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Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 3

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Elle pleure un mort que tout le monde respectait et honorait, disais-je dans une pièce de vers composée à cette occasion; mais celui qui vit encore a bien plus de droits à ses larmes. Chose étonnante! elle plaint celui qui est mort naturellement, doucement, et elle n’a nulle pitié pour celui qu’elle fait mourir de désespoir.

«Peu de temps après, lorsque les troupes berbères se furent emparées de la capitale, nous fûmes frappés d’un arrêt d’exil, et je quittai Cordoue au milieu du mois de juillet de l’année 1015. Cinq ans s’écoulèrent pendant lesquels je ne revis pas la jeune fille. A la fin, lorsque je fus revenu à Cordoue en février 1018, j’allai loger chez une de mes parentes et là je la retrouvai. Mais elle était tellement changée que j’avais peine à la reconnaître et que l’on dut me dire que c’était elle. Cette fleur, que naguère on contemplait avec ravissement et que chacun eût voulu cueillir si le respect ne l’eût retenu, était maintenant fanée; à peine lui restait-il quelques traces pour attester qu’elle avait été belle. C’est que pendant ces temps désastreux elle n’avait pu prendre aucun soin d’elle-même. Elevée sous notre toit au milieu du luxe, elle s’était vu forcée tout à coup de gagner sa vie par un travail assidu. Hélas! les femmes sont des fleurs bien fragiles: dès qu’on ne les soigne pas, elles se fanent. Leur beauté ne résiste pas, comme celle des hommes, au hâle du soleil, au simoun, à l’intempérie des saisons, au manque d’égards. Toutefois, telle qu’elle était, elle m’aurait encore rendu le plus heureux des hommes si elle avait voulu m’adresser une tendre parole; mais elle resta indifférente et froide comme elle l’avait toujours été pour moi. Peu à peu cette froideur commença à me détacher d’elle; la perte de sa beauté fit le reste.

«Je ne lui ai jamais rien reproché, et aujourd’hui encore je ne lui reproche rien. Je n’en ai pas le droit. De quoi me plaindrais-je? Je pourrais me plaindre, si elle m’eût bercé d’un espoir trompeur; mais jamais elle ne m’a donné le moindre espoir, jamais elle ne m’a rien promis445

Dans le récit qu’on vient de lire, on aura sans doute remarqué des traits d’une sensibilité exquise et peu commune chez les Arabes, qui préfèrent généralement les grâces qui attirent, les yeux qui préviennent, le sourire qui encourage. L’amour que rêve Ibn-Hazm est un mélange d’attrait physique sans doute – l’objet regretté n’étant plus ce qu’il était, ses regrets sont bien moins cruels – mais aussi d’inclination morale, de galanterie délicate, d’estime, d’enthousiasme, et ce qui le charme, c’est une beauté calme, modeste, pleine d’une douce dignité. Mais il ne faut pas oublier que ce poète, le plus chaste, et je serais tenté de dire, le plus chrétien parmi les poètes musulmans, n’était pas Arabe pur sang. Arrière-petit-fils d’un Espagnol chrétien, il n’avait pas entièrement perdu la manière de penser et de sentir, propre à la race dont il était issu. Ils avaient beau renier leur origine, ces Espagnols arabisés; ils avaient beau invoquer Mahomet au lieu d’invoquer le Christ, et poursuivre leurs anciens coreligionnaires de leurs sarcasmes: au fond de leur cœur il restait toujours quelque chose de pur, de délicat, de spirituel, qui n’était pas arabe.

XVIII

Sept semaines s’étaient à peine écoulées depuis le moment où les Cordouans avaient élu Abdérame V et où celui-ci avait nommé Ibn-Hazm son premier ministre, que déjà l’un avait cessé de vivre et que l’autre, disant adieu pour toujours à la politique et aux grandeurs mondaines, cherchait la consolation et l’oubli du passé dans l’étude, le silence et la prière. Ce n’est pas qu’on pût leur reprocher d’avoir porté dans les affaires sérieuses la vanité et les caprices que le public attribue trop souvent en privilége aux poètes; au contraire, on aimait à leur reconnaître une grande aptitude pour le gouvernement. Elevés dans la rude école de l’infortune et de l’exil, ils avaient appris de bonne heure à connaître les hommes, à comprendre, à juger les événements. Mais ils étaient entourés de périls de tout genre. Abdérame ne s’appuyait que sur la jeune noblesse. Outre Alî ibn-Hazm, un cousin de ce dernier, nommé Abd-al-wahhâb ibn-Hazm, et Abou-Amir ibn-Chohaid étaient ses conseillers habituels. C’étaient des hommes d’esprit et de talent, mais qui choquaient les musulmans rigides par la liberté de leurs opinions religieuses. Quant aux patriciens plus âgés, ils avaient voulu voter pour Solaimân, et ce candidat ayant été repoussé par la majorité, ils avaient cependant intrigué si ouvertement en sa faveur, qu’Abdérame s’était vu obligé de les faire arrêter. Les personnes sensées approuvaient cette mesure, parce qu’elles la croyaient nécessaire; mais l’aristocratie en était mécontente. On reprochait d’ailleurs au monarque de retenir prisonniers ses deux compétiteurs. Il les traitait amicalement, il est vrai, mais il ne leur permettait pas de sortir du palais. D’un autre côté, comme les malheurs publics avaient tari presque toutes les sources de travail, il y avait une foule d’ouvriers inoccupés, qui étaient tout prêts à frapper de leur hache tout l’édifice de la vieille société. Et malheureusement ces cohortes de la destruction avaient un chef. C’était un Omaiyade qui s’appelait Mohammed. Au moment où les assemblées se formaient pour élire un monarque, il avait espéré que le choix tomberait sur lui. Son nom, toutefois, ne fut pas même prononcé, ce qui n’a rien d’étonnant, car Mohammed était un homme sans esprit, sans talents, sans culture, et qui ne connaissait d’autres plaisirs que ceux de la table et de la débauche. Mais lui-même ne se jugeait pas ainsi, et quand il apprit que personne n’avait pensé à lui et que l’on avait donné le trône à un tout jeune homme, il ne mit point de bornes à sa fureur. Il se servit alors de l’influence qu’il avait sur les ouvriers, qui prenaient sa grossièreté pour de la bonhomie et avec lesquels il vivait dans une intimité si étroite, qu’un tisserand, nommé Ahmed ibn-Khâlid, était son meilleur ami. Vigoureusement et habilement secondé par cet homme, Mohammed stimula chez les ouvriers la passion du pillage et du bouleversement, et prépara tout pour une insurrection formidable.

Une coalition de la populace avec les patriciens qui avaient été arrêtés, ne semblait pas à craindre d’abord, puisque les uns et les autres avaient des candidats différents; mais Solaimân étant venu à mourir, les patriciens consentirent à s’allier aux démagogues. L’un d’entre eux, Ibn-Imrân, leur servit d’intermédiaire. Dans sa bonté imprévoyante, Abdérame V lui avait rendu la liberté, quoiqu’un de ses amis s’y fût opposé et qu’il eût dit: «Si cet Ibn-Imrân fait un pas ailleurs que dans votre prison, il retranchera toute une année de votre vie.» En effet, c’était un homme fort dangereux. Il tâcha de gagner les chefs de la garde, et il y réussit d’autant plus facilement, que la garde elle-même était mécontente du calife. Deux jours auparavant, un escadron berber était arrivé à Cordoue pour offrir ses services au monarque, et celui-ci, qui sentait qu’entouré de périls de tout genre il avait besoin de soldats, avait accepté leur offre. C’est ce qui avait excité la jalousie de la garde, et celle-ci, stimulée par Ibn-Imrân, s’adressa maintenant au peuple. «C’est nous qui avons vaincu les Berbers, disaient les soldats, c’est nous qui les avons chassés, et à présent cet homme que nous avons placé sur le trône tâche de les faire rentrer dans la ville et de nous soumettre de nouveau à leur empire détesté.» Le peuple qui, pour s’insurger, n’attendait qu’une occasion, qu’un signal, se laissa facilement séduire à ces instigations, et au moment où Abdérame ne se doutait encore de rien, la foule avait déjà envahi son palais et délivré les nobles qu’il avait fait arrêter. Le malheureux monarque comprit aussitôt que c’était à sa vie qu’on en voulait. Il demanda à ses vizirs ce qu’ils lui conseillaient de faire. Ceux-ci, qui craignaient pour leur propre vie, délibéraient encore sur le parti à prendre, lorsque les gardes leur crièrent qu’ils n’auraient rien à redouter, pourvu qu’ils abandonnassent Abdérame à son sort. Alors l’égoïsme l’emporta chez la plupart d’entre eux; ils quittèrent furtivement le monarque, l’un après l’autre. Bientôt, cependant, ils s’aperçurent que les promesses des gardes avaient été fallacieuses, car plusieurs d’entre eux, tels que le préfet de la ville, furent tués au moment où ils sortaient du palais par la porte de la salle de bain.

Abdérame lui-même, qui était monté à cheval, voulut sortir par cette même porte. Les gardes l’en empêchèrent en lui montrant les pointes de leurs lances et en l’accablant d’injures. Il retourna alors sur ses pas, et, ayant mis pied à terre, il entra dans la salle de bain. Là il ôta tous ses vêtements à l’exception de sa tunique, et se cacha dans le four.

Sur ces entrefaites le peuple et les gardes traquaient les Berbers comme s’ils eussent été des bêtes fauves. Ces malheureux furent massacrés partout où ils avaient cherché un refuge, dans le palais, dans la salle de bain, dans la mosquée. Les femmes du sérail d’Abdérame échurent en partage aux gardes, qui les conduisirent à leurs demeures.

Mohammed triomphait. Proclamé calife dans la chambre où le calife détrôné se tenait caché, il se rendit vers la grande salle et s’assit sur le trône, entouré des gardes et de la populace. Cependant sa position était précaire tant que son prédécesseur vivait encore. Il ordonna donc de le chercher partout, et quand enfin on l’eut trouvé, il le fit mettre à mort (18 janvier 1024).

Mohammed prit le titre de Mostacfî. Il tâcha de se rendre populaire en donnant de l’argent et des titres à tous ceux qui en voulaient; mais la colère de la bourgeoisie et de la noblesse fut extrême quand il nomma son ami, le tisserand, premier ministre. Au reste, son règne ne fut pas de longue durée. Il gouverna mal, comme cela se conçoit. Sachant que l’on conspirait contre lui, il fit jeter en prison plusieurs membres de sa famille. L’un d’entre eux fut même étranglé sur son ordre, ce qui causa une grande indignation à Cordoue. Il fit aussi arrêter les principaux conseillers de son prédécesseur, tels que les deux Ibn-Hazm, et afin de ne pas être frappés du même sort, Abou-Amir ibn-Chohaid et plusieurs autres quittèrent la capitale et se rendirent à Malaga auprès du Hammoudite Yahyâ, qu’ils excitèrent à aller mettre un terme à l’anarchie qui régnait à Cordoue446. Les tentatives qu’ils firent à cet effet ne demeurèrent pas absolument infructueuses. On apprit du moins à Cordoue que Yahyâ se préparait à venir attaquer la ville, et alors une émeute y éclata (mai 1025). Le vizir de Mohammed II, l’ancien tisserand, fut égorgé à coups de couteaux par le peuple, qui, dans sa rage brutale, ne cessa de frapper son cadavre que lorsqu’il eut perdu tout reste de chaleur. Quant à Mohammed II, son palais fut cerné, et alors les gardes vinrent le trouver et lui dirent: «Dieu sait que nous avons fait tout ce que nous pouvions pour affermir votre pouvoir, mais nous voyons à présent que nous avons tenté l’impossible. Nous devons nous mettre en marche pour aller combattre Yahyâ qui nous menace, et nous craignons qu’il ne vous arrive quelque chose de fâcheux quand nous serons partis. Nous vous conseillons donc de quitter la ville en secret.» Voyant que tout était perdu pour lui, Mohammed résolut de suivre leurs conseils. Ayant donc pris le costume d’une chanteuse et s’étant couvert le visage d’un voile, il sortit du palais et de la ville, accompagné de deux femmes. Puis il alla cacher sa honte dans un obscur village de la frontière, où il fut empoisonné par un officier trop compromis pour n’avoir pas été forcé de le suivre, mais qui s’ennuyait d’être enchaîné à un proscrit447.

 

Pendant six mois, il n’y eut pas de monarque à Cordoue. La ville fut gouvernée, tant bien que mal, par le conseil d’Etat; mais une telle situation ne pouvait encore se prolonger longtemps. Un jour il faudrait en arriver là, mais le moment n’était pas venu; le vieux monde s’écroulait, mais le nouveau n’en était qu’aux essais. Aux hommes de bon sens la monarchie semblait encore la seule forme de gouvernement compatible avec l’ordre, mais en qui la rétablir? Dans la personne d’un Omaiyade? On l’avait voulu, on l’avait tenté, on avait choisi le meilleur prince que possédât cette maison alors qu’on avait donné le trône à Abdérame V, et cependant l’entreprise avait complétement échoué. Pour maintenir l’ordre, pour contenir la populace toujours inquiète, toujours agitée, et prête à tout moment pour l’émeute, le pillage et l’assassinat, il fallait un prince qui disposât de troupes étrangères, et les Omaiyades n’en avaient pas. On s’avisa donc de rendre le trône au Hammoudite Yahyâ, dont on n’avait pas eu trop à se plaindre, et cette pensée ne vint pas, ce nous semble, à quelques personnes mal-intentionnées, comme un auteur arabe donne à l’entendre448, mais à tout le parti de l’ordre, qui ne voyait pas d’autre moyen de salut. On entra donc en négociations avec Yahyâ qui résidait à Malaga. Il accepta l’offre des Cordouans sans empressement, presque avec indifférence, et se défiant de la mobilité habituelle de ceux qui la faisaient, sachant d’ailleurs que pour eux il n’était qu’un pis aller, il resta où il était et se borna à envoyer à Cordoue un général berber accompagné de quelques troupes (novembre 1025).

L’événement montra qu’il avait agi sagement. Les habitants de la capitale ne tardèrent pas à se dégoûter de la domination africaine, et ils prêtèrent une oreille avide aux émissaires des seigneurs slaves de l’Est, Khairân d’Almérie et Modjéhid de Dénia, qui leur disaient que, s’ils voulaient s’en affranchir, leurs maîtres viendraient les aider. Cette promesse n’était pas vaine. Dans le mois de mai de l’année 1026, lorsque les esprits leur parurent suffisamment préparés, les deux princes marchèrent vers la capitale avec des troupes nombreuses, et alors les Cordouans se mirent en insurrection et chassèrent le gouverneur que Yahyâ leur avait donné, après avoir tué un assez grand nombre de ses soldats. Cela fait, ils ouvrirent leurs portes à Khairân et Modjéhid; mais quand il s’agit d’établir un gouvernement, les deux princes ne furent pas d’accord, et comme Khairân craignait d’être trahi par son allié, il se hâta de retourner à Almérie (12 juin). Modjéhid resta encore quelque temps dans la capitale, mais lui aussi la quitta sans avoir rétabli la monarchie. Après son départ, les membres du conseil d’Etat résolurent de le faire, encore qu’une triste expérience eût dû leur apprendre qu’ils allaient tenter l’impossible. Un prince omaiyade, jeté sans l’appui de troupes étrangères au milieu de deux classes irréconciliables, était condamné d’avance à succomber soit par une insurrection populaire, soit par une conspiration des patriciens. Pour rétablir un gouvernement stable, le rappel des Omaiyades n’était donc qu’un moyen trompeur, mais c’était le seul que les plus habiles sussent imaginer. Abou-’l-Hazm ibn-Djahwar, alors l’homme le plus influent dans le conseil, chérissait surtout cette idée. Il se concerta donc avec les chefs des frontières qui passaient pour appartenir au parti omaiyade ou slave, mais qui, à vrai dire, n’avaient en commun entre eux qu’une haine profonde contre les Berbers. Après de longues négociations, quelques-uns de ces seigneurs donnèrent enfin leur assentiment au projet, probablement parce qu’ils étaient convaincus qu’il n’avait aucune chance de réussir, et l’on résolut de donner le trône à Hichâm, frère aîné d’Abdérame IV Mortadhâ. Ce prince demeurait à Alpuente, où il avait cherché un refuge après le meurtre de son frère. Dès le mois d’avril 1027, les habitants de Cordoue lui prêtèrent serment, mais près de trois ans se passèrent encore avant que toutes les difficultés fussent aplanies, et pendant ce temps, Hichâm III, surnommé Motadd449, errait de ville en ville, car plusieurs chefs s’opposaient à ce qu’il se rendît à Cordoue450. Les Cordouans apprirent enfin qu’il allait arriver. Les membres du conseil d’Etat firent aussitôt, pour le recevoir avec pompe, les préparatifs nécessaires; mais avant que tout fût prêt, on reçut la nouvelle, le 18 décembre 1029, que Hichâm allait entrer dans la ville. Les troupes se portèrent alors à sa rencontre, et toute la ville retentit de cris d’allégresse. La foule encombrait les rues par lesquelles le prince devait passer, et l’on s’attendait à le voir déployer une pompe magnifique et toute royale. Cet espoir fut déçu: Hichâm était monté sur un cheval médiocre et pauvrement équipé; il portait des vêtements simples et nullement en harmonie avec la dignité califale. Il n’y eut donc aucun prestige; néanmoins le peuple le salua avec de bruyants témoignages de joie, car on espérait que les désordres étaient finis et qu’un gouvernement équitable et vigoureux allait renaître.

Hichâm III était peu fait pour réaliser de telles espérances. Bon et doux, il était en même temps faible, irrésolu, indolent, et ne savait apprécier que les plaisirs de la table. Dès le lendemain les patriciens furent à même de se convaincre que leur choix n’avait pas été heureux. Il y eut alors, dans la salle du trône, une grande audience, et tous les employés furent présentés au calife; mais nullement accoutumé aux réceptions, aux harangues, le vieillard put à peine balbutier quelques mots, et un des grands dignitaires dut prendre la parole en son nom. Ensuite, quand les poètes lui récitèrent les odes qu’ils avaient composées à l’occasion de son avénement au trône, il ne sut leur adresser aucune parole gracieuse; il ne semblait même pas comprendre ce qu’on lui récitait.

Le début du calife avait donc déjà dissipé toute illusion; mais ce fut pis encore quand, peu après, il nomma Hacam ibn-Saîd son premier ministre. Client des Amirides, Hacam avait exercé d’abord le métier de tisserand dans la capitale, et c’est là qu’il avait fait la connaissance de Hichâm, car les princes omaiyades formaient souvent des liaisons dans les basses classes de la société, dont ils recherchaient l’appui. Plus tard, pendant la guerre civile, Hacam s’était fait soldat, et comme il ne semble avoir manqué ni de bravoure ni de talents militaires, il était monté rapidement en grade, et avait gagné l’estime des seigneurs des frontières sous lesquels il servait. Ensuite, Hichâm ayant été proclamé calife, il était allé le trouver, et lui ayant rappelé leur ancienne amitié, il avait su si bien s’insinuer dans ses bonnes grâces, qu’il n’avait pas tardé à le dominer entièrement. Nommé premier ministre, il prit soin que la table du monarque fût chargée chaque jour des mets les plus exquis et des meilleurs vins; il l’entoura de chanteuses, de danseuses, il tâcha, en un mot, de lui rendre la vie aussi douce que possible, et le faible Hichâm, indifférent à tout le reste, trop heureux même de ne pas avoir à se mêler d’affaires qui l’ennuyaient, lui abandonnait volontiers le gouvernement de l’Etat.

Hacam trouva le trésor vide. Pour suffire aux dépenses, il fallait trouver des revenus plus considérables et plus prompts que ceux que la loi accordait; mais comment s’y prendre? Lever de nouvelles contributions, il ne fallait pas y songer, c’eût été le plus sûr moyen de se rendre impopulaire. Le ministre dut donc recourir à divers expédients, peu honorables il est vrai, mais commandés par la nécessité. Ayant découvert des objets précieux que les fils de Modhaffar l’Amiride avaient déposés chez leurs amis, il s’en empara et força les principaux négociants à les acheter à un prix très-élevé. Il les contraignit aussi à acheter le plomb et le fer qui provenaient des palais royaux démolis pendant la guerre civile. Mais l’argent acquis de cette manière ne suffisant pas encore, il accorda sa confiance à un faqui haï et décrié, Ibn-al-Djaiyâr, qui, dans le temps, avait déjà indiqué au calife Alî ibn-Hammoud des moyens efficaces, mais honteux, pour remplir le trésor. Cette fois encore cet homme sut procurer à Hacam des revenus considérables aux dépens des mosquées. Cette action frauduleuse ne resta pas secrète, et les Cordouans, les faquis surtout, en murmurèrent. Il n’y avait pas longtemps, toutefois, que les faquis qui siégeaient dans le tribunal avaient laissé augmenter leurs traitements, quoiqu’ils n’ignorassent pas que l’argent qu’on leur donnait provenait de contributions illégales, et que, par conséquent, il ne leur était pas permis de l’accepter. Aussi Hacam s’indigna-t-il de l’hypocrisie des faquis, et il leur répondit en leur lançant un manifeste fulminant. Abou-Amir ibn-Chohaid, qui l’avait composé, le lut en public, d’abord dans le palais, ensuite dans la mosquée (juin 1030). Vivement offensés, les faquis tâchèrent de faire partager leur colère au peuple; mais comme les masses ne semblent pas avoir eu de graves motifs de plainte, ils n’y réussirent pas. De son côté, le gouvernement redoubla de rigueur. Un vizir qui avait trempé dans un complot, fut exécuté, et Ibn-Chohaid voulait qu’on sévît contre les gros bonnets, comme il disait. «Ne faites pas attention aux déclamations de cette troupe d’avares qui méritent bien qu’on les vole, disait-il dans une pièce de vers adressée au calife, et laissez à ma langue de basilic le soin de leur dire leur fait.»

 

Que si Hacam n’eût eu contre lui que les théologiens, il se serait maintenu au pouvoir, car à cette époque ils avaient trop peu de crédit pour lui nuire; mais il avait des ennemis bien autrement dangereux: presque toute la noblesse lui était hostile. La bassesse de sa naissance était aux yeux des patriciens une tache ineffaçable. Ils voyaient en lui, non pas un officier de fortune, mais un tisserand, et ils le mettaient à peu près sur la même ligne que le premier ministre de Mohammed II, quoiqu’il y eût une grande différence entre ces deux hommes, l’un n’ayant jamais été autre chose qu’un ouvrier, et l’autre ayant passé les meilleures années de sa vie dans les camps ou à la cour des princes de la frontière. Peu scrupuleux sur les moyens de remplir le trésor, ils auraient facilement pardonné à un homme de leur caste les opérations financières auxquelles le ministre avait été forcé de recourir; mais comme c’était un plébéien qui les avait faites, ils les dénoncèrent au peuple dès qu’ils en eurent le vent, et les exploitèrent au profit de leur haine. Cette haine, du reste, nuisait à leurs propres intérêts. Au commencement, Hacam ne s’était pas senti de répugnance pour eux, il ne les avait pas exclus de parti pris, à preuve qu’il avait fait du patricien Ibn-Chohaid son ami et son confident; mais comme il voyait qu’ils ne répondaient à ses avances que par le dédain et le mépris; comme il ne trouvait chez eux que mauvais vouloir, répulsion, hostilité ouverte, sa susceptibilité s’était alarmée, et il avait cherché ses employés parmi les plébéiens. Ceux auxquels il confiait les postes étaient frappés d’avance de la réprobation de la noblesse; aussi ne manquait-elle pas de dire que le ministre ne donnait les emplois qu’à «de jeunes tisserands sans expérience, des vauriens sans religion, qui ne s’occupaient que de vin, de fleurs et de truffes, qui montraient leur esprit aux dépens des gens les plus respectables, et se moquaient des malheureux qui venaient leur demander justice.» Quant à Hacam lui-même, ils le déclaraient un intrigant sans capacité, un officier sans courage, un bon cavalier et rien de plus. La haine les aveuglait peut-être; mais ce qui est certain, c’est que, pour faire tomber celui qu’ils haïssaient, ils recoururent aux moyens les plus odieux.

Ils tâchèrent d’abord de pousser le peuple à une émeute, en lui disant que la stagnation du commerce, dont les calamités publiques étaient la véritable cause, ne devait être imputée qu’aux droits que le ministre avait établis sur plusieurs marchandises. Ces discours portèrent leurs fruits, et quelques hommes du peuple promirent aux nobles d’aller attaquer la demeure du ministre; mais averti à temps par un de ses amis, ce dernier quitta son palais, et, s’étant installé dans celui du calife, il abolit les impôts dont on se plaignait, et adressa au peuple un long manifeste, dans lequel il disait qu’il n’avait établi ces droits que pour satisfaire aux besoins pressants du trésor, mais que dans la suite il tâcherait de s’en passer. Le peuple ayant donc cessé de murmurer, les nobles eurent recours à un autre moyen. Comme Hacam avait peu de confiance dans les soldats andalous qui étaient à la dévotion des patriciens, il tâchait de former des compagnies berbères451. Les Andalous en murmuraient, et les nobles ne manquèrent pas de fomenter leur mécontentement; mais s’apercevant de ce qui se tramait contre lui, Hacam prit des mesures efficaces pour maintenir les soldats dans l’obéissance et punit les boute-feu en retenant leur paye. Alors les patriciens essayèrent de le faire tomber en disgrâce auprès de Hichâm. Ils n’y réussirent pas davantage: Hacam avait plus d’influence qu’eux sur l’esprit du faible monarque, et l’entrée du palais leur fut interdite. Ibn-Djahwar seul, le président du conseil d’Etat, conservait un certain empire sur le calife, qui le regardait avec un sentiment de respect mêlé de reconnaissance, car c’était à lui qu’il était redevable de son trône, ou plutôt de son oisiveté dorée. Tous les efforts de Hacam pour faire destituer Ibn-Djahwar de ses fonctions demeurèrent infructueux; cependant il ne se laissait pas décourager; il insistait sans cesse auprès du monarque et se promettait bien de vaincre à la fin ses scrupules. Ibn-Djahwar le savait; il s’apercevait peut-être qu’il perdait du terrain, et dès lors son parti était pris: il fallait en finir, non seulement avec le ministre, mais avec la monarchie, et dorénavant le conseil d’Etat régnerait seul. Ses collègues goûtèrent facilement ce projet; mais comment feraient-ils pour gagner des partisans? La difficulté était là; il y avait bien des gens prêts à tout entreprendre pour détrôner Hichâm III, mais quant à substituer une oligarchie au gouvernement d’un seul, nul, sauf les membres du conseil, ne semble y avoir songé, tant les sentiments et les idées étaient encore monarchiques. Les conseillers crurent donc prudent de cacher leur jeu, et feignant de vouloir seulement substituer un autre monarque à Hichâm III, ils entrèrent en négociations avec un parent du calife. Il s’appelait Omaiya. C’était un jeune homme téméraire et ambitieux, mais peu clairvoyant. Les conseillers lui donnèrent à entendre que, s’il voulait se mettre à la tête d’une insurrection, il pourrait conquérir le trône. Sans soupçonner qu’il n’était pour eux qu’un instrument qu’ils repousseraient dès qu’ils s’en seraient servis, le jeune prince accueillit avidement leurs ouvertures, et comme il ne ménageait pas l’argent, il gagna facilement les soldats dont le ministre avait retenu la paye. En décembre 1031452, ces hommes se mirent donc en embuscade, fondirent sur Hacam au moment où il sortait du palais, le jetèrent dans la boue, et l’assassinèrent avant qu’il eût eu le temps de tirer son épée; puis ils lui coupèrent la tête, et l’ayant lavée dans un cuvier de la poissonnerie, car le sang et la boue l’avaient rendue méconnaissable, ils la promenèrent au bout d’une pique. Omaiya vint alors diriger les mouvements des soldats et de la foule qui s’était réunie à eux, tandis que Hichâm, effrayé par les cris horribles qu’il entendait retentir autour de sa demeure, montait sur une tour très-haute, accompagné des femmes de son harem et de quatre Slaves.

– Que me voulez-vous? cria-t-il aux insurgés qui s’emparaient déjà du palais; je ne vous ai rien fait, moi; si vous avez quelque sujet de plainte, allez trouver mon vizir, il vous fera justice.

– Ton vizir? répondit-on d’en bas; on va te le montrer.

Et alors Hichâm vit, au bout d’une lance, une tête horriblement mutilée.

– Voici la tête de ton vizir, cria-t-on, de cet infâme auquel tu as livré ton peuple, misérable fainéant!

Tandis que Hichâm cherchait encore à apaiser ces hommes féroces qui ne lui répondaient que par des injures et des outrages, une autre bande pénétra jusqu’aux appartements des femmes, où l’on prit tout ce qui valait la peine d’être emporté, et où l’on trouva des chaînes entièrement neuves, que Hacam, disait-on, avait fait fabriquer pour les nobles. Omaiya stimulait les pillards du geste et des paroles. «Prenez, mes amis, criait-il, toutes ces richesses sont à vous; mais tâchez donc aussi de monter sur la tour et tuez-moi cet infâme.» On tenta l’escalade, mais en vain; la tour était trop haute. Hichâm appelait à son secours les habitants de la ville qui ne prenaient pas de part au pillage; mais personne ne répondit à son appel.

Cependant Omaiya, convaincu que les vizirs allaient le reconnaître pour calife, s’était établi dans la grande salle. Assis sur le sofa de Hichâm et entouré des principaux d’entre les pillards, auxquels il avait déjà conféré des emplois, il leur donnait des ordres comme s’il était déjà calife. «Nous craignons qu’on ne vous tue, lui dit un de ceux qui se trouvaient là, car la fortune semble avoir abandonné votre famille. – N’importe, lui répondit Omaiya; que l’on me prête serment aujourd’hui, et que l’on me tue demain453!» Le jeune ambitieux ne se doutait pas de ce qui se passait alors dans la maison d’Ibn-Djahwar.

Dès le commencement de l’émeute, le président du conseil avait délibéré avec ses collègues, qu’il avait convoqués dans sa demeure, sur les mesures qu’il fallait prendre, et tout ayant été réglé entre eux, les membres du conseil se rendirent au palais, accompagnés de leurs clients et de leurs serviteurs, tous bien armés. «Que le pillage cesse! crièrent-ils; Hichâm abdiquera, nous vous en répondons.» Soit que la présence de ces hauts dignitaires imposât à la multitude, soit qu’elle craignît d’en venir aux mains avec leur escorte, soit, enfin, qu’il n’y eût plus grand’chose à piller, l’ordre se rétablit peu à peu. «Rendez-vous et descendez de la tour, crièrent alors les vizirs en s’adressant à Hichâm; vous abdiquerez, mais vous aurez la vie sauve.» Malgré qu’il en eût, Hichâm fut obligé de se mettre entre leurs mains, car il manquait de vivres dans la tour. Il descendit donc, et les vizirs le firent conduire avec ses femmes dans une espèce de corridor qui faisait partie de la grande mosquée. «J’aimerais mieux être jeté dans la mer que de passer par tant de tribulations, s’écria-t-il pendant le trajet. Faites de moi ce que vous voudrez, mais épargnez mes femmes, je vous en supplie.»

445Ibn-Hazm, Traité sur l’amour, fol. 99 r. -102 v.
446Voyez Ibn-Bassâm, t. I, fol. 82 v.
447Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 9 v. -11 r., 114 r. -115 r.; Ibn-al-Athîr; Maccarî, t. I, p. 319, 320; Abd-al-wâhid, p. 38-40; Rodrigue de Tolède, c. 44.
448Homaidî, que tous les autres écrivains arabes ont copié.
449Ou Motamid, selon d’autres.
450Abd-al-wâhid, p. 40, 41.
451Voyez Ibn-al-Athîr.
452Voyez Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 157 r.
453Ibn-al-Athîr, sous l’année 407.