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Lettres à Mademoiselle de Volland

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CXXXVI

Pétersbourg, le 20 décembre 1773.

MADEMOISELLE ET BONNE AMIE,

Après avoir été tourmenté des eaux de la Néva pendant une quinzaine, j'ai repris le dessus; je me porte bien. Je suis toujours dans la même faveur auprès de Sa Majesté Impériale. J'aurai fait le plus beau voyage possible quand je serai de retour. Nous partirons, Grimm et moi, dans le courant de février. Je vous salue et vous embrasse aussi tendrement que jamais. Mille tendres compliments à Mme de Blacy, mon amoureuse, et à M, et Mm Bouchard, à l'abbé Le Monnier et à M. Gaschon. Combien nous en aurons à dire au coin de votre foyer!

Pétersbourg, le 29 décembre 1773; c'est la veille du jour l'an. Le reste s'entend.

CXXXVII

La Haye, le 8 avril 1774.

MESDAMES ET BONNES AMIES,

Après avoir fait sept cents lieues en vingt-deux jours, je suis arrivé à La Haye, le 5 de ce mois, jouissant d'une très-bonne santé, et moins fatigué de cette énorme route que je ne l'ai quelquefois été d'une promenade. Je vous reviens comblé d'honneurs. Si j'avais voulu puiser à pleines mains dans la cassette impériale, je crois que j'en aurais été fort le maître; mais j'ai mieux aimé faire taire les médisants de Pétersbourg et me faire croire des incrédules de Paris. Toutes ces idées qui remplissaient ma tête en sortant de Paris se sont évanouies pendant la première nuit que j'ai passé à Pétersbourg. Ma conduite en est devenue plus honnête et plus haute. N'espérant rien et ne craignant rien, j'ai pu parler comme il me plaisait. Quand aurons-nous la douceur de nous revoir? Peut-être sous quinzaine; peut-être aussi beaucoup plus tard. L'impératrice m'a chargé de l'édition des Règlements de ses nombreux et utiles établissements. Si le libraire hollandais est un arabe, à son ordinaire, je le plante là, et je viens imprimer à Paris. Si j'en puis obtenir un traitement raisonnable, je reste jusqu'à la fin de ce cette tâche qui ne sera pourtant pas éternelle. Quoique la saison ait été si belle que, soumise à nos ordres, elle ne l'aurait pas été davantage; que nous ayons eu les plus belles journées et les routes les meilleures, cela n'a pas empêché que nous n'ayons laissé en chemin quatre voitures fracassées. Quand je me rappelle le passage de la Dwina, à Riga, sur des glaces entr'ouvertes d'où l'eau jaillissait autour de nous, qui s'abaissaient et s'élevaient sous le poids de notre voiture, et craquaient de tous côtés, je frémis encore de ce péril. J'ai pensé me briser un bras et une épaule en passant dans un bac à Mittau où une trentaine d'hommes étaient occupés à porter en l'air notre voiture au hasard de tomber et de nous précipiter tous pêle-mêle dans la rivière. Nous avons été forcés à Hambourg d'envoyer nos malles à Amsterdam, par un chariot de poste; une voiture un peu chargée n'aurait jamais résisté à la difficulté des chemins.

Je suis chez le prince de Galitzin, dont vous pouvez concevoir la joie en me revoyant par celle que vous ressentirez ou un peu plus tôt ou un peu plus tard.

Je crois déjà vous avoir dit qu'après m'avoir fait l'accueil le plus doux, permis l'entrée de son cabinet tous les jours depuis trois heures jusqu'à cinq ou six, l'impératrice a bien voulu souscrire à toutes les demandes que je lui ai faites en prenant congé d'elle: je lui ai demandé de satisfaire aux dépenses de mon voyage, de mon séjour et de mon retour, lui faisant remarquer qu'un philosophe ne voyageait pas en grand seigneur; elle me l'a accordé; je lui ai demandé une bagatelle qui tirait tout son prix d'avoir été à son usage; elle me l'a accordée, et accordée avec une grâce et des marques de l'estime la plus distinguée. Je vous raconterai cela, si ce n'est pas déjà une affaire faite. Je lui ai demandé un des officiers de sa cour pour me remettre sain et sauf où je désirerais, et elle me l'a accordé, ordonnant elle-même la voiture et tous les apprêts de mon voyage.

Mesdames et bonnes amies, je vous jure que cet intervalle de ma vie a été le plus satisfaisant qu'il était possible pour l'amour-propre. Oh! parbleu, il faudra bien que vous m'en croyiez sur ce que je vous dirai de cette femme extraordinaire! Car mon éloge n'aura pas été payé, et ne sortira pas d'une bouche vénale. Je vous salue, vous embrasse, et vous présente mon tendre respect. Vous êtes bien injustes si vous ne croyez pas que je vous rapporte les mêmes sentiments que j'avais en me séparant de vous; ce n'est pas mon cœur, ce seront vos âmes qui seront changées.

Je présente mon respect à Mme Bouchard. Si vous voyez M. Gaschon, rappelez-moi à son souvenir. Mademoiselle, je vous embrasse de tout mon cœur. Mais, est-ce que votre santé n'est pas rétablie?

CXXXVIII

La Haye, le 15 juin 1774.

MESDAMES ET BONNES AMIES,

Ce n'est pas un voyage agréable que j'ai fait; c'est un voyage très-honorable: on m'a traité comme le représentant des honnêtes gens et des habiles gens de mon pays. C'est sous ce titre que je me regarde, lorsque je compare les marques de distinction dont on m'a comblé, avec ce que j'étais en droit d'en attendre pour mon compte. J'allais avec la recommandation du bienfait, beaucoup plus sûre encore que celle du mérite; et voici ce que je m'étais dit: Tu seras présenté à l'impératrice; tu la remercieras; au bout d'un mois, elle désirera peut-être de te voir; elle te fera quelques questions; au bout d'un autre mois, tu iras prendre congé d'elle, et tu reviendras. Ne convenez-vous pas, bonnes amies, que ce serait ainsi que les choses se seraient passées dans toute autre cour que celle de Pétersbourg?

Là, tout au contraire, la porte du cabinet de la souveraine m'est ouverte tous les jours, depuis trois heures de l'après-midi jusqu'à cinq, et quelquefois jusqu'à six. J'entre; on me fait asseoir, et je cause avec la même liberté que vous m'accordez; et en sortant, je suis forcé de m'avouer à moi-même que j'avais l'âme d'un esclave dans le pays qu'on appelle des hommes libres, et que je me suis trouvé l'âme d'un homme libre dans le pays qu'on appelle des esclaves.

Ah! mes amies, quelle souveraine! quelle extraordinaire femme! On n'accusera pas mon éloge de vénalité, car j'ai mis les bornes les plus étroites à sa munificence; il faudra bien qu'on m'en croie, lorsque je la peindrai par ses propres paroles; il faudra bien que vous disiez toutes que c'est l'âme de Brutus sous la figure de Cléopâtre; la fermeté de l'un et les séductions de l'autre; une tenue incroyable dans les idées avec toute la grâce et la légèreté possibles de l'expression; un amour de la vérité porté aussi loin qu'il est possible; la connaissance des affaires de son empire, comme vous l'avez de votre maison: je vous dirai tout cela, mais quand? Ma foi, je voudrais bien que ce fut sous huitaine, car il en faut moins pour arriver de La Haye à Paris du train dont je suis revenu de Pétersbourg à La Haye; mais Sa Majesté Impériale et le général Betzky, son ministre, m'ont chargé de l'édition du plan et des statuts des différents établissements que la souveraine a fondés dans son empire pour l'instruction de la jeunesse et le bonheur de tous ses sujets. J'irai le plus vite que je pourrai, car vous ne doutez pas, bonnes amies, que je ne sois aussi pressé de me restituer à ceux qui me sont chers qu'ils peuvent l'être de me revoir. Sachez, en attendant, qu'il s'est fait trois miracles en ma faveur: le premier, quarante-cinq jours de beau temps de suite, pour aller; le second, cinq mois de suite dans une cour, sans y donner prise à la malignité; et cela, avec une franchise de caractère peu commune et qui prête au torquet des courtisans envieux et malins; le troisième, trente jours de suite d'une saison dont on n'a pas d'exemple, pour revenir, sans autre accident que des voitures brisées: nous en avons changé quatre fois. Combien de détails intéressants je vous réserve pour le coin du feu! Je commence à perdre les traces de vieillesse que la fatigue m'avait données; il me serait si doux de vous retrouver avec de la santé, que je me flatte de cette espérance. Je compte beaucoup sur les soins de Mme de Blacy, et sur ceux de Mme Bouchard; je les salue et les embrasse toutes deux. Mme Bouchard, qui ne pardonne pas aisément une bagatelle, me permettra apparemment de garder un long et profond ressentiment d'un mal qui ne m'a pas encore quitté. La première fois que vous verrez M. Gaschon, dites-lui que si son affaire n'est pas faite, ce n'est pas que je l'aie oubliée; les circonstances n'étaient guère propres au succès dans un pays où la souveraine calcule. J'ai vu Euler, le bon et respectable Euler, plusieurs fois: c'est l'auteur des livres dont votre neveu a besoin. J'espère qu'il sera satisfait. La princesse de Galitzin en avait fait son affaire avant mon départ, et depuis mon arrivée, le prince Henri s'en est chargé. Vous me direz: Pourquoi se reposer sur d'autres de ce qu'on peut faire soi-même? C'est que l'édition d'un des volumes publiés à Pétersbourg est épuisée, et que l'édition de l'autre volume s'est faite à Berlin, où je n'ai pas voulu passer, quoique j'y fusse invité par le roi. Ce n'est pas l'eau de la Néva qui m'a fait mal, c'est une double attaque d'inflammation d'entrailles en allant; ce sont des coliques et un mal effroyable de poitrine causés par la rigueur du froid à Pétersbourg, pendant mon séjour; c'est une chute dans un bac à Mittau, à mon retour, qui ont pensé me tuer; mais la douleur de la chute et les autres accidents se sont dissipés; et si votre santé était à peu près aussi bonne que la mienne, je serais fort content de vous.

J'avais laissé Grimm malade à Pétersbourg; il est convalescent et au moment de son retour; il revient l'âme navrée de douleur: la landgrave de Darmstadt, qu'il avait accompagnée, son amie, la mère de la grande-duchesse, vient de mourir. Je ne saurais vous dire l'étendue de la perte qu'il fait en cette femme. Ma fille m'apprend que, pendant mon absence, vous avez eu quelque bonté pour elle; je vous en fois bien mes remerciements. Ne craignez rien pour ma santé; nous nous retirons de bonne heure, nous ne soupons presque pas. Je n'ai pas encore le courage de travailler; il faut laisser le temps à mes membres disloqués de se rejoindre; c'est l'affaire du sommeil; aussi, depuis mon retour, je dors huit à neuf heures de suite. Le prince a son travail politique; la princesse mène une vie qui n'est guère compatible avec la jeunesse, la légèreté de son esprit, et le goût frivole de son âge; elle sort peu; ne reçoit presque pas compagnie, a des maîtres d'histoire, de mathématiques, de langues; quitte fort bien un grand dîner de cour pour se rendre chez elle à l'heure de sa leçon, s'occupe de plaire à son mari; veille elle-même à l'éducation de ses enfants; a renoncé à la grande parure; se lève et se couche de bonne heure, et ma vie se règle sur celle de sa maison. Nous nous amusons à disputer connue des diables; je ne suis pas toujours de l'avis de la princesse, quoique nous soyons un peu férus tous deux de l'antiquomanie, et il semble que le prince ait pris à tâche de nous contredire en tout: Homère est un nigaud; Pline, un sot fieffé; les Chinois, les plus honnêtes gens de la terre, et ainsi du reste. Comme tous ces gens-là ne sont ni nos cousins, ni nos intimes, il n'entre dans la dispute que de la gaieté, de la vivacité, de la plaisanterie, avec une petite pointe d'amour-propre qui l'assaisonne. Le prince, qui a tant acquis de tableaux, aime mieux avouer qu'il ne s'y connaît pas que d'accorder le mérite de s'y connaître à aucun amateur.

 

Bonjour, mes bonnes amies; agréez mon tendre respect, et me croyez tout à vous, comme j'étais et je serai toute ma vie.

CXXXIX

La Haye, le 3 septembre 1774.

MESDAMES ET BONNES AMIES,

Mes caisses ont été embarquées hier pour Rotterdam; il ne me reste ici de butin que ce qu'on enferme dans un sac de nuit pour un voyage de cinq à six jours.

Le prince et la princesse de Galitzin font tout leur possible pour me retenir jusqu'à la fin du mois; ils prétendent que je devrais attendre, à côté d'eux, la dernière résolution de la cour de Russie sur un projet dont l'impératrice même a fixé l'accomplissement dans le courant de ce mois; mais il n'en sera rien; l'édition de son ouvrage n'est pas encore achevée; j'ai accordé dans ma tête une huitaine à l'imprimeur; passé ce terme, finira la besogne qui voudra. Malgré toutes les attentions de mes hôtes, malgré la beauté du séjour de La Haye, je sèche sur pied; il faut que je vous revoie tous. Qui m'aurait dit, lorsque je partis de Paris, qu'un voyage que j'imaginais de cinq à six mois serait presque trois fois plus long? Je lui aurais bien répondu qu'il en aurait menti par sa gorge. Enfin, je vais regagner mes foyers pour ne les plus quitter de ma vie: le temps où l'on compte par année est passé, et celui où il faut compter par jour est venu; moins on a de revenu, plus il importe d'en faire un bon emploi J'ai peut-être encore une dizaine d'années au fond de mon sac. Dans ces dix années, les fluxions, les rhumatismes, et les restes de cette famille incommode en prendront deux ou trois; tâchons d'économiser les sept autres pour le repos et les petits bonheurs qu'on peut se promettre au delà de la soixantaine. C'est mon projet dans lequel j'espère que vous voudrez bien me seconder. J'avais pensé que les fibres du cœur se racornissaient avec l'âge; il n'en est rien; je ne sais si ma sensibilité ne s'est pas augmentée: tout me touche, tout m'affecte; je serai le plus insigne pleurnicheur vieillard que vous ayez jamais connu. Adieu, mesdames et bonnes amies; encore un petit moment et nous nous reverrons. Je vous salue et vous embrasse de tout mon cœur. Madame de Blacy, on dit que, pendant mon absence, quelqu'un m'a coupé l'herbe sous le pied. Si vous êtes restée ce que vous étiez, vous auriez tout aussi bien fait de me garder. Si vous vous êtes départie de la rigidité de vos principes, je vous félicite de votre perversion et de votre inconstance. Comme je vais être baisé de Mme Bouchard si elle a conservé son goût pour l'histoire naturelle! J'ai des marbres, et tant de baisers pour les marbres; j'ai des métaux, et tant de baisers pour les métaux; des minéraux, et tant de baisers pour les minéraux. Comment fera-t-elle pour acquitter toute la Sibérie? Si chaque baiser doit avoir sa place, je lui conseille de se pourvoir d'amies qui s'y prêtent pour elle: mes baisers, comme vous pensez bien, seront les plus petits que je pourrai; mais la Sibérie est bien grande. Vous auriez fait la même faute que moi, si vous m'aviez laissé oublier de M. et Mme Digeon. Dites encore un petit mot de moi à M. Gaschon, si vous le revoyez avant moi. Il n'aura pas encore résigné sa charge de satellite du plaisir, la plus excentrique de toutes les planètes, qui le promène avec elle sur toutes sortes d'horizons. Adieu, mes bonnes amies; adieu; je reparaîtrai bientôt sur le vôtre, et pour ne plus m'en éloigner.

FIN DES LETTRES A MADEMOISELLE VOLLAND