Tasuta

L'oiseau blanc: conte bleu

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Kuhu peaksime rakenduse lingi saatma?
Ärge sulgege akent, kuni olete sisestanud mobiilseadmesse saadetud koodi
Proovi uuestiLink saadetud

Autoriõiguse omaniku taotlusel ei saa seda raamatut failina alla laadida.

Sellegipoolest saate seda raamatut lugeda meie mobiilirakendusest (isegi ilma internetiühenduseta) ja LitResi veebielehel.

Märgi loetuks
Šrift:Väiksem АаSuurem Aa

«Rousch, qui était présent, lui répondit qu'il lui abandonnait la vieille fée pour en disposer à sa fantaisie, mais qu'il prétendait qu'on s'écoutât quand on parlait d'Azéma. S'écouter, c'est ce que Lubrelu n'avait fait de sa vie; il répondit à Rousch par une pirouette, et lui laissa murmurer entre ses dents qu'il était épris d'Azéma; que personne ne l'ignorait; qu'il en était aimé; qu'il méditait depuis longtemps de l'épouser; et que, quoiqu'il eût commencé avec elle par où les autres finissent, il n'en était pas moins amoureux.



«Lubrelu ne perdit pas ces derniers mots, qu'il redit le lendemain à Azéma, y ajoutant quelques absurdités fort atroces. Azéma en fut affligée, et s'en alla, en pleurant, se plaindre à sa tante, et la prier de l'envoyer pour quelque temps chez la fée Zirphelle, ou, dans la langue du pays, Discrète, son autre tante: Vérité y consentit. On tint le départ secret, et Azéma disparut sans que Rousch en sût rien. Il fit du bruit quand il l'apprit; mais Azéma était déjà bien loin: il courut après elle, ne la rejoignit point, et revint une fois plus hideux, me soupçonnant d'avoir enlevé ses amours, et bien résolu de m'en faire repentir. Ses menaces ne m'effrayèrent point; je n'ignorais pas que sa puissance était limitée, et qu'il ne me nuirait jamais que de concert avec le génie Nucton, ou comme qui dirait Sournois, qui résidait à mille lieues et plus du palais de Vérité. Mais qui l'eût cru? Rousch disparut un matin, et l'on sut qu'il était allé consulter Nucton sur les moyens de se venger.



«Il n'était pas à un quart de lieue, qu'on entendit un grand fracas dans les avant-cours; on crut que c'était Rousch qui revenait: point du tout, c'était une de ses amies et des parentes de Lubrelu, que le hasard avait jetée dans cette contrée; on l'appelait Trocilla, comme qui dirait Bizarre. Sa manie était de courir sans savoir où elle allait; pourvu qu'elle ne suivît pas la grande route, elle était contente: aussi apprîmes-nous qu'elle s'était engagée dans des chemins de traverse où son équipage avait été mis en pièces, et qu'elle arrivait sur une mule rétive, crottée, déchirée, dans un désordre à faire mourir de rire.



«On lui donna un appartement: il y en avait toujours de reste chez Vérité; elle se reposait en attendant ses gens, qu'elle maudissait, et qui ne demeuraient pas en reste avec elle. Ils arrivèrent enfin. On tira ses femmes d'une berline en souricière; c'étaient trois espèces de boiteuses: l'une boitait à droite, l'autre à gauche, la troisième des deux côtés. Trocilla, qui les examinait d'une croisée, trouvait leur allure si ridicule, qu'elle en riait à gorge déployée, comme si l'étrange spectacle de ces trois boiteuses, qui se hâtaient de venir, eût été nouveau pour elle. Tandis qu'un cocher en scaramouche et un valet en arlequin dételaient de la voiture deux chevaux, l'un blanc et l'autre noir, Trocilla était à sa toilette, qui commença sur les cinq heures du soir, et qui finit à peine à huit, qu'elle se présenta chez la fée Vérité.



«Je n'ai rien vu de si extravagant que sa parure, et sa personne attira mon attention et celle de tout le monde.»



LA SULTANE

C'est le privilége de la singularité plus encore que de la beauté. Les hommes se livrent plus promptement à ce qui les surprend qu'à ce qu'ils admireraient.



La sultane prononça cette réflexion sensée d'un ton faible et entrecoupé qui annonçait l'approche du sommeil.



LA SECONDE FEMME

«Trocilla était plutôt grande que petite, mal proportionnée: c'étaient de longues jambes au bout de longues cuisses, qui lui donnaient l'air d'une sauterelle, surtout quand elle était assise: point de taille; un bras potelé, et l'autre sec; une main laide et difforme, et l'autre jolie; un pied petit et délicat dans une grande mule rembourrée, un autre pied grand et mal fait, enchâssé dans une petite mule; mais cela n'y faisait rien: par ce moyen, elle avait deux mules égales. Son épaule droite était un peu plus haute que la gauche; à la vérité, un corps et l'éducation avaient affaibli ce défaut: elle avait des couleurs et point de teint; un œil bleu et un œil gris; le nez long et pointu; la bouche charmante quand elle riait; mais par malheur pour ceux qui l'approchaient, elle avait des journées tristes sans savoir pourquoi, car elle ne voulait pas que ce fût des vapeurs ou des nerfs.



«Elle avait une robe de satin couleur de rose, avec des parures violettes; une simarre de velours bleu, garnie de crêpe; un nœud de diamants, d'où pendait une riche dévote, dans un temps où l'on n'en portait plus; une girandole de très-beaux brillants à l'oreille droite, et une perle d'orient à la gauche; une plume verte dans sa coiffure, dont un des côtés était en papillon, et l'autre en battant l'œil, avec un énorme éventail à la main.



«Voilà l'ajustement sous lequel nous apparut Trocilla.»



LA SULTANE

La perle à l'oreille gauche est de trop.



LA SECONDE FEMME

«Elle salua Vérité sans la regarder, s'étendit indécemment sur une sultane, tira de sa poche une lorgnette, dont elle ne se servit point, jeta à travers une conversation fort sérieuse trois ou quatre mots déplacés et plaisants, se moqua d'elle et du reste de la compagnie, et se retira.»



LA SULTANE

Je vous conseille de l'imiter. Après la nuit dernière, je crois que vous pourriez avoir besoin de repos. Bonsoir, messieurs; mesdames, bonsoir; car je crois que vous allez vous coucher.



CINQUIÈME SOIRÉE

Ce soir, Mangogul avait ordonné qu'on laissât la porte de l'appartement ouverte; et lorsque Mirzoza fut couchée, il profita du bruit que firent les improvisateurs en s'arrangeant autour de son lit, pour entrer sans qu'elle s'en doutât: il était placé debout, les coudes appuyés sur la chaise de la seconde femme et sur celle du premier émir, lorsque la sultane demanda à celui-ci si sa poitrine lui permettait de la dédommager du silence qu'il gardait depuis deux jours. L'émir lui répondit qu'il ferait de son mieux, et commença comme il suit:



LE PREMIER ÉMIR

«Je pris pour elle ce qu'on appelle une fantaisie.»



LA SULTANE

Ce

je

, c'est le prince Génistan; et cet

elle

, c'est apparemment Trocilla.



LE PREMIER ÉMIR

Oui, madame.



LA SULTANE

Ah, les hommes! les hommes!.. Je les crois encore plus fous que nous.



LE PREMIER ÉMIR

Madame en excepte sûrement le sultan.



LA SULTANE

Continuez.



LE PREMIER ÉMIR

«L'occasion de l'instruire de mes sentiments n'était pas difficile à trouver; mais il fallait se cacher de Vérité. Un jour que la fée était profondément occupée, la crainte de la distraire me servit de prétexte, et j'allai faire ma cour à Trocilla, qui me reçut bien. J'y retournai le lendemain, et elle me fit froid d'abord. Sa mauvaise humeur cessa lorsqu'elle s'aperçut que je ne m'empressais nullement à la dissiper; elle railla la religion, les prêtres et les dévotes; traita la modestie, la pudeur et les principales vertus de son sexe, de freins imaginés par les sottes; et je crus victoire gagnée: point de préjugés à combattre, point de scrupules à lever; je ne désirais qu'une seconde entrevue pour être heureux; encore ne fallait-il pas qu'elle fût longue, de peur d'avoir du temps de reste, et de ne savoir qu'en faire. J'eus un autre jour l'occasion de la reconduire dans son appartement: chemin faisant, je lui demandai la permission d'y rester un moment; elle me fut accordée. Aussitôt je me mis en devoir de lui dire des choses tendres et galantes autant qu'il m'en vint: que je l'avais aimée depuis que j'avais eu le bonheur de la voir; que c'était un de ces coups de sympathie auxquels jusqu'alors j'avais ajouté peu de foi, et qu'il fallait que ma passion fût bien violente, puisque j'osais la lui déclarer la seconde fois que je jouissais de son entretien: elle m'écouta attentivement; puis tout à coup éclatant de rire, elle se leva et appela toutes ses femmes, qui accoururent, et qu'elle renvoya. Je la priai de se remettre d'une surprise à laquelle ses charmes ne l'exposaient pas sans doute pour la première fois. Vous avez raison, me répondit-elle: on m'a aimée, on me l'a dit, et je devrais y être faite; mais il m'est toujours nouveau de voir des hommes, parce qu'ils sont aimables, prétendre qu'on leur sacrifiera l'honneur, la réputation, les mœurs, la modestie, la pudeur, et la plupart des vertus qui font l'ornement de notre sexe; car il paraît bien à leurs procédés et à ceux des femmes, que c'est à ces bagatelles que se réduisent les désirs des uns et les bontés des autres. Et continuant d'un ton moins naturel encore et plus pathétique: Non, s'écria-t-elle, il n'y a plus de décence; les liaisons ont dégénéré en un libertinage épouvantable; la pudeur est ignorée sur la surface de la terre: aussi les dieux se sont-ils vengés; et presque tous les hommes…»



LA SULTANE

Sont devenus faux ou indiscrets.



LE PREMIER ÉMIR

Madame en excepte sans doute le sultan.



LA SULTANE

Continuez.



LE PREMIER ÉMIR

«Je fus un peu déconcerté de ce sermon, auquel je ne m'attendais guère; et j'allais lui rappeler ses maximes de la veille, lorsqu'elle m'épargna ce propos ridicule, en me priant de me retirer, de crainte qu'on n'en tînt de méchants sur sa conduite. J'obéis, bien résolu d'abandonner Trocilla à toutes ses bizarreries, et de ne la revoir jamais. Mais j'avais plu; et dès le lendemain elle m'agaça, me dit des mots fort doux et assez suivis; et je me laissai entraîner.»



LA SULTANE

Vous n'êtes que des marionnettes.



LE PREMIER ÉMIR

Madame en excepte sans doute le sultan.

 



LA SULTANE

Émir, respectez le sultan; respectez-moi, et continuez.



LE PREMIER ÉMIR

«Je me rendis dans son appartement à l'heure marquée; je crus la trouver seule. Point du tout, elle s'occupait à prendre une leçon d'anglais, qui avait déjà duré fort longtemps, et que ma présence n'abrégea point. Nous y serions encore tous les trois, si le maître d'anglais, qui ne manquait pas d'intelligence, n'eût eu pitié de moi. Mais il était écrit que mon supplice serait plus long. Trocilla me reçut comme un homme tombé des nues, me laissa debout, ne me dit presque pas un mot; et sans m'accorder le temps de lui parler, sonna et se fit apporter une vielle, dont elle se mit à jouer précisément comme quand on est seul, et qu'on s'ennuie.»



Ici le sultan ne put s'empêcher de rire; la sultane dit: «En effet, cette scène est assez ridicule.» Et l'émir reprit son récit.



LE PREMIER ÉMIR

«Je lui laissai tâtonner une musette, un menuet; et elle allait commencer un maudit air à la mode, qui n'aurait point eu de fin, lorsque je pris la liberté de lui arrêter les mains.



«Ah! vous voilà, me dit-elle, et que faites-vous ici à l'heure qu'il est?



« – C'est par vos ordres, madame, lui répondis-je, que je m'y suis rendu; et il y a près de deux heures que j'attends que vous vous aperceviez que j'y suis…



« – Est-il bien vrai?..



« – Pour peu que vous en doutassiez, votre maître d'anglais vous l'assurerait…



« – Vous l'avez donc entendu donner leçon? C'est un habile homme; qu'en pensez-vous? Et ma vielle, je commence à m'en tirer assez bien. Mais, asseyez-vous, je me sens en main, et je vais vous jouer des contredanses du dernier bal, qui vous réjouiront…



« – Madame, lui répondis-je, faites-moi la grâce de m'entendre. À présent, ce ne sont point des airs de vielle que je viens chercher ici; quittez pour un moment votre instrument, et daignez m'écouter…



« – Mais vous êtes extraordinaire, me dit Trocilla; vous ne savez pas ce que vous refusez. J'allais vous jouer, ce soir, comme un ange…



« – Madame, lui répliquai-je, si je vous gêne, je vais me retirer…



« – Non, restez, monsieur. Et qui vous dit que vous me gênez?..



« – Quittez donc ce maudit instrument, ou je le brise…



« – Brisez, mon cher; brisez: aussi bien j'en suis dégoûtée.»



«Je détachai la ceinture de la vielle, non sans serrer doucement la taille de la vielleuse. Trocilla était assise sur un tabouret; cette situation n'était pas commode.»



LA SULTANE

Émir, supposez que je dors, et continuez.



LE PREMIER ÉMIR

«Je la pris par sa main jolie, que je baisai plusieurs fois, en la conduisant vers une chaise longue, sur laquelle je la poussai doucement; elle s'y laissa aller sans façon; et me voilà assis à côté d'elle, lui baisant encore la main, et lui protestant d'une voix émue que je l'adorais.»



De distraction le sultan s'écria: «Adore donc, maudite bête!» Heureusement, la sultane, ou ne l'entendit pas, ou feignit de ne pas l'entendre.



LE PREMIER ÉMIR

«Trocilla me crut apparemment, car elle me passa son autre main sur les yeux, et l'arrêta sur ma bouche. Je la regardai dans ce moment, et je la trouvai charmante. Son souris, son badinage, le son de sa voix, tout excitait en moi des désirs. Elle me tenait de petits propos d'enfants, qui achevaient de me tourner la tête. Bientôt je n'y fus plus. Je me penchai sur sa gorge. Je ne sais trop ce que mes mains devinrent. Trocilla paraissait éprouver le même trouble; et nous touchions à l'instant du bonheur, lorsque nous sortîmes, elle et moi, de cette situation voluptueuse, par une extravagance inouïe. Trocilla me repoussa fortement; et se mettant à pleurer, mais à pleurer à chaudes larmes:



«Ah! cher Zulric, s'écria-t-elle; tendre et fidèle amant, que deviendrais-tu, si tu savais à quel point je t'oublie?»



«Ses larmes et ses soupirs redoublèrent; c'était à me faire craindre qu'elle ne suffoquât.



«Retirez-vous, monsieur; je vous hais, je vous déteste. Vous m'avez fait manquer à mes serments, et tromper l'homme unique à qui je suis engagée par les liens les plus solennels; vous n'en serez pas plus heureux, et j'en mourrai de douleur.»



«Ces dernières paroles, et les larmes abondantes qui les suivirent, me persuadèrent que le quart d'heure était passé. Je me retirai, bien résolu de le faire renaître. J'envoyai le lendemain chez Trocilla, et j'appris de sa part qu'elle avait bien reposé et qu'elle m'attendait pour prendre le thé. Je partis sur-le-champ, et j'eus le bonheur de la trouver encore au lit.



«Venez, prince, dit-elle; asseyez-vous près de moi. J'ai conçu pour vous des sentiments dont il faut absolument que je vous instruise. Il y va de mon bonheur, et peut-être de ma vie. Tâchez donc de ne pas abuser de ma sincérité. Je vous aime, mais de l'amour le plus tendre et le plus violent. Avec le mérite que vous avez, il ne doit pas être nouveau pour vous d'être prévenu. Ah! si je rencontre dans votre cœur la même tendresse que vous avez fait naître dans le mien, que je vais être heureuse! Parlez, prince, ne me suis-je point trompée lorsque je me suis flattée de quelque retour? M'aimez-vous?



« – Ah, madame, si je vous aime! Ne vous l'ai-je pas assuré cent fois?



« – Serait-il bien possible!



« – Rien n'est plus vrai.



« – Je le crois, puisque vous me le dites; mais je veux mourir, si je m'en souviens. Vraiment, je suis enchantée de ce que vous m'apprenez là. Je vous conviens donc beaucoup, beaucoup?



« – Autant qu'à qui que ce soit au monde.



« – Eh bien, mon cher, reprit-elle en me serrant la main entre la sienne et son genou, personne ne me convient comme toi. Tu es charmant, divin, amusant au possible, et nous allons nous aimer comme des fous. On disait que Vindemill, Illoo, Girgil, avaient de l'esprit. J'ai un peu connu ces personnages-là, et je te puis assurer que ce n'était rien, moins que rien.»



«Trocilla ne laissait pas que d'avoir rencontré bien des gens d'esprit, quoiqu'elle n'en accordât qu'à elle et à son amant.



«À présent, madame, je puis donc me flatter, lui dis-je, que vous ne vous souviendrez plus de Zulric ni d'aucun autre?



« – Que parlez-vous de Zulric? reprit-elle. C'est un petit sot qui s'est imaginé qu'il n'y avait qu'à faire le langoureux auprès d'une femme et à l'excéder de protestations pour la subjuguer. C'est de ces gens prêts à mourir cent fois pour vous, et dont une misérable petite complaisance vous débarrasse; mais vous, ce n'est pas cela; et quelque répugnance que vous ayez pour les hiboux, je gage que vous la vaincriez, si j'avais attaché mes faveurs aux caresses que vous feriez au mien.»



«Seigneur, dit Génistan à son père, les autres femmes ont un serin, une perruche, un singe, un doguin. Trocilla en était, elle, pour les hiboux… Oui, seigneur, pour les hiboux!.. De tous les oiseaux, c'est le seul que je n'ai pu souffrir. Trocilla en avait un qu'elle ne montrait qu'à ses meilleurs amis.»



LA SULTANE

Que beaucoup de gens avaient vu.



LE PREMIER ÉMIR

«Et qu'on me présenta sur-le-champ. «Voyez mon petit hibou me dit-elle; il est charmant, n'est-ce pas? Ce toquet blanc à la housarde, qu'on lui a placé sur l'oreille, lui fait à ravir. C'est une invention de mes boiteuses. Ce sont des femmes admirables. Mais vous ne me dites rien de mon petit hibou?



« – Madame, lui répondis-je, vous auriez pu, je crois, prendre du goût pour un autre animal. Il n'y a que vous aux Indes, à la Chine, au Japon, qui se soit avisée d'avoir un hibou en toquet.



« – Vous vous trompez, me répondit-elle: c'est l'animal à la mode; et de quel pays débarquez-vous donc? Ici tout le monde a son hibou, vous dis-je, et il n'est pas permis de s'en passer. Promettez-moi donc d'avoir le vôtre incessamment; je sens que je ne puis vous aimer sans cela.»



«Je lui promis tout ce qu'elle voulut, et je la pressai d'abréger mon impatience.»



LA SULTANE

Je crois, émir, qu'il est à propos que je me rendorme. Me voilà rendormie; continuez.



LA PREMIÈRE FEMME

«Elle y consentit, mais à la condition que j'aurais un hibou.



«Ah! plutôt quatre, madame,» lui répondis-je.



«À l'instant elle me reçut les bras ouverts. Je fus exposé aux emportements de la femme du monde qui aimait le moins; j'y répondis avec toute l'impétuosité d'un homme qui ne voulait pas laisser à Trocilla le temps de se refroidir.



«Vous aurez un hibou, me disait-elle d'une voix entrecoupée: prince, vous me le promettez.



« – Oui, madame, lui répondis-je, dans un instant où l'on est dispensé de connaître toute la force de ses promesses: je vous le jure par mon amour et par le vôtre.»



«À ces mots, Trocilla se tut, et moi aussi. Il y avait près d'une demi-heure que nous étions ensemble, lorsqu'elle me dit froidement de la laisser dormir et de me retirer. Si je n'avais pas su à quoi m'en tenir, je m'en serais pris à moi-même de cette indifférence subite; mais je n'avais rien à me reprocher, ni elle non plus. Je pris donc le parti de lui obéir, et même plus scrupuleusement peut-être qu'elle ne s'y attendait. Je revins à Vérité, qui me parut plus belle que jamais.»



LA SULTANE

C'est la vraie consolation dans les disgrâces, et on ne lui trouve jamais tant de charmes que quand on est malheureux.



LA SECONDE FEMME

«Toutes ces choses s'étaient passées, lorsque Rousch reparut: il avait vu Nucton, et ils avaient concerté de me faire rentrer cent pieds sous terre; c'était leur expression. La pauvre Azéma, dont ils avaient découvert la retraite, avait déjà éprouvé les cruels effets de leur haine. Rousch lui avait soufflé sur le visage une poudre qui l'avait rendue toute noire. Dans cet état elle n'osait se montrer; elle vivait donc renfermée, détestant à chaque moment Rousch et arrosant sans cesse de ses larmes un miroir qui lui peignait toute sa laideur, et qu'elle ne pouvait quitter. Sa tante apprit son malheur, la plaignit et vint à son secours. Elle essaya de laver le visage de sa triste nièce; mais elle y perdit ses peines. Noire elle était, noire elle resta: ce qui détermina la fée à la transformer en colombe et à lui restituer sa première blancheur sous une autre forme.



«Vérité, de retour chez Azéma, songea à me garantir des embûches de Rousch. Pour cet effet, elle me fit partir incognito. Mais admirez les caprices des femmes et surtout de Trocilla; elle ne me sut pas plus tôt éloigné d'elle, qu'elle songea à s'approcher de moi. Elle s'informa de la route que j'avais prise, et me suivit. Rousch, instruit de notre aventure, connaissant assez bien son monde, et particulièrement Trocilla, ne douta point qu'il ne parvînt au lieu de ma retraite, en marchant sur ses traces. Sa conjecture fut heureuse; et, un matin, nous nous trouvâmes tous trois en déshabillé dans un même jardin.



«La présence de Trocilla me consola un peu de celle de Rousch. Je fus flatté d'avoir fait faire quatre cent cinquante lieues à une femme de son caractère; et je me déterminai à la revoir. Ce n'était pas le moyen d'éviter Rousch; car Trocilla et Rousch se connaissaient de longue main, et ils avaient toujours été passablement ensemble. C'était de concert avec elle qu'il ébauchait tous ces récits scandaleux. Il inventait le fond; elle mettait de l'originalité dans les détails, d'où il arrivait qu'on les écoutait avec plaisir, qu'on les répétait partout, qu'on paraissait y croire, mais qu'on n'y croyait pas.»



LA SULTANE

Il y a quelquefois tant de finesse dans votre conte, que je serais tentée de le croire allégorique.



LE PREMIER ÉMIR

«Un soir qu'une des boiteuses de Trocilla m'introduisait chez sa maîtresse par un escalier dérobé, j'allai donner rudement de la tête contre celle de Rousch, qui s'esquivait par le même escalier. Nous fûmes l'un et l'autre renversés par la violence du choc. Rousch me reconnut au cri que je poussai. «Malheureux, s'écria-t-il, que le destin a conduit ici, tremble. Tu vas enfin éprouver ma colère.» À l'instant il prononça quelques mots inintelligibles, et je sentis mes cuisses rentrer en elles-mêmes, se raccourcir et se fléchir en sens contraire, mes ongles s'allonger et se recourber, mes mains disparaître, mes bras et le reste de mon corps se revêtir de plumes. Je voulus crier, et je ne pus tirer de mon gosier qu'un son rauque et lugubre. Je le redis plusieurs fois; et les appartements en retentirent et le répétèrent. Trocilla accourut au ramage, qui lui parut plaisant; elle m'appela: «Petit, petit.» Mais je n'osai pas me confier à une femme qui n'avait de fantaisie que pour les hiboux. Je pris mon vol par une fenêtre, résolu de gagner le séjour de Vérité et de me faire désenchanter; mais je ne pus jamais reprendre le chemin de son séjour. Plus j'allais, plus je m'égarais. Ce serait abuser de votre patience que de vous raconter le reste de mes voyages et mes erreurs. D'ailleurs tout voyageur est sujet à mentir. J'aurais