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Aux glaces polaires

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Nous sommes obligés de porter la sœur malade, sur un brancard, dans le portage, jusqu’au bout de l’île. Pauvre fille! Qu’elle aura à souffrir le long du chemin! La rivière, en cette saison surtout, où l’eau est très basse, n’est qu’une suite de rapides et de cascades. Souvent la barque heurte violemment les récifs. Alors, les cris et le tapage des rameurs sont insupportables, même pour une personne en bonne santé. Et la malade est si faible qu’elle ne peut lever la tête. Trois fois nous dûmes la débarquer et la transporter le long du rivage. Au milieu de tant de souffrances, elle ne se plaignait pas: «Ma seule peine, disait-elle, est de vous donner tant de trouble!»

Le 5 octobre, nous arrivâmes au fort Mac-Murray, et le 9, à la mission de la Nativité, du lac Athabaska…

Marie-Marguerite ne débarqua à la Nativité que pour mourir aussitôt, saintement résignée.

Quant au Père Roure, Mgr Clut dut l’abandonner, au Grand Lac des Esclaves, et le remettre aux soins du Père Gascon, persuadé qu’il ne le reverrait plus vivant. La mort du jeune missionnaire fut même annoncée à sa famille. Sa constitution de franc Ardèchois eut cependant le dernier mot. En deux mois, le Père Roure perdit irréparablement sa chevelure, mais il récupéra sa force. De son humeur spirituelle et pacifique, il n’eut rien à regagner alors, ni jamais.

L’année suivante, 1871, Mgr Clut revint de la mission de la Providence au lac la Biche, afin de recevoir de Mgr Faraud la cargaison annuelle. Mais dans quel attirail le vicaire apostolique et son coadjuteur se rencontrèrent-ils! Il faut le dire.

Mgr Faraud, récemment établi au lac la Biche, et de plus en plus effrayé des difficultés amoncelées dans la voie des rapides, s’était convaincu que la seule garantie pour l’avenir était de pratiquer un chemin de charrettes, prenant au lac la Biche et aboutissant au fort Mac-Murray35.

Deux cent quarante kilomètres de forêts vierges à démanteler, de fondrières à combler, de marais et de rivières à ponter, à l’aide de peu d’ouvriers, d’outils rudimentaires et de bœufs efflanqués, un tel projet ne pouvait être conçu que comme en désespoir. Ce fut le grand échec contre lequel la volonté de Mgr Faraud eut à se briser, vaincue. Mais, avant de rendre les armes, il mit en œuvre tout ce qui fut possible.

En 1869, il avait commencé. En 1871, l’année dont nous parlons, il était lui-même à la tête des travailleurs, bûchant dans les arbres, pataugeant dans les bourbiers, poussant les bœufs. Près de 120 kilomètres se trouvaient ainsi taillés, lorsque Mgr Clut apparut dans la forêt.

Celui-ci avait pour escorte le Père Eynard, et Louis l’Iroquois, depuis le lac Athabaska. Il racontait de la sorte ce qui reste à savoir de l’aventure à Mgr Taché:

…Nous arrivâmes au confluent de la rivière des Maisons et de l’Athabaska, où le chemin de charrettes devait traverser, selon les plans de Mgr Faraud. Ne voyant ni chemin, ni vestige humain, nous essayons de remonter la rivière des Maisons; mais nous la trouvons criblée de rapides. Nous mettons notre canot en cache, et, prenant nos couvertures et nos provisions sur le dos, nous partons à travers bois…

Nous marchons ainsi deux journées, sans rencontrer âme qui vive, si ce n’est une ourse menaçante, avec ses oursons. Là, un brûlé immense commençait. Ses arbres calcinés et entassés pêle-mêle semblaient nous défier. Louis et moi laissons le Père Eynard près de nos paquetons; et nous nous engageons à la découverte dans le brûlé. Mais rien, sinon le grand silence du bois désert. Je craignis que Mgr Faraud n’eût suivi une direction différente. Nous étions à bout de provisions, et aller plus loin, c’était nous exposer à nous égarer et à mourir de faim. Je décidai de retourner au canot et de redescendre au lac Athabaska.

Nous avions fait quelques pas, quand un coup de fusil retentit au loin. Nous allâmes sur le bruit. C’était des métis qui apportaient des vivres aux travailleurs, sans savoir au juste où étaient ceux-ci. Nous joignant à eux, nous marchâmes encore une grosse journée.

Le 5 juin, à 9 heures du soir, nous arrivions enfin à Mgr Faraud, aux Pères Collignon et Ladet et au Frère Alexis, qui frappaient tous à coups de hache dans les liards. Je vous assure que je ne ressemblais guère alors à un Père du Concile. Pour être plus allège, j’avais laissé ma soutane; et ces trois jours dans le bois m’avaient mis en haillons. Quelqu’un qui m’eût rencontré ne m’eût certes pas pris pour un Prince de l’Eglise. D’après mon rapport et celui de mes compagnons, sur les bois forts et les maskegs que nous avions traversés, Mgr Faraud se rendit, quoique bien malgré lui, à la conclusion que le chemin était, pour le moment, impraticable.

Rendant à la sauvagerie le fruit si coûteux de tant de travail, nous retournâmes ensemble au lac la Biche…

L’année suivante, 1872, Mgr Clut recevait de M. Mercier, Canadien Français, et chef du fort Youkon, l’un des postes commerciaux d’une compagnie de San-Francisco, opérant sur tout le versant du fleuve Youkon, l’invitation pressante de se rendre là-bas, pour convertir les sauvages.

Mgr Clut, ne pouvant communiquer avec Mgr Faraud, sans perdre une année, deux peut-être, prit sur lui de tenter l’évangélisation du Youkon et de l’Alaska.

S’adjoignant le Père Lecorre, dont il voulait faire le premier missionnaire de ces territoires, il descendit le fleuve Mackenzie, et, de la pointe Séparation, tête du delta de ce fleuve, il se dirigea, à pied, sur les montagnes Rocheuses, par un portage de 130 kilomètres de marécages et de terrains inconsistants. Dans les replis des montagnes elles-mêmes, il y avait à passer à gué, ce qui veut presque dire à la nage parfois, beaucoup de torrents et de rivières dévalant des glaciers. Parvenus au versant du Pacifique, ils mirent leur canot de peau d’orignal, qu’ils avaient porté jusque-là, sur la rivière Porc-Epic, affluent tourmenté, autant que pittoresquement beau, du fleuve Youkon.

Ils avaient compté sans la précocité de l’hiver. Le vent du Nord souffla sans répit. En quelques jours, le canot fut roulé par le courant dans la débandade des glaçons. Le Père Lecorre, étant tombé malade peu après le départ, ne pouvait qu’à peine se mouvoir. Le 30 septembre, comme les voyageurs étaient à mi-chemin des montagnes Rocheuses au fort Youkon, la barrière redoutée des glaces solides entrava la rivière.

Qu’allaient-ils devenir, sans traîneau, presque sans vivres, sans espoir de rencontrer un être humain? Seule la Providence pouvait les sauver. Elle n’y manqua pas. Le même jour, ils rencontrèrent une famille Loucheuse, arrêtée également par la glace, dans sa navigation vers le fort Youkon. Ces braves Indiens offrirent aux missionnaires une part de leurs provisions, un traîneau et un de leurs chiens. Sauvages et missionnaires repartirent ensemble, le 6 octobre. Pendant sept jours, Mgr Clut, la hache à la main, fraya le passage aux attelages, tombant de-ci de-là, parmi les glaçons coupants, défonçant du poids de son corps les couches trop minces, et plongeant coup sur coup dans les mares glacées. Le Père Lecorre, un peu remis, suivait, trébuchant et se relevant sans cesse. Le 13 octobre, au soir, ils arrivèrent au fort Youkon, chez le tout aimable et fervent catholique M. Mercier. Ils acceptèrent avec bonheur de passer l’hiver sous son toit.

Ce fut un hiver d’amertume pour l’âme des apôtres.

Aucun Indien ne se laissa toucher, tellement les ministres protestants avaient implanté les préjugés contre le catholicisme.

A la débâcle de 1873, les prêtres «secouèrent la poussière de leurs pieds» et descendirent le fleuve Youkon. Ils allèrent jusqu’à l’île du fort Saint-Michel, située à 64 kilomètres de l’embouchure du Youkon, dans la mer de Berhing (océan Pacifique).

Ils firent, en chemin, plus de 150 baptêmes d’enfants. Les Indiens de l’Alaska, ancienne Amérique Russe, se souvenaient des popes orthodoxes, qu’ils avaient vus autrefois, et semblaient sympathiques au rite catholique.

A Saint-Michel, grande déception. Mgr Clut comptait trouver des Oblats et des provisions. Il avait demandé de faire venir ces renforts, via San-Francisco, par le bateau de la Compagnie de Youkon-Alaska. Mais sa lettre, envoyée depuis plus d’une année, n’était point parvenue, et ne devait jamais parvenir, à Mgr Faraud.

Les missionnaires remontèrent le Youkon jusqu’à Anvik, lieu qui leur parut favorable à l’établissement de la mission. Le Père Lecorre consentit à demeurer seul en Alaska, en attendant le confrère et les secours espérés pour 1874.

Mgr Clut bénit son cher apôtre, et continua sa route, revenant sur ses pas de 1872, jusqu’au fort Providence, où il aborda le 10 octobre 187336.

Les brèves narrations des grands voyages que nous venons de faire laisseront-elles entrevoir ce qu’il en fut des quarante ans que durèrent les courses de Mgr Clut?

 

Si l’on décompte deux rapides tournées, au Canada et en France, la vie épiscopale du coadjuteur d’Athabaska-Mackenzie se passa à exécuter les visites du vicariat, au nom du vicaire apostolique, tant du lac la Biche au fort Mac-Pherson, que du fond du lac Athabaska aux montagnes Rocheuses, sur les rivières Athabaska, la Paix, Liard, Nelson, le fleuve Mackenzie, etc…

Son calcul évaluait à quatre ou cinq ans le temps d’une ronde générale.

On ne montrerait peut-être pas une baie des grands lacs où quelque tempête ne l’ait fait reculer devant l’abîme des vagues, pas une chaîne de rapides qui ne lui ait broyé quelque embarcation, pas une berge des fleuves polaires qu’il n’ait gravie à pied, attelé par un cordeau à sa barque que les rames étaient impuissantes à pousser à l’encontre des courants accélérés. Le travail du rameur, remontant ces cours d’eau, devient, en effet, celui des chevaux de halage de nos rivières et canaux d’Europe, à la différence que, sous les pieds ferrés de l’animal, le chemin, préparé par l’homme, se déroule ferme et uni, tandis que sous le souple mocassin du missionnaire la nature encombre ses rivages de rochers abrupts, d’éboulis monstrueux, ou bien les étend en tourbières visqueuses où le haleur s’enlizerait s’il n’était retenu à l’esquif par son propre attelage. Que de fois aussi, du haut d’une falaise qui s’effrite sous son effort, ou mêlé au pan de grève que son poids achève d’entraîner, le malheureux ne tombe-t-il pas au fleuve! Son cordeau devient encore son salut, s’il ne s’est pas tué dans le trajet même de la chute.

Au bout de ces longs pèlerinages apostoliques, l’évêque trouvait-il du moins toujours le rafraîchissement du repos et la joie? Hélas! Plus d’une fois, l’auguste visiteur put lire sur la figure des missionnaires qu’il venait revoir et réconforter, au lieu du bonheur attendu, et qu’ils eussent voulu lui exprimer, l’inquiétude si mal voilée qu’il comprenait dès l’abord: On jeûnait là; et lui, le pasteur bien-aimé, qu’on avait supplié de venir, en des lettres écrites au temps de l’abondance, devenait, en arrivant pour cet hiver, l’indésirable, la bouche inutile, nuisible même au maintien de la mission. Il le comprenait et aussitôt s’en retournait, sachant qu’il serait peut-être isolé par les glaces, et qu’il n’arriverait à une mission, qui pût le nourrir, qu’après des souffrances incroyablement pénibles.

Mgr Clut écrivit, dans son journal, le récit courant de ses épreuves. Près de mille pages s’y pressent, sans marges ni interlignes. «Et tout n’y est pas», dit-il. La simplicité et la bonhomie de l’allure achèvent de provoquer l’étonnement et l’admiration. Ces quinze cahiers jaunis seront-ils organisés un jour en un ouvrage, et publiés? Souhaitons-le pour la gloire de l’Eglise. Nous les avons lus et relus avec émotion, savourant, comme en un contact direct, la grande âme d’un missionnaire des petits, qui pouvait bien dire, en l’appliquant à sa vocation, la parole de Jeanne d’Arc, demandant qu’on ne l’empêchât point de sauver la France: «C’est pour cela que je suis née!»

Nous ne prendrons plus à l’épopée du bon évêque que quelques souvenirs sur les voyages de l’hiver, qui furent les principaux de sa vie, comme ils le sont de la vie de tous les missionnaires, au pays des neiges.

De même que, comme pagayeur et comme haleur de grève, Mgr Clut ne trouva jamais son rival, ainsi comme entraîneur de chiens et conducteur de traîneaux, il n’eut point son pareil.

Il excellait à dompter les chiens de trait. Il leur apprenait notamment à redouter son fouet. Savoir appliquer à temps le coup de fouet, savoir surtout stimuler ces grands chiens-loups par le seul geste de leur montrer la mordante lanière, c’est le comble de l’art et le titre au brevet du cocher arctique. Mgr Clut frappait rarement; mais, s’il frappait, la couture s’imprimait sur la peau du paresseux. Traiteurs et sauvages lui enviaient cette spécialité. Au coup de fouet, il joignait le coup de voix haut et strident, qui donne à l’attelage le frisson de vitesse.

«Mais quand les chiens meurent de faim et de fatigue, celui qui les conduit n’est pas haut», dit le proverbe montagnais.

Un équipage valide aux mains du prélat eût été le champion des courses de l’Extrême-Nord. Mais le vicariat n’eut que rarement les moyens de lui procurer des coursiers capables de faire honneur à l’entraînement de leur maître.

L’une des cinq ou six chevauchées qu’il fit, du fort Providence (fleuve Mackenzie) au fort Rae (Grand Lac des Esclaves), «afin de donner au Père Roure la facilité de la confession bisannuelle», comme il disait, Mgr Clut n’avait trouvé au chenil que quatre vieux chiens décrépits, dont l’un déserta, la première nuit. Comme l’itinéraire suivi cette fois était nouveau pour lui, il ne devait pas perdre de vue ses deux compagnons: le sauvage Grosse-Tête, qui battait la neige devant les chiens, et le métis Boucher qui trottait à la suite de Grosse-Tête avec un équipage dispos.

Pendant sept jours l’évêque poussa la traîne.

Pousser la traîne, consiste à s’arc-bouter continuellement sur les raquettes de course, afin de faire porter la force et le poids du corps sur un bâton, dont une extrémité s’applique sur le creux de l’estomac, et l’autre sur l’arrière du traîneau. Est-il un missionnaire qui n’ait goûté de ce supplice?

Ce n’est donc pas mes trois coursiers qui me traînaient, dit Mgr Clut, mais moi qui les aidais à traîner leur charge. Malgré ce moyen extrême, je n’arrivais généralement que deux ou trois heures après les autres au rendez-vous du dîner ou au campement de la nuit. J’avais beau fouetter mes chiens, ils étaient comme insensibles. J’employai toutes les industries, tantôt les changeant de place, tantôt en dételant un pour le faire reposer. Toutes ces manœuvres ne m’avançaient à rien et m’exposaient à me geler les mains. J’ai eu l’onglée assez forte pour perdre la peau des doigts. Après maints exercices violents dans la neige molle, où j’enfonçai, malgré mes raquettes, je m’échauffai tellement que mes habits de dessous étaient tout trempés, tandis que ceux de dessus, rendus humides par la transpiration, se gelaient et devenaient roides. Chaque soir, après mon souper, je devais passer un temps considérable à me sécher au feu du campement. Mais, tandis que je rôtissais d’un côté, je gelais de l’autre; de sorte que, bon gré mal gré, je devais me coucher plus ou moins mouillé. Le froid d’environ 40 à 43 degrés centigrades me saisissait, et ma chemise me faisait l’effet d’une barre de glace. Que l’on juge si je dormais à l’aise!

Les six fois que j’ai campé à la belle étoile, en ce voyage, je n’ai presque pas fermé l’œil. Il fallait cependant, le lendemain, marcher dans la neige, aider mes chiens, ou m’exposer à rester en arrière dans les bois, où je serais mort. Je ramassais donc toute la force et le courage qui me restaient, et allais de l’avant. Si encore, pour me soutenir, j’avais eu une bonne nourriture; mais je n’avais que de la viande sèche…

Le 21 décembre, nous rencontrâmes des sentiers tracés dans tous les sens…

Comme de coutume, mes chiens allaient toujours plus doucement que ceux de Boucher. J’étais toujours loin derrière, ce qui me mit plusieurs fois dans un grand embarras, parmi ces sentiers sans ordre… Arrivé à une petite montée, mon doute devint plus sérieux: je vis un lacs tel qu’on en tend pour prendre les lynx, tendu à travers le sentier que je suivais. Mon chien de devant hésita un peu, puis avança et se prit par le cou. Je crus m’être égaré et avoir manqué le vrai sentier d’environ deux kilomètres. Je revins en courant sur mes pas; et, après un examen attentif, il me fallut revenir à l’endroit où mon attelage était en détresse. Je poussai mes chiens dans la même direction. La nuit commençait à se répandre dans la forêt, ce qui augmentait mes craintes. Mais que faire? me dis-je. Si je me suis égaré réellement, j’arriverai peut-être à ceux qui ont frayé cette trace. Enfin, bien tard dans la nuit, j’aperçus du feu. Je pensais que j’arrivai à un campement d’Indiens et j’allais leur adresser la parole en leur langue, lorsque je reconnus Boucher. Je compris alors que c’était lui qui avait tendu le piège, et je me plaignis de cette espièglerie, qui m’avait exposé à rebrousser chemin et m’avait plongé dans la plus profonde incertitude. Il s’excusa, et me dit qu’il avait voulu simplement faire une farce à mon chien de devant, et qu’il regrettait de m’avoir causé de l’embarras.

Le 23, à notre arrêt pour le dîner, Boucher me dit: «Si vos chiens, Monseigneur, pouvaient aller plus vite, nous pourrions arriver ce soir». – «Eh bien! lui dis-je, je ferai tout en mon pouvoir pour réussir; prenez les devants, mais ayez soin d’allumer du feu et de préparer un peu de thé avant d’arriver au lac qui nous sépare de la mission. Je serai alors tout en sueur, épuisé, et ne pourrai m’aventurer sur la baie immense du Grand Lac des Esclaves.»

En effet, mes compagnons firent du feu, à environ sept kilomètres du lac et me réservèrent une coupe de thé. Je repartis à leur suite, en leur demandant de m’attendre au Grand Lac des Esclaves, car je ne connaissais pas la direction.

Lorsque j’arrivai sur le bord du lac, la nuit était déjà complète. Je n’aperçus personne. Je pressai mes chiens de plus belle, mais ils n’en pouvaient plus et marchaient au pas de bœufs. Quand je fus incapable de rien distinguer, je laissai aller mes coursiers à leur gré. Le premier était excellent pour suivre une piste. Aussi je le laissai faire et me conduire, tout en répétant souvent la prière à l’ange gardien (dévotion favorite de Mgr Clut). Vers le milieu de la traverse, le chien hésita. J’eus grand peur de m’égarer alors et de me geler; car j’étais mouillé. Dans le bois, je sentais moins le vent, mais sur le grand lac, l’air était glacial, et c’en était fait de moi, si je venais à me fourvoyer. Je passai devant l’attelage et fis quelques pas en avant pensant être sur le sentier. Le premier chien suivit ma trace jusqu’au bout; mais là, il se jeta brusquement à gauche, flaira la neige et repartit. Je le laissai aller, me fiant à son instinct. Ce fut mon salut. Bientôt j’aperçus des étincelles dans la direction que je suivais. Enfin je crus entendre crier des chiens. En effet, bientôt je fus rencontré par le traîneau du principal métis du fort Rae. Le bon petit Père Roure l’accompagnait, ainsi que plusieurs jeunes gens. Le père se jeta à genoux sur la neige du lac pour me demander ma bénédiction. Je le bénis et lui donnai l’accolade fraternelle, malgré ma barbe chargée de glaçons.

Le lendemain de ce Noël, Mgr Clut repartit, mais en traversant dans sa largeur le Grand Lac des Esclaves, afin de passer chez le Père Gascon, au fort Résolution, et de lui rendre le même service qu’au Père Roure. Il devait arriver le 30 ou le 31.

Le 31 décembre, à dix heures du soir, nous le trouvons campé sur une île du large, battue par les vents:

…Il faisait horriblement froid, et je ne pouvais fermer l’œil. Pour en finir, à onze heures et demie je fis l’appel de mon monde. On ralluma le feu. A minuit, d’après ma montre, nous nous souhaitâmes la bonne année, et nous fîmes un festin matinal, avec des langues de caribou, quatre ou cinq biscuits, et un peu de café, que j’avais conservés en vue du premier de l’an, jour de grande fête dans le pays…

Nous partîmes à deux heures du matin, neuf heures avant le lever du soleil…

Les nuits à la belle étoile, que Mgr Clut vient de mentionner, ne sont pas les plus dures qu’il ait passées sous le ciel polaire. Il lui arriva, comme aux autres missionnaires, d’avoir à se coucher en plein lac balayé par la poudrerie, entre ses chiens blottis et son traîneau renversé.

Toutefois, ces campements de déplaisir ne sont pas l’ordinaire.

Le campement d’hiver, dressé selon les souhaits et les règles, ne manque pas tout à fait de confort, voire de poésie… à quelque distance.

Il coûte deux heures de travail.

La caravane s’efforce de parvenir, le jour tombant, à quelque lieu boisé. Pendant que le plus digne (l’évêque, s’il s’y trouve), déblaye à l’aide de sa raquette, convertie en pelle, l’espace d’une fosse de dix à vingt pieds carrés, dans la neige profonde, les autres abattent des sapins, dont les branches vertes tapisseront la moitié de la fosse, et dont les troncs, jetés par-dessus l’autre hémicycle, serviront de bûcher. On allume. La flamme jaillit, grésillante de résine, lançant dans le noir ses longues gerbes de feu d’artifice, et faisant éclater en détonations de mitraille les arbres calcinés.

A ce foyer sauvage, on présente d’abord le poisson des chiens pour le faire dégeler. Les coursiers repus, on amollit au même feu le poisson des hommes, la viande cuite d’avance, ou le pemmican. En deux minutes, la chaudière remplie de neige, et retenue par une perche, bout sur le brasier. On y jette la poignée de thé. Le thé est l’ambroisie et la panacée du Nord, le tonique rafraîchissant et reposant dont personne ne se passe. Tout manquera, mais point le thé. Si c’est l’année aux lièvres, il flottera dans la théière des matons révélateurs, que recèlera toujours la neige la mieux choisie. Mais qu’importe, depuis que l’on sait que l’ébullition stérilise tout!

 

Le souper est apprêté. A table, convives, sur le sapinage, à moins que, «rôtissant d’un côté et gelant de l’autre», vous ne préfériez girouetter devant le feu, tout le temps du repas!

Une remarque pour les nouveaux venus, s’il fait extrêmement froid: ne porter à la bouche ni couteau, ni fourchette, ni tranchant de hache. Le fer s’y collerait mieux qu’à la glu. Plusieurs perdirent, à cette imprudence, des lambeaux de leurs lèvres.

Là-dessus, une pipe, si c’est le goût; un bon rire fraternel sur les drôles aventures de la journée; la prière du soir en famille sous le regard des étoiles, si avivées dans la nuit bleue arctique qu’on les dirait fixées comme des yeux d’anges à la hauteur d’une échelle de Jacob, parmi les évolutions indescriptiblement animées des aurores boréales; et, le cœur remis au Dieu qui dans «l’envers des cieux, si doucement rayonne», bonsoir à la terre! Grand silence.

Le lit est à bon marché. Sur le sapin, une toile commune a été jetée, si l’on est riche. Les pieds vers le feu, le chef vers les parois de la fosse, chacun s’enveloppe dans sa couverture, ne laissant à son haleine que l’indispensable passage. Plus on se serrera, plus s’accumulera la chaleur. Les chiens, s’allongeant contre leur maître, seront les bienvenus; mais ils préfèrent ordinairement s’arrondir, à l’écart, sur la neige nue… Les crépitements diminués du foyer et les hurlements rapprochés des loups occuperont le reste de la nuit.

Et les dormeurs?

Qu’ils dorment, s’ils le peuvent. La lassitude, bonne berceuse, assoupit presque toujours. Heureux qui possède l’habileté ou l’instinct de se façonner, dans le mince sommier qui le sépare du sol glacé, un nid assez uniforme. Les maigres et les nerveux connaissent le gril de torture que ressentent les os, lorsque, les premiers instants de bien-être passés, les brindilles de sapin s’affaissent dans la neige, et que le corps ne porte plus que sur des bâtons coupants.

Cependant le dortoir de repos peut se changer en une arène d’horreur. Que la température descende sous les 45 degrés centigrades, la fumée s’écrasera sur place, étouffante. A 60, 70 degrés de froid, le feu lui-même refusera de prendre. Si le vent, à l’opposé duquel on a eu soin de mettre le foyer, change de côté, les dormeurs seront en péril d’être brûlés. S’il neige, et c’est le moins redouté des contretemps, la brigade s’éveillera sous un ouateux et chaud linceul.

L’ennemi des campements dans les bois est le cyclone, qui saisit tout à coup la forêt, la disloque, arrache les vieux troncs à leurs racines vermoulues et les fracasse contre le sol. Mgr Clut parle ainsi de la cinquante-deuxième nuit anniversaire de sa naissance:

Le Frère Rousset, mon compagnon de voyage, voulut faire de l’extra pour le souper. Outre les mets habituels, c’est-à-dire un peu de viande de renne, il me servit du riz aux pommes. Après le souper, nous commençâmes une petite causerie que la tourmente vint bientôt interrompre. Le vent et les tourbillons de neige nous avertirent qu’il était temps de nous glisser sous nos couvertures et de nous y tenir enveloppés de notre mieux. Le vent devint si furieux que les arbres craquaient autour de nous, et menaçaient de nous écraser dans leur chute. J’eus l’idée toute la nuit que le cinquante-deuxième anniversaire de ma naissance pourrait bien être le dernier. Changer de place, il n’y avait pas à y penser par le temps qu’il faisait. Ma ressource était de me confier à mon ange gardien. Je lui adressai bien souvent la prière Angele Dei.

Aurions-nous dit vraiment ce qu’endura Mgr Clut pour l’Evangile, si nous taisions la principale, sans doute, de ses souffrances, celle de la vermine?

La vermine habite l’Indien, de sa chevelure à ses mocassins. De lui au Blanc de son voisinage, il n’y a souvent pour elle qu’un pas à franchir.

Mgr Clut ne pouvait revenir de la placidité d’une réponse qu’il reçut un jour du Père Roure, missionnaire des Plats-Côtés-de-Chiens, ces pouilleux sans pareils.

– Comment pouvez-vous tenir, lui disait le prélat, ainsi mangé vif, et toujours souriant quand même, vous surtout qui êtes né et fûtes élevé dans toutes les délicatesses?

– Bah! On s’y habitue, Monseigneur.

Lui, l’évêque d’Arindèle, fut pouilleux toute sa vie sauvage. Mais s’y habituer, il ne le put jamais.

Les maringouins de l’été faisaient déjà sa terreur, et il s’entourait partout de boucanières pour les éloigner. Mais les poux! Les poux de l’été et les poux de l’hiver! Son tempérament sanguin s’exaspérait à les sentir circuler sur sa personne et à les voir sur autrui. Il ne comprenait pas surtout qu’on pût se régaler des grouillants parasites. Ses réflexions, à ces divers sujets, sont toujours piquantes.

Il est au fort Rae, en 1872:

J’ai confessé pendant trois heures aujourd’hui. Mes chers pénitents et pénitentes, tout en se débarrassant de leurs péchés, se défaisaient un peu de leur vermine, que je voyais se promener sur leurs habits. Ma soutane en ramassait tant qu’il fallait pour me faire souffrir un vrai martyre. Et rien pour me changer…

Pendant que nous dînions, le Père Roure et moi, le grand chef des Plats-Côtés-de-Chiens, tout à fait distingué et considéré dans la tribu, vint se pencher sur moi, pour me proposer un cas de conscience. Il voulait savoir si la manducation des poux rompait le jeûne eucharistique. Qu’eussiez-vous répondu? Après avoir résolu le cas à ma façon, j’eus beau lui faire entendre que les Blancs n’aimaient pas à s’entretenir sur un sujet de ce genre pendant le repas, il nous tint «mordicus» là-dessus jusqu’à la fin…

Assis sur mon paqueton, je faisais tout à l’heure le catéchisme. Un moment, j’aperçois une jeune fille passant la main sur sa poitrine et en retirant un gros parasite, qu’elle dépose sans gêne sur ma couverture. Je lui fais reprendre aussitôt l’insecte. Elle le porte à sa bouche pour le croquer.

– Oh! lui-dis-je, ne mange pas cela devant moi!

Alors une femme octogénaire, à l’humeur enjouée, me dit:

– Mais pourquoi défends-tu de manger les poux?

– Parce que ces animaux sont sales et dégoûtants!

– Eh, eh! Ma fille ne pense pas comme toi, Grand Chef de la Prière. Elle en fait ses délices. Si tu savais comme c’est bon!»

Vieilli, il s’amuse à noter l’étonnement d’un missionnaire débutant, devant ces spectacles, et il écrit, non sans songer – peut-être – à insinuer, du même coup, à bon entendeur la morale abstraite du cuique suumà chacun ce qui lui revient– principe de la paix, dans les ménages comme dans les nations:

Le Père Ducot est arrivé de sa mission du fort Norman… Il nous raconte bien des choses dont j’ai été témoin bien souvent moi-même; mais qui lui font plus d’impression, parce qu’il est plus nouveau dans nos pays sauvages. Il nous dit qu’étant allé instruire les Indiens dans leurs camps, çà et là, sur leurs terrains de chasse, il a été bien édifié de leur désir de s’instruire et de l’ardeur avec laquelle ils priaient. Mais dans ses visites à domicile, et couchant dans les huttes sauvages, il a eu souvent sous les yeux les habitudes peu propres des Indiens. Les loges de peaux ou de branches sont bien petites et mal commodes, et leurs habitants bien misérables. Aussi, soit pauvreté ou malpropreté, les Peaux-de-Lièvres sont couverts de vermine. Il est vrai qu’ils ne la redoutent pas et qu’elle les incommode fort peu. Ils la croquent à belles dents. Le Père Ducot a vu des enfants se disputer, se battre, pour avoir le fruit de la chasse qui se trouvait sur le peigne. Un jour il vit une femme dépouillant son mari; mais comme elle le dépouillait à son profit, le mari réclama et fit observer à sa compagne que ce qu’elle trouvait dans ses habits et sur sa tête, et qu’elle mangeait de si bon cœur, lui appartenait à lui-même. Alors la dame, au lieu de porter les poux à sa propre bouche, les présentait avec une certaine gentillesse à celle du mari qui les dégustait.

Le prélat ajoute aussitôt:

Tous nos Indiens du vicariat avaient cette détestable habitude, lorsque nous arrivâmes, et la conservent encore plus ou moins. Cependant, grâce à la civilisation que nous tâchons de leur communiquer, grâce à nos écoles, dans quelques localités, un grand nombre ont renoncé, ostensiblement du moins, à cette pratique.

35V. Chap. IV.
36Il fut découvert, dans la suite, que l’Alaska appartenait à la juridiction de Vancouver. Le Père Lecorre, rappelé par Mgr Faraud, en 1874, revint par San Francisco. La consolation et l’honneur restèrent à Mgr Clut et au Père Lecorre d’avoir contribué au salut de plusieurs âmes et d’avoir été les premiers prêtres catholiques à fouler les terres et les eaux de l’Alaska. Le fort Youkon avait déjà reçu les visites, à peu près infructueuses, de deux missionnaires de Good-Hope: celle du Père Séguin, en 1862, et celle du Père Petitot, en 1870.