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Aux glaces polaires

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Ensuite j’allai à leur campement, et je donnai la main à tous les gens qui étaient là. Ils m’invitèrent à leur table. Je n’eus garde de refuser; car, marchant depuis le matin sans manger, j’étais affamé.

Après le repas, ils m’accablèrent de questions. Je m’efforçai de leur faire comprendre que j’étais venu pour rester parmi eux…»

Le Père Rouvière prit aussitôt ses dispositions pour hiverner au lac Imerenick, à une centaine de kilomètres au nord de la baie Dease, parmi les «derniers misérables sapins secs», qu’il rencontra dans la Terre Stérile78. Habile charpentier, il eut vite fait d’équarrir et d’ajuster les troncs d’arbres qui devaient composer sa pauvre demeure. Il y célébra le saint sacrifice, pour la première fois, le 17 septembre 1911.

Jusqu’à la fin d’octobre, beaucoup d’Esquimaux, retournant à la mer par ce chemin, vinrent l’y visiter, famille par famille. Coïncidence touchante, ils arrivaient toujours plus nombreux aux fêtes de la Sainte Vierge. Le missionnaire écrit, dans son Journal, le 8 septembre:

Marie sera vraiment la protectrice de cette mission, car c’est toujours un de ses jours de fête qu’elle les ramène autour de moi. Merci, ô ma Mère! faites que je sois digne de la mission qui m’est confiée!

Après le départ des derniers Esquimaux, il passa l’hiver dans la solitude, la prière et le travail des mains.

Au mois d’avril 1912, il attela ses chiens et se rendit au fort Norman, afin d’y prendre le compagnon d’apostolat qui lui avait été promis.

C’était le Père Guillaume Le Roux, né dans le diocèse de Quimper, en 1885, et qui, depuis un an, était arrivé du scolasticat de Liége. Brillamment doué des dons de l’esprit et du corps, linguiste remarquable, il était fait pour les longs voyages arctiques et pour l’organisation des missions nouvelles et difficiles auxquelles l’appelait le vicaire apostolique du Mackenzie.

Les deux apôtres partirent du fort Norman, pour la Terre Stérile, à la mi-juillet 1912. Le 27 août, ils entraient dans la maisonnette du lac Imerenick.

Ils eurent la joie de voir beaucoup d’Esquimaux durant l’automne; et le Père Le Roux se mit de toute son âme à étudier leur langue.

Mais ils ne tardèrent pas à comprendre qu’à moins d’établir leur résidence sur l’océan Glacial même, ils ne pourraient songer à les convertir. Au Grand Lac de l’Ours et au lac Imerenick, il ne viendrait jamais qu’un petit nombre d’indigènes, et encore trop affairés et pour trop peu de temps. Ils résolurent donc d’aller, l’automne suivant, au golfe du Couronnement.

Cependant, ils auraient bien voulu avoir l’avis de leur évêque et son assentiment formel à une si redoutable entreprise.

Sans doute, Mgr Breynat leur avait donné l’autorisation d’agir selon leur jugement; mais, espérant toujours pouvoir communiquer avec lui au cours des mois suivants, ils ajournèrent l’exécution de leur projet.

Le printemps et l’été se passèrent sans qu’ils pussent trouver le moyen de lui faire part de leur plan d’apostolat.

Le 30 août 1913, ils reçurent une lettre du capitaine de goélette Joe Bernard, qui leur disait qu’après avoir séjourné lui-même deux ans parmi les Esquimaux du golfe du Couronnement, il jugeait le moment favorable pour y établir une mission. Il les suppliait de se presser et leur promettait son appui.

Comme l’Indien qui avait apporté la lettre du capitaine retournait aussitôt au fleuve Mackenzie, le Père Rouvière lui remit, pour Mgr Breynat, les lignes suivantes:

Je vous envoie ce mot de Joe Bernard. Il nous décide tout à fait. Nous allons partir. Bénissez-nous, Monseigneur. Et que Marie nous garde et nous dirige!

Puis, un long et angoissant silence se fit. Trois années devaient s’écouler avant qu’on sût ce qui s’était passé.

En 1914, un explorateur, M. d’Arcy Arden, qui s’était aventuré dans la Terre Stérile, y rencontra des Esquimaux, affublés de soutanes et d’ornements sacerdotaux. Les ayant interrogés sur les «hommes blancs» venus en leurs parages l’année précédente, il n’obtint d’eux que des réponses évasives et contradictoires.

Cette découverte était de mauvais augure… Mais ces gens pouvaient avoir dévalisé la cabane du lac Imerenick, en l’absence des missionnaires… En somme, il n’y avait pas d’indication positive du malheur irréparable que l’on redoutait.

Une dernière espérance s’attachait à une parole rapportée par un Peau-de-Lièvre, venu du Lac de l’Ours:

« – Lorsque les pères sont partis, assurait-il, ils nous ont déclaré: «Nous allons suivre les Esquimaux aussi loin qu’ils iront… Peut-être ne reviendrons-nous pas avant deux ans.»

On conservait donc une lueur d’espérance: «Ils seront allés, se disait-on, jusqu’à l’île Victoria; et surpris par un précoce dégel de la mer, n’osant, d’autre part, se confier aux frêles krayaks (embarcations esquimaudes), ils attendent, pour revenir, les glaces d’un autre hiver…»

Lorsqu’au printemps de 1915, il ne fut plus possible de mettre en doute une issue fatale, Mgr Breynat fit appel au gouvernement canadien et demanda qu’un détachement de gendarmes fût envoyé dans la région où ses missionnaires avaient dû vraisemblablement trouver la mort. Le gouvernement accéda très libéralement à cette requête.

L’inspecteur La Nauze et les gendarmes Wight et Withers partirent, avec des vivres et des munitions pour deux années. Mais lorsqu’ils arrivèrent dans la Terre Stérile, le plus imprévu des contretemps les y attendait. Comme s’ils eussent soupçonné les investigations dont ils allaient être l’objet, les Esquimaux n’avaient point paru cet été. La cabane des missionnaires, au lac Imerenick, était tout en ruines. Le Père Frapsauce, qui avait accompagné jusque-là les gendarmes, dut retourner au fort Norman, navré de n’avoir rien à apprendre à ses supérieurs.

Quant aux gendarmes, ils attendirent, logés dans une maison que les pères s’étaient construite au printemps 1913, à la baie Dease, le retour de la saison favorable.

A la fin d’avril 1916, ils se remirent en route vers le Nord, atteignirent, au mois de mai, le premier village de l’embouchure du Coppermine, et procédèrent immédiatement à leur difficile enquête.

Ils interrogèrent adroitement les Esquimaux sur les «deux hommes blancs». Mais tous leurs efforts pour obtenir indirectement la vérité restèrent sans résultat.

L’un des gendarmes eut enfin l’idée de dire à l’interprète:

– Demande-leur carrément qui a tué les prêtres. Pose la question sans détour.

L’interrogation, ainsi formulée dans sa franche brutalité, fut aussitôt suivie de cette réponse:

– Les Blancs ont été tués par Sinnisiak et Oulouksak.

A l’instant, les langues se délièrent, et chacun raconta ce qu’il savait. Tout le monde avait été informé, dès le lendemain du crime. On se montrait en même temps fort peiné du meurtre des «bons Blancs».

Les dépositions consignées par écrit, les aveux des meurtriers, les renseignements de M. Arden, et la découverte, à l’endroit même de l’assassinat, des débris du Journal de pauvre papier rugueux, sur lequel le Père Rouvière écrivait au crayon indélébile ses notes quotidiennes, ont permis de reconstituer presque tous les actes de la sanglante tragédie.

Les missionnaires étaient partis du lac Imerenick, le mercredi 8 octobre 1913, tous deux malades, le Père Le Roux souffrant d’un rhume, et le Père Rouvière d’une blessure qu’il s’était faite en bâtissant la maison de la baie Dease. Un groupe considérable d’Esquimaux étaient venus, la veille, pour les emmener. Parmi eux se trouvaient Sinnisiak et Kormick.

Les voyageurs mirent une douzaine de jours à parcourir les 140 kilomètres qui les séparaient de la mer Glaciale. Le Journal note continuellement «des froids intenses», «des temps affreux», «des chemins difficiles», «des vents contraires», la «fatigue des chiens affamés»…

Le terme de ce voyage fut une île située dans l’estuaire du Coppermine.

Le 20 ou 22 octobre, le Père Rouvière écrivait:

« – Nous arrivons à l’embouchure de la rivière de Cuivre (Coppermine). Des familles sont déjà parties. Désenchantement de la part des Esquimaux. Nous sommes menacés de famine; aussi, nous ne savons que faire.»

C’est la dernière phrase écrite par le missionnaire.

Le mot désenchantement apparaît, non souligné, mais fortement appuyé. C’était la première fois que le Père Rouvière parlait avec quelque amertume de ses ouailles.

La famine menaçait le camp, parce que la pêche était précaire et que le renne faisait défaut. Les pères s’étaient munis de provisions; mais elles leur furent bientôt volées. Une nuit, l’Esquimau qui hébergeait nos confrères depuis près d’une semaine, se glissa au chevet du Père Le Roux, lui enleva sa carabine et la cacha.

Quel que fût le protocole indigène, qui prescrit de ne point refuser ce que l’on vous demande, les missionnaires ne pouvaient tolérer ce dernier larcin. Se risquer sans fusil dans ces pays, c’est, pour un blanc, se condamner à mourir de faim. L’arme fut donc reprise par son propriétaire. Ce que voyant, Kormick entra en colère et se rua sur le Père Le Roux pour le tuer. Mais un brave vieillard, Koha, saisissant l’agresseur à bras-le-corps, le maîtrisa.

Koha, prenant à part les missionnaires, leur représenta alors que leur vie était en danger:

« – Kormick et ses gens, leur dit-il, vous feront un mauvais parti. Vous devriez retourner tout de suite à votre cabane du lac Imerenick. Vous reviendriez l’année prochaine en meilleure compagnie.»

 

Il les aida à appareiller leur équipage, qui consistait en un traîneau et quatre chiens. Puis, il les accompagna durant une demi-journée, autant pour les défendre d’autres attaques possibles que pour les placer dans la bonne direction. Il s’attela même au traîneau avec les chiens. Lorsqu’ils eurent remonté le fleuve jusqu’au chemin qui s’engage dans la Terre Stérile, il leur dit:

« – Il n’y a pas d’arbres ici. Continuez d’avancer aussi loin que vous le pourrez. Après cela vous n’éprouverez plus autant de difficulté. Je vous aime et je ne veux pas qu’on vous fasse de mal.»

Et, sur une cordiale poignée de main, ils se séparèrent.

Quatre nuits devaient encore rester aux missionnaires. Comment passèrent-ils les trois premières? Nous ne l’apprendrons jamais. Ils durent souffrir beaucoup; car il faisait très froid, et ils n’avaient ni tente pour s’abriter, ni bois pour se chauffer.

C’est pendant la seconde de ces nuits que Sinnisiak et Oulouksak quittèrent à la dérobée la tribu endormie, et se mirent à suivre les traces laissées dans la neige par le traîneau. Ils rejoignirent les missionnaires vers le milieu du jour. Ceux-ci comprirent leurs desseins perfides. Ils connaissaient la mauvaise réputation de Sinnisiak et ses relations avec Kormick. Ils leur firent cependant bon accueil.

Afin d’expliquer leur présence, et surtout de se donner le temps de choisir le moment favorable, les Esquimaux dirent qu’ils allaient au devant d’un groupe de leurs parents, attardés dans leur retour du Grand Lac de l’Ours à la mer, et qu’ils avaient, à cette fin, amené deux chiens de relai.

« – Puisque nous allons dans la même direction, proposèrent-ils, nous vous aiderons à traîner votre charge, jusqu’au moment où nous rencontrerons notre monde.»

Leu Esquimaux trouvent naturel de prendre le harnais d’un traîneau et n’estiment pas qu’il y ait rien d’humiliant dans ce travail. Au cours des longs voyages, tous les membres de la famille s’y emploient; les femmes halent en tête, les chiens sont au milieu, et les hommes en queue. Et combien de fois les missionnaires du Nord n’ont-il pas rendu ce service à leurs coursiers trop faibles!

Le soir venu, Sinnisiak et Oulouksak se retirèrent vers le fleuve, afin de camper à part.

Le matin, ils revinrent au traîneau; mais ils ne purent encore frapper, ce jour-là.

Pour la nuit suivante, ils construisirent un Iglou, et tous quatre s’y abritèrent, côte à côte. Nos pères pouvaient compter sur la loi de l’hospitalité qui rend inviolable tout étranger, tant qu’il se trouve sous la hutte de neige de l’Esquimau.

Le lendemain, la caravane se remit en marche. En avant, le Père Rouvière battait la neige de ses raquettes, pour frayer le passage. Le Père Le Roux était à la tâche, non moins pénible, de retenir, avec des cordes, l’arrière du traîneau qui, sans cela, aurait chaviré à chaque cahot.

Chemin faisant, le vent se leva et une tempête se déchaîna. La neige tourbillonnait en flocons aveuglants. La marche devenait de plus en plus pénible…

Sinnisiak jugea le moment propice. Il murmura quelques mots d’ordre à l’oreille d’Oulouksak; et tous deux se débarrassèrent du harnais.

Sinnisiak s’en alla derrière le traîneau; mais le Père Le Roux, mis en défiance, le suivit du regard… Le misérable eut alors recours à un stratagème: il fit mine de détacher sa ceinture en disant qu’il avait à satisfaire un besoin naturel. Le prêtre détourna les yeux; et le scélérat, se rapprochant de lui vivement, le frappa, de son grand coutelas, dans le dos.

Le blessé se précipita en avant, en poussant un cri; mais à peine avait-il dépassé le traîneau qu’Oulouksak, à son tour, se jetait sur lui, pendant que Sinnisiak disait:

– Achève-le. Moi, je vais m’occuper de l’autre!

Le Père Le Roux saisit les épaules du sauvage en faisant appel à sa pitié. Mais, sourd à ses supplications, Oulouksak lui porta deux coups de couteau: le premier dans les entrailles, le deuxième dans le cœur.

Cependant, averti par le cri de détresse de son confrère, le Père Rouvière accourait. En le voyant s’affaisser sur le sol, et Sinnisiak armer la carabine qu’il avait prise dans le traîneau, le missionnaire s’enfuit vers le fleuve. La première balle que lui envoya l’assassin le manqua; mais la seconde l’atteignit dans les reins, et le fit tomber assis sur la neige.

Les deux Esquimaux accoururent.

– Achève-le! commanda de nouveau Sinnisiak.

Oulouksak lui plongea dans le flanc sa lame encore fumante.

Le pauvre père, alors, s’étendit tout de son long dans la neige rougie… Comme il respirait et que ses lèvres remuaient encore, Sinnisiak alla chercher, au traîneau, la hache de travail des missionnaires; et, revenant au moribond, il lui coupa les jambes, les mains et la tête.

Puis, déchirant les entrailles, Oulouksak arracha une portion du foie; et les deux monstres en mangèrent.

Ayant jeté le corps dans un ravin, ils retournèrent au Père Le Roux, l’ouvrirent et lui dévorèrent pareillement le foie.

L’horrible festin fini, ils s’emparèrent des carabines et munitions et revinrent au camp où ils racontèrent ce qu’ils avaient fait.

– Nous avons déjà tué les Blancs, dirent-ils à Kormick, en arrivant.

Le crime fut commis, entre le 28 octobre et le 2 novembre 1913, l’après-midi, à une trentaine de kilomètres de l’océan Glacial, sur la rive gauche du Coppermine, trois lieues en amont de la Chute du Sang.

Le lendemain, un certain nombre de bons et de méchants Esquimaux s’en furent au lieu du carnage, où ils trouvèrent les quatre chiens faisant la garde de leur maître.

Les uns – Kormick en était – se distribuèrent les divers effets. Les autres, comme Koha, regardèrent avec douleur «comment les bons Blancs étaient morts».

J’étais très chagrin de la mort des bons Blancs, dit Koha, et je voulus aller les voir. En arrivant, j’aperçus le corps d’un homme sans vie, à côté du traîneau: c’était Ilogoak (le Père Le Roux); et je me mis à pleurer. Je ne vis pas Kouliavik (le Père Rouvière). La neige recouvrait le visage d’Ilogoak, laissant le nez à découvert: il était étendu sur le dos, la tête relevée… J’aimais beaucoup les bons Blancs. Ils étaient très bons pour nous.

Trois ans plus tard, le 3 juin 1916, le gendarme Wight se fit conduire à cet endroit par un indigène nommé Mayouk. Il trouva la planche de fond du traîneau, et, près de celle-ci, un os maxillaire inférieur retenant encore toutes ses dents intactes et blanches. Mayouk déclara que cette relique était du Père Le Roux, et qu’elle avait été jetée là, l’année précédente, par un passant. Comme M. Wight tenait à voir le lieu précis où le Père Le Roux avait expiré, Mayouk l’entraîna, à vingt mètres plus loin, dans la direction du fleuve, s’arrêtant à une centaine de mètres de la rive gauche. La place était marquée par des griffes d’animaux carnassiers, et par de nombreuses esquilles d’ossements tombées de leurs gueules. Mayouk montra ensuite au gendarme une excavation qu’un ruisseau avait pratiquée en se jetant dans le Coppermine, et dit que le corps du Père Rouvière était au fond. Six pieds de glace mêlée d’argile le recouvraient. Le gendarme, pressé par le temps, se contenta de confectionner, avec la planche du traîneau, deux humbles croix qu’il planta respectueusement sur les points du désert, où les deux missionnaires avaient trouvé le sanglant couronnement de leur apostolat.

En 1917 enfin, en la fête de l’Assomption de la Sainte Vierge, le 15 août, dans l’après-midi, – sixième anniversaire de la première rencontre des Esquimaux par le Père Rouvière, – Sinnisiak, son bourreau, comparaissait devant le juge de la cour suprême du Canada, à Edmonton, et faisait l’aveu de son forfait.

Invoquant son titre de père des missionnaires immolés, Mgr Breynat adressa une supplique au ministre de la justice, pour que la peine de mort, portée par le tribunal du Canada, fut commuée. Il demanda que les deux meurtriers lui fussent confiés, afin qu’il pût leur faire comprendre la beauté de la Religion catholique, dans ses institutions, dans ses missionnaires et dans sa miséricordieuse indulgence.

Ce recours en grâce fut entendu. La sentence de mort fut aussitôt changée en un emprisonnement indéfini, emprisonnement sans chaînes, ni verrous, au fort Résolution, sur le Grand Lac des Esclaves, selon que l’avait proposé le vicaire apostolique du Mackenzie.

La détention des coupables n’y dura que deux années, sous la garde bénigne de la gendarmerie locale, et à l’école des plus belles œuvres apostoliques de l’Extrême-Nord.

En 1919, à la nouvelle prière de Mgr Breynat, les deux bourreaux furent renvoyés à leur tribu…

Dans cet acte sublime de miséricorde, accompli, en leur nom, par leur évêque, s’acheva le sacrifice des deux jeunes Oblats français, de 32 et 27 ans, qui moururent sur la plage de l’océan Glacial, dans l’ouragan de neige, à 3.000 lieues de leur patrie, épuisés de fatigue et de faim, le cœur brisé par l’ingratitude de leurs enfants d’adoption, comme le Cœur du divin Maître l’avait été par l’infidélité de Jérusalem, la veille du Calvaire, et priant pour ceux qui les poignardaient.

Un autre sacrifice, pris encore aux veines de la France, devait, sept ans plus tard, le 24 octobre 1920, s’ajouter à celui-là pour mériter pleinement le salut des Esquimaux. Le nom du Père Frapsauce, cette troisième victime, est revenu plus d’une fois, au cours de ce livre. Il est permis d’écrire, maintenant, que ce missionnaire, dévoué, durant vingt ans, aux Dénés du fort Smith, du fort Résolution, du fort Rivière-au-Foin et du fort Norman, avait été l’apôtre de toute humilité, de toute abnégation.

A peine la mort des Pères Rouvière et Le Roux fut-elle connue dans sa sanglante réalité par les missionnaires du Mackenzie que tous, unanimement, se proposèrent pour faire la relève, au poste du Grand Lac de l’Ours. Le Père Frapsauce obtint d’être le premier choisi. N’ayant plus, dès lors, que le rêve de se donner entièrement à ses nouvelles âmes, il s’exerça à vivre leur vie, il s’initia à leur langue, et, l’automne 1919, il arriva, pour s’y fixer, à la cabane bâtie par ses devanciers.

De cette résidence, il parcourut les derniers bois du lac et les abords de la Terre Stérile, travaillant de ses mains et prêchant sans relâche.

Le 21 octobre, une année après le Père Frapsauce, le compagnon qu’on lui avait promis, le Père Falaize, ancien apôtre, lui aussi, des Montagnais et des Couteaux-Jaunes, arrivait à la cabane du Grand Lac de l’Ours.

Elle était vide.

Les Indiens expliquèrent au nouveau venu que le Père Frapsauce, à bout de vivres, était allé tendre des filets de pêche, sous la glace déjà formée, et qu’il avait promis de rentrer bientôt.

Mais le Père Falaize, inquiet, partit aussitôt qu’il le put, au devant de son confrère. S’engageant sur une baie qu’on lui avait désignée comme ordinairement poissonneuse, il rencontra les traces d’un traîneau. Il les suivit. Elles s’arrêtaient, un peu plus loin, à une glace brisée. Tout avait sombré là! Sur le rivage opposé, auprès d’un foyer encore fumant, un bréviaire portait la marque des secondes vêpres du 24 octobre.

Au dégel de 1921, le lac rejeta les chiens de l’attelage. Mais toutes les recherches faites pour découvrir les restes du missionnaire lui-même furent inutiles.

Enfin, le 28 janvier 1922, un chasseur indien apporta un morceau de soutane qu’un animal avait arraché d’un banc de neige, sur la côte nord du Lac de l’Ours.

Le Père Falaize gagna le lieu indiqué par le sauvage, fouilla la neige tassée par le vent, et découvrit le corps:

«J’acquis la certitude, continue-t-il, qu’il était entier, et bien conservé, lorsque les grandes tempêtes d’octobre (1921) l’avaient déposé, à l’endroit même du rivage qu’il avait quitté, l’année précédente, pour entreprendre la funeste traversée. Il s’est congelé, alors, sur place. Mais des animaux sauvages l’ont attaqué ensuite. C’est, toutefois, une grande consolation pour moi d’avoir trouvé ce qui restait du missionnaire bien aimé. Je l’inhumerai aussi décemment que possible…»

Telles furent les semailles. Tels furent les sacrifices.

Quelle sera la moisson?

La moisson ne manqua jamais de lever, dans l’Eglise de Dieu, sur les champs arrosés par le sang des apôtres.

De ces sacrifices, le Père Turquetil recueillit les premiers fruits à sa mission de Notre-Dame de la Délivrande.

A son tour, la tribu du golfe du Couronnement a donné ses prémices à la foi divine. Deux mois après la mort du Père Frapsauce, trois adultes et deux enfants recevaient des mains du Père Falaize la grâce du baptême. Depuis ce Noël 1920, l’œuvre conquérante s’est poursuivie. Le Père Trocellier, jeune recrue de France, se prépare, au fort Good-Hope, à rejoindre le Père Falaize.

 

Tous deux tiendront là-bas, espèrent-ils, soutenus par la pensée surnaturelle du prix des âmes les plus abandonnées, en attendant que s’achève la formation religieuse et sacerdotale des nobles cœurs, avides de renoncement et de dévouement, qui, depuis quelques années, se sont offerts au vicaire apostolique du Mackenzie, pour la conversion des Esquimaux.

Il nous reste, lecteur bienveillant, à vous demander de mêler l’accent de vos prières à la voix du sang des missionnaires, afin de hâter l’heure de Dieu, l’heure où tous les païens des plages hyperboréennes du Nouveau-Monde entreront dans le divin Bercail.

Recommandez-les au Sacré-Cœur, par Marie Immaculée.

La Très Sainte Vierge veille particulièrement sur les Esquimaux: Elle se doit de les convertir. C’est le 15 août qu’elle les donna au Père Rouvière; c’est en ses fêtes qu’elle les lui ramenait en nombre; c’est à Notre-Dame du Rosaire que Mgr Breynat avait prescrit aux missionnaires de dédier la première église qu’ils élèveraient, au bord de l’océan Glacial. De ce temple de Marie, les martyrs du sang et du devoir ont placé les assises fondamentales… de viventibus saxis: leurs dépouilles mortelles, leurs immolations totales. Et ce fut pendant le mois du Rosaire.

A Marie d’achever son édifice et d’en porter la gloire jusqu’au Ciel… Celsaad astra tolleris!

Nous l’avons vu, le dernier mot que les Pères Rouvière et Le Roux envoyèrent à leur évêque, en partant pour leur Calvaire, fut un cri suprême à Marie:

« – Que Marie nous garde et nous dirige!»

Elle les a dirigés vers le lieu de la récompense et du bonheur. Qu’elle dirige désormais vers eux les âmes pour lesquelles ils ont donné leur vie.

C’est au contact sanctifiant de leurs reliques – jointes à celles des Pères Fafard et Marchand, mis à mort par les Cris de la Saskatchewan, le Jeudi-Saint 1885, et à celles du Frère Alexis, tué par l’Iroquois – , que les missionnaires de demain se préparent à remplacer ceux qui tombèrent au champ d’honneur…

Ces restes sacrés – ossements, calices, bréviaires, soutanes, croix de poitrine, nappe d’autel ensanglantée – sont gardés au scolastiscat des Oblats de Marie-Immaculée, qui fut inauguré à Edmonton, le 12 septembre 1917, en la fête et sous le vocable du Saint-Nom de Marie.

Ils forment les premiers trésors de notre Salle des martyrs.

78Ce lac que nous appelons Imerenick, de son nom esquimau, porte aujourd’hui le nom de lac Rouvière, à la demande des frères Douglas, amis et admirateurs du missionnaire, auteurs du beau livre Land Forlorn.