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Aux glaces polaires

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La générosité attache le cœur: plus il donne, plus il aime. Bèchlètsiya était protestant; mais sa conversion ne tarda plus. Le Père Ducot le baptisa, lui fit faire sa première communion, et, quelques mois après, sanctifia sa mort.

Les voyageurs arrivèrent à Sainte-Thérèse, le dimanche de Quasimodo, à dix heures du soir.

Le Père Ducot, qui nous écrivit au long cet épisode, concluait:

« – On dit qu’il y a une Providence pour les fous. Il y en a certainement une spéciale pour les missionnaires, qui le sont bien un peu, à leurs heures. Nos stulti propter Christum».

Quatre ans après cette épreuve, du 20 avril au 8 juin 1884, le missionnaire de Sainte-Thérèse retourna au campement des Flancs-de-Chiens. Un mois de travail parmi eux lui rapporta cinq premières communions, le baptême d’un sorcier et une douzaine de confessions. Il en fut aussi heureux que les missionnaires des paroisses blanches, après leurs grands coups de filet dans la masse des peuples.

Parti à la raquette, il revint en radeau, cette fois, sur la rivière de l’Ours, avec quelques sauvages.

Le premier soir, ils furent contraints de faire escale, sur la rive droite. Le lendemain, le radeau était parti, avec les vivres et les outils. Des chiens, passant dans la nuit, en avaient dévoré les amarres de cuir d’orignal. Il fallait, sous peine de mourir de faim, atteindre la rive gauche où se trouvaient le fort Norman et la mission.

Les Indiens se rappellent alors qu’un chaman leur a prédit qu’ils périraient, un printemps, en descendant la rivière de l’Ours (la Télini-diè), et ils se livrent au désespoir. Le missionnaire a grand peine à relever leur courage et à les convaincre que Dieu est plus fort que le sorcier et Satan. Sur la promesse qu’il leur fait solennellement de les conduire à Sainte-Thérèse pour le dimanche, ils se décident à marcher.

Pendant quatre jours, ils descendent des falaises et traversent des torrents, le long de la rivière rageuse, qui roule les glaçons du lac de l’Ours. Enfin un pont de glace est en vue à la tête d’un rapide. Il semble unir les deux rives: c’est la délivrance.

En faisant le signe de la croix, les naufragés s’y engagent. La glace désagrégée, pourrie, cède et frémit sous les pieds. Avec un bâton, chacun sonde devant soi, et s’avance peu à peu. En trois quarts d’heure, tous ont sauté sur la rive gauche.

A l’instant où ils remercient Dieu, un fracas de tonnerre résonne dans la gorge: c’est le pont de glace qui crève et se disperse dans les cascades…

A sa visite de 1886, la suivante, le Père Ducot annonça aux sauvages du Grand Lac de l’Ours que pour la première fois il serait au fort Norman, le 25 décembre, et qu’il y chanterait la messe de minuit. Il n’eut pas à répéter l’invitation.

Laissons-le nous dire l’événement:

La fête approchait et je me préparais à lui donner tout l’éclat possible. Je fabriquais des chandeliers, des lampions, des guirlandes, tout ce que je pouvais inventer. Un soir, j’entends des pas nombreux sur le trottoir de la maison. On entre chez moi: Oh! quelle joie, c’est notre chef, le Petit-Chien, qui arrive avec sa bande. Tous se jettent à mes pieds, en me serrant la main, pour recevoir ma bénédiction.

– Combien je suis heureux de vous voir, mes enfants, leur dis-je.

– Père, répond le chef, fidèles à notre parole nous venons tous, pour assister à la prière de la nuit (Noël). On nous a dit que la fête était après-demain.

– Eh bien! j’en suis enchanté; seulement, vous vous êtes trompés de huit jours.

– Père, que dis-tu là! Nous n’avons pas de vivres, et ne pouvons demeurer ici, aussi longtemps. Il nous faut repartir après demain.

– C’est fort désagréable, mes enfants; mais je ne puis célébrer la Noël, pendant l’Avent. Le Pape ne serait pas content de moi.

Sur ce, tous de se récrier et lamenter. Ces pauvres gens étaient découragés, et moi-même affligé de ce contretemps.

– Enfin, écoute, Père, me dit le chef: Toi, tu es le prêtre; et le prêtre c’est comme le bon Dieu: ce qu’il veut, il le peut. Si tu le veux bien, tu pourras nous faire contents, et célébrer pour nous une belle fête de la prière de la nuit, quoique ce ne soit pas encore le jour. Nous venons de loin; nous venons tous; nous ne venons que pour cela; pourquoi voudrais-tu nous résister davantage?

Que répondre à ces braves enfants? Je réfléchis un moment:

– Eh bien! puisque vous le désirez tant, c’est bien, vous serez satisfaits. Si je pouvais consulter le Pape, il me permettrait bien de devancer la fête. Je lui écrirai. Et maintenant, comme il est tard, retirez-vous; allez faire votre campement. Demain vous vous confesserez; et, demain soir, à minuit, nous célébrerons ensemble la prière de la nuit.

Aussitôt ces bons Indiens éclatent de joie, et se retirent en m’accablant de mercis.

Le lendemain, je parai de mon mieux notre petite chapelle, et j’entendis les confessions des chers Indiens, recommandant à chacun de se tenir recueilli jusqu’à la messe de minuit. En ce temps-là, ils n’avaient pas de montre, et pour eux neuf heures du soir et trois heures du matin c’était à peu près minuit. Je ne m’engageai donc pas trop en leur promettant une messe à minuit.

Il était à peine huit heures et demie, que le chef m’envoyait demander si l’heure de la messe était arrivée. Je congédiai les envoyés, en les assurant qu’on sonnerait la cloche, et qu’on ne commencerait pas la prière, avant que tous fussent arrivés. Néanmoins, plusieurs, craignant de manquer l’appel, couchèrent à la chapelle… Enfin l’heure arriva; je sonnai ma cloche et j’allumai les cierges (chandelles de suif) du sanctuaire. Bientôt tout mon monde fut réuni dans la grande salle, séparée du sanctuaire par un rideau. On tira le rideau: tous tombèrent à genoux, ébahis devant tant de lumières. L’autel en était couvert, la crédence aussi. Jamais on n’en avait tant vu dans notre petite chapelle: on en pouvait compter à peu près deux douzaines. C’était beau!

L’office commença. Ce fut d’abord un cantique de Noël: Il est né, le divin Enfant, en montagnais. Tout le monde chantait à pleins poumons. Puis, je prêchai sur la fête de Noël. Jamais je ne fus mieux écouté. Après le sermon, encore des cantiques, de plus en plus entraînants. Alors la grand’messe, une messe votive de l’Immaculée Conception. A la place du gloria j’entonnai un autre Noël. Idem au credo. A la communion, tous s’approchèrent de la sainte Table. Après la messe, bénédiction du Saint-Sacrement, et un dernier cantique. La prière de la nuit avait duré trois heures. Mes sauvages étaient ravis. Ce fut un beau jour pour eux, pour moi; et, j’ose l’espérer, le bon Dieu fut content de nous.

C’est ainsi que le 17 décembre, en plein Avent, je célébrai pour la première fois la fête de Noël, à la mission Sainte-Thérèse. Le soir, tous mes chers enfants s’éloignaient, heureux d’avoir eu leur prière de la nuit, mais le cœur gros de ne pouvoir rester plus longtemps, auprès de moi. Cependant le chef répétait:

– Ah! le prêtre, c’est comme le bon Dieu. Ce qu’il veut, il le peut!

Pour ceux qui connurent le Père Ducot, «à cheval sur les rubriques», comme jamais ne le fut chevalier missionnaire de ces contrées, si rebelles à telles chevauchées, ce récit sera d’une particulière saveur.

La ponctualité, la précision, l’exactitude marquèrent tous les actes, paroles et écrits du Père Ducot.

Ses sermons, pour cinquante, pour dix, pour un seul auditeur, étaient scrupuleusement rédigés, appris, et donnés avec une flamme!.. non toutefois que l’élocution de source manquât à ce bon fils de Gascogne, mais à cause du respect qu’il avait pour la parole de Dieu.

Quoi de plus précis également que ces descriptions, relevées dans son journal de Sainte-Thérèse, et que le souffle d’un poète n’aurait qu’à toucher, pour les animer à l’infini?

Nous n’en citerons que deux:

4 février 1890. – Par 40 degrés centigrades de froid, nous venons d’admirer un halo de toute beauté. La pleine lune était entourée d’une auréole jaunâtre, plus pâle que la lune même et ayant deux fois et demie à peu près sa largeur. Puis, cette auréole était environnée d’un premier cercle, ayant presque la largeur de l’astre, et allant du jaune tendre au jaune foncé, de l’intérieur à l’extérieur. Ce cercle était entouré d’un deuxième, deux fois plus large que lui et d’une couleur verte uniforme. Un troisième cercle, de mêmes largeur et teintes que le premier, enfermait le tout. Cet effet de lune dura de 7 à 8 heures du soir.

21 novembre 1909. – Hier soir, vers dix heures, nous avons assisté à une magnifique aurore boréale. Deux jets immenses de lumière s’élancent de l’horizon, en sens opposés: l’un part du nord-ouest, l’autre de l’est-sud-est. Profondément inclinés sur l’horizon, vers le sud-ouest, ils s’avancent l’un vers l’autre. Ils se réunissent, se redressent au zénith. C’est un arc-en-ciel blanc magnifique, partageant le ciel en deux parties inégales. Aux extrémités, deux foyers se forment, s’élargissent, s’élèvent, et se précipitent l’un vers l’autre. La lumière s’étend, se dilate. Sa bande est trois fois, cinq fois, plus large qu’au début. On dirait une immense draperie diaphane aux festons serrés, diaprés, élastiques, suspendus, se balançant en l’air, et agités par un double vent impétueux, courant en sens inverse. Dans leurs mouvements, vifs comme l’éclair, ces festons se resserrent, s’allongent en dards flamboyants et acérés. On dirait que la terre va être foudroyée. Et tout cela, à peine quelques mètres au-dessus de notre maison. Je pensais même que les pointes en touchaient le faîte. Puis soudain cet arc se dissout, se fond; sa lumière s’épanche au nord-est et au sud-ouest, elle se déchire, elle monte ou descend sur tous les points du ciel. Bientôt la voûte céleste est jonchée de lambeaux de lumière. Une demi-heure s’écoule, tout à disparu. Les étoiles et la lune, tombant à son couchant, éclairent le ciel qu’aucun nuage ne ternit. Il faisait un froid de 35 degrés centigrades.

 

L’âme sensible du Père Ducot débordait de piété. On eût dit qu’il voyait Dieu dans ses méditations. Son attitude, alors, n’était plus de la terre. Le Frère Jean-Marie Beaudet, qui fut son compagnon, de 1886 à 1904, nous disait qu’en ces 18 ans, il ne l’avait jamais vu s’appuyer, ni s’asseoir, à la chapelle.

Il aima finalement la Congrégation des Oblats, sa mère. Sa façon de célébrer ses fêtes, ses anniversaires, était de redoubler de prières pour elle et pour tous les missionnaires des pauvres de l’univers. Ses lettres à ses supérieurs palpitaient d’amour respectueux. Il fallait le voir se jeter, avec des baisers et des larmes, sur les mains de son vicaire apostolique, lorsque celui-ci débarquait sur la plage du fort Norman.

Au Père Ducot, les Peaux-de-Lièvres durent l’accès plus facile à la sainte Eucharistie. Il avait l’esprit de Pie X, l’esprit de Notre-Seigneur.

Enfin, la quarante-unième année de son apostolat, le bon ouvrier dut être enlevé, presque par violence, à un labeur qui dépassait ses forces. Mgr Breynat le conduisit au nouvel hospice du fort Simpson, où il retrouverait le Père Andurand, son élève missionnaire, et ses vieillards Peaux-de-Lièvres, réfugiés sous l’aile de la charité des Sœurs Grises.

Mais les missionnaires peuvent-ils se reposer sur la terre?

Le Père Ducot ne devait connaître que le repos du Ciel. La Sainte Vierge vint, sans le prévenir, chercher son serviteur, le soir du 15 août 1916.

Mission Notre-Dame de Bonne-Espérance
(Fort Good-Hope)

A 440 kilomètres en aval de Sainte-Thérèse, placée en sentinelle sur les frontières des royaumes du soleil et de la nuit, la mission Notre-Dame de Bonne-Espérance voit venir à elle le Mackenzie dans toute sa splendeur.

Droit en face, le fleuve géant débouche d’une haie de remparts verticaux, bastionnés, flanqués d’angles et de tourelles, comme une architecture de moyen âge. Un triple rapide, achevant sa large course depuis le fort Norman, l’a précipité entre ces murailles; et le voici, échappé à l’étau de pierre, s’épandant en une esplanade solennelle, au pied de Good-Hope.

Le grand spectacle offert à Good-Hope par le Mackenzie, est celui de la débâcle. Il inspira cette page au Père Petitot:

Le 7 juin 1865, à 6 heures du matin, de formidables détonations se firent entendre ainsi qu’un fracas infernal. La grosse glace débâclait. Il n’est rien qui donne une idée plus frappante du chaos primitif et de la confusion dernière. C’est un mélange monstrueux, informe, unique, de masses gigantesques, hautes comme des maisons, grosses comme des rochers, qui s’en vont mugissant, hurlant, majestueuses ou courroucées, se rompre contre d’autres plus monstrueuses encore; puis retombent en couvrant de leurs débris les flancs des colosses contre lesquels elles se sont heurtées. Elles s’engloutissent dans le flot qui marche, pour reparaître plus loin, surgissant au milieu de glaçons moindres, qu’elles déplacent, soulèvent et culbutent.

L’imagination prête vie et sentiments à ces monstres qui se meuvent, se retournent, chevauchent les uns sur les autres, se bousculent, se pressent et s’agglutinent. Lorsque le volume des glaces excède la largeur du fleuve, bien qu’il ait ici trois kilomètres, celles-ci se soulèvent sur les rivages en remparts d’une maçonnerie titanesque; elles se suspendent à une grande hauteur, semblables à des constructions cyclopéennes. En même temps elles labourent les rives, entassent les terres, se creusent des godets profonds, montent des rochers avec elles, dans un déploiement de force dont rien ne peut donner l’idée.

Troupeaux d’éléphants furieux, répandus dans les jungles, qui renversent, saccagent, broient tout ce qui s’oppose à leur passage; avalanche grossissante qui dévale du sommet des Alpes en entraînant habitations, pans de forêt et quartiers de rocs; locomotives puissantes qui réunissent leurs poitrails cuirassés et haletants pour balayer les routes obstruées par la tourmente…: il y a de tout cela dans la grande débâcle, l’u téwé, du fleuve Géant du Nord.

«Cet affreux mais grandiose spectacle dura trois jours.»

La débâcle de 1836 emporta le premier fort Good-Hope, bâti à 162 kilomètres en aval; et la Compagnie de la Baie d’Hudson refit le comptoir, sur l’entablement actuel, que ses 20 mètres d’élévation au-dessus du fleuve ne garantiront pas toujours du «labour» des glaces.

Se tournant vers le nord, la mission Notre-Dame de Bonne-Espérance rencontre, à cinq minutes, le Cercle polaire. Une colline, qui s’interpose entre Good-Hope et le sud, dérobe cependant au commerçant et au missionnaire le demi-disque rouge qui affleure, en réalité, l’horizon de midi, et teint quelques instants «de sa couleur sanguinolente les rivages lointains du Mackenzie». L’astre lui-même disparaît complètement à la vue du fort, du 30 novembre au 13 janvier, et gratifie ainsi Good-Hope de la longue nuit du pôle.

Mais, dans cette nuit de 44 jours, se déploient les magnificences d’un firmament que nos pays tempérés ne contempleront jamais: une lune sans lever ni coucher; des étoiles au scintillement palpable; d’inlassables aurores boréales, pavillons mouvants du pôle magnétique. Toutes ces coruscations, avivées par les froids intenses, illuminent comme un jour la nuit polaire: et nox sicut dies illuminabitur.

Du 13 janvier à l’équinoxe du printemps, le soleil ressuscité occupe ses courtes et froides heures à se parer de météores; il s’auréole de halos d’argent; à travers les cristaux grésillants du givre, il se multiplie en parhélies, tenant le centre de trois, six et quelquefois huit soleils équipolés, aussi brillants que lui-même. L’équinoxe franchi, il se libère de l’horizon, et marche, sicut gigas ad currendam viam. Pendant cinq mois, il confond son aurore avec son coucher, versant à Good-Hope un jour continu de 150 jours. Une lieue plus loin, dans le Cercle polaire, il ignore son déclin, nescit occasum.

Une nuit, un jour: telle est donc l’année des Peaux-de-Lièvres, des Loucheux et des Esquimaux58.

Les grands convertisseurs des Peaux-de-Lièvres de Good-Hope furent les Pères Grollier et Séguin.

Le Père Grollier prépara l’œuvre de Dieu; le Père Séguin l’accomplit.

Le Père Pierre-Henri Grollier (1826-1864)

Le Père Grollier fut l’apôtre de feu, le François-Xavier des glaces.

Il naquit à Montpellier, le 30 mars 1826.

Rien dans le «bel enfant délicat» – ainsi le trouvait sa mère, comme la mère de Moïse trouvait son nouveau-né: videns eum elegantem– rien n’eût fait prévoir son rude avenir de libérateur des Peaux-Rouges arctiques. Il arriva au noviciat de Notre-Dame de l’Osier, sous les airs d’un «jeune citadin élégant et candide», à qui ses confrères prédisaient gracieusement, pour le reste de sa vie, le soleil du Midi et les olives de Marseille.

S’ils avaient pu entendre les prières du tendre novice, et lire ses lettres à son supérieur général! Sa devise était: Da mihi animas! Donnez-moi des âmes! Missionnaire des pauvres, il réclamait les âmes les plus pauvres, parmi les pauvres.

Mgr de Mazenod l’ordonna prêtre, le 29 juin 1851, et l’offrit à Mgr Taché, comme le «présent de son cœur.»

La course apostolique du Père Grollier, comme celle de saint François-Xavier, son idéal, dura douze ans. A l’exemple de l’apôtre des Indes, il dévora les espaces, en entraînant les peuples.

En 1852, il arrive à la Nativité, lac Athabaska, pour seconder le Père Faraud.

En 1853, il sait le montagnais, et va fonder la mission de Notre-Dame des Sept-Douleurs, au Fond-du-Lac (Athabaska): il y retournera quatre fois, pour de longs séjours.

C’est au deuxième de ces voyages à Notre-Dame des Sept-Douleurs qu’il contracta le mal qui devait le mener si prématurément au tombeau.

Un Indien le conduisait chez son père malade. Il y avait deux jours qu’ils marchaient ensemble, lorsque des chasseurs, venant du camp où se rendait le missionnaire, lui apprirent que le malade n’était plus en danger et pouvait attendre. Le Père Grollier fut heureux de cette nouvelle, qui lui permettait de retourner à la mission, pour l’Ascension, selon la promesse qu’il avait faite aux Mangeurs de Caribous. Il restait trois jours avant la solennité:

– Va, dit-il à son cicerone, et annonce à ton père que j’irai le voir, la semaine prochaine. Pour moi, je reprends le chemin du fort.

Le jeune homme voulait l’accompagner; mais le Père s’y refusa:

– Je retrouverai nos traces, et n’aurai qu’à les suivre. Laisse-moi.

Mais le soleil avait fait fondre la neige par endroits, et avec la neige les traces. Arrivé à un certain petit lac, – nommé depuis le lac du Père– le missionnaire perdit toute orientation, et se mit à tourner, une journée et une nuit, sur les mêmes lieux, comme font les perdus.

Il ne se rappela jamais ce qui lui advint ensuite.

Le commis du fort, Joseph Mercredi, bon métis français, qui fut toujours l’ami et le protecteur des prêtres, au Fond-du-Lac, ne voyant pas arriver le Père Grollier pour la fête, s’en inquiéta. Il laissa cependant s’écouler une autre journée. Convaincu alors qu’un malheur était arrivé, il munit de fusils et de tam-tams une patrouille de sauvages, leur donnant la consigne de faire du bruit dans toutes les directions, afin d’attirer l’attention du Père, et de tirer une fusillade de tant de coups, lorsqu’ils le retrouveraient.

Joseph eut lui-même l’honneur de faire l’heureuse découverte. Il allait, depuis deux jours, fouillant tous les buissons, interrogeant tous les arbres, quand il remarqua les pistes fraîches d’un ours. Il les suivit jusqu’au moment où, dans leur direction, mais plus loin, il aperçut, sous un sapin, une forme noire, écrasée sur elle-même. «Voilà mon ours, pensa-t-il, encore engourdi au sortir de sa bauge d’hiver.»

 

Il épaula son fusil, chargé d’une balle.

Comme il allait presser la détente, il remarqua, dans la masse noire, un mouvement insolite chez les ours. Baissant l’arme, il s’avança prudemment, prêt à faire feu.

C’était le Père Grollier, en soutane, dépouillé de son habit de peau de renne. Son bras passait et repassait convulsivement devant sa figure. Il avait mangé l’un de ses mocassins, à en juger par les lambeaux de cuir pris entre ses dents. Il était sans connaissance, émacié à faire peur.

Joseph parvint à faire boire un peu de bouillon de poisson au missionnaire; puis il le plaça près d’un feu, et lui frictionna les membres. Les fonctions vitales se rétablirent; mais l’usage de l’intelligence ne revint qu’au bout de quinze jours.

Un asthme, dont le Père Grollier n’avait ressenti encore que de légères atteintes, l’étreignit depuis ce temps, sans lui laisser de répit.

Mais l’apôtre marcha quand même.

En 1858, il laisse le lac Athabaska, et débarque au Grand Lac des Esclaves, le 22 juillet, pour établir définitivement la mission Saint-Joseph.

Trois semaines après, passe l’équipage de la Compagnie de la Baie d’Hudson, avec le Père Eynard et l’archidiacre anglican Hunter. Sans balancer, il remet la mission Saint-Joseph au Père Eynard, et se jette aux trousses de celui qu’il appelle «l’homme ennemi». Il réussit à prendre place sur la barge même qui emporte le ministre.

Sous les yeux de Hunter, il fonde la mission du Saint et Immaculé Cœur de Marie à la Grande-Ile, et la mission du Sacré-Cœur au fort Simpson.

Il voudrait poursuivre; mais Ross, le bourgeois du district, l’arrête et le force à retourner à Saint-Joseph.

En regagnant le Grand Lac des Esclaves, il apprend que Hunter et Ross, de concert, ont fait signer par tous les commis-traiteurs, une requête, priant le gouverneur de l’Honorable Compagnie, Sir Georges Simpson, de bannir du Mackenzie le prêtre catholique, et de réserver les tribus de l’Extrême-Nord au protestantisme. Le Père Grollier écrit à Mgr Taché de tenter l’impossible pour déjouer cette manœuvre; et il réclame, pour lui-même, «la grâce d’être envoyé aussi loin que la terre pourra le porter.»

Durant une année, pleine d’une «indicible inquiétude», il attend la réponse.

Il travaille, les premiers mois, parmi les Couteaux-Jaunes et les Montagnais de la mission Saint-Joseph. Le 12 avril 1859, il part sur la glace du Grand Lac des Esclaves, pour fonder la mission Saint-Michel du fort Rae, chez les Plats-Côtés-de-Chiens. Le 10 mai, il revient de Saint-Michel, sur la glace encore, à Saint-Joseph.

Au retour de ce voyage, se passa une scène, dont le secret, sur l’ordre du missionnaire, fut gardé par Pierre Beaulieu, jusqu’au jour récent où Mgr Breynat obligea celui-ci à dire tout ce qu’il savait.

Une affection, qui devait être scorbutique, d’après la description du témoin, avait attaqué les deux pieds; et les ongles livides ne tenaient plus aux chairs écarlates que par leur milieu: en remuant dans la chaussure, ils rendaient la marche impossible. Le Père Grollier commanda à Pierre Beaulieu de les lui arracher tous, avec des pinces à chapelet. Pierre obéit. A chaque ongle, un ruisseau de sang s’ouvrait. Le premier pied fini, le père demanda un verre d’eau pour se soutenir. Il présenta ensuite l’autre pied, en se détournant un peu. A l’avant-dernier ongle, il dit doucement, avec un filet de voix:

– Oh! tu me fais mal, mon Pierre.

A la fin:

– Merci, mon Pierre!

Là-dessus, les barges passèrent.

O bonheur! Une lettre de Sir Georges Simpson, à lui, Père Grollier, comme sauf-conduit! Une autre de Mgr Taché, à lui encore, et lui donnant «carte blanche» sur l’Extrême-Nord!

Sous la tutelle obligée, sinon obligeante, du bourgeois, le Père Grollier prend place, le jour même, 13 août 1859, dans les barges, à côté de Kirby, qui va remplacer Hunter; et il dit adieu au Grand Lac des Esclaves.

Il revoit les forts de la Grande-Ile et Simpson: partout les néophytes sont restés fidèles, Deo gratias! Au fort Norman, il fonde la mission de Sainte-Thérèse.

Le 31 août, il est à Good-Hope.

Il apprend que, grâce à quelques sauvages, instruits par lui, à Simpson, l’année précédente, et à quelques coureurs-des-bois, dont il a fait ses amis, la visite de Hunter, ce printemps 1859, n’a porté aucune atteinte aux âmes. Il consacre aussitôt la mission à Notre-Dame de Bonne-Espérance; et, disposant son autel «sur la table même qui avait servi aux offices de l’archidiacre», il offre le premier sacrifice du Cercle polaire:

Date éternelle, dit-il, le 2 septembre l’Agneau vraiment Dominateur fut immolé pour la première fois, à Good-Hope, presque sur les confins de son héritage!

Comment suivre l’activité du missionnaire asthmatique au cours des trois années qui le séparent encore de sa tombe? Il voyage. Il enseigne. Il réprimande. Il encourage. Il écrit. Chacun de ses actes, chacune de ses respirations est un élan de son être, «pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.»

« – Le zèle, disait Mgr Grandin, le zèle inimitable du Père Grollier éclipsait toutes ses autres vertus.»

Ce zèle était dirigé, implacable, furieux – trop implacable, trop furieux, trouvait Mgr Grandin – contre l’homme ennemi, contre le protestantisme.

A qui lui reprochait sa violence, il demandait depuis quand la vérité n’était pas intransigeante; et il ajoutait qu’il était de Montpellier, où l’on savait ne pas dormir, et que de Montpellier aussi était saint Roch, son modèle dans l’âpreté à combattre la rage de l’erreur:

J’arrivai au fort Simpson, le 16 août, fête de saint Roch, saint natif, comme moi, de Montpellier, avait-il écrit en 1858. Je me regardais comme conduit là par mon cher concitoyen, maintenant citoyen des cieux. Lui aussi avait quitté notre ville natale et sa patrie, et s’était fait pèlerin sur la terre pour la cause de Dieu et le salut des âmes. A cause de cette harmonie d’une même vocation entre deux enfants d’une même cité, je crus voir un heureux présage dans la coïncidence de mon arrivée au fort Simpson, le jour de la fête de saint Roch.

Or, de tous côtés, le protestantisme l’agaçait; non pas au fort Good-Hope, – il y eût fait trop mauvais pour le prédicant, – mais au fort Norman, chez les Loucheux, chez les Esquimaux, par delà les montagnes Rocheuses.

En juin 1860, il va au fort Norman, combattre Kirby. De là, il court au fort Simpson, pour rencontrer le Père Gascon et l’envoyer au fort des Liards. De Simpson, il descend d’un trait, brûlant Norman et Good-Hope, jusqu’au fort Mac-Pherson sur la rivière Peel, qui se jette dans les bouches du Mackenzie, à 430 kilomètres, passé le Cercle polaire.

Au fort Mac-Pherson, il rencontre les Loucheux et les Esquimaux. Là enfin, il est arrivé le premier. Plus loin, il n’y a plus que l’océan Glacial, le Pôle nord.

Il jette alors son cri de triomphe:

Le jour de l’Exaltation de la Sainte Croix (14 septembre 1860), ayant réuni les Loucheux et les Esquimaux, autour de ce signe de réconciliation, je fis approcher les deux chefs, et leur ayant fait croiser les mains au bas de la Croix, je la leur fis baiser comme signe d’alliance et de paix entre eux avec Dieu. Mes mains pressant les leurs sur le pied du Crucifix, je leur fis promettre de s’entr’aimer à l’avenir. Ainsi la Croix était le trait d’union entre moi, enfant des bords de la Méditerranée, et l’habitant des plages glacées de la mer Polaire. La Croix avait franchi toute distance, elle dominait a mari usque ad mare. De plus, je donnai au chef des Esquimaux une image du Sauveur en croix, au bas de laquelle j’écrivis ces paroles de la prophétie qui s’accomplissait: Viderunt omnes termini terræ salutare Dei nostri. Toutes les extrémités de la terre ont vu la rédemption de notre Dieu; et je fis présent au chef des Loucheux d’une image représentant la Mère de notre Sauveur, avec cette autre si vraie prophétie: Beatam me dicent omnes generationes. Toutes les générations me proclameront bienheureuse. C’est en ce beau jour de l’Exaltation de la Sainte-Croix que la grande nation des Esquimaux offrit ses prémices à l’Eglise, et que plusieurs d’entre eux devinrent enfants de Dieu en recevant le baptême.

L’hiver 1860-1861, le Père Grollier s’avoue vaincu, terrassé par la maladie, dans une lettre à Mgr Taché; et aussitôt, sans transition:

Ce printemps, je retournerai au fort Norman, j’en redescendrai le plus vite possible, et, une fois les sauvages de Good-Hope partis, je descendrai au fort Mac-Pherson.

Il exécuta ce programme. Mais à quel prix!

Le 8 juin 1861, en route pour Norman, il écrit:

Hier je partis en barge de Good-Hope. Aujourd’hui, fête de Notre-Dame de Grâce, jour d’indicible douleur pour moi: nous rencontrons le ministre Kirby qui se rend à Good-Hope, et à Mac-Pherson. Vous voyez que mes tristes prévisions s’accomplissent! Qu’allons-nous devenir?.. Je ne puis vous dire ce que je souffre, à chaque campement. Hier, il fallait monter une petite côte pour camper: je croyais expirer avant d’y arriver. Il m’a fallu m’arrêter trois fois, et longtemps, pour reprendre haleine; le souffle me manquait complètement. La marche même sur un terrain plan m’abat aussi; il faut que je m’arrête, pour respirer. Rien que le mouvement d’entrer ou de sortir de la barge me fatigue autant que si je venais de faire cent lieues. Il en est de même quand je range ma couverture de nuit: l’action seule de me baisser m’essouffle… Ce qui me fait le plus de peine, c’est que l’on me comptera toujours comme faisant nombre, et qu’ainsi je tiendrai la place d’un bon missionnaire, qui pourrait agir de tous côtés pour la gloire de Dieu et pour sauver des âmes.

Débarqué au fort Norman, il continue:

Pour gravir la côte du fort, j’ai failli mourir; je n’avais plus d’haleine. Quand j’ai été en haut, j’ai tellement excité la compassion des sauvages que l’un disait à l’autre: «C’est parce qu’il nous aime beaucoup qu’il vient ainsi nous voir, quoiqu’il soit malade». J’ai été plus de dix minutes sans pouvoir proférer une parole.

Au fort Norman il ressaisit quelques Indiens du Grand Lac de l’Ours que le ministre lui avait ravis; il confirme les fidèles dans la foi; puis il achète le canot d’écorce d’un sauvage; et, du 18 au 28 juin, avec un jour seulement d’escale à Good-Hope, il fait les 870 kilomètres, de Norman à Mac-Pherson, où l’attend la désolation.

La première parole qu’il entend, sur la terre des Loucheux, lui est lancée, du rivage à son canot, par une femme sur laquelle il avait compté en toute confiance:

Le ministre est bon, meilleur que toi; il donne du tabac et du thé. Il a enlevé dans les campements tous les objets religieux que tu nous avais donnés!

58La mission de Good-Hope a été dotée du titre de «Normal Climatological Station» par le Meteorological Office de Toronto, charge honorable, et quelque peu profitable, qui relève du Département de la Marine et des Pêcheries du Canada. Les missionnaires prennent, deux fois le jour, la hauteur barométrique et les températures maxima et minima. Ils ont aussi à marquer la direction et la force du vent et à rendre compte de leurs observations météorologiques diverses sur les coups de tonnerre, bolides, halos, aurores boréales, etc… De Good-Hope on voit nettement jaillir les aurores boréales, quelquefois du moins, du pôle magnétique, et se répandre, de là, dans le ciel. L’influence de ce pôle magnétique s’y fait sentir au point qu’il suffit de placer une pièce de fer, une lame de couteau, en équerre avec la ligne du pôle, et de l’y laisser une demi-journée, pour qu’elle acquière une aimantation durable. La boussole s’affole dans les parages de Good-Hope, et l’aiguille cherche à se cabrer plus qu’à tourner sur son pivot. Les missionnaires furent, en ces dernières années, chargés de lancer des ballons d’essai, gonflés d’acétylène. L’observateur suit les ballons à l’aide du théodolite, et, par une opération de trigonométrie, détermine leur hauteur et leur direction. Ces observations, qui doivent être comparées avec celles d’autres postes établis sur le même Cercle polaire, de la baie d’Hudson à l’Alaska, sont destinées à renseigner les aéronautes de l’avenir, sur la direction des vents, dans les couches supérieures de l’atmosphère, ainsi que sur la pression atmosphérique, jugée par l’éclatement du ballon. Il a été remarqué, à Good-Hope, que quel que soit le côté d’où vienne le vent à la surface de la terre, au moment de l’expérience, le ballon finit toujours par prendre une direction Est. En été, il fait le tour par le Sud, et en hiver par le Nord. Nous avons pris, comme échantillon des températures extrêmes, enregistrées à Good-Hope, les suivantes, du thermomètre centigrade: 4 mars 1880: -54°; 15 janvier 1901: -58° ½; 15 juillet 1892: 45° au-dessus de zéro, au soleil. Et ces températures ont été plus d’une fois dépassées. Des stations secondaires de météorologie furent placées, aux mains des Sœurs Grises, depuis 1900, aux forts Smith et Résolution. Leurs rapports, comme ceux du fort Good-Hope, sont toujours hautement appréciés par le gouvernement.