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Aux glaces polaires

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Lui-même comptait écouler dans ce refuge, auprès de Mgr Taché, et «en les consacrant au salut de son âme, ses dernières années.»

Hélas! l’aube des derniers jours se levait déjà.

Il s’occupa encore, au printemps 1890, de l’expédition des effets du Mackenzie, sans oublier même les «douceurs maternelles».

– Allez m’acheter une petite balance, dit-il, au Frère Boisramé, et surtout qu’elle soit exacte!

Sur cette balance, il pesa scrupuleusement les trois livres de sucre par missionnaire, que les moyens permettaient désormais d’allouer annuellement.

De sa «maison-palais», ainsi qu’il l’appelait en riant, il ne sortait que pour visiter Mgr Taché:

– Allons voir Alexandre, disait-il.

Mais, chez lui, tout Saint-Boniface était le bienvenu.

Dans l’oratoire qu’il avait construit et orné de ses mains, il accomplissait, avec la ponctualité d’un novice, tous les exercices prescrits ou conseillés par la Règle des Oblats.

Il célébra sa dernière messe, deux semaines avant sa mort. De ce moment, un prêtre vint chaque matin offrir devant lui le saint sacrifice et lui donner la sainte communion.

Loin de se plaindre, il se trouvait heureux de souffrir de l’immobilité de Notre-Seigneur attaché au gibet, et se répétait la parole de Mgr de Mazenod:

– Quand on est sur la croix, il faut s’y bien tenir!

Mais l’inaction hâta sa fin. La maladie de foie dont il souffrait, et dont il avait ressenti l’atteinte fatale, au cours d’une ordination qu’il faisait, le 13 juin, au collège de Saint-Boniface, répandit le désordre complet dans son robuste organisme. Il devint somnolent, enflé, incapable de se coucher.

M. l’abbé Messier, curé de la cathédrale et son confesseur, alla pour l’avertir, sur l’avis du médecin:

– Monseigneur, si j’avais un paroissien dans votre état, je lui dirais qu’il est temps de…

– Ah! C’est bien! répondit allègrement le malade, coupant la phrase. Allons-y!

Interpellant aussitôt le Père Pascal (futur Mgr Pascal), qui était depuis plusieurs mois son infirmier:

– Père Pascal, vite, allez me chercher les Sœurs Grises de l’hôpital, afin qu’elles prient, pendant que vous m’administrerez. Faisons bien les choses. On ne part qu’une fois pour l’éternité.

Ayant reçu le saint Viatique et l’Extrême-Onction, il s’absorba dans une ardente action de grâces. On l’entendit murmurer:

– O bon Jésus, qu’on est heureux de vous avoir quand on souffre! Quelle force, quel baume, quelle consolation pour mes souffrances!.. O bon Jésus, ce que vous faites est parfait! Je vous consacre le reste de vie que vous me laissez!..

Puis, comme revenant d’un monde lointain, il regarda autour de lui et aperçut les prêtres et les religieuses en larmes. Il n’avait jamais pu voir la peine des autres, sans tout faire pour la dissiper:

– Allons, allons, dit-il, réjouissons-nous! Un chrétien doit mourir gaiement! Qu’on me donne ma vieille pipe du Nord, et contons des histoires!

On lui donna la pipe. Mais le dernier effort de sa joviale charité fut d’en tirer quelques faibles bouffées. Elle tomba, inachevée.

Le lendemain, Mgr Taché, rentrant d’un voyage, trouva son cher ami sans connaissance.

Durant les cinq jours qui suivirent, Mgr Faraud ne sembla revenir à lui qu’un très court moment. Ce fut pour exprimer un merci à ses deux gardes-malades, dont il trouva les mains dans les siennes. Il dit seulement:

– Pauvre Père!.. Cher Curé!..

Et son regard affectueux, allant du Père Pascal à M. Messier, accompagna les mots.

Il expira, après trente-six heures d’une violente agonie, le 26 septembre 1890.

«Le Frère Boisramé pleura, à n’en plus finir.»31

Mgr Vital-Justin Grandin (1829-1902)

Consacré à la Sainte Vierge, dès avant sa naissance, Mgr Grandin manifesta, tout enfant, une piété de prédilection envers la Reine des Apôtres.

Un jour, l’un de ses condisciples, le Père Fouquet, lui annonça qu’il partait pour le noviciat des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée. Ce titre le fascina. Missionnaire, et, en même temps, le dévouéoblatus– de Marie Immaculée, n’était-ce pas l’idéal réalisé de tous ses rêves!

Au moment de cette révélation, il se trouvait au séminaire des Missions Etrangères de Paris, la seule institution fondée pour l’évangélisation des infidèles, qu’il eût encore connue; et il s’y préparait à l’apostolat des Chinois, avec le Vénérable Théophane Vénard, le Bienheureux Chapdelaine et d’autres futurs martyrs. De lui-même, il n’eût point quitté le séminaire. Mais ses supérieurs, tout contristés de perdre un tel sujet, lui conseillèrent de retourner au diocèse de Laval, à cause d’un défaut naturel, jugé incompatible avec l’usage des langues orientales. Ce défaut était un léger zézaiement, lequel, d’autre part, uni à la simplicité de ses manières, achevait de le rendre sympathique.

Le chagrin du pauvre «expulsé» tomba, devant le conseil que lui donna, le même jour, son directeur de conscience «d’essayer les Oblats».

Il était au noviciat de Notre-Dame de l’Osier, en 1852, lorsque passa Mgr Taché, nouvellement sacré. Les récits du jeune évêque missionnaire l’enthousiasmèrent:

«Je vous assure, écrivit-il à ses parents, je vous assure que si j’allais dans cette mission, je ne regretterais ni la Chine, ni le Tonkin».

Il fut, selon ses vœux, donné à Mgr Taché, malgré une bien chétive santé, et malgré le médecin assurant qu’il ne «supporterait peut-être même pas l’épreuve de la traversée.»

Le Père Grandin demeura, l’hiver, à Saint-Boniface, et partit, en juin 1855, pour la mission de la Nativité (lac Athabaska) comme assistant du Père Faraud.

De la Nativité, il alla passer quelques mois à la rivière au Sel, chez le patriarche Beaulieu, son professeur de montagnais, et quelques semaines à Notre-Dame des Sept Douleurs (fond du lac Athabaska).

Mais au bout de deux années seulement, 1857, il reçût l’ordre de se rendre à l’Ile à la Crosse, pour prendre charge de la mission Saint-Jean-Baptiste.

C’est là, lui aussi, que l’année suivante, en juillet 1858, il vit tomber soudain sur ses épaules l’honneur de l’épiscopat. Ses bulles le préconisaient évêque de Satala, et coadjuteur de Mgr Taché, évêque de Saint-Boniface.

Ses protestations, qu’il croyait invincibles auprès de Mgr de Mazenod, lui attirèrent cette réponse:

« – Je n’approuve pas vos observations, et je vous interdis d’en faire de nouvelles. Venez de suite, et n’attendez pas que je sois mort pour obéir à mes ordres.»

Mgr Taché ajoutait à la lettre du Fondateur des Oblats:

« – Hâtez-vous. Votre préconisation datera bientôt de deux ans. Le Pape vous regarde déjà comme un vieil évêque, et, s’il vous écrivait, il vous donnerait le titre de vénérable frère

Le soir du 30 novembre 1859, Mgr de Mazenod écrivait:

Voici encore un des beaux jours de ma vie. Je viens de consacrer évêque notre bon, notre vertueux, notre excellent Père Grandin. Il avait été faire son noviciat pour l’épiscopat, dans l’horriblement pénible mission des immenses régions glaciales renfermées dans le diocèse de Saint-Boniface, et cela pendant cinq ans d’un travail surhumain. Elu depuis deux ans évêque de Satala, in partibus, et coadjuteur de Saint-Boniface, j’ai dû attendre qu’il eût le temps d’arriver jusqu’à moi pour que je lui impose les mains. C’est un privilège que je me suis réservé, et que ne m’a pas contesté notre cher Mgr Taché, évêque de Saint-Boniface. J’ai déjà exprimé la joie que m’a fait éprouver la venue de ce bon fils qui tenait de moi la tonsure, les ordres mineurs, le sous-diaconat, le diaconat et la prêtrise… Je renonce à exprimer ce que j’ai éprouvé de bonheur, en sacrant un tel évêque.

Le 17 avril suivant, Mgr de Mazenod traçait à Mgr Taché, sur le nouvel évêque, qu’il connaissait encore mieux, ces remarques, restées inédites:

Oh, cet excellent Mgr Grandin! Voilà un missionnaire achevé. Quelle bonne inspiration nous avons eue de le choisir pour être votre coadjuteur! A lui seul, il vaut dix missionnaires. Il a déployé un bon sens rare, dès son apparition ici. On n’a jamais vu un homme exciter une sympathie plus universelle. C’est prodigieux. Il n’a eu qu’à paraître, et tout le monde s’est mis à l’aimer et à le révérer… Ce cher évêque a l’esprit si juste; il a tant de vrai zèle pour la gloire de Dieu, le salut des âmes, l’honneur et les avantages de sa mission qui est essentiellement nôtre; il vous rend tant de justice; il met si bien chacun à sa place, que c’est un vrai plaisir de s’entretenir avec lui sur tous les objets.

Il fut convenu que désormais Mgr Taché resterait à Saint-Boniface, porte du Nord-Ouest, et que son coadjuteur s’installerait – comme s’installent les missionnaires, – à l’Ile à la Crosse, porte de l’Extrême-Nord.

L’Ile à la Crosse avait déjà les affections de Mgr Grandin. Il l’aima davantage de 1860 à 1869. Il l’aima peut-être plus que ne l’aimèrent les autres évêques dont elle avait été aussi le Bethléem, parce qu’il y travailla plus que personne, et surtout parce que, l’ayant lui-même développée, embellie, il eut à la voir disparaître dans les horreurs d’un incendie. En deux heures de la froide nuit du 1er mars 1867, sous les yeux de l’évêque, des religieuses, des orphelins, qui étaient là, à peine vêtus, les pieds nus dans la neige, et impuissants à rien sauver, évêché, couvent, orphelinat, remises, provisions de réserve, tout fut brûlé32.

 

En 1869, le Saint-Siège détacha de Saint-Boniface le diocèse de Saint-Albert, nommant Mgr Grandin titulaire du nouvel évêché.

Cinq années seulement de Mgr Grandin appartiennent à l’histoire du vicariat d’Athabaska-Mackenzie: les deux années du lac Athabaska, où il fut comme simple prêtre, et trois années (de juin 1861 à juillet 1864) qu’il employa à visiter et à gouverner le vicariat arctique, depuis le lac Athabaska jusqu’au Cercle Polaire, en attendant la nomination, la consécration et le retour de Mgr Faraud.

A suivre le maladif et doux prélat dans les phases de cette longue pérégrination, par le récit qu’il en fit lui-même; à réfléchir sur les aveux qu’il confiait à Mgr Taché, en des communications intimes, dont les archives de Saint-Boniface gardent le secret, avec tant d’autres semblables sur les tortures les plus crucifiantes, les plus humiliantes, et donc les plus sanctifiantes, des missionnaires, mais que la délicatesse de nos usages défend de mettre au jour, on reste interdit, et l’on se demande quelles autres souffrances morales et physiques pourraient bien s’ajouter à celles-là, pour tuer leur victime… Mais Dieu soutient ses missionnaires; et, comme se plaisait à le redire Mgr Faraud, avec saint Paul, c’est lorsqu’ils sont les plus faibles qu’ils deviennent les plus forts, parce qu’ils peuvent tout en celui qui les fortifie.

Mgr Grandin regardait son voyage du Mackenzie comme l’étape culminante de sa vie de missionnaire des sauvages. C’est aux peines et aux consolations éprouvées, dans ce champ de glace, parmi les Montagnais, les Plats-Côtés-de-Chiens, les Peaux-de-Lièvres, les Esclaves, qu’il prenait les traits de choix des conférences et des sermons qu’il fut appelé à prononcer dans tant d’institutions, d’églises et de cathédrales, pour l’œuvre de la Propagation de la Foi.

C’est une conversation sur le même sujet qui lui gagna l’admiration de Louis Veuillot. Le publiciste catholique le présentait, le lendemain, à la France et à l’univers, dans l’un des meilleurs articles de sa carrière: L’évêque pouilleux. Il se servait de l’abjection forcée, mais chrétiennement acceptée, du prélat, pour venger l’Eglise, «la grande faiseuse d’hommes», qui, à l’encontre de la risée des mondains, s’occupait alors de béatifier le miséreux volontaire, Benoît-Joseph Labre. Louis Veuillot conserva toute sa vie cette vénération pour Mgr Grandin:

– Quel bel évêque vous avez dans les glaces, disait-il à l’un des nôtres. C’est bien lui qui fait comprendre que le froid brûle!

La Vie de Mgr Grandin a été écrite d’une plume de maître, en 1903, année qui suivit sa mort, par le R. P. Jonquet, O. M. I.33. Nous y renvoyons le lecteur, lui promettant, avec le charme d’un drame vécu, historique, les impressions qui élèvent et vivifient les âmes.

Ce que le lecteur ne trouvera pas cependant, dans le livre du Père Jonquet, c’est que l’Eglise a entrepris de placer Mgr Grandin sur les autels. La cause de canonisation du serviteur de Dieu fut commencée en 1914.

Elle se poursuit, à Rome, de concert avec la cause introduite du Père Albini, O. M. I., l’apôtre et le thaumaturge de la Corse.

CHAPITRE VIII
L’ÉVÊQUE DE PEINE

Mgr Isidore Clut. – Les bulles blanches et le sacre. – Egaré dans les bois. – Au concile du Vatican. – Recruteur. – Episode du Grand Rapide. – Une rencontre de Mgr Clut et de Mgr Faraud. – Aux territoires du Youkon et de l’Alaska. – Les visites du vicariat. – L’indésirable bien-aimé. – Dompteur de chiens et meneur de traîneaux. – Campement à la belle étoile. – Vermine. – Le son du glas. – Au petit Lac des Esclaves. – «Notre joie et notre récompense».

Dans quelle administration, dans quelle entreprise n’a-t-on pas trouvé, à côté du maître qui paraît, l’artisan ignoré; sous le chef qui commande, l’humble manœuvre; près de l’homme des honneurs, celui qui les gagne: l’homme de peine?

L’évêque de peine, dans les missions du Mackenzie, s’il était possible que tous ne l’eussent pas été pareillement, serait Mgr Clut.

Toujours à la tâche obscure, partout éclipsé dans sa timidité et dans sa modestie, il marcha, il travailla, il peina, sans dire jamais: «C’est assez». Le regard fixé sur son vicaire apostolique, comme celui du matelot sur son capitaine, il n’eut jamais à faire que la volonté des autres. Il avait inscrit sur son blason, aux pieds de saint Isidore labourant, la parole du divin Maître: Jugum meum suave est et onus leve. Mon joug est doux et mon fardeau léger. Il eut en effet la paix surnaturelle des bons serviteurs de Dieu.

Quant à la consolation humaine, cette heure de repos, si rare mais si douce, qu’il est permis au courageux ouvrier de goûter, en se disant: «C’est mon ouvrage!», on la chercherait en vain dans cette vie des solitudes sauvages, où l’évêque se fit semblable au plus laborieux de ses frères convers, au plus misérable de ses Indiens. Si, pourtant. Il dut éprouver, un jour, une joie d’ici-bas. Ce fut le 3 août 1889, à la mission de la Providence, en son jubilé épiscopal, lorsqu’il entendit le Père Grouard lui dire, dans une courte adresse qu’avaient signée les missionnaires, pères et frères, de l’Athabaska-Mackenzie:

…Si ces pauvres pays ont un jour leur histoire, et que cette histoire soit fidèle à retracer, avant tout, le règne de Dieu, vous aurez droit, Monseigneur, à une belle page. Bonté, dévouement sans bornes et courage à toute épreuve brilleront à chaque ligne de cette page. Vos exemples et vos leçons de générosité et de vaillance nous piqueront d’une sainte émulation, soyez-en sûr, Monseigneur, pour cheminer au milieu de ces tribus sauvages qui bénissent votre nom et recueillir en grande partie le fruit de vos labeurs.

Né à Saint-Rambert-sur-Rhône, diocèse de Valence, le 11 février 1832, Isidore Clut grandit dans la piété et l’attrait du ministère des autels.

Le 8 décembre 1854, jour de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception, il prononçait ses vœux perpétuels d’Oblat de Marie Immaculée, au scolasticat de Marseille.

Le 20 décembre 1857, il était fait prêtre par Mgr Taché, à Saint-Boniface.

Le 7 octobre 1858, il arrivait à la mission de la Nativité, lac Athabaska, comme vicaire du Père Faraud et son élève en montagnais. Le professeur profita bientôt de la présence de son pupille pour lui confier la mission et reprendre ses voyages.

C’est là que, neuf ans après, sans avoir quitté son poste d’isolement, de famine, et presque de mort – car une maladie de poitrine l’avait conduit à l’extrémité, en 1862, – c’est là que, le 15 août 1867, le Père Clut reçut l’onction des pontifes.

A peine Mgr Faraud avait-il été sacré, en 1864, qu’il se présentait au Vatican, pour demander un auxiliaire «aux jambes valides», et capable de parcourir le vicariat, que le vicaire apostolique administrerait de loin. Il redoutait des difficultés. Mais «comme si l’Ange de nos missions eût parlé à l’oreille de l’auguste Pontife, raconte Mgr Faraud, Pie IX me répondit aussitôt, en me prenant affectueusement les mains:

« – Je connais toutes vos affaires et vos missionnaires, et j’en suis très édifié. Je vous accorde tous les pouvoirs que vous demandez.

«Je suis ensuite entré dans les détails propres à réjouir son cœur de père, et à chaque instant il essuyait une larme et disait avec une ineffable expression de bonté et de sainteté: « —Mirabilia quæ fecit Dominus cum apostolis suis!O merveilles accomplies par le Seigneur, avec ses apôtres!»

Les bulles du coadjuteur, bulles blanches, sans nom exprimé – n’en serait-ce pas l’unique exemple dans les Actes de l’Eglise? – furent émises le 3 août 1864, stipulant que Mgr Faraud consulterait les missionnaires de son vicariat; qu’il choisirait ensuite l’un d’eux; qu’il le consacrerait, sous le titre d’Evêque d’Arindèle, in partibus infidelium, et d’auxiliaire sans aucun droit de succession; et qu’enfin il enverrait le nom du prélat au Saint-Siège.

Tous les votes du vicariat, recueillis séparément et en secret, désignèrent le Père Clut.

La nouvelle fut intimée à l’élu, le 3 janvier 1866, et il fut décidé qu’il serait sacré, l’année suivante, au lac la Biche, par les trois évêques du Nord-Ouest. Mais l’époque arrivée, l’on apprit que Mgr Taché et Mgr Grandin s’embarquaient pour se rendre au chapitre des Oblats.

Mgr Faraud venait d’en être averti, quand il passa au lac Athabaska, en route pour rencontrer, au lac la Biche, les Sœurs Grises, fondatrices de l’hôpital de l’Extrême-Nord:

– Nous n’attendrons plus, dit-il au Père Clut. Voilà trois ans que vous êtes évêque! Préparez-vous. Invitez les sauvages. A la mi-juillet, au plus tard, lorsque je repasserai, avec les sœurs, je vous consacrerai.

La mi-juillet ne ramena point la caravane. Les religieuses avaient été retardées par divers contretemps dans la prairie, et du lac la Biche au lac Athabaska les eaux étaient devenues difficiles. Chaque jour, le Père Clut et les Indiens sondaient l’horizon du lac, mais en vain. Si bien qu’au crépuscule du mardi 13 août 1867, lorsque la barge, avec son drapeau déployé, fut aperçue au bout des flots, il ne restait sur le rivage que cinq ou six familles montagnaises, résolues à jeûner jusqu’à l’impossible, «pour voir la fête». Tous les autres sauvages, chassés par la faim, avaient repris les bois.

Il restait une seule journée entière avant le sacre.

Mgr Clut raconte à Mgr Taché comment elle se passa:

Après avoir entendu les péripéties du long voyage des Sœurs Grises, on mit la question du jour de mon sacre aux avis. Il s’agissait de décider si on donnerait lieu à la cérémonie le 15 août (jeudi), fête de l’Assomption de notre glorieuse Mère, ou si on attendrait le dimanche suivant. D’après le pontifical, nous ne pouvions prendre que le jour d’une fête d’apôtre ou un dimanche. Cependant une raison grave nous fit nous décider pour le 15 août: la disette de vivres. Malgré mes précautions, je me trouvais dans la plus profonde pénurie pour recevoir mes hôtes nombreux, et je n’aurais pu les nourrir jusqu’au dimanche. Nous argumentâmes de la sorte: Si le Souverain Pontife a donné le pouvoir extraordinaire à Mgr Faraud de se créer un auxiliaire, il a dû lui donner les moyens d’arriver à cette fin. En écrivant au cardinal Barnabo, pour lui apprendre ma consécration, je fais connaître à Son Eminence ce qui en est, lui demandant pardon si nous avions encouru des censures sans le savoir…

 

Il eût été naturel que j’employasse le 14 à la retraite et au silence. Ce fut tout le contraire. Je dus m’occuper toute la journée de choses matérielles, payant les rameurs de Mgr Faraud, ou faisant les préparatifs pour la fête. Une bonne partie de la nuit dut être employée à ces ouvrages. Ayant reçu l’ordre d’aller prendre un peu de repos, c’est sur ma paillasse que je pus méditer aux grâces qui m’attendaient. La matinée même du 15, je fus pris encore de tous les côtés, et c’est à peine si je pus me réserver un quart d’heure de recueillement. Heureusement que j’avais fait une retraite de quatre jours, au temps présumé de l’arrivée probable de Mgr Faraud…

La cérémonie se déroula dans la pompe de la pauvreté.

L’évêque consécrateur avait le Frère Salasse pour suite pontificale, et Mgr Clut avait les Pères Eynard et Tissier pour évêques assistants. Les Sœurs Grises s’improvisèrent sacristains et choristes. La petite chapelle était à moitié vide. L’on croyait avoir apporté, de Saint-Boniface, les ornements épiscopaux; mais, au déballage, il manqua les deux tunicelles, la mitre et la crosse; et l’on ne trouva que les uniques gants et l’anneau de Mgr Taché. Des tunicelles et de la mitre il fallut faire le deuil. Mgr Faraud pourvut à la crosse. Avisant un petit sapin, il l’abattit, l’écorcha et le passa au tour. Avec son couteau de poche, il découpa la volute dans un bout de planche. Avant de se mettre au lit, Mgr Clut badigeonna le tout en jaune argile. La crosse se trouva presque sèche pour la cérémonie34.

Le sacre accompli, et les agapes «à la viande sèche et au poisson sec» finies, il importait d’éloigner, au plus tôt, Mgr Faraud, les Sœurs Grises et leurs nautoniers. L’après-midi du 15, la nuit entière et le lendemain virent Mgr Clut à l’œuvre d’expédier la besogne, dont on ne sort plus, des appareillages du Nord. Le soir même du vendredi, 16, la barge démarra, laissant l’Evêque d’Arindèle à sa solitude et à ses dernières provisions de bouche.

Les deux printemps qui suivirent, 1868 et 1869, Mgr Clut alla, à la raquette, au fort Vermillon, sur la rivière la Paix, à 500 kilomètres du lac Athabaska, afin d’y sauver les Castors des mains du prédicant Bompas. Au deuxième de ces voyages, il s’égara dans les bois, avec son compagnon, Louis Lafrance – l’Iroquois qui devait être le meurtrier du Frère Alexis. – Il marcha «onze jours, du matin au soir, aussi vite qu’il le pouvait, par des chemins affreux, des neiges qui ne cessaient de tomber.»

Chaque soir, mes pieds en avaient assez, dit-il. Ils étaient très enflés et très sensibles. C’est à peine s’ils pouvaient supporter les cordes des raquettes. Cependant, je crois que la Providence, tout en voulant me préparer par la souffrance à la mission que j’allais donner, ne permit pas que mes jambes s’enflassent comme elles l’auraient dû faire, avec un pareil mal de raquettes. L’épreuve rend fervent. Que de prières et d’actes d’amour de Dieu n’ai-je pas fait pour implorer la grâce d’une heureuse arrivée!

A son retour à la Nativité, il trouva la bulle d’indiction du Concile du Vatican, ainsi que l’ordre de Mgr Faraud de se rendre aux grandes assises de l’Eglise, et d’en profiter pour faire la conquête de quelques jeunes missionnaires français.

De vieux évêques, consacrés longtemps avant le prélat missionnaire, mais dont les bulles étaient plus récentes que les siennes, se trouvèrent surpris d’avoir à lui céder le pas, dans l’auguste assemblée.

Cependant, tout heureux qu’il fût d’avoir pris part au concile œcuménique, il ne vota point l’infaillibilité pontificale. Car il dut quitter Rome, en décembre, trois semaines après l’ouverture des séances, afin de ne point manquer le départ des barges du Nord, au dégel de 1870.

En traversant la France, il s’occupa des «conquêtes».

Mgr Clut fut l’un des recruteurs de nos missions glaciales. Homme de cœur, comme l’est essentiellement tout missionnaire, il faisait passer dans ses conférences, peu châtiées dans la forme, mais d’une sincérité d’autant plus avenante, toutes ses visions de la misère des sauvages et des ouvriers de l’Evangile. Sa voix, aisément caverneuse, sépulcrale s’il le voulait, aidait sa description à charger de noir des tableaux que les réalités, d’ailleurs, eussent encore trouvés trop pâles.

Son accent apostolique fit une telle impression, au grand séminaire de Viviers, que, sur-le-champ, trois jeunes gens se donnèrent à lui, pour les missions du Mackenzie, et que, sans même dire adieu à leurs familles, ils le suivirent en Amérique. Ces trois missionnaires étaient les abbés Roure, diacre, Ladet, sous-diacre, et Pascal (futur Mgr Pascal), minoré.

A ces recrues s’ajoutèrent, au port du départ, l’abbé Lecorre, sous-diacre du diocèse de Vannes, gagné lui aussi par Mgr Clut, le Père Collignon et le Frère Reygnier.

De passage au lac la Biche, l’évêque auxiliaire aida Mgr Faraud à couper l’avoine et le foin d’hivernage pour les bœufs de la mission; et, sitôt les rameurs trouvés, il repartit en barge pour le Nord, avec M. Lecorre, le Père Roure qu’il venait d’ordonner prêtre, trois aspirants frères convers, une jeune tertiaire Franciscaine, Marie-Marguerite, envoyée à l’aide des Sœurs Grises du fort Providence, et Geneviève, sa compagne, orpheline de neuf ans.

A la tête du Grand Rapide de la rivière Athabaska, les métis engagés se mirent en grève. Sourds aux raisons et aux supplications des missionnaires, ils retournèrent, à travers bois, au lac la Biche, «afin de se faire payer par Mgr Faraud», disaient-ils cyniquement.

Se lancer, sans guide, dans la chaîne des rapides, c’était la perte presque assurée de l’approvisionnement des missions que portait la barque, et peut-être la mort de tous. On était au 7 septembre. La neige tombait déjà.

Nous halons notre barge pour la mettre en sûreté, raconte Mgr Clut, et je laisse un frère et un serviteur de la mission à la garde du bagage. La Sœur converse était tombée gravement malade et ne pouvait faire un pas. Elle reste donc aussi avec sa petite fille. La crainte de voir cette malade mourir sans sacrements me fait laisser là le Père Roure, qui se dévoue pour remplir ce devoir de charité. Puis, suivi du Père Lecorre, et de deux frères, je pars dans le but de me rendre jusqu’au fort Mac-Murray. Chacun prend ses couvertures et ses provisions pour cinq jours, et nous nous mettons en route le long de la rivière. Nous voilà donc marchant tantôt sur des pierres aiguës et coupantes, tantôt dans la boue jusqu’aux genoux, tantôt dans d’épais fourrés, tantôt sur le bord des précipices, tantôt sur le flanc des rochers ou des côtes escarpées. Vers le coucher du soleil, nous étions épuisés de fatigue, nos pieds étaient meurtris et ensanglantés; nous songions à camper, quand nous aperçûmes la fumée d’un camp de Montagnais sur le bord opposé. Le Père Lecorre tire du fusil. Plusieurs décharges lui répondent. Bientôt un canot se dirige vers nous et nous traverse. Nous sommes au milieu de sept familles chrétiennes, qui reçoivent avec joie le grand Chef de la Prière et ses compagnons.

Ils nous procurèrent deux canots, dans lesquels nous descendîmes au fort Mac-Murray. Sans le secours providentiel de ces embarcations sauvages, nous aurions eu une peine incroyable à atteindre ce poste…

C’était dans Monsieur Mac-Murray, chef du district d’Athabaska, que j’avais mis, après Dieu, ma dernière espérance. Malheureusement, il n’était pas encore arrivé du Portage la Loche. Je l’attendis trois jours au fort Mac-Murray. Après quoi, impatient de m’entendre avec lui, afin d’assurer le transport de nos pièces, je résolus d’aller à sa rencontre. J’équipai un canot d’écorce, et je partis. Il me fallut ramer comme un galérien du matin au soir pour remonter le courant rapide de la rivière Eau-Claire. J’arrivai au Portage la Loche après quatre jours et demi de marche forcée. Je franchis à pied les 19 kilomètres du portage et je trouvai enfin la brigade désirée. J’étais à 450 kilomètres des pauvres abandonnés au Grand Rapide. M. Mac-Murray se montra très complaisant et m’accorda tout ce que je pouvais désirer, c’est-à-dire une barge qui prendrait les devants, et me serait prêtée avec l’équipage et un guide pour aller chercher mon bagage et mes compagnons laissés au Grand Rapide…

Je repartis dans mon canot d’écorce, et j’arrivai au fort Mac-Murray le 24. Un furoncle malin me causait des souffrances presque intolérables et une grosse fièvre accompagnée de violents frissons.

Le lendemain, la barge promise arrive du Portage la Loche. Mais quelle déception! Le guide est tombé malade et crache le sang, un homme s’est blessé, et les autres se découragent en voyant l’eau trop basse. Je presse, j’exhorte, je supplie. Je parle du dévouement du missionnaire qui a tout sacrifié pour venir leur donner les moyens de se sauver. Je fais voir nos pères du Nord, les sœurs et les orphelines dénués de tout et condamnés à passer l’hiver dans de cruelles privations. C’était comme si j’eusse parlé à des cœurs de bronze. Ce ne fut qu’après cinq ou six heures de prières que je décidai ces gens à monter avec moi. Encore dus-je leur promettre une forte récompense, et «engager» cinq Montagnais et deux Cris, afin que notre grand nombre d’ouvriers fit paraître l’ouvrage moins pénible.

Enfin, nous partons, et je verse des larmes de joie en pensant que je viendrai à bout de mon entreprise.

Le 1er octobre, nous arrivons au pied du Grand Rapide, où nous laissons notre barge, et nous nous dirigeons à pied vers le camp, où nos pauvres compagnons nous attendent depuis si longtemps, désespérant de nous revoir. Aussi quel n’est pas leur bonheur! Le mien est grand aussi sans doute; mais non pas sans mélange. Je trouve le Père Roure pâle et défait. Je m’informe s’il souffre de la faim. Il me répond qu’il a été pris d’un refroidissement, en se levant, la nuit, pour aller prendre soin de la pauvre sœur malade, qui dans des accès de délire courait de grands risques. J’entre dans la tente de la malade et la trouve très souffrante. Elle ne s’est pas levée depuis le 7 septembre, jour de notre séparation. Comment supportera-t-elle le voyage et les rigueurs du froid déjà très piquant? Que lui donner pour la soulager?

Cependant je n’avais pas de temps à perdre. Nos hommes, voyageurs expérimentés, ont examiné le terrain. Les difficultés sont grandes, mais pas insurmontables. Tous prennent courage. Nous nous mettons à transporter nos pièces et notre barge, que nous traînons au milieu des rochers et de mille embarras. Le lendemain, nous radoubons la barge, que tant de secousses avaient disloquée.

31Presque tous ces détails sur la vie de Mgr Faraud à Saint-Boniface et sur son trépas nous furent donnés par feu M. l’abbé Messier. Ce bon prêtre, pieux et instruit, directeur d’âmes très éclairé, ajoutait: «Je tiens pour certain que Mgr Faraud a emporté au Ciel l’innocence de son baptême.» Et cela nous rappelait une parole de l’évêque, rencontrée dans l’une de ses lettres à son supérieur général: «Je suis ainsi fait que je ne crains rien que le péché.»
32La mission montagnaise-crise de l’Ile à la Crosse, berceau des quatre évêques, ne fit jamais partie du vicariat d’Athabaska-Mackenzie proprement dit. C’est pourquoi il ne pouvait entrer dans notre plan de mener son histoire au delà des années qui précédèrent la division du diocèse de Saint-Boniface, l’unique, jusque-là, du Nord-Ouest et de l’Extrême-Nord. En 1869, l’Ile à la Crosse passa au diocèse de Saint-Albert; en 1890, à celui de Prince-Albert; en 1910, au vicariat apostolique du Keewatin. C’est à regret que nous disons adieu à cette mission qui fut toujours, avec ses dépendances, la chrétienté modèle du Nord. Aussi de quels missionnaires a-t-elle été la fille, jusqu’à l’heure présente! Mgr Taché ne vivait heureux que de son souvenir. En 1888, Mgr Grandin rendait ce compte de sa dernière visite au «berceau apostolique»: «Je puis affirmer que quand même la Congrégation des Oblats, dans notre immense territoire du Nord-Ouest, n’aurait fait autre chose que de fonder cette mission, et de christianiser ceux qui la fréquentent, elle aurait déjà fait et assuré un très grand bien. Il y a un peu plus de quarante ans, il n’y avait pas ici de chrétiens, et les premiers Oblats venus à l’Ile à la Crosse durent semer dans les larmes et dans la pauvreté; maintenant la mission compte plus de 700 chrétiens; la mission du Portage la Loche, qui en dépend, en compte plus de 200; et celle de Saint-Raphaël, près de 300. Je doute que, dans les meilleures paroisses de France, les fidèles donnent plus de consolations à leurs curés que nos chrétiens à leurs missionnaires.» Mgr Pascal, évêque de Prince-Albert, appelait l’Ile à la Crosse «la perle de son vicariat». A l’Ile à la Crosse, enfin, Mgr Charlebois, vicaire apostolique du Keewatin, et dernier héritier de la perle du Nord, recueille aujourd’hui les meilleures de ses joies.
33Mgr Grandin, Oblat de Marie Immaculée, premier évêque de Saint-Albert, par le R. P. E. Jonquet, de la même Congrégation. 1 vol. S’adresser à l’Œuvre des Missions O. M. I., 4, rue Antoinette, Paris (18e).
34La hampe de cette crosse est encore à la mission de la Nativité, où elle sert de porte-croix aux processions et aux enterrements. La volute est conservée, avec les bulles blanches, dans le trésor du scolasticat de Marie Immaculée, à Edmonton (Alberta). Les détails des diverses scènes rapportées ici nous furent donnés, ou confirmés, par le R. P. Tissier, qui aida lui-même Mgr Faraud à tourner la crosse du sacre.