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Pauline, ou la liberté de l'amour

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– Et il y a huit ans que cette histoire s'est passée? demanda-t-il, lorsqu'elle eut fini.

– Il y a huit ans.

– Et depuis?

– Depuis, ce fut la mort de mon âme, ou plutôt, car ses blessures étaient bien vives, son affreux supplice, l'enfer du doute, du désespoir, de la fausse résignation, qui cherche à maintenir la révolte, sans parvenir à autre chose qu'à doter le visage du masque d'indifférence et de politesse sous lequel les passants ne sauraient deviner qu'un monde terrible palpite: jusqu'au jour providentiel où je t'ai rencontré, mon Odon, et où j'ai cru que l'univers allait s'effondrer sur moi, pour avoir trouvé, enfin! enfin! le bonheur dans deux bras amis.

– N'as-tu vraiment pas essayé durant ces huit ans de te donner à un autre homme?

– Non, fit Pauline: l'amour que je concevais était si haut, qu'il me semblait impossible qu'il se trouvât quelqu'un capable d'y répondre. Bien des hommes m'ont fait la cour; en tous je démêlais l'égoïsme cynique, la sensualité grossière, la vanité stupide. Aucun ne m'aimait vraiment, et, comme avec les années l'idéal que je me créais de l'amant se complétait et grandissait, aucun, même parmi les meilleurs, ne me paraissait digne d'être aimé. Au spectacle des misérables intrigues qui se nouaient et se dénouaient autour de moi, je n'étais que plus décidée à abandonner aux âmes médiocres de si méprisables commerces. J'avais renoncé à croire; la foi était partie enlevée par les serres de la déception. Il fallait un miracle pour me sauver: le miracle s'est produit. Dieu que j'avais renié s'est manifesté au moment où je ne m'attendais plus qu'au néant, et je suis maintenant en adoration devant sa bonté et sa puissance.

– O Pauline! dit Odon, tu es la plus noble, la plus rare des créatures. Je suis un misérable de t'avoir soupçonnée d'une faiblesse. Une faiblesse, bon Dieu! Quelle prétention avais-je? Mais je te voulais sans tache, comme la divinité pure à laquelle on a dressé un autel et qu'on pare de toutes les vertus. Et, mauvais croyant, il m'avait semblé qu'un nuage passait sur ta blancheur immaculée. Mais, voilà que tu m'apparais maintenant plus éblouissante qu'avant. Oh! pardonne, pardonne!

Cette fois, c'était sincère et profond. Ce n'était plus seulement sa raison qui le poussait à rendre justice, mais tout son cœur.

Les yeux de Pauline brillèrent de joie, son âme rayonna.

Odon s'était agenouillé devant elle. Il baisait les plis de sa robe; et sur sa main, la jeune femme sentit tomber une larme.

Ce fut un instant de muette extase. Puis, lorsqu'il se fut relevé, elle se jeta dans ses bras, comme pour y chercher la protection suprême.

– Rien ne pourra m'arracher de toi! balbutiait-elle.

– O mon amie, je serai ton seul, ton véritable époux. Je le vois maintenant, le monde ne saurait être pour toi qu'un désert; la famille même, cette prison où tant, qui soupirent après la liberté, sont retenus par de multiples chaînes, est démolie autour de toi et ne t'offre que des ruines inhabitables; tout t'éloigne de celui auquel la loi t'a lié, tout et jusqu'à l'enfant, qui d'habitude est l'inexorable carcan rivant au même collier de fer deux têtes ennemies. Je n'ai plus d'objection, plus. Je suis convaincu que ton bien comme ton devoir consistent à abandonner ton mari pour me suivre. Je n'appréhende plus pour toi ni les regrets, ni les défaillances. Au point où tu en es, la seule solution possible, c'est la rupture avec un passé de larmes et de mensonge.

– L'honneur même, cet honneur dont on a plein la bouche et qu'on comprend si peu, l'honneur même l'exige.

– Je ne te parle pas de ma joie, Pauline; elle est immense. Oh! nous serons heureux!

– Je le veux, Odon.

– Un avenir de bonheur caché, loin de la foule, loin des vanités et des perfidies, s'ouvre devant nous. Une idéale confiance en Dieu, en la justice, en l'amour remplit nos âmes. Unis par le saint mystère d'une même foi, nous oublierons les hommes, les païens, les barbares. Nous les laisserons à leurs faux dieux et à leurs cultes malfaisants. Chère épouse, tes yeux seront mon univers, tes beaux yeux où se révèle l'unique grâce qui me touche. Peu nous importe le bruit que l'on fera sur nous: il ne parviendra point à nos oreilles. Nous aurons le témoignage de notre conscience, le seul bien nécessaire, et qui ne nous faillira pas.

– Oh! oui, dit Pauline, la conscience, l'honnêteté, l'amour!

Elle appuya sa tête sur le sein de son amant.

Une bénédiction semblait planer sur eux. La douceur de cette heure était si grande, qu'ils ne savaient comment s'exprimer mutuellement leur gratitude.

Ils restèrent longtemps silencieux en une étreinte bienheureuse.

Puis, Pauline dit:

– Dès demain, mon mari saura tout.

Elle avait à peine prononcé ces mots, qu'un bruit de pas se fit entendre dans le salon voisin.

Pauline pâlit affreusement.

La portière s'écarta. Sur le seuil de leur chambre, un homme apparut:

Facial.

XII

Depuis plusieurs heures, Facial se promenait dans son cabinet, en attendant l'entrevue qu'il devait avoir avec sa femme.

Un domestique vint lui annoncer que madame était arrivée.

Il se recommanda encore la plus glaciale, la plus dédaigneuse politesse, boutonna sa redingote, but un petit verre de cognac, et passa au salon où l'attendait Pauline.

Elle se leva à son entrée et lui tendit la main sans affectation.

– Nous ne sommes coupables ni l'un ni l'autre, dit-elle; épargnons-nous mutuellement les reproches et les grands mots.

Facial resta abasourdi de ce début. Il se préparait à subir des attendrissements, des sanglots, une femme se jetant à ses pieds et demandant grâce, et voici qu'il la trouvait aussi calme que lui.

– Asseyez-vous, Madame, dit-il avec un geste vague.

Ils prirent place en face l'un de l'autre, séparés par une petite table.

– Je n'ai pas d'explication à vous donner, fit Pauline au bout d'un instant de silence, et je vous prie de ne pas en exiger de moi. Il doit vous être assez indifférent de savoir pourquoi et comment j'en suis venue à rompre les liens qui nous unissaient. Il est probable d'ailleurs que si je tentais de vous l'expliquer, vous ne me comprendriez pas. Veuillez donc ne considérer que les faits. Ils sont trop évidents pour que je songe à les nier ou à les atténuer. J'en assume la responsabilité.

Facial perdait pied. Il ne concevait pas que Pauline osât se présenter à lui autrement qu'en pécheresse repentante et accablée de honte.

– Ah! misérable femme! s'écria-t-il, oubliant d'un coup ses projets d'impassibilité.

– Ne le prenez pas sur ce ton, dit Pauline, je vous en supplie.

– Comment! Vous m'avez trompé, trahi, déshonoré, vous avez commis un crime épouvantable, vous voilà souillée, couverte de boue, et vous venez tranquillement m'annoncer que vous en assumez la responsabilité! Je crois bien que vous en assumez une de responsabilité, et effroyable! Les conséquences de votre faute seront terribles, terribles…

– Il est inutile de vous emporter: ce qui est fait est fait, et si c'était à refaire, je le referais. Veuillez me dire maintenant quelles sont vos intentions.

Facial la regardait effaré.

– Mes intentions? mes intentions? Vous en parlez avec une légèreté… Ah ça! éclata-t-il, pensez-vous que je vais passer l'éponge sur vos déportements, vous ouvrir de nouveau, comme si de rien n'était, ma maison et mes bras, vous supplier peut-être – telle est votre audace! – de reprendre la vie commune agrémentée de toutes les complaisances? Ne vous bercez pas d'illusions. Ne vous figurez pas que votre pouvoir sur moi soit si grand, qu'il vous suffise de paraître pour reconquérir votre place au foyer. Vous vous traîneriez à mes genoux, que je resterais inflexible. Madame, je ne suis pas de ceux qui pardonnent.

Cette phraséologie mettait Pauline au supplice.

– Je ne suis point venue ici mendier votre pardon, dit-elle. Je ne saurais qu'en faire. Dites-vous bien d'ailleurs que si vous souffrez maintenant à cause de moi, j'ai souffert, moi, pendant dix ans à cause de vous, et ne vous posez pas en accusateur: ce rôle vous convient peu.

– Quelle impudence! fit Facial avec indignation. Mais vous êtes un serpent que j'ai réchauffé dans mon sein!

Pauline haussa les épaules.

«Rien, pas un cri du cœur ne lui échappe!» pensait-elle.

Elle se taisait, hautaine, sous les injures que Facial déversait. Qu'aurait-elle dit? Elle ne pouvait pas lui prêter son cerveau, pour qu'il sentît avec ses sentiments et comprît qu'il n'avait pas le droit de la juger. Il voyait à son point de vue, un point de vue abominable et faux, mais qui était le sien. Que servait alors de répondre?

En proie à une fureur qu'il ne cherchait plus à contenir, Facial se répandait en discours diffus, boursouflés, pleins de périodes déclamatoires et d'imprécations violentes. Il dépassait les bornes, traitait sa femme de fille perdue, la ravalait au-dessous des prostituées, qui, elles, n'ont juré fidélité à personne. Les outrages jaillissaient de ses lèvres. Lui, si châtié d'habitude dans son langage, trouvait d'ignobles insultes à lancer comme des crachats au visage de celle qui lui était intellectuellement et moralement si supérieure. Elle ne bronchait pas; pâle, les traits immobiles, elle laissait passer ce flot d'ordure qui ne l'atteignait pas.

Épuisé, Facial s'arrêta et s'affaissa dans un fauteuil.

– Avez-vous fini? demanda Pauline.

Il se redressa, comme sous un coup de fouet.

– Je n'ai pas encore dit le plus important, Madame, reprit-il foudroyant; je n'ai pas encore prononcé le mot fatal…

– Prononcez-le, interrompit-elle, je n'attends que cela.

– Vraiment, Madame, le divorce ne vous fait pas peur?

Il espérait la voir s'abattre sous l'épouvante de ce mot et mesurer enfin l'horreur de son crime à la grandeur de la punition. Mais elle ne parut pas s'en émouvoir.

 

Il accentua d'une voix sévère:

– Le divorce, Madame! le divorce!

– Je suis heureuse, répondit simplement Pauline, que vous compreniez comme moi qu'une séparation est nécessaire. Vous la voulez légale, tant mieux: l'ordre est une excellente chose, et ma liberté en sera moins précaire. Le divorce est la meilleure solution à notre situation. Si vous avez cru que je me ferais des illusions sur votre tendresse à mon égard, vos paroles me montrent que vous en entretenez sur celle que je vous porte. Vous vous imaginez que «ma faute» – je conserve à mon acte ce nom, puisqu'il est consacré, quoique ma vraie faute, faute bien involontaire et toute d'ignorance, ait été de vous épouser sans savoir ce que c'est que l'amour – vous vous imaginez que ma faute est le résultat d'un de ces coups de tête ou de sang familiers aux femmes peu scrupuleuses, qui durent le temps d'un caprice et dont elles se mordent amèrement les doigts, si, par malchance, le mari découvre et sévit. Vous supposiez que ce mot de divorce allait me prosterner à vos pieds humiliée et brisée, pleurant des serments de repentirs éternels. Vous vous trompez. Ma faute a été voulue et longuement méditée. Bien loin d'en redouter les conséquences, j'étais à la veille de vous découvrir moi-même la vérité. Vous m'avez prévenue: ce n'est pas une raison pour que je change de contenance. Non, je ne crains pas le divorce; je l'appelle, je le désire. Mais ici vous êtes le maître, vous seul avez qualité pour le réclamer, puisque, au point de vue de la loi, c'est vous qui êtes l'offensé.

– C'est bien, Madame, nous divorcerons. Telle était mon intention: vos bravades ne font que m'y affermir.

– Sur quoi baserez-vous votre demande?

– Sur la vérité: votre adultère. Songeriez-vous à le nier?

– Oh non, je vous aiderai même à l'établir.

– Il y a des maris chevaleresques qui en pareille circonstance poussent l'abnégation jusqu'à prendre la faute sur eux. N'attendez pas de moi une telle délicatesse. Je considère l'adultère, même l'adultère de l'homme, comme une chose trop grave pour que je consente à m'en charger. Que m'importe votre honneur, maintenant que vous l'avez perdu. Le divorce sera prononcé contre vous.

– J'entends. Vous m'offririez d'ailleurs ce petit sacrifice, que je n'accepterais pas.

– Tout ce que je puis faire, c'est de ne pas vous traîner devant le tribunal correctionnel pour obtenir votre condamnation. Je délaisse cette vengeance.

– Quelle magnanimité!

– Le nom de votre complice ne sera pas même prononcé dans les considérants. Vous pourrez l'épouser, puisque vous prétendez l'aimer, et essayer de racheter avec lui les torts que vous avez eus avec moi.

Facial se croyait sublime.

– Il est marié, dit Pauline.

– Il peut divorcer.

– Il ne le peut pas: sa femme est catholique.

Facial leva les yeux au ciel.

– Dans quel abîme êtes-vous tombée! Enfin s'écria-il, vous l'avez voulu, Madame, vous l'avez voulu!

– C'est bien. Ne parlons pas de moi. Puis-je vous demander quelles sont les preuves que vous produirez devant les magistrats?

– Des preuves? J'ai des témoignages, des présomptions morales, des faits matériels qui, réunis, formeront un dossier suffisant pour vous confondre.

– Croyez-moi, laissez de côté tout cet arsenal. Il est inutile, puisque j'avoue. Ne désirez-vous pas, comme moi, aboutir par les moyens les plus rapides et les plus simples?

– Sans doute, et si vous avouez cela ira tout seul. Mais il faut un aveu écrit.

– Qu'à cela ne tienne, je vais vous écrire une lettre où je reconnaîtrai explicitement ma culpabilité.

– Comme vous voudrez, fit Facial. D'habitude, les femmes n'avouent pas ces choses-là; leur pudeur les pousse à se défendre même contre l'évidence. Il faut que vous ayez perdu tout sens moral.

Sans répondre, Pauline ouvrit un buvard, prit une feuille de papier et écrivit une demi-page qu'elle signa.

– Cela suffit-il? demanda-t-elle en tendant la pièce à son mari.

Facial la lut deux ou trois fois attentivement.

– Cela suffit, dit-il.

Puis il la serra avec soin dans son portefeuille.

– Et maintenant, Madame, termina-t-il, nous ne nous retrouverons que devant les juges. Que Dieu vous pardonne!

Mais au lieu de partir, Pauline se dirigea vers une porte menant dans les appartements intérieurs.

– Où allez-vous! cria Facial.

– Mon fils… Je vais chercher mon fils.

– Pour quoi faire?

– Pour l'emmener.

Il se précipita et lui barra le passage.

– Vous ne passerez pas!

– Monsieur!

– Je vous le défends!

Elle s'arrêta haletante. Un éclair flamba dans ses yeux.

– Vous oseriez me défendre de prendre mon fils? prononça-t-elle les dents serrées.

– Parfaitement.

– Mais c'est mon fils! rugit-elle.

– C'est aussi le mien, dit Facial.

Une horrible lueur palpita dans l'esprit de Pauline. Son fils! son fils! Facial songeait à le lui enlever! Oh! c'était impossible! Quelle monstrueuse pensée venait de germer là tout à coup, si monstrueuse que pas un instant le soupçon que cela pût se produire ne lui était venu! La séparer de son fils! Ce forfait épouvantable serait-il permis? Non, non, elle se trompait, elle avait mal entendu! Son mari était un homme après tout: il n'allait pas voler un enfant à sa mère!

– Je veux mon fils! supplia-t-elle la tête pleine de vertige.

– Vous ne l'aurez pas.

Alors, en une abondance éperdue de paroles incohérentes, pleurant, défaillant, les mains frissonnantes, elle divagua:

– Vous n'avez pas formé l'infernal projet de m'arracher mon enfant! Ce n'est pas sérieux, ce n'est qu'une effroyable plaisanterie! Dites, dites que vous n'avez voulu que me faire peur! Je suis mère, moi, savez-vous bien? Ce serait me tuer que de m'ôter l'enfant que j'ai porté dans mon sein, que j'ai nourri, que j'ai élevé, qui est mon sang et ma vie! Oh! vous savez cela! Vous ne voudrez pas commettre un crime si infâme! Si vous avez jamais eu pour moi un sentiment qui ne fût pas de la haine, vous épargnerez la malheureuse qui a été votre femme, vous n'exercerez pas sur elle une atroce, une basse vengeance. Vous ne dites rien; vous attendez que je me sois mieux humiliée. Parlez, que dois-je faire pour vous fléchir? Oh! grâce! grâce! L'angoisse m'étreint à la gorge, ma voix se perd, les mots manquent à mon cœur…

C'était enfin la scène que Facial attendait et à laquelle il s'était préparé. Seulement, au lieu que ce fût la femme, c'était la mère qui criait grâce.

Il répondit durement:

– C'est trop tard: il fallait songer à cela avant.

Une nouvelle énergie galvanisa Pauline:

– Vous avez l'audace de séquestrer Marcelin? proféra-t-elle avec un tel emportement, que Facial crut qu'elle allait se jeter sur lui.

– Sa place n'est pas avec vous. Je le garde.

– De quel droit?

– De quel droit? Je crois, Madame, que vous vous méprenez ici étrangement sur vos droits. Apprenez donc que, le divorce étant prononcé contre vous, c'est à moi, en principe, que le tribunal doit confier l'enfant. Il suffit que j'en fasse l'objet d'une demande, et c'est ce qui sera, pour que, malgré tout ce que vous pourrez arguer, le droit de garder Marcelin me soit acquis.

A ces paroles qui éclairaient tragiquement la situation, Pauline sentit tout s'effondrer en elle.

Un dernier espoir restait, auquel elle s'accrocha désespérément. Il fallait pour cela l'aveu terrible. Mais plus rien ne lui coûtait.

Se campant devant son mari, le fixant les yeux dans les yeux, elle dit avec un cinglement:

– Cet enfant n'est pas de vous.

Facial sursauta.

– Il n'est pas de vous, reprit-elle plus ardemment, il est de M. de Hartwald. Car je vous ai trompé autrefois avec M. de Hartwald. C'était à l'époque où il était secrétaire d'ambassade à Paris. Vous vous le rappelez? J'ai fait sa connaissance dans un bal. Il venait souvent ici. Vous l'invitiez. Eh bien, je vous trompais avec lui. Pendant un an, je vous ai trompé; et vous ne vous en doutiez pas. Marcelin est né de cet adultère. Regardez-le, il n'a rien de vous: il ne vous ressemble ni au physique ni au moral. Remarquez son nez, son nez droit, fin, distingué, et ses cheveux, ses cheveux blonds: c'est le nez et les cheveux de M. de Hartwald. Il a, par contre, mes yeux et ma bouche. C'est frappant. M. de Hartwald est mort; cet enfant est à moi seule…

Elle s'arrêta, regardant toujours son mari. Mais celui-ci, après un premier choc de surprise, avait eu le temps de se remettre.

– Ah! par exemple! s'écria-t-il en riant insolemment, vous avez de l'imagination! Ma parole, à vous entendre, on dirait que c'est arrivé! Mais ça ne prend pas! Ça ne prend pas! Marcelin le fils de M. de Hartwald! Elle est bien bonne!

– Vous ne me croyez pas? fit Pauline bouleversée.

– Vous croire? Ah ça, pour qui me prenez-vous? Il est visible que vous venez d'inventer cette histoire de toutes pièces. C'est un mensonge, et qui plus est un mensonge ignoble. Ah! Madame, vous étiez déjà bien bas dans mon estime: vous voici dans la fange jusqu'au cou.

– Vous ne me croyez pas? répéta-t-elle avec accablement.

– Inventez autre chose, ou mieux n'inventez rien du tout. Votre paroxysme vous égare jusque dans le ridicule. Marcelin ne serait pas mon fils! Vous moquez-vous? Vous trouvez qu'il ne me ressemble pas? Vous êtes donc aveugle! Et la voix du sang, Madame, la voix du sang! Est-ce que je me sentirais son père, si je ne l'étais pas?

– Mon Dieu! mon Dieu! gémissait Pauline.

Et elle demeurait stupide devant son impuissance à établir la vérité. Elle ne possédait aucune preuve de ses relations avec M. de Hartwald. Tout avait été détruit. Il n'existait pas un mot de billet, pas une photographie, pas un signe, pas un document quelconque, rien, rien, rien, que sa parole à elle et cette ressemblance qu'elle était la seule à apercevoir.

Alors, folle, elle cria à son mari:

– Rendez-moi la lettre!

– La lettre?

– Oui, la lettre que je viens d'écrire et où je me reconnais coupable. Je ne divorce plus.

– Pardon, Madame: vous ne divorcez plus, mais moi je divorce. Je ne vous rendrai pas la pièce que vous m'avez si légèrement fournie.

– Oh!..

– D'ailleurs, cela ne vous avancerait pas à grand chose. Comme je vous l'ai dit, j'ai des témoignages à faire valoir. La procédure sera un peu plus longue, voilà tout.

– Je me défendrai, je lutterai et peut-être parviendrai-je à jeter quelque doute dans l'esprit des juges. Rendez-moi ma lettre!

– Non.

– C'est une lâcheté!

– Une prudence.

– Mon enfant! mon enfant!

Elle voulut s'élancer. Facial la saisit violemment par les bras et la coucha de force dans un fauteuil. Sans cesser de la maintenir, il appela:

– Victor!

Le valet de chambre parut.

– Prévenez miss Dobby qu'elle ait à emmener immédiatement mon fils là où elle sait. Accompagnez-les.

En proie à une indicible horreur, Pauline se débattit convulsivement. On enlevait son enfant! Elle ne le verrait plus, plus… C'était fini!

– Le voir, râla-t-elle… je veux le voir…

Mais les deux mains atroces de son mari la serraient comme dans un étau, la clouaient, la paralysaient.

– Lâchez-moi!.. Oh! ayez pitié, pitié!.. Mon Dieu, ayez pitié!..

On entendit, du côté de l'antichambre, une lointaine voix d'enfant:

– Maman! maman!

Pauline se raidit en un suprême effort. Mais ce fut en vain. Elle retomba brisée sous la masse vigoureuse qui pesait sur elle.

Elle cria.

Facial lui mit son genou sur la bouche.

Quelques instants épouvantables se passèrent, pendant lesquels elle crut mourir, tout son pauvre corps tordu comme dans les spasmes d'une torture.

Enfin, Facial la lâcha.

– Vous êtes libre, dit-il.

Elle se leva d'un bond fiévreux et se précipita à travers l'appartement. Elle en parcourut hâtivement les diverses pièces. Le vide, le vide partout. Marcelin n'était plus là. Dans la salle d'étude, un désarroi de livres et de cahiers… Elle baisa en sanglotant ces objets que son enfant maniait encore quelques minutes auparavant, elle les baisa comme des reliques sacrées, et son cœur de mère éclatait dans sa poitrine… Ses lèvres battaient, ses paupières tremblaient nerveusement; elle répétait le nom chéri, tantôt tout bas, comme une prière, tantôt en appels désespérés écorchant sa gorge en feu. Elle reprit deux ou trois fois sa promenade errante de chambre en chambre, lentement maintenant, anéantie, s'arrêtant à chaque détail qui lui évoquait Marcelin. Lorsqu'elle revint au salon, où Facial attendait qu'elle se fût convaincue de l'inutilité de sa révolte, elle n'avait plus l'air que d'un spectre désolé, d'une statue vivante de l'effroi.

 

La vue de son mari sembla la glacer d'épouvante. Elle porta ses mains en avant, dans un long geste de répulsion. Quelques mots rauques sortirent péniblement de sa bouche contractée.

– C'est vous… c'est vous…

Et elle s'abîma sur le tapis, sans connaissance.

Facial sonna la femme de chambre. Il lui montra le corps inanimé de Pauline. Puis, il prit son chapeau et partit.

Au bout d'une demi-heure, Pauline revint à elle. La femme de chambre l'avait portée sur un lit, lui faisait respirer des sels, étanchait avec un mouchoir imbibé d'eau le sang d'une petite plaie qu'elle s'était faite en tombant.

– Où est mon fils?

– Je ne sais. Il est sorti avec sa gouvernante et Victor.

– Et monsieur?

– Il est sorti aussi. Il n'y a personne à la maison.

Elle s'élança à bas du lit, sans prendre garde qu'elle pouvait à peine se tenir debout.

– Madame n'est pas encore remise; Madame ferait mieux de rester couchée.

– Laissez-moi!..

Elle descendit dans la rue, échevelée, hagarde, semblable à une aliénée.

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