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Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I

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§ X.
Examen de la liste assyrienne de Ktésias

D'après tout ce que nous venons de voir, la liste mède de cet écrivain étant démontrée fausse, sa chronologie antérieure se trouve frappée de nullité; mais afin de ne pas le juger sans l'entendre, jetons un coup d'œil sur sa liste assyrienne, et voyons si elle ne nous fournirait pas aussi quelques preuves de falsification. Pour en raisonner avec équité, il faut d'abord s'assurer de son véritable état; et c'est une première difficulté à vaincre; car les écrivains qui prétendent copier cette liste, diffèrent sur les noms des rois et sur la durée de leurs règnes; et néanmoins le manuscrit de Ktésias a dû être univoque: selon Diodore, le nombre des rois de père en fils, fut de 3; selon Velleïus-Paterculus298, le dernier roi, Sardanapale, aurait été le 33e depuis Ninus et Sémiramis. Mais Velleïus, écrivain postérieur, qui ne cite ce trait qu'en passant, paraît avoir été induit ici en erreur par une phrase équivoque de Diodore, qui porte:

«Ainsi régna Ninyas, fils de Ninus; et la plupart des autres rois qui se succédèrent de père en fils, pendant 30 générations, jusqu'à Sardanapale, imitèrent ses mœurs.»

299


Velleïus semble s'être dit:

«S'il y eut 30 rois qui se succédèrent depuis Ninyas, Ninyas ne doit point se compter… Il est excepté par le mot autre, et parce que ses mœurs furent imitées… Donc avec Ninus et Sémiramis il y eut 33 rois.»

Mais cette première phrase de Diodore, réellement incorrecte, est redressée par son résumé qui porte ces mots:

«A l'égard de Sardanapale, trentième et dernier roi depuis Ninus.»

Ceci est clair, positif, et ne permet pas d'admettre l'interprétation antérieure. De plus, l'Arménien Mosès (de Chorène), qui cite300 Diodore comme une de ses autorités, ne compte que 30 rois dans la liste qu'il nous fournit301, encore qu'il eût sous les yeux celle d'Eusèbe, qui en compte 36… Cette liste de Mosès semble d'autant plus exacte, que ces cinq derniers princes correspondent parfaitement, comme nous l'avons dit pag. 441, à ceux cités par les Hébreux; d'où l'on a tout lieu de conclure qu'Eusèbe et le Syncelle ont, selon leur usage, ajouté de leur chef, Epecherès, Laosthènes, et Ophrathènes. (Voyez les listes au commencement de ce §.) Epecherès doit être le même qu'Ana-Bacherès, nom de Sennacherib, dans l'épitaphe de Sardanapale à Anchialé. Ce même prince s'appelle encore Acrazanes et Akraganes: le nom de Laosthènes est purement grec, et ne peut être que la traduction d'un nom assyrien, signifiant force et puissance du peuple (probablement Euphal-es, Phal). Enfin Ophrathènes ne doit être qu'un synonyme de Ophrateus, écrit plus asiatiquement Pharates, par Mosès de Chorène.

Relativement à la durée totale, nous avons vu qu'il faut lire 1306 ans dans le vrai texte de Diodore, et non 1360. Velleïus, qui n'a porté cette durée qu'à 1070 ans, a dû tirer ce calcul de quelque autre chronologiste que de Ktésias. Quant aux 1995 ans qu'Æmilius-Sura comptait depuis Ninus302 jusqu'à l'an 63, ou plutôt 65 ans avant notre ère, l'on n'en peut rien faire, parce que l'on ignore si ce Romain a évalué les Mèdes selon Hérodote, ou selon Ktésias.—A partir de Kyrus, l'an 560, son calcul donne pour les deux empires, assyrien et mède, 1500 ans. S'il suit Hérodote, il donne 1344 pour les Assyriens; s'il suit Ktésias, il ne leur donne que 1183303. L'on voit que Sura ou Velleïus ont fait, ou plutôt ont suivi de confiance, les tablettes chronologiques de quelque Lenglet de leur temps, sans traiter par eux-mêmes la question.

Il paraît n'en avoir pas été ainsi du chronologiste Castor, qui avait compulsé les archives de plusieurs pays pour en former ses tableaux parallèles des rois d'Argos, de Sicyone, d'Assyrie, etc. Selon Eusèbe304, Castor ne comptait, pour les Assyriens, que 1280 ans, ce qui produit une différence de 26 ans avec Ktésias.

Un troisième auteur, qui s'était aussi spécialement occupé des Assyriens, Képhalion, semble avoir eu encore quelque différence avec le résumé de Castor. Mais son fragment, cité par le Syncelle, est tellement mutilé, que l'on n'en peut rien faire, pris isolément.

Pour revenir à Ktésias, dont l'opinion et le livre paraissent avoir guidé la majeure partie de ses successeurs, il paraît que nous devons considérer comme son vrai texte, le nombre de 30 générations, et la durée de 1306 ans. Cela étant posé, nous avons un moyen certain d'arguer de faux sa liste assyrienne, comme sa liste mède; car le terme moyen de 43 ans et demi par génération, résultant de ces deux données, est moralement et presque physiquement impossible; et il est d'autant moins admissible, que nous avons contre lui trois témoignages positifs.

1° Le témoignage des livres hébreux qui, de Phal à Sardanapale, comptent cinq rois dans un espace de moins de 70 ans; de manière que Sennachérib, entr'autres, ne peut avoir régné plus de cinq ans, et qu'il faut nécessairement qu'il ait été frère de Salmanasar, ou Salman-asar, frère de Teglat.

 

2° Le témoignage de Képhalion, dont le Syncelle nous a conservé un passage précieux quoique mutilé.

«Laissons305, nous dit ce compilateur, laissons un autre écrivain illustre nous montrer combien ont été absurdes les historiens grecs à l'égard de ces rois d'Assyrie… J'entreprends, a dit Képhalion, d'écrire les faits dont Hellanicus de Lesbos, Ktésias de Cnide et Hérodote ont traité (avant moi). Jadis régnèrent en Asie les Assyriens, à qui commanda Ninus, fils de Bélus… Puis Képhalion joint la naissance de Sémiramis et du mage Zoroastre; il parcourt les 52 ans du règne de Ninus… Il décrit la fondation de Babylone par Sémiramis, et son expédition aux Indes… Or, ajoute-t-il, tous les autres rois (après elle) régnèrent pendant mille ans, les fils occupant le trône de leurs pères par droit d'héritage; mais ils dégénérèrent successivement des vertus de leurs ancêtres, en sorte que pas un d'eux ne passa vingt ans306.

Cette dernière phrase s'accorde, comme l'on voit, parfaitement avec les livres hébreux, dont les dates en effet ne permettent de donner vingt ans à aucun des quatre successeurs de Phul.

3º Enfin, puisqu'il est constaté par les divers historiens, que les princes de Ninive, livrés à toutes les voluptés des sens, vivaient de très-bonne heure avec des femmes, il est impossible d'admettre qu'ils n'aient engendré leurs héritiers qu'au terme moyen de 43 ans; ils ont dû, au contraire, avoir des enfans dès l'âge de 19 à 20 ans, quelquefois même de 16, comme l'on en a trois exemples chez les rois hébreux. Notre conjecture ci-dessus, que quelques rois de Ninive se succédèrent à titre de frères, a le double avantage de rendre possible le nombre de 30 rois en 520 ans, et de ne pas heurter l'assertion qu'ils occupèrent le trône paternel par droit d'héritage. Au reste, en rejetant le nombre de 30 générations comme absurde, en 1306 ans, il nous reste sur ce nombre même un soupçon, suscité par une phrase de Képhalion, et par un passage d'Hellanicus et de Dicæarque, que nous a conservé Étienne de Byzance307.

«Les Chaldéens furent d'abord appelés Képhènes, de Képhée, père d'Andromède. Leur nom de Chaldéens leur vint, selon Dicæarque, d'un certain Chaldæus, qui engendra l'habile et puissant Ninus, fondateur de Ninive: or le quatorzième après celui-ci, se nomma aussi Chaldæus, et fonda, dit-on, Babylone, ville très-célèbre, dans laquelle il réunit tous ceux que l'on appelle Chaldéens, et le pays se nomma Chaldée

Aucune liste assyrienne ne présente de roi Chaldæus, à la 14e génération, ni à aucun autre degré; et cependant Hellanicus, contemporain d'Hérodote, est une autorité respectable, ainsi que Dicæarque. Le nombre 14 ne serait-il pas ici une faute de copiste et une altération du nombre 24? Alors Hellanicus et Dicæarque seraient d'accord avec Képhalion, qui prétendait ne trouver que 23 noms308: Chaldaeus serait le 24e; et parce que ce mot qui signifie devin, est le synonyme de Nabou, que portèrent tous les rois de Babylone, ce Chaldæus serait Bélésys, le même que Bélimus, qui, selon Képhalion, s'empara de l'empire des Assyriens, long-temps après Ninus. Et en effet, pourquoi cette remarque, qu'il s'empara de l'empire des Assyriens? Il ne succéda donc point par droit d'héritage; il ne fut donc point de la famille de Ninus? Enfin, puisqu'en réunissant toute la caste des Chaldéens dans Babylone, il fonda un nouvel empire, il fut donc réellement Bélésys, à qui seul conviennent tous ces traits. Ajoutez que le nombre de 23 rois, ou générations ninivites, s'accorde singulièrement bien avec les 22 générations des rois lydiens, qui furent exactement parallèles pour le temps. Sans doute chacune de nos preuves n'est pas décisive; mais leur réunion forme un grand poids, surtout si l'on considère que nous n'avons que des fragmens mutilés pour base de la plupart de nos opérations: semblables en cela à l'architecte qui, pour retrouver les dimensions d'un ancien palais ou temple, n'a que quelques restes de piédestaux, de pierres angulaires et de fondations, dont l'accord néanmoins devient une démonstration dans les règles de l'art.

Ici se présentent plusieurs questions à faire à tous les écrivains qui nous parlent de l'empire de Ninive et de sa durée.

1° Ont-ils bien distingué les deux prises et destructions différentes de cette capitale par les Mèdes, l'une sous Arbâk, l'autre sous Kyaxarès? n'en ont-ils pas fait une confusion que la ressemblance des faits rendait facile?

2° Ont-ils tenu compte de cet état secondaire, ou royaume posthume, qui se composa après la mort de Sardanapale, et qui dura 120 à 121 ans, depuis 717 jusqu'en 597?

3° Ktésias et ses copistes, après avoir doublé la liste des Mèdes pour le nombre des rois et pour la durée, n'auraient-ils pas fait quelque chose de semblable relativement aux Assyriens?

Si nous avions les livres mêmes de ces écrivains, la démonstration pour ou contre deviendrait facile, mais en leur absence, les moindres indices deviennent pour nous de fortes présomptions après le premier exemple. Commençons par la première de nos questions.

Ninive ayant été prise deux fois par les Mèdes, d'abord en 717, sous Arbâk, puis en 597, sous Kyaxarès, nous disons que la ressemblance de ces deux faits a été insidieuse, et a pu causer la confusion de leurs dates. Un passage d'Alexandre Polyhistor, cité par le Syncelle (p. 210), s'explique très-bien par cette hypothèse, et reste entièrement absurde, si on le prend à la lettre.

«Nabo-pol-asar, père de Nabukodonosor, est appelé Sardanapale par Polyhistor, qui dit qu'il envoya vers Astyag, satrape de Médie, demander sa fille Aroïte en mariage pour son fils Nabukodonosor… Le roi des Chaldéens, Sarak, lui ayant confié ses troupes, il (Nabo-pol-asar) tourna ses armes contre Sarak lui-même, et contre la ville de Ninive. Sarak, éprouvanté de cette attaque, mit le feu à son palais, et se brûla lui-même, et l'empire des Chaldéens et de Babylone passa aux mains de Nabo-pol-asar, père de Nabukodonosor.»309

Dans ce récit, le roi des Chaldéens, qui se brûle dans son palais de Ninive, attaqué par l'un de ses généraux rebelle, est évidemment Sardanapale. Sarak est un mot chaldéen qui signifie prince, commandant, et qui paraît avoir été commun à tous, ou du moins à plusieurs rois assyriens; et cela prouve que Polyhistor, ou son auteur Eupolème, puisa aux sources. Si à ce mot on ajoute la désinence emphatique oun, l'on a Sarakoun, ou plutôt Sarkoun, très-analogue au Sargoûn dont parle Isaïe, chap. XX, lorsqu'il dit: L'année que Tartan, envoyé par Sargoûn, roi d'Assyrie, vint assiéger Azot et la prit. Ce Tartan est bien connu pour l'un des généraux de Sennacherib, cité dans le livre des Rois comme assiégeant Azot; et Sennacherib n'est certainement point le Sarak310 qui se brûla. Lors même que Tartan eût pris Azot, sous Sardanapale (ce qui est invraisemblable), Sardanapale reste toujours le Sarak de Polyhistor. Dire qu'il soit Nabopolasar, est une grossière méprise, qui semble appartenir au Syncelle. Nabopolasar régna depuis 625 jusqu'en 605, parallèlement à Kyaxar, dont effectivement il avait obtenu la fille pour épouse de Nabukodonosor, vers l'an 607. Ainsi Aroïte ne fut point fille, mais sœur d'Astyag, roi en 594. Nabukodonosor seconda Kyaxar, dit Astibar, au siège de Ninive, en 597. Pourquoi Nabukodonosor et son père se trouvent-ils mêlés avec Sardanapale, mort 120 ans auparavant, l'an 717? Parce que l'historien a confondu la première prise de Ninive avec la seconde, et qu'il a pris Nabopolasar pour Mardokempad-Bélèsys, son antécesseur. Mais s'il a confondu ces deux événemens et leurs dates, qu'a-t-il fait du temps que dura cet état secondaire de Ninive, qui eut lieu de 717 à 597? Pourquoi ni Ktésias, ni Képhalion, ni Castor, ni leurs copistes, ne disent-ils pas un seul mot de cet état? Hérodote est le seul qui nous l'ait fait connaître; encore ne dit-il pas quel fut son régime, soit monarchique, soit aristocratique ou républicain. Écoutons-le:

 

§ CII. «Or, Deïokès ne régna que sur les Mèdes. Son fils Phraortes (lui ayant succédé), le royaume des Mèdes ne suffit point à son ambition: il attaqua d'abord les Perses, et il les subjugua. Avec ces deux nations, l'une et l'autre puissantes… il marcha de conquêtes en conquêtes, jusqu'à son expédition contre ceux des Assyriens qui habitaient (le pays) de Ninive, ci-devant maîtres de tous les autres, mais affaiblis par la défection de leurs alliés; du reste encore assez forts. Il périt dans cette expédition (en 635).»

Mais pourquoi ces Assyriens de Ninive, ci-devant maîtres de tous les autres, formaient-ils, un état particulier encore assez fort?. «Parce qu'après le renversement de leur empire par Arbâk (en 717), les Mèdes s'étant rendus indépendans (§XCVI), les autres nations les imitèrent, et tous les peuples de ce continent se gouvernèrent par leurs propres lois…» Les Assyriens de Ninive formèrent donc aussi un état indépendant et libre.

«Kyaxarès ayant succédé à son père Phraortes, fit d'abord la guerre aux Lydiens,… puis il revint contre les Assyriens de Ninive, pour venger la mort de son père… Déjà il les avait vaincus, et il assiégeait leur ville, lorsque l'irruption des Scythes (en 625) le força de se retirer (en Médie). Ayant chassé les Scythes 28 ans après, il revint, contre Ninive, la prit, et s'assujettit tous les (peuples) Assyriens, excepté ceux de la Babylonie.»

Ainsi il est évident qu'après le grand empire de Ninive, un second état se recomposa et subsista un peu moins de 120 ans, puisqu'il lui fallut quelque temps pour se recomposer. Or, si l'on ajoute aux 520 ans du premier empire les 120 ans du second état, l'on a une somme totale de 640 ans, depuis l'an premier de Ninus en 1237 jusqu'à la ruine de Ninive en 597; et si les historiens n'ont pas distingué les deux prises de cette ville, l'une en 717, l'autre en 597; si Ktésias en particulier a doublé les Assyriens comme les Mèdes, nous devons, dans les nombres qui nous sont présentés, tant par lui que par les autres, voir paraître le double de nos nombres; savoir, tantôt le double de 520 égal à 1040; tantôt le double de 640 égal à 1280, et peut-être même le simple nombre de 120 ajouté à 1040, égal à 1160, etc… Voyons s'il se présentera quelque chose de semblable.

D'abord nous avons cette phrase remarquable de Képhalion, citée par le Syncelle (ci-devant, page 477)..... Or, environ 640 ans après Ninus, Bélimus s'empara de l'empire des Assyriens..... Voilà juste la seconde prise de Ninive; 520 et 120 font 640: plus 597, total, 1237: ici Bélimus-Bélésys est pris pour Kyaxar. Képhalion à donc confondu la seconde prise avec la première, comme l'a fait Polyhistor311.

2° Nous avons le résume de Castor, qui, selon Eusèbe et le Syncelle, comptait 1280 ans pour durée de l'empire de Ninive..... Or, 1280 est si exactement le double de 640, qu'il est presque impossible qu'il ait eu une autre source. Mais ce qui convertira notre conjecture en fait, est un autre passage de Castor, cité par le Syncelle312:

«Il y a des auteurs qui assurent qu'après Sardanapale, l'empire des Assyriens passa à Ninus: c'est l'opinion de Castor, qui dit: J'ai placé en première ligne les rois assyriens du sang et de la dynastie de Bélus. Quoiqu'il n'y ait rien de certain sur le temps du règne de ce prince, j'ai dû tenir compte de son nom. J'ai posé Ninus en tête de mon tableau chronographique, et je me trouve finir à Ninus, successeur de Sardanapale.»

Quelques modernes, et entre autres le traducteur d'Hérodote, ont supposé, d'après ce passage, que les Ninivites, devenus libres, rappelèrent les enfans de Sardanapale, confiés au fidèle Cotta, gouverneur de Paphlagonie, et que le nouveau roi prit le nom de Ninus. Mais le récit de Ktésias en Diodore, et celui d'Hérodote, n'accordent pas le plus léger appui à cette hypothèse. Au contraire, notre analyse dévoile et rend saillante la méprise de Castor, qui, en doublant la durée de Ninive, a doublé la dynastie de Ninus; et notre explication trouve encore un autre appui dans le récit suivant d'Agathias313.

«Ninus paraît avoir le premier établi cet empire: après lui régna Sémiramis, puis la postérité (de ces deux fondateurs) jusqu'à Bélus Derkétade (c'est-à-dire descendant de Derkéto, qui est Sémiramis).... Alors la lignée de Sémiramis se trouvant finir à ce Bélus, un certain Bélitaras, intendant des jardins du palais (bostangi-bachi), s'empara du sceptre par des moyens qui tenaient du prodige, et il le transmit à sa race (ou caste), selon le récit de Bion et de Polyhistor, jusqu'à ce que l'autorité avilie sous Sardanapale, fut arrachée aux Assyriens par le Mède Arbâk et le Babylonien Bélésys. Sardanapale ayant été tué, l'empire passa aux Mèdes, un peu plus de 1306 ans depuis l'élévation de Ninus, comme le dit Diodore d'après Ktésias. Les Mèdes se trouvèrent donc derechef en possession de la suprématie (ou de l'empire).»

Que le lecteur pèse bien ces phrases: La famille de Sémiramis et de Ninus régna jusqu'à Bélus DerkétadeAlors un étranger, grand officier du palais, s'empara du sceptre par des moyens qui tenaient du prodige, et cet étranger se nomme Bélitaras. N'est-ce pas là clairement Bélésys avec ses prédictions astrologiques? Ktésias, dans Diodore, assure que Sardanapale, 30e roi, descendait directement, de père en fils, de Ninus. Donc il est le même que Bélus Derkétade, dernier rejeton de Ninus et de Sémiramis. Après Bélitaras revient une seconde lignée, dont le dernier est Sardanapale;… donc cette lignée est une répétition de la première, puisque ce prince descendit de Ninus; et remarquez ce mot: les Mèdes se trouvèrent derechef en possession de l'empire. Le doublement n'est-il pas évident? Le nombre 1306 contient deux fois 640, plus 26 ans. Nous n'apercevons pas d'où ces 26 ans proviennent, mais il suffit d'être assuré de l'opération principale; les accessoires ont pu dépendre de quelques accidens de calcul ou d'interpolation de règne, qui sont sans conséquence.

De tout ce que nous avons dit dans les articles précédents, il résulte:

1° Que Ktésias a sciemment et systématiquement doublé la liste des rois mèdes, afin de faire coïncider les calculs assyriens avec les calculs grecs sur la prise de Troie;

2° Que, par une suite du même système, il paraît qu'un doublement semblable a eu lieu pour les temps assyriens, sans que la démonstration puisse en être faite aussi rigoureusement, parce que nous n'avons ni la liste d'Hérodote ni les livres de Ktésias et autres autographes, et que l'on ne peut accorder aucune confiance à leurs copistes, Eusèbe, le Syncelle, etc.314;

3° Que la fausseté du système chronologique de Ktésias n'entraîne pas néanmoins la nullité de tous ses récits historiques, puisque la plupart des faits que nous avons eu occasion d'en tirer, s'amalgament très-bien avec la chronologie d'Hérodote. Nos recherches à cet égard nous ont fait découvrir un exemple curieux et instructif, dans la personne de cet Araïos, roi des Arabes, que Ktésias dit avoir été l'allié de Ninus et le coopérateur de ses conquêtes. En feuilletant les chroniques des Arabes, modernes, nous avons été surpris d'y trouver un roi homérite de l'Iémen, réunissant le nom et les qualités décrites, avec cette circonstance particulière, que l'époque à laquelle appartient ce roi, coïncide avec celle de Ninus dans le système d'Hérodote, c'est-à-dire qu'elle tombe à la jonction des 12e et 13e siècles avant notre ère (entre 1190 et 1230). Nous pensons que cette anecdote sera d'autant plus agréable au lecteur, que la branche d'histoire dont nous la tirons est presque entièrement inconnue à nos compilateurs modernes.

298Lib. I, cap. 6.
299La liste de Mosès de Chorène ne porte pas de nombres; mais nous lui transportons ceux de l'Eusèbe vulgaire.
300Moses Chor., pag. 231.
301Idem, pag. 51.
302Voyez Velleïus, liv. I, chap. VI.
303Larcher, Chronologie, page 144, assure que Diodore et Sura comptent 1310 ans, et l'on voit que cela n'est vrai ni pour l'un ni pour l'autre.
304Voyez le Syncelle, page 167. A cette occasion, le Syncelle fait une remarque importante sur la manière dont Eusèbe a dressé ses tableaux comparatifs: «Eusèbe, dit-il, en approuvant l'opinion de Castor, qui renferme l'empire assyrien dans une durée de 1280 ans, ne lui en donne pas moins celle de 1300, avec le nombre de 36 rois. Son motif a été de couvrir l'erreur où il s'est laissé induire sur le temps écoulé entre le déluge et Abraham, par divers faux raisonnements, entre autres par l'omission qu'il fait du nom et des années du Caïnan, 13e depuis Adam, selon Luc (st.), etc.» Ici le Syncelle nous révèle son propre secret et celui de tous les anciens auteurs dits ecclésiastiques, qui, à l'exemple du prêtre Africanus, leur modèle, ont pris pour base de tous leurs calculs la création du monde selon les Juifs, et ont commis la faute ridicule de partir d'un point aérien par lui-même et non fixé dans leur propre système (puisque les textes grec et hébreu diffèrent de plus de 1500 ans), pour descendre, comme en ballon, d'un temps inconnu au connu, quand le plus simple bon sens prescrivait de partir des temps connus et certains, pour remonter, d'échelon en échelon, à ceux qui le sont le moins: dans le cas présent, ayant d'abord adopté sans examen le système de Ktésias, et trouvant que tel nombre d'années plaçait Ninus vers le temps d'Abraham, ces calculateurs mécaniques descendent tête baissée à travers toutes les difficultés, même celles de la période des juges, pour aboutir, sans savoir comment, aux rois de Ninive et de Babylone, cités par les Hébreux. Le Syncelle reproche à Eusèbe d'avoir substitué le nombre 1300 (et cependant notre liste d'Eusèbe porte 1239) aux 1280 de Castor, et lui-même, suivant la trace d'Africanus, a porté à 1460 ans la durée de l'empire assyrien, par l'introduction arbitraire de quatre rois inconnus de tous les anciens. Avec ces inexactitudes et ces infidélités renouvelées à chaque instant, et communes à tous les anciens auteurs ecclésiastiques, l'on ne peut avoir aucune confiance en leurs assertions, et l'on ne doit en avoir qu'une très-circonspecte dans les citations qu'ils nous donnent.
305Sync., page 167.
306Ita ut vicennalis obiret nullus. Si l'on disait que pas un ne vécut 20 ans, le sens serait absurde, et la succession impossible… Képhalion continue: Que si l'on veut savoir le nombre de ces rois, Ktésias en citera, je crois, 23 noms. (Mais Diodore et Mosès en attestent 30)… Or, environ 640 ans après Ninus, Bélimus s'empara de l'empire des Assyriens… Que si vous comptez 1000 ans depuis Sémiramis jusqu'à Methræus… (Il y a ici une lacune). A Methræus succéda Tautanès, vingt-deuxième roi. (Mais si Ktésias n'a compté que 23 noms, Sardanapale ne saurait suivre Tautanès. Il y a évidemment ici mutilation du texte de la part du Syncelle). Voyez page 167 de sa Chronographie.
307Stephanus, de Urbibus, au mot Chaldæi.
308Voyez la note ci-devant, page 462 [%%N° page].
309Nabopolassarus, pater Nabuchodonosori… Hunc Sardanapalum vocat Polyhistor Alexander, qui ad Astyagem Mediæ satrapam misent et filiam ejus Aroïtem uxorem filio suo Nabuchodonosoro sumpserit. Hic traditis sibi copiis a Sarako Chaldæorum rege præpositus, in Sarakum ipsum, et Ninivem civitatem arma vertit; cujus impetum et adventum veritus Sarakus, incensa regia igne se absumpsit. Imperium vero Chaldæorum et Babylonis collegit Nabopolassarus, pater Nabuchodonosori.
310Dans son commentaire sur le chap. 20 d'Isaïe, saint Jérôme remarque que Sargoûn eut sept noms différents, et nous en trouvons sept à Sennacherib; savoir, Anakindarax, Anabachères, Acrazanes ou Acraganes, Épecherès, Ocrapazes et Sargoûn. Cet interprète doit avoir emprunté cette opinion des rabbins, ses maîtres; et il semble les désigner, lorsqu'il ajoute, chap. 36 du même Isaïe: d'autres pensent qu'un seul et même roi d'Assyrie est appelé de plusieurs noms… Ces autres-là avaient raison contre lui dans le passage suivant: «J'ai lu quelque part, dit-il, que Sennacherib fut le même roi qui prit Samarie: mais cela est faux; car l'Histoire sacrée nous dit qu'un premier roi, Phul, sous Manahem, dévasta les 10 tribus; qu'un second roi, Teglat-phal-asar, sous Phakée, vint à Samarie; qu'un troisième Salmanasar, sous Osée, prit cette ville; qu'un quatrième, Sargon, prit Azot; qu'un cinquième, Asaradon, après avoir déporté Israël, établit des Samaritains pour gardiens de la Judée; et qu'un sixième, Sennacherib, sous Ézéchias, après avoir pris Lachis et toutes les autres villes, assiégea Jérusalem… D'autres pensent qu'un seul et même prince est appelé de plusieurs noms.» Comment, sur Isaïe, chap. 36, tome III, page 286. Il y a plusieurs fautes dans ce passage. Sargon n'est point nommé dans les Chroniques, mais dans Isaïe, qui écrivit plus de 200 ans avant leur rédaction, et qui, de son côté, ne nomme point Sennacherib. Avant d'en faire deux rois, il eut fallu les discuter. 2° Esdras ou son rédacteur, dit, lib. I, cap. 4, v. 2, qu'Asar-Hadon déporta les tribus; mais la lettre originale des Samaritains, v. 10, dit que ce fut Asnafar; et d'après le témoignage exprès des Chroniques, cet Asnafar fut Salmanasar. Asar-Hadon doit être une interprétation du rédacteur. 3° Sennacherib ne fut pas roi sixième, postérieur à Asaradon; car l'Histoire sacrée dit positivement qu'Asaradon fut son fils le plus jeune. Il y a ici plus que négligence, il y a défaut de jugement et de critique; et tel a été le caractère de tous les écrivains ecclésiastiques: occupés uniquement d'objets qui n'exigeaient que la foi implicite, ils ont ignoré ou rejeté l'art de la discussion et de la critique.
311Dans la liste d'Eusèbe, nous avons un Balétorès à l'an 659; ce qui ne diffère pas matériellement: et ce nom babylonien, Bal-atsar, va reparaître dans le Bélitaras d'Agathias, bien clairement Bélésys.
312Post Sardanapalum Assyriorum imperium Ninum obtinuisse alii asserunt, e quorum numero prodit Castor, qui hæc verba scribit: Primo quidem ordine reges Assyriorum generis et imperii seriem a Belo ducentes locavimus; quanquam de ejus imperii tempore certa et aperta notitia non constet, nominis equidem agimus memoriam. A Nino quoque Chronographiæ principium duximus, et in Ninum Sardanapali successorem desinimus. Syncelle, page 206.
313Ninus primo videtur imperium stabilisse, et post eum Semiramis, ac deinceps omnes horum posteri ad Belum Derketadæ filium. Cumque in hoc Belo Semiramicæ stirpis successio desineret, Belitaras quidam vir insitor et hortorum qui in regia erant curator et magister, imperium sibi mira ratione vindicavit, suoque generi inserit, prout Bion et Alexander Polyhistor memoriæ prodiderunt, donec, Sardanapalo regnante, ut illi scribunt, quum emarcuisset imperium, Arbakes Medus et Belesys Babylonius illud Assyriis eripuerunt interfecto rege, et ad Medos transtulerunt, sex et trecentis jam supra mille et paulo amplius annis elapsis ex quo Ninus primum summam rerum obtinuerat. Ita enim Ktesia Cnidio tempora describenti, Diodorus assentitur. Medi itaque rursum imperium sunt adepti: Agathias, lib. II, page 63.
314Quant au motif de cette faute, nous n'en apercevons qu'un seul qui nous semble plausible. Le médecin grec Ktésias, devenu prisonnier des Perses à la bataille de Kounaxa, l'an 401 avant Jésus-Christ, arriva à la cour d'Artaxerces, environ 13 ans après que les Égyptiens se furent révoltés, c'est-à-dire eurent recouvré leur indépendance nationale, ravie 112 ans auparavant, par Cambyse, fils de Kyrus. Le Grand-Roi irrité leur faisait la guerre, mais avec peu de succès. Ses diplomates durent, selon l'usage, donner à cette guerre les motifs les plus légitimes, ou les plus adaptés à l'esprit des peuples. Dans tous les pays, l'antériorité de possession a toujours été considérée comme l'un des droits établissant la propriété. Selon les Égyptiens, leur roi Sésostris avait subjugué la Perse vers l'an 1354 avant notre ère; et quoiqu'il ne l'eût soumise qu'en passant, les Égyptiens pouvaient s'en prévaloir, pour dire que ce n'était pas eux, mais les Perses qui étaient des rebelles. Ce dut donc être une étude, un besoin de la part de ceux-ci, de prouver ou de rendre plausible, que les Assyriens, dont ils se prétendaient les héritiers et les représentants, avaient possédé l'Égypte long-temps avant cette époque; il devenait d'autant moins aisé de les refuter, que cette possession était plus antique. De là le système de falsification qui plaça Ninus à plus de 2000 ans avant notre ère, et qui lui attribua, ainsi qu'à Sémiramis, une étendue de conquêtes qui n'avait pas eu lieu. En attribuant à Ktésias le doublement des Mèdes, nous ne voudrions pas garantir qu'il ne fût l'ouvrage des savants, de la cour d'Artaxerces; mais nous croyons que celui des Assyriens leur appartient exclusivement, et que Ktésias lui-même a été induit en erreur: ce qui rendra croyable et même vraisemblable cette imposture historique de la part des Perses anciens, c'est que dans notre chapitre de Zoroastre, l'on verra l'exemple avoué d'une autre imposture semblable, commise par un roi de Perse, Sasanide, d'accord avec son clergé, relativement à la dynastie des Parthes.