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Robinson Crusoe. II

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DÉFENSE DES DEUX ANGLAIS

Toutefois ils lui signifièrent de s'asseoir près de là au pied d'un arbre, et un des Anglais, avec une corde qu'il avait dans sa poche par le plus grand hasard, l'attacha fortement, et lui lia les mains par-derrière; puis on l'abandonna. Ils se mirent alors en toute hâte à la poursuite des deux autres qui étaient allés en avant, craignant que ceux-ci ou un plus grand nombre ne vînt à découvrir le chemin de leur retraite dans le bois, où étaient leurs femmes et le peu d'objets qu'ils y avaient déposés. Ils apperçurent enfin les deux Indiens, mais ils étaient fort éloignés; néanmoins ils les virent, à leur grande satisfaction, traverser une vallée proche de la mer, chemin directement opposé à celui qui conduisait à leur retraite pour laquelle ils étaient en de si vives craintes. Tranquillisés sur ce point, ils retournèrent à l'arbre où ils avaient laissé leur prisonnier, qui, à ce qu'ils supposèrent, avait été délivré par ses camarades, car les deux bouts de corde qui avaient servi à l'attacher étaient encore au pied de l'arbre.

Se trouvant alors dans un aussi grand embarras que précédemment; ne sachant de quel côté se diriger, ni à quelle distance était l'ennemi, ni quelles étaient ses forces, ils prirent la résolution d'aller à la grotte où leurs femmes avaient été conduites, afin de voir si tout s'y passait bien, et pour les délivrer de l'effroi où sûrement elles étaient, car, bien que les Sauvages fussent leurs compatriotes, elles en avaient une peur horrible, et d'autant plus peut-être qu'elles savaient tout ce qu'ils valaient.

Les Anglais à leur arrivée virent que les Sauvages avaient passé dans le bois, et même très-près du lieu de leur retraite, sans toutefois l'avoir découvert; car l'épais fourré qui l'entourait en rendait l'abord inaccessible pour quiconque n'eût pas été guidé par quelque affilié, et nos barbares ne l'étaient point. Ils trouvèrent donc toutes choses en bon ordre, seulement les femmes étaient glacées d'effroi. Tandis qu'ils étaient là, à leur grande joie, sept des Espagnols arrivèrent à leur secours. Les dix autres avec leurs serviteurs, et le vieux VENDREDI, je veux dire le père de VENDREDI, étaient partis en masse pour protéger leur tonnelle et le blé et le bétail qui s'y trouvaient, dans le cas où les Indiens eussent rôdé vers cette partie de l'île; mais ils ne se répandirent pas jusque là. Avec les sept Espagnols se trouvait l'un des trois Sauvages qu'ils avaient autrefois faits prisonniers, et aussi celui que, pieds et poings liés, les Anglais avaient laissés près de l'arbre, car, à ce qu'il paraît, les Espagnols étaient venus par le chemin où avaient été massacrés les sept Indiens, et avaient délié le huitième pour l'emmener avec eux. Là, toutefois ils furent obligés de le garrotter de nouveau, comme l'étaient les deux autres, restés après le départ du fugitif.

Leurs prisonniers commençaient à leur devenir fort à charge, et ils craignaient tellement qu'ils ne leur échappassent, qu'ils s'imaginèrent être, pour leur propre conservation, dans l'absolue nécessité de les tuer touts. Mais le gouverneur n'y voulut pas consentir; il ordonna de les envoyer à ma vieille caverne de la vallée, avec deux Espagnols pour les garder et pourvoir à leur nourriture. Ce qui fut exécuté; et là, ils passèrent la nuit pieds et mains liés.

L'arrivée des Espagnols releva tellement le courage des deux Anglais, qu'ils n'entendirent pas s'arrêter plus long-temps. Ayant pris avec eux cinq Espagnols, et réunissant à eux touts quatre mousquets, un pistolet et deux gros bâtons à deux bouts, ils partirent à la recherche des Sauvages. Et d'abord, quand ils furent arrivés à l'arbre où gisaient ceux qui avaient été tués, il leur fut aisé de voir que quelques autres Indiens y étaient venus; car ils avaient essayé d'emporter leurs morts, et avaient traîné deux cadavres à une bonne distance, puis les avaient abandonnés. De là ils gagnèrent le premier tertre où ils s'étaient arrêtés et d'où ils avaient vu incendier leurs huttes, et ils eurent la douleur de voir s'en élever un reste de fumée; mais ils ne purent y découvrir aucun Sauvage. Ils résolurent alors d'aller, avec toute la prudence possible, vers les ruines de leur plantation. Un peu avant d'y arriver, s'étant trouvés en vue de la côte, ils apperçurent distinctement touts les Sauvages qui se rembarquaient dans leurs canots pour courir au large.

Il semblait qu'ils fussent fâchés d'abord qu'il n'y eût pas de chemin pour aller jusqu'à eux, afin de leur envoyer à leur départ une salve de mousqueterie; mais, après tout, ils s'estimèrent fort heureux d'en être débarrassés.

Les pauvres Anglais étant alors ruinés pour la seconde fois, leurs cultures étant détruites, touts les autres convinrent de les aider à relever leurs constructions, et de les pourvoir de toutes choses nécessaires. Leurs trois compatriotes même, chez lesquels jusque là on n'avait pas remarqué la moindre tendance à faire le bien, dès qu'ils apprirent leur désastre, – car, vivant éloignés, ils n'avaient rien su qu'après l'affaire finie – , vinrent offrir leur aide et leur assistance, et travaillèrent de grand cœur pendant plusieurs jours à rétablir leurs habitations et à leur fabriquer des objets de nécessité.

Environ deux jours après ils eurent la satisfaction de voir trois pirogues des Sauvages venir se jeter à peu de distance sur la grève, ainsi que deux hommes noyés; ce qui leur fit croire avec raison qu'une tempête, qu'ils avaient dû essuyer en mer, avait submergé quelques-unes de leurs embarcations. Le vent en effet avait soufflé avec violence durant la nuit qui suivit leur départ.

Si quelques-uns d'entre eux s'étaient perdus, toutefois il s'en était sauvé un assez grand nombre, pour informer leurs compatriotes de ce qu'ils avaient fait et de ce qui leur était advenu, et les exciter à une autre entreprise de la même nature, qu'ils résolurent effectivement de tenter, avec des forces suffisantes pour que rien ne pût leur résister. Mais, à l'exception de ce que le fugitif leur avait dit des habitants de l'île, ils n'en savaient par eux-mêmes que fort peu de chose; jamais ils n'avaient vu ombre humaine en ce lieu, et celui qui leur avait raconté le fait ayant été tué, tout autre témoin manquait qui pût le leur confirmer.

Cinq ou six mois s'étaient écoulés, et l'on n'avait point entendu parler des Sauvages; déjà nos gens se flattaient de l'espoir qu'ils n'avaient point oublié leur premier échec, et qu'ils avaient laissé là toute idée de réparer leur défaite, quand tout-à-coup l'île fut envahie par une redoutable flotte de vingt-huit canots remplis de Sauvages armés d'arcs et de flèches, d'énormes casse-têtes, de sabres de bois et d'autres instruments de guerre. Bref, cette multitude était si formidable, que nos gens tombèrent dans la plus profonde consternation.

Comme le débarquement s'était effectué le soir et à l'extrémité orientale de l'île, nos hommes eurent toute la nuit pour se consulter et aviser à ce qu'il fallait faire. Et d'abord, sachant que se tenir totalement cachés avait été jusque-là leur seule planche de salut, et devait l'être d'autant plus encore en cette conjoncture, que le nombre de leurs ennemis était fort grand, ils résolurent de faire disparaître les huttes qu'ils avaient bâties pour les deux Anglais, et de conduire leurs chèvres à l'ancienne grotte, parce qu'ils supposaient que les Sauvages se porteraient directement sur ce point sitôt qu'il ferait jour pour recommencer la même échauffourée, quoiqu'ils eussent pris terre cette fois à plus de deux lieues de là.

Ils menèrent aussi dans ce lieu les troupeaux qu'ils avaient à l'ancienne tonnelle, comme je l'appelais, laquelle appartenait aux Espagnols; en un mot, autant que possible, ils ne laissèrent nulle part de traces d'habitation, et le lendemain matin, de bonne heure, ils se posèrent avec toutes leurs forces près de la plantation des deux Anglais, pour y attendre l'arrivée des Sauvages. Tout confirma leurs prévisions: ces nouveaux agresseurs, laissant leurs canots à l'extrémité orientale de l'île, s'avancèrent au longeant le rivage droit à cette place, au nombre de deux cent cinquante, suivant que les nôtres purent en juger. Notre armée se trouvait bien faible; mais le pire de l'affaire, c'était qu'il n'y avait pas d'armes pour tout le monde. Nos forces totales s'élevaient, je crois, ainsi: – D'abord, en hommes:


Pour armer ces gens, il y avait:



On ne donna aux esclaves ni mousquets ni fusils; mais chacun d'eux fut armé d'une hallebarde, ou d'un long bâton, semblable à un brindestoc, garni d'une longue pointe de fer à chaque extrémité; ils avaient en outre une hachette au côté. Touts nos hommes portaient aussi une hache. Deux des femmes voulurent absolument prendre part au combat; elles s'armèrent d'arcs et de flèches, que les Espagnols avaient pris aux Sauvages lors de la première affaire, dont j'ai parlé, et qui avait eu lieu entre les Indiens. Les femmes eurent aussi des haches.

Le gouverneur espagnol, dont j'ai si souvent fait mention, avait le commandement général; et William ATKINS, qui, bien que redoutable pour sa méchanceté, était un compagnon intrépide et résolu, commandait sous lui. – Les Sauvages s'avancèrent comme des lions; et nos hommes, pour comble de malheur, n'avaient pas l'avantage du terrain. Seulement Will ATKINS, qui rendit dans cette affaire d'importants services, comme une sentinelle perdue, était planté avec six hommes, derrière un petit hallier, avec ordre de laisser passer les premiers, et de faire feu ensuite au beau milieu des autres; puis sur-le-champ de battre en retraite aussi vite que possible, en tournant une partie du bois pour venir prendre position derrière les Espagnols, qui se trouvaient couverts par un fourré d'arbres.

 

Quand les Sauvages arrivèrent, ils se mirent à courir çà et là en masse et sans aucun ordre. WILL ATKINS en laissa passer près de lui une cinquantaine; puis, voyant venir les autres en foule, il ordonna à trois de ses hommes de décharger sur eux leurs mousquets chargés de six ou sept balles, aussi fortes que des balles de gros pistolets. Combien en tuèrent-ils ou en blessèrent-ils, c'est ce qu'ils ne surent pas; mais la consternation et l'étonnement étaient inexprimables chez ces barbares, qui furent effrayés au plus haut degré d'entendre un bruit terrible, de voir tomber leurs hommes morts ou blessés, et sans comprendre d'où cela provenait. Alors, au milieu de leur effroi, William ATKINS et ses trois hommes firent feu sur le plus épais de la tourbe, et en moins d'une minute les trois premiers, ayant rechargé leurs armes, leur envoyèrent une troisième volée.

Si Williams ATKINS et ses hommes se fussent retirés immédiatement après avoir tiré, comme cela leur avait été ordonné, ou si le reste de la troupe eût été à portée de prolonger le feu, les Sauvages eussent été mis en pleine déroute; car la terreur dont ils étaient saisis venait surtout de ce qu'ils ne voyaient personne qui les frappât et de ce qu'ils se croyaient tués par le tonnerre et les éclairs de leurs dieux. Mais William ATKINS, en restant pour recharger, découvrit la ruse.

NOUVELLE INCURSION DES INDIENS

Quelques Sauvages, qui les épiaient au loin, fondirent sur eux par derrière; et, bien que ATKINS et ses hommes les eussent encore salués de deux ou trois fusillades et en eussent tué plus d'une vingtaine en se retirant aussi vite que possible, cependant ils le blessèrent lui-même et tuèrent avec leurs flèches un de ses compatriotes comme ils tuèrent ensuite un des Espagnols et un des esclaves indiens acquis avec les femmes. Cet esclave était un brave compagnon, qui avait combattu en furieux. De sa propre main il avait tué cinq Sauvages, quoiqu'il n'eût pour armes qu'un des bâtons ferrés et une hache.

ATKINS étant blessé et deux autres étant tués, nos hommes, ainsi maltraités, se retirèrent sur un monticule dans le bois. Les Espagnols, après avoir fait trois décharges opérèrent aussi leur retraite; car les Indiens étaient si nombreux, car ils étaient si désespérés, que malgré qu'il y en eût de tués plus de cinquante et un beaucoup plus grand nombre de blessés, ils se jetaient sans peur du danger sous la dent de nos hommes et leur envoyaient une nuée de flèches. On remarqua même que leurs blessés qui n'étaient pas tout-à-fait mis hors de combat, exaspérés par leurs blessures, se battaient comme des enragés.

Nos gens, dans leur retraite, avaient laissé derrière eux les cadavres de l'Espagnol et de l'Anglais. Les Sauvages, quand ils furent arrivés auprès, les mutilèrent de la manière la plus atroce, leur brisant les bras, les jambes et la tête avec leurs massues et leurs sabres de bois, comme de vrais Sauvages qu'ils étaient. Mais, voyant que nos hommes avaient disparu, ils semblèrent ne pas vouloir les poursuivre, formèrent une espèce de cercle, ce qu'ils ont coutume de faire, à ce qu'il paraît, et poussèrent deux grands cris en signe de victoire; après quoi ils eurent encore la mortification de voir tomber plusieurs de leurs blessés qu'avait épuisés la perte de leur sang.

Le gouverneur espagnol ayant rassemblé tout son petit corps d'armée sur une éminence, ATKINS, quoique blessé, opinait pour qu'on se portât en avant et qu'on fît une charge générale sur l'ennemi. Mais l'Espagnol répondit: – «Señor ATKINS, vous avez vu comment leurs blessés se battent; remettons la partie à demain: touts ces écloppés seront roidis et endoloris par leurs plaies, épuisés par le sang qu'ils auront perdu, et nous aurons alors beaucoup moins de besogne sur les bras.»

L'avis était bon. Mais WILL ATKINS reprit gaîment: – «C'est vrai, señor; mais il en sera de même de moi, et c'est pour cela que je voudrais aller en avant tandis que je suis en haleine.» – «Fort bien, señor ATKINS, dit l'Espagnol: vous vous êtes conduit vaillamment, vous avez rempli votre tâche; nous combattrons pour vous si vous ne pouvez venir; mais je pense qu'il est mieux d'attendre jusqu'à demain matin.» – Ils attendirent donc.

Mais, lorsqu'il fit un beau clair de lune, et qu'ils virent les Sauvages dans un grand désordre, au milieu de leurs morts et de leurs blessés et se pressant tumultueusement à l'entour, ils se résolurent à fondre sur eux pendant la nuit, dans le cas surtout où ils pourraient leur envoyer une décharge avant d'être apperçus. Il s'offrit à eux une belle occasion pour cela: car l'un des deux Anglais, sur le terrain duquel l'affaire s'était engagée, les ayant conduits par un détour entre les bois et la côte occidentale, et là ayant tourné brusquement au Sud, ils arrivèrent si proche du groupe le plus épais, qu'avant qu'on eût pu les voir ou les entendre, huit hommes tirèrent au beau milieu et firent une terrible exécution. Une demi-minute après huit autres tirèrent à leur tour et les criblèrent tellement de leurs dragées, qu'ils en tuèrent ou blessèrent un grand nombre. Tout cela se passa sans qu'ils pussent reconnaître qui les frappait, sans qu'ils sussent par quel chemin fuir.

Les Espagnols rechargèrent vivement leurs armes; puis, s'étant divisés en trois corps, ils résolurent de tomber touts ensemble sur l'ennemi. Chacun de ces pelotons se composait de huit personnes: ce qui formait en somme vingt-quatre combattants, dont vingt-deux hommes et deux femmes, lesquelles, soit dit en passant, se battirent en désespérées.

On répartit par peloton les armes à feu, les hallebardes et les brindestocs. On voulait que les femmes se tinssent derrière, mais elles déclarèrent qu'elles étaient décidées à mourir avec leurs maris. Leur petite armée ainsi disposée, ils sortirent d'entre les arbres et se jetèrent sous la dent de l'ennemi en criant et en hélant de toutes leurs forces. Les Indiens se tenaient là debout touts ensemble; mais ils tombèrent dans la plus grande confusion en entendant les cris que jetaient nos gens sur trois différents points. Cependant ils en seraient venus aux mains s'ils nous eussent apperçus; car à peine fûmes-nous assez près pour qu'ils nous vissent qu'ils nous décochèrent quelques flèches, et que le pauvre vieux VENDREDI fut blessé, légèrement toutefois. Mais nos gens, sans plus de temps, fondirent sur eux, firent feu de trois côtés, puis tombèrent dessus à coups de crosses de mousquet, à coups de sabres, de bâtons ferrés et de haches, et, en un mot, les frottèrent si bien, qu'ils se mirent à pousser des cris et des hurlements sinistres en s'enfuyant de touts côtés pour échapper à la mort.

Les nôtres étaient fatigués de ce carnage: ils avaient tué ou blessé mortellement, dans les deux rencontres, environ cent quatre-vingts de ces barbares. Les autres, épouvantés, se sauvèrent à travers les bois et sur les collines, avec toute la vitesse que pouvaient leur donner la frayeur et des pieds agiles; et, voyant que nos hommes se mettaient peu en peine de les poursuivre, ils se rassemblèrent sur la côte où ils avaient débarqué et où leurs canots étaient amarrés. Mais leur désastre n'était pas encore au bout: car, ce soir-là, un vent terrible s'éleva de la mer, et il leur fut impossible de prendre le large. Pour surcroît, la tempête ayant duré toute la nuit, à la marée montante la plupart de leurs pirogues furent entraînées par la houle si avant sur la rive, qu'il aurait fallu bien des efforts pour les remettre à flot. Quelques-unes même furent brisées contre le rivage, ou en s'entre-choquant.

Nos hommes, bien que joyeux de leur victoire, ne prirent cependant que peu de repos cette nuit-là. Mais, après s'être refaits le mieux qu'ils purent, ils résolurent de se porter vers cette partie de l'île où les Sauvages avaient fui, afin de voir dans quel état ils étaient. Ceci les mena nécessairement sur le lieu du combat, où ils trouvèrent plusieurs de ces pauvres créatures qui respiraient encore, mais que rien n'aurait pu sauver. Triste spectacle pour des cœurs généreux! car un homme vraiment noble, quoique forcé par les lois de la guerre de détruire son ennemi, ne prend point plaisir à ses souffrances.

Tout ordre, du reste, était inutile à cet égard, car les Sauvages que les nôtres avaient à leur service dépêchèrent ces pauvres créatures à coups de haches.

Ils arrivèrent enfin en vue du lieu où les chétifs débris le l'armée indienne étaient rassemblés. Là restait environ une centaine d'hommes, dont la plupart étaient assis à terre, accroupis, la tête entre leurs mains et appuyée sur leurs genoux.

Quand nos gens ne furent plus qu'à deux portées de mousquet des vaincus, le gouverneur espagnol ordonna de tirer deux coups à poudre pour leur donner l'alarme, à dessein de voir par leur contenance ce qu'il avait à en attendre, s'ils étaient encore disposés à combattre ou s'ils étaient démontés au point d'être abattus et découragés, et afin d'agir en conséquence.

Le stratagème eut un plein succès; car les Sauvages n'eurent pas plus tôt entendu le premier coup de feu et vu la lueur du second qu'ils se dressèrent sur leurs pieds dans la plus grande consternation imaginable; et, comme nos gens se précipitaient sur eux, ils s'enfuirent criant, hurlant et poussant une sorte de mugissement que nos hommes ne comprirent pas et n'avaient point ouï jusque là, et ils se réfugièrent sur les hauteurs plus avant dans le pays.

Les nôtres eussent d'abord préféré que le temps eût été calme et que les Sauvages se fussent rembarqués. Mais ils ne considéraient pas alors que cela pourrait en amener par la suite des multitudes auxquelles il leur serait impossible de résister, ou du moins être la cause d'incursions si redoutables et si fréquentes qu'elles désoleraient l'île et les feraient périr de faim. WILL ATKINS, qui, malgré sa blessure, se tenait toujours avec eux, se montra, dans cette occurrence, le meilleur conseiller: il fallait, selon lui, saisir l'occasion qui s'offrait de se jeter entre eux, et leurs canots, et, par là, les empêcher à jamais, de revenir inquiéter l'île.

On tint long-temps conseil sur ce point. Quelques-uns s'opposaient à cela, de peur qu'on ne forçât ces misérables à se retirer dans les bois, et à n'écouter que leur désespoir. – «Dans ce cas, disaient-ils, nous serons obligés de leur donner la chasse comme à des bêtes féroces; nous redouterons de sortir pour nos travaux; nous aurons nos plantations incessamment pillées, nos troupeaux détruits, bref nous serons réduits à une vie de misères continuelles.»

WILL ATKINS répondit que mieux valait avoir affaire à cent hommes qu'à cent nations; que s'il fallait détruire les canots il fallait aussi détruire les hommes, sinon être soi-même détruit. En un mot, il leur démontra cette nécessité d'une manière si palpable, qu'ils se rangèrent touts à son avis. Aussitôt ils se mirent à l'œuvre sur les pirogues, et, arrachant du bois sec d'un arbre mort, ils essayèrent de mettre le feu à quelques-unes de ces embarcations; mais elles étaient si humides qu'elles purent à peine brûler. Néanmoins, le feu endommagea tellement leurs parties supérieures, qu'elles furent bientôt hors d'état de tenir la mer. Quand les Indiens virent à quoi nos hommes étaient occupés, quelques-uns d'entre eux sortirent des bois en toute hâte, et, s'approchant le plus qu'ils purent, ils se jetèrent à genoux et se mirent à crier: – «Oa, oa, waramokoa!» et à proférer quelques autres mots de leur langue que personne ne comprit; mais, comme ils faisaient des gestes piteux et poussaient des cris étranges, il fut aisé de reconnaître qu'ils suppliaient pour qu'on épargnât leurs canots, et qu'ils promettaient de s'en aller pour ne plus revenir.

Mais nos gens étaient alors convaincus qu'ils n'avaient d'autre moyen de se conserver ou de sauver leur établissement que d'empêcher à tout jamais les Indiens de revenir dans l'île, sachant bien que s'il arrivait seulement à l'un d'eux de retourner parmi les siens pour leur conter l'événement, c'en était fait de la colonie. En conséquence, faisant comprendre aux Indiens qu'il n'y avait pas de merci pour eux, ils se remirent l'œuvre et détruisirent les canots que la tempête avait épargnés. À cette vue les Sauvages firent retentir les bois d'un horrible cri que notre monde entendit assez distinctement; puis ils se mirent à courir çà et là dans l'île comme des insensés, de sorte que nos colons ne surent réellement pas d'abord comment s'y prendre avec eux.

Les Espagnols, avec toute leur prudence, n'avaient pas pensé que tandis qu'ils réduisaient ainsi ces hommes au désespoir, ils devaient faire bonne garde autour de leurs plantations; car, bien qu'ils eussent transféré leur bétail et que les Indiens n'eussent pas déterré leur principale retraite, – je veux dire mon vieux château de la colline, – ni la caverne dans la vallée, ceux-ci avaient découvert cependant ma plantation de la tonnelle, l'avaient saccagée, ainsi que les enclos et les cultures d'alentour, foulant aux pieds le blé, arrachant les vignes et les raisins déjà presque mûrs; et faisant éprouver à la colonie une perte inestimable sans en retirer aucun profit.

 

Quoique nos gens pussent les combattre en toute occasion, ils n'étaient pas en état de les poursuivre et de les pourchasser; car, les Indiens étant trop agiles pour nos hommes quand ils les rencontraient seuls, aucun des nôtres n'osait s'aventurer isolément, dans la crainte d'être enveloppé par eux. Fort heureusement ils étaient sans armes: ils avaient des arcs, il est vrai, mais point de flèches, ni matériaux pour en faire, ni outils, ni instruments tranchants.