait, ou suspendait, pendant vingt jours, la permission de citer.

Les époux étaient d'abord entendus à huis clos; le tribunal renvoyait ensuite à l'audience publique et commettait un rapporteur. A l'audience, le tribunal pouvait ordonner des enquêtes à la demande des parties. Les dépositions des témoins étaient reçues par le tribunal, séant à huis clos, en présence du ministère public, des parties, et de leurs conseils et amis, jusqu'au nombre de trois de chaque côté. Après la clôture des enquêtes, le tribunal renvoyait de nouveau à l'audience publique, et là, après avoir entendu le rapport du juge commis, il prononçait le jugement définitif. S'il admettait le divorce, l'époux demandeur avait deux mois pour se présenter devant l'officier civil pour le faire prononcer. Si la demande du divorce était basée sur des excès, sévices ou injures graves, le tribunal, même en reconnaissant la réalité des faits, pouvait ne pas admettre immédiatement le divorce et imposer aux parties une année d'épreuves, pendant laquelle la femme était autorisée à vivre séparée de son mari et à ne pas le recevoir, si elle le jugeait convenable; si au bout de l'année les époux ne s'étaient pas réunis, le divorce était prononcé.

Quant au divorce par consentement mutuel, il était entouré de plus de garanties encore; le législateur ne l'avait maintenu qu'à la condition d'en faire un remède, employé seulement dans les cas d'absolue nécessité et avec la plus excessive prudence. De nombreuses conditions en restreignaient l'usage. Il fallait que le mari eût au moins vingt-cinq ans et la femme vingt et un, que les époux eussent vécu deux ans ensemble et qu'il ne fût pas écoulé plus de vingt ans, depuis le mariage, ou encore que la femme n'eût pas atteint l'âge de quarante-cinq ans. Il fallait en outre que les époux se présentassent, tous les trois mois, pendant un an devant le président du tribunal, pour lui renouveler leur demande, et qu'ils apportassent à chaque comparution la preuve positive et authentique que les ascendants donnaient leur consentement au divorce et y persistaient. Enfin l'article 305 prescrivait que la propriété de la moitié des biens de chacun des deux époux serait acquise, de plein droit, du jour de leur première déclaration, aux enfants nés de leur mariage; le père et la mère n'en conservaient que la jouissance jusqu'à la majorité, au contraire, si le divorce avait lieu pour cause déterminée, les droits des enfants ne s'ouvraient que de la manière dont ils se seraient ouverts, s'il n'y avait pas eu de divorce.

Si de la procédure nous passons aux effets du divorce, nous remarquerons encore dans le Code de grandes améliorations apportées à la législation de 1792. Le Code ne défendait pas aux époux de contracter des unions nouvelles. Le législateur se rappelait en effet le passage suivant de Montesquieu: «C'est une règle tirée de la nature que, plus on diminue le nombre des mariages qui pourraient se faire, plus on corrompt ceux qui sont faits. Moins il y a de gens mariés, moins il y a de fidélité dans les mariages, comme lorsqu'il y a plus de voleurs, il y a plus de vols167.» C'était même un des avantages qui faisaient préférer au législateur le divorce à la séparation, mais il comprit que cette faculté de second mariage devait être sagement limitée. Si le divorce avait eu lieu par consentement mutuel, chacun des époux ne pouvait contracter un nouveau mariage qu'après une attente de trois ans. Si le divorce avait eu lieu pour cause déterminée, la femme ne pouvait se remarier que dix mois après le divorce prononcé; au cas spécial de divorce pour adultère, l'époux coupable ne pouvait se remarier avec son complice. Rappelons enfin que le Code défendait rigoureusement aux époux divorcés de se remarier entre eux; l'idée du législateur, M. Treilhard l'expose longuement, était la crainte de voir les époux conserver un vague espoir de réunion, demander leur divorce, bien que la vie commune ne fût pas absolument insupportable, et se pénétrer peu de la gravité de l'action qu'ils intentaient en demandant leur divorce. Mais la même préoccupation ne semble plus avoir animé la Commission, chargée actuellement d'étudier le rétablissement du divorce, la prohibition de réunion après le divorce168, édictée par le Code, lui a paru excessive et elle l'a supprimée.

Que devenaient les enfants dans la législation de 1804? En principe, ils étaient confiés au mari pendant les préliminaires du divorce. Après le divorce, ils étaient remis à l'époux demandeur, à moins que le tribunal, sur la demande de la famille ou du procureur impérial, n'ordonnât que tous ou quelques-uns d'entre eux fussent confiés aux soins, soit de l'autre époux, soit d'une tierce personne. D'ailleurs quelle que fût la personne à laquelle les enfants étaient confiés, les père et mère conservaient respectivement le droit de surveiller l'entretien et l'éducation de leurs enfants et étaient tenus d'y contribuer, à proportion de leurs facultés (302, 303)169.

 

Quant aux intérêts pécuniaires, l'article 299 décidait que, hors le cas de consentement mutuel, l'époux contre lequel le divorce était admis perdrait tous les avantages que l'autre époux lui avait faits, soit par contrat de mariage, soit depuis le mariage contracté; au contraire, l'époux qui avait obtenu le divorce, conservait tous les avantages à lui faits par l'autre époux, encore qu'ils eussent été stipulés réciproques et que la réciprocité n'eût pas eu lieu. Si les époux ne s'étaient fait aucun avantage, ou si les avantages stipulés ne paraissaient pas suffisants pour assurer la subsistance de l'époux demandeur, le tribunal pouvait lui accorder sur les biens de l'autre époux une pension alimentaire, qui ne pouvait excéder le tiers des revenus, et qui était révocable dès qu'elle cessait d'être nécessaire.

Telle fut la législation du Code civil en ce qui concerne la dissolution du mariage. On rétablissait bien la séparation de corps, mais l'influence de la loi de 1792 et les idées favorables au divorce prévalaient encore: on consacrait soixante-dix-huit articles au divorce, tandis que la séparation de corps n'en occupait que six, et se trouvait rejetée, comme appendice, à la fin du titre.

Il faut reconnaître que, depuis sa nouvelle organisation par le Code, le divorce n'avait donné lieu à aucun abus grave. Aussi dans tout le cours de la discussion qui précéda sa suppression, on ne vit pas, une seule fois, les adversaires les plus décidés formuler le reproche de scandales et d'excès.

On a prétendu que l'abolition du divorce était une vengeance de l'ancien régime, une loi de réaction religieuse170, il semble plus vrai de dire qu'elle était dans les vœux de la nation171.

Ce fut le 26 décembre 1815 que le vicomte de Bonald, député de l'Aveyron, qui avait déjà défendu, en 1803, l'indissolubilité du mariage, proposa l'abolition du divorce. Cette proposition fut prise en considération, et, le 19 février 1816, M. de Trinquelague présentait son rapport.

La grande préoccupation du législateur semble être de remettre le droit civil d'accord avec la loi religieuse, et d'établir la prééminence de celle-ci: de nombreux passages du rapport que nous ne pouvons reproduire ici portent la trace de cette préoccupation. Après le rapport de M. de Trinquelague, une adresse au roi fut votée «pour le supplier d'ordonner que les articles, relatifs à la dissolution du mariage fussent retranchés du Code civil.»

Le roi fit donc présenter le projet de loi qui devint la loi de 1816. A la Chambre des pairs la loi fut votée le 25 avril, après une courte discussion sur le rapport de M. Lamoignon. La Chambre des députés la vota, le 27 avril, sur un rapport de M. Blaire172. Comme on le voit, l'abolition du divorce fut adoptée, presque sans débat et avec une précipitation regrettable; aussi la loi de 1816 renfermait-elle de nombreuses lacunes. On ne laissait subsister que la séparation de corps, mais on ne songeait pas que les six articles du Code civil étaient insuffisants à la réglementer et qu'il était nécessaire d'en tracer la procédure, d'en approfondir les détails. Ni les orateurs de la Chambre des députés, MM. de Bonald, Cardonnel et Blondel d'Angers, ni ceux de la Chambre des pairs, les évêques de Langres et de Châlons, ne firent sentir le besoin de réviser les articles de la séparation. On se contenta de laisser subsister, dans le Code, le titre qui se rapportait au divorce, afin que les tribunaux y trouvassent les dispositions complémentaires de la séparation.

On fit une tentative pour donner un peu plus d'unité à l'institution, demeurée seule, de la séparation de corps. Le duc de Richelieu déposa, en décembre 1816, deux projets de loi sur le bureau de la Chambre des pairs, l'un sur les divorces accomplis, l'autre sur la séparation de corps. Ces projets furent transmis à la Chambre des députés, mais les lois exclusivement politiques absorbaient tous les soins de celle-ci. Différents orateurs, et notamment M. de Corbière, insistèrent vainement pour faire réviser la loi sur la séparation: «Mais il faut pour cela, disait-il, une maturité et une sage lenteur que ne comporte pas la fin prochaine, que vous avez le droit d'espérer, de votre session.» En effet la commission parlementaire à laquelle les projets avaient été renvoyés les fit bientôt oublier par ses lenteurs.

Il reste donc, après cette loi de 1816, la seule institution de la séparation de corps, laissant au juge et à la jurisprudence une latitude considérable, par conséquent donnant lieu à de nombreuses controverses que nous aurons à étudier plus loin. «Le divorce, dit Léon Renault173, est donc resté, dans le monument de nos lois, comme une statue momentanément, voilée, mais debout à la place où elle avait été originairement élevée et qu'il est toujours facile de découvrir et de remettre en lumière.»

Après la réaction politique et religieuse de 1816, il fallait s'attendre à voir les partis reprendre peu à peu leur consistance et recouvrer une part de l'influence qu'ils avaient précédemment exercée. Lorsqu'une nouvelle Révolution les eut rendus de nouveau tout-puissants, ils firent prévaloir, dans la Charte nouvelle, les principes de tolérance religieuse et de sécularisation des pouvoirs publics, qui avaient été abandonnés sous la Restauration. Désormais, la religion catholique ne fut plus appelée religion d'État, et la loi civile ne dut plus forcément se plier aux exigences de la loi religieuse. Il était donc naturel qu'on essayât de rétablir les conséquences que la Révolution avait tirées des principes, proclamés par elle, et qu'on songeât à restaurer le divorce dans nos lois. Aussi, dès le 11 août 1831, M. de Schonen présentait à la Chambre des députés une proposition tendant à l'abrogation de la loi du 8 mai 1816: «Ouvrez les greffes criminels, disait-il, parcourez les archives, depuis celles de la pénitencerie Romaine jusqu'aux arrêts de nos cours d'assises; lisez seulement la feuille quotidienne consacrée à nos tribunaux et vous aurez une idée de l'urgence et de la nécessité de la mesure que je propose.»

La proposition fut prise en considération, à une immense majorité. M. Peton seul s'éleva contre; Berryer et quelques autres députés s'abstinrent.

La commission chargée d'étudier le projet nomma M. Odilon Barrot rapporteur. Celui-ci, dans son rapport très lumineux et très net, fit d'abord justice de la loi de 1792 et des déplorables facilités qu'elle donnait à la rupture du mariage: «Ce ne serait plus, dit-il, qu'une union fortuite, qui n'aurait plus de garantie que dans la persistance de la volonté des époux et qui se confondrait bientôt avec le concubinage, dont il ne différerait que par de vaines formes.»

Le débat se restreignait donc entre le système du Code civil et la loi de 1816; M. Odilon Barrot expliquait ainsi les préférences de la Commission: «Le système du Code civil nous a paru préférable à la loi du 8 mai 1816, comme offrant une conciliation heureuse entre les imperfections de notre nature et la nécessité d'assurer au mariage, sinon l'indissolubilité absolue, au moins une intention de perpétuité.» Parlant de l'indissolubilité, il dit encore: «Cette loi est une loi violente, contre laquelle la nature protestera toujours. Dans certains cas, ce sera le crime qui sera l'instrument de cette révolte de la nature, nos annales criminelles en font foi; dans d'autres, et ce sont les plus nombreux, ce sera le vice et la corruption qui, se jouant des prescriptions légales, substitueront avec scandale, à l'union légitime l'union adultère. Ne vaut-il pas mieux mille fois, que la loi, plus rapprochée de notre imperfection humaine, abandonne quelque chose de ses rigueurs et qu'elle se départe d'un principe absolu qui enfante le crime et propage la corruption?»

La proposition fut adoptée à la Chambre des députés par cent quatre-vingt-treize voix contre soixante-dix. Mais à la Chambre des pairs elle rencontra une opposition qu'elle ne put vaincre; votée une seconde fois par la Chambre des députés, sur la demande de M. Bavoux, elle fut encore rejetée par la Chambre des pairs, le 23 mars 1832. M. Portalis avait fait un rapport contraire au rétablissement du divorce.

La proposition fut néanmoins reprise l'année suivante; M. Bavoux présenta le 30 décembre 1833 une nouvelle proposition en faveur du divorce. Le 24 février 1834, malgré les efforts de M. Merlin et de M. Voysin de Gartempe, la Chambre vota le rétablissement du divorce par cent quatre-vingt-onze voix contre cent. Mais la Chambre des pairs s'opposa encore énergiquement à l'abrogation de la loi de 1816; aussi lorsqu'une troisième fois la même proposition fut reproduite devant la Chambre des députés, celle-ci crut devoir la repousser elle-même, n'espérant pas que ce nouveau projet pût avoir un meilleur sort.

En 1848, d'autres tentatives furent encore faites. Le 26 mai, M. Crémieux, ministre de la justice, présenta un projet de loi concluant au rétablissement du divorce. Mais ce projet rencontra dans l'Assemblée constituante et dans l'opinion publique une défaveur si marquée, que le gouvernement dut le retirer.

Depuis lors il ne s'était produit aucune proposition législative tendant à modifier la législation en vigueur sur la séparation de corps et à rétablir le divorce. En 1876, M. Naquet présenta une première proposition174, qu'il modifia lui-même un peu plus tard, et qui devint un projet de retour pur et simple au titre VI du Code civil175. La commission chargée d'examiner le projet a nommé rapporteur M. Léon Renault, et c'est à la séance du 15 janvier 1880 que le rapport a été déposé. Les débats ne se sont déjà ouverts sur cette grave question; elle n'a pas jusqu'ici plus préoccupé l'opinion publique que la démonstration navale devant Dulcigno. Quelle en sera la solution? On ne peut le prévoir encore.

161Séance du 2 thermidor an III.
162Le mariage civil et le divorce, 1879, p. 51.
163Séance du 2 thermidor an III.
16430 ventôse an XI.
165Le projet de loi relatif au divorce avait été présenté au conseil d'État par M. Portalis, le 14 vendémiaire an X (4 octobre 1801). Il fut ensuite communiqué officieusement au Tribunat le 26 fructidor de la même année (13 sept. 1802). Le Tribunat, demanda quelques modifications, entre autres, la suppression d'une des causes de divorce proposées, l'attentat d'un conjoint envers l'autre. Il voulait aussi que le divorce ne fût permis qu'aux époux sans enfants. Le projet du Tribunat revint au Conseil présenté par M. Emmery le 20 brumaire an XI (11 nov. 1802). M. Treilhard fit le 18 ventôse an XI son Exposé des motifs au Corps législatif qui fit faire la communication officielle au Tribunat. Sur un rapport de M. Savoye-Rollin le projet fut adopté au Tribunat par 46 voix contre 19. Enfin le 30 ventôse an XI, M. Treilhard et M. Gillet défendirent la loi devant le Corps législatif qui l'adopta par 188 voix contre 31. La promulgation eut lieu le 10 germinal an XI (31 mars 1803).
166V. Rapport de M. Léon Renault, p. 8.
167Esprit des lois, liv. XXIII, ch. XXI.
168Rapport de M. Léon Renault, p. 14 et 57.
169D'Haussonville, L'enfance à Paris et les établissements pénitentiaires en France. (C. Lévy, éditeur). – Comte de Paris, De la situation des ouvriers en Angleterre. – De Rainneville, La femme dans l'antiquité. – Feydeau, Du luxe, des femmes, des mœurs. – Mario Proth, Les vagabonds. – Rauland, Le livre des époux.
170Rapport de M. Léon Renault, p. 20.
171M. Glasson, op. cit., p. 53.
172V. Locré, tome V, p. 420 et s.
173Rapport, p. 20.
174V. Journal Officiel des 23, 24, 25 et 26 juin 1876.
175Séance du 20 mai 1878.