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Pauline, ou la liberté de l'amour

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Une indignation le prit. Ah! il ferait voir qu'il n'était pas un de ces maris dont on se joue! La justice, la justice avec tout son poids s'abattrait sur la tête des coupables. Pas de sang: la justice seule, le glaive de la justice et le divorce irrémissible. Il n'exciterait ni le rire, ni la pitié. Un moment, il réfléchit qu'il serait peut-être d'un bon effet de s'armer du droit vengeur des maris outragés. En ce cas, qui tuerait-il? Sa femme? L'amant? La femme et l'amant? Et où les tuerait-il? Au lit? Dans la rue? Mais avant de s'être décidé, il vit bien qu'il n'était pas l'homme qu'il fallait pour ces sanglantes exécutions. Son caractère, ses principes, son passé s'opposaient à une solution semblable. N'avait-il pas dernièrement fait partie d'un jury qui avait acquitté un meurtrier «médecin de son honneur»? Et ne s'était-il pas élevé avec beaucoup de force contre ce sentimentalisme exagéré qui, sous prétexte de passion, en arrive à mettre au-dessus des lois de véritables criminels? N'avait-il pas approuvé hautement, devant témoins, les articles bien sentis de la presse clouant au pilori de l'opinion la coupable faiblesse des jurés parisiens? Certes, et il ne se donnerait pas un démenti. Son respect des lois était sincère. Il ne consentirait pas même à un duel: le duel, ce «legs des siècles de barbarie»! Il resterait légal et digne. Le divorce!

Chose curieuse: à prononcer ce mot fatal, il n'éprouvait pas une bien grande douleur. Il lui semblait être là plutôt juge que partie: et si vraiment sa femme commettait envers lui le crime d'adultère, c'est l'anathème et non le sanglot qui monterait à ses lèvres. Il est vrai que cela ne se passait encore que dans son imagination. Néanmoins, il eut plaisir à constater qu'il serait ferme.

Peu à peu, ses observations se précisèrent.

Il crut remarquer que sa femme usait beaucoup moins de la voiture. Elle préférait marcher, disait-elle. Exercice salutaire: mais pourquoi s'en avisait-elle si tard, et pourquoi ne se faisait-elle jamais accompagner de sa femme de chambre? Lorsqu'elle prenait la voiture, il lui arrivait constamment de la renvoyer au bout d'une course ou deux et de rentrer en fiacre plusieurs heures après. Ou bien elle faisait attendre le cocher un temps infini aux magasins ou chez sa couturière. Tout cela était louche, et Michel lui-même, l'impassibilité en personne, en était étonné.

D'autres remarques portèrent sur de petits billets bleus qu'elle recevait fréquemment, et dont Facial ne put jamais retrouver un seul, ni sur la table à écrire de sa femme, ni dans ses tiroirs, ni dans le panier à papier.

Mille détails, auxquels il n'avait d'abord pas pris garde, commencèrent à lui devenir suspects. Il lui était d'ailleurs facile de se livrer à ses découvertes: Pauline en était à ne plus même prendre les précautions élémentaires.

Bientôt, il ne fut plus permis à Facial de douter. Sa vie conjugale s'était trop profondément transformée. Pauline ne se donnait seulement plus la peine d'inventer des explications plausibles à ses étrangetés. Continuellement s'échangeaient entre eux des dialogues de ce genre-ci:

– Vous sortez? s'écriait Facial.

– Comme vous le voyez. Ne savez-vous pas que c'est mon habitude après le déjeuner?

– Où allez-vous! Vous ne me direz pas que c'est chez votre couturière: elle est venue ce matin.

– J'ai d'autres personnes à voir que ma couturière.

– Qui? Vous avez rendu toutes vos visites cette semaine.

– Vous voulez savoir qui? Je ne le sais pas moi-même. Les idées me viendront en route. Je vais me promener.

– Où?

– Si vous y tenez, faites-moi suivre.

– Je n'ai pas à vous espionner, mais je désire savoir ce que vous faites.

– Il n'y a pas d'autre moyen de le savoir que de m'espionner.

– Et si je le faisais?

– Vous sauriez où je vais, voilà tout.

Mais la preuve, la preuve probante de l'infidélité de Pauline manquait encore.

Un jour, rentrant juste à l'heure du dîner, Facial ne trouva pas sa femme à la maison. Sept heures, sept heures et demie, huit heures, elle ne revenait pas. Personne ne put lui dire où elle était. Anxieux, Facial redoutait déjà quelque événement. Elle arriva enfin. Mais dans quel état! Les traits bouleversés, la poitrine sanglotante, la voix abîmée!

– Qu'y a-t-il? fit Facial interdit.

– Une crise, une crise affreuse…

– Quoi?

– Le cœur… Le médecin a dit que c'était le cœur…

– Qui est malade?

Pauline le regarda d'un air effaré.

– Qui est malade? répéta Facial.

Alors, affolée, après avoir cherché comme dans le vague, elle balbutia:

– Ma tante, ma pauvre tante!

Et précipitamment elle ajouta:

– Je ne m'arrête pas. Je repars. Il faut que je sois là. Ne m'attendez pas: je veillerai, je passerai la nuit probablement.

– Mais vous n'irez pas ainsi; mangez quelque chose, vous êtes toute tremblante.

– Je ne puis pas, je n'ai pas faim.

– Je vais vous accompagner.

– Non, non, c'est inutile… Ne venez pas, je vous en supplie…

Et elle repartit aussitôt, sans vouloir entendre un mot de plus, pour aller soigner Odon de Rocrange, en proie à une attaque d'asystolie, causée par une maladie de cœur dont il souffrait depuis quelques années.

Elle ne revint que le lendemain.

– Eh bien, comment va-t-elle? demanda Facial.

– Dieu soit loué, la crise est finie!

Facial s'étonna bien un peu de l'amour excessif de sa femme pour cette tante dont elle devait hériter; mais il ne fit aucune observation, et s'en fût tenu là, si, quelques jours après, rencontrant par hasard le médecin ordinaire de la vieille dame, il n'eût eu la malencontreuse inspiration de lui dire:

– Vous avez failli perdre notre bonne tante?

– Mais non, mais non, elle se porte au contraire assez bien cette année.

– Et sa maladie de cœur?

– Elle n'a point de maladie de cœur!

– Mais cette crise de l'autre jour? Ma femme m'a raconté que cela avait été terrible!

– Une crise? Une crise de quoi? Il n'y a point eu de crise. Je vous dis que votre tante se porte admirablement pour son âge.

Facial devint blême. Son poing se crispa. Devant cette dernière preuve, le cerveau chancelant, il sentit sa vie imperturbable s'effondrer.

«Ça y est, ça y est!» bégayait-il.

Son amour-propre blessé rugissait en lui.

«Mais qui est-ce? qui? qui? l'infâme personnage qui la soustrait à ses devoirs, le corrupteur, le corsaire, le trafiquant du crime et de la débauche qui a dégradé cette femme et perdu cette âme?»

En vain, il se creusait la tête. Aucun nom, aucune figure d'homme ne se signalait à sa perspicacité avec assez de vraisemblance pour qu'il pût s'écrier: Le voilà, je le tiens, le misérable! Réderic? Impossible. Sénéchal? Grotesque. Saint-Géry? Il la connaissait à peine… Facial récapitula tous ses amis, toutes ses connaissances, tous les hommes que Pauline pouvait voir chez elle ou dans le monde. Et plus il cherchait, plus il pataugeait.

Soudain il pensa:

«Il y a une personne qui doit tout savoir: c'est Julienne Chandivier.»

Muni de cette idée, il fut plus tranquille. Il interrogerait Julienne: elle le renseignerait. Julienne, l'amie intime de sa femme, était certainement au courant; et même si Pauline ne l'avait pas mise dans le secret, son flair de femme devait lui avoir fait découvrir ce que lui, le mari aveugle n'avait pas vu.

Mais Julienne se laisserait-elle interroger? Vendrait-elle son amie? Facial résolut de procéder avec politique. Il s'en ouvrirait à Chandivier, et, en lui recommandant le plus grand mystère, le prierait de vouloir bien se charger du soin délicat de faire parler Julienne.

«De la sorte, pensa-t-il, je n'aurai pas besoin de me livrer plus longtemps à des recherches fatigantes et humiliantes. Je serai informé avec rapidité et certitude, et je pourrai, sans tarder, prendre les mesures qui me seront dictées par la situation. Julienne ne se méfiera pas de son mari: elle fera des révélations.»

Il donna rendez-vous à Chandivier pour le soir même. Affaire importante, lui écrivit-il, et dans laquelle il espérait pouvoir compter sur son amitié.

– Tu as besoin d'argent? fut la première parole de Chandivier. Mais, pauvre ami, je n'en ai point! Rébecca me prend tout.

– Non, non, tu n'y es pas. Il n'est pas question d'argent. J'en ai de l'argent! Il s'agit d'une chose grave.

– Grave! Quoi donc? s'écria Chandivier, un peu effrayé du ton de circonstance que prenait Facial.

– Chandivier, j'ai la conviction que ma femme me trompe.

– Ah! ce n'est que ça? fit Chandivier.

– Tu sais quelle a été ma vie jusqu'ici. J'ai cru mieux faire de rester confit dans la sécurité du mariage que de m'embarquer au travers des péripéties des amours illégitimes. Je ne pensais pas que le mariage a ses tempêtes, et que quand il se mêle d'être orageux, c'est pour de bon. Ou plutôt je m'imaginais que ma mer à moi serait éternellement la mer Tranquille. Voilà comme on se trompe.

Il lui conta le détail des faits et lui expliqua le genre de service qu'il attendait de lui.

– Ne soupçonnes-tu vraiment personne? demanda Chandivier.

– Personne. Je ne vois personne. Et pourtant il y a quelqu'un! Aurais-tu, par hasard, quelque indice, toi?

– Oh! non. Je m'occupe si peu des femmes des autres!

– Alors, c'est entendu, tu tâteras ta femme?

– Je la tâterai.

– Insidieusement, comme si cela venait de toi. Il ne faut pas me mêler à la chose: tu gâterais tout.

– Je gâterais tout. Repose-toi sur moi.

– A l'occasion, je pourrais te rendre le même service.

– Merci bien. C'est très aimable de ta part: mais, vraiment, je n'éprouve nul besoin… Ah! ça, dis donc, que vas-tu faire après?

– Après quoi?

– Après que je t'aurai… ouvert les yeux?

 

– Le divorce.

– Le divorce pour une peccadille pareille?

– Peccadille? L'adultère n'est pas une peccadille. Sache que je ne transige jamais, moi; je ne transige pas.

Ils se regardèrent un instant comme deux habitants de planètes différentes.

Puis, Chandivier s'écria jovialement:

– Mais j'y songe, une fois que tu n'auras plus ta femme, tu seras libre!

– Libre… Évidemment je serai libre.

– Nous pourrons faire la noce ensemble.

Et il se mit à chantonner en clignant de l'œil:

 
Il fouille, il fouille,
L'museau d'Dodore,
Il fouille, il fouille,
Il fouille encore,
Troulaïtou,
Il fouill' partout!
 

Ce fut là-dessus qu'il se séparèrent.

Suivant la promesse faite à Facial, Chandivier, dès le lendemain, s'appliqua à circonvenir Julienne. Il crut bon de débuter par quelques brocards à l'adresse de son ami:

– Il y a des hommes qui se croient heureux en ménage, et qui…

– A qui en avez-vous, aujourd'hui, mon ami? demanda Julienne, qui n'était pas habituée de la part de son mari à une telle débauche d'allusions.

– Oh! pas à vous.

– Je l'espère bien.

– Mais il y a quelqu'un de par le monde à qui sa femme m'a tout l'air de jouer quelques vilains tours.

– Qui donc?

– Eh! notre ami Facial… Vous n'avez rien remarqué?

Julienne éclata de rire.

– Tiens! tiens! Contez-moi ça?

– Je suis sûr que vous en savez encore plus long que moi.

– Quelle idée! Je ne sais rien.

– Mais c'est notoire! Mme Facial… Voyons, voyons, vous n'ignorez pas…

– Bon! Vous allez soupçonner Pauline?

Elle le scruta finement, se demandant s'il savait quelque chose ou s'il ne savait rien, prête à le seconder de toute sa malignité, s'il était en mesure de lui livrer quelque détail inédit, ou à se moquer de lui, s'il cherchait simplement à la faire parler.

– La croyez-vous insoupçonnable? demanda Chandivier.

– Insoupçonnable, je ne dis pas! Quelle femme l'est? Mais enfin, quelles raisons auriez-vous de la soupçonner?

– Eh! J'en ai peut-être.

– Je suis curieuse de les connaître.

Chandivier n'était pas de force à mener sans de sérieux accrocs son enquête. Ne sachant par quel bout la prendre, sa suprême ressource fut de brusquer.

– Là, sérieusement, Mme Facial a-t-elle un amant?

Julienne dissimula un sourire et dit:

– Non.

– Eh bien, son mari est persuadé qu'elle en a un.

– Que les hommes sont bêtes!

Chandivier prit une partie de cela pour lui et jura qu'il aurait sa revanche: d'autant plus que la perspective d'avoir Facial pour compagnon de fête n'était pas pour lui déplaire: son «de l'argent, j'en ai!» lui était resté dans la mémoire.

Quant à Julienne, ainsi que Facial l'avait bien pensé, elle était instruite.

Dès les premiers jours, son sens expert de femme éveillée lui avait fait deviner qu'Odon de Rocrange et Pauline ne se voyaient pas de l'œil insouciant de deux mondains assemblés par le hasard en un même lieu. Elle avait compris, à d'imperceptibles symptômes, malgré et peut-être à cause de leur soin à ne rien laisser transparaître, qu'une mutuelle passion venait de s'emparer d'eux et était en train, s'ils ne résistaient pas, de les pousser l'un à l'autre. Les deux ou trois fois qu'elle les avait vus en présence lui avaient suffi. Mais qu'en était-il résulté? C'est ce que longtemps elle ignora. Elle ne laissait pas d'en être horriblement vexée. Pauline, qu'elle avait toujours connue inébranlable, avait-elle franchi elle aussi le Rubicon? Ce point de chronique sollicitait vivement sa curiosité. A plusieurs reprises, elle tenta d'attirer son amie sur le terrain des confidences. Cela ne lui réussit pas, et elle en éprouva un véritable dépit. En définitive, n'avait-elle pas un certain droit à entrer dans les secrets de Pauline, elle qui lui avait si souvent confié les siens? Elle trouva que Pauline se montrait à son égard froide, inconvenante, presque blessante. Elle eût voulu, sans doute, que celle-ci lui ouvrît son cœur et l'étalât devant elle comme une amusante variété! Très froissée de ce qu'elle appelait un manque de confiance, et de ce qu'elle comprenait être au fond une leçon de dignité, elle n'eut pas de repos qu'elle ne se fût assurée qu'Odon était bien l'amant de Pauline, afin de pouvoir se donner le plaisir, par de perfides coups d'épingle, de faire sentir à son amie combien elle avait eu tort de ne pas s'abandonner à sa discrétion et à ses conseils.

Un soir que Réderic était chez elle, convenablement préparé par de savants mélanges de spiritueux et d'agaceries charnelles, elle lui dit tout à coup, comme si l'idée venait de lui en passer par la tête:

– Quel est ton ami le plus intime, Paul?

– Je n'en ai point.

– Et après?

– Après? Mettons, si tu veux, Rocrange.

– Tous tes amis ont des maîtresses?

– Probablement.

– Et quelle est la maîtresse de M. de Rocrange?

– Je ne sais pas.

– Tu sais.

– Je te jure que je ne sais pas.

Julienne le regarda dans le blanc des yeux. Elle était assise sur lui, son bras nu frôlant sa moustache, et, comme pour une adorable espièglerie, elle lui glissa câlinement dans l'oreille:

– Moi, je le sais.

– Tu sais qui est la maîtresse de Rocrange? fit Réderic en fronçant le sourcil.

– Oui.

– Eh bien, qui?

– Pauline.

Réderic se leva avec violence, très ennuyé, et, sans penser à ce qu'il faisait, s'écria:

– Ce n'est pas vrai!

– Tu vois bien que c'est vrai! susurra Julienne.

Il se tut. Il cherchait par quel moyen il pouvait encore parer à sa maladresse. Il ne trouvait pas. Il redoutait tout de Julienne, allant jusqu'à la croire méchante, alors qu'elle n'était qu'immorale.

Elle reprit:

– J'en suis très sûre, mais pour en être plus sûre encore, je veux que tu me dises toi-même que Pauline est sa maîtresse.

– Alors, tu n'en es pas sûre?

– Si, mais je veux que tu l'avoues.

Réderic garda le silence.

– Tu ne veux pas parler? dit Julienne. Écoute. Si tu ne prononces pas cette phrase: «Pauline est la maîtresse de M. de Rocrange», dès demain j'écris une lettre anonyme à M. Facial. Me crois-tu capable d'écrire une lettre anonyme?

– Oui.

– Eh bien, je ne te demande que ces seuls mots: «Pauline est la maîtresse de M. de Rocrange», et je te promets, tu entends, je te promets que je garderai ce secret aussi fidèlement que toi.

Réderic réfléchit un instant. Puis, craignant les conséquences que pouvait avoir son entêtement, bien inutile d'ailleurs, puisque Julienne semblait tout savoir, il se décida et dit:

– C'est vrai, Mme Facial est sa maîtresse.

Une joie maligne éclaira le visage de Julienne.

– Et maintenant, des détails! fit-elle.

– Ah! misérable femme! s'écria Réderic, s'apercevant qu'il avait été joué.

Il la repoussa d'un geste, s'habilla avec colère et partit.

Cependant, Julienne tint parole. Elle fut discrète. Elle n'avait point l'intention de faire du tort à Pauline. Elle se contenta de savourer la satisfaction de quelques traits mordants qu'elle lui décocha en tête à tête, et qui eussent eu le privilège d'inquiéter sérieusement Pauline, si, parvenue à cette période de fatalisme où elle attendait avec indifférence une solution, n'importe quelle, à la fausseté de son état, celle-ci n'eût pas été insensible au risque que courait son secret en de pareilles mains. Pauline ne daigna pas même prier Julienne de se taire. Que lui importait qu'on sût son amour pour Odon? Elle avait hâte d'échapper à l'atmosphère lourde qui l'accablait. Et si l'orage purificateur tardait trop à éclater, n'était-elle pas presque décidée à le provoquer elle-même?

Julienne fut quelque peu stupéfaite de cette superbe tranquillité.

«Il ne faut pas qu'elle se croie plus forte qu'elle n'est, maugréa-t-elle déçue. Elle pense pouvoir se passer de moi, c'est bien: mais elle compte vraiment trop sur ma bonté. Si elle s'était confiée à moi, je lui aurais été entièrement dévouée, et mes services ne lui eussent pas été inutiles. Elle veut agir seule, à son aise! Je ne ferai rien pour lui nuire, quoique cela me soit facile: mais si son assurance lui porte malheur, ce n'est pas moi qui la plaindrai.»

Très marri d'avoir à revenir bredouille auprès de Facial, persuadé, du reste, que si Facial soupçonnait sa femme, c'était qu'il y avait quelque chose, et encore plus persuadé que, s'il y avait quelque chose, Julienne le savait, Chandivier se décida, pour sauvegarder son amour-propre, à faire une nouvelle tentative. Mais, cette fois, il ne voulut pas s'engager en personne. Il s'avisa que quelqu'un qui fût plus dans l'intimité de Julienne que lui aurait plus de succès. Il songea que Sénéchal pourrait être ce quelqu'un et que celui-ci serait enchanté de se charger d'une mission si propre à le flatter et à l'intéresser. Il le dépêcha donc à Julienne, après avoir sommairement excité sa curiosité, et attendit l'effet de ce machiavélisme.

Lorsque Julienne vit que Sénéchal s'en mêlait, elle pensa tout de suite:

«Pauline est perdue: ça lui vient bien!»

Elle crut d'abord que le sénateur en savait long; et ce fut presque avec désappointement qu'elle s'aperçut qu'il était encore moins avancé qu'elle et n'avait pas même une idée du nom de l'amant. Elle hésita. Renverrait-elle Sénéchal comme elle avait renvoyé son mari? Ou plutôt ne profiterait-elle pas de lui pour le lancer comme un excellent chien de chasse sur la bonne piste, et obtenir ainsi les détails de cette histoire qui l'intriguait tellement? Elle ne résista pas à l'envie qui la démangeait. En somme, que devait-elle à Pauline? Rien, puisque celle-ci non seulement ne lui avait rien demandé, mais ne lui avait rien confié. N'était-ce pas déjà charitable d'user de ce qu'elle savait avec tant de discernement et de réserve? Et puis, une fois bien documentée, son bon cœur la pousserait peut-être à être utile à Pauline malgré elle!

– Va donc voir, dit-elle à Sénéchal, ce qui se passe l'après-midi au numéro 31 de la rue d'Argenteuil. Informe-toi, prends des renseignements, recueille des observations, le tout avec la légèreté et le savoir-faire qui te distinguent, et n'oublie pas de me tenir soigneusement au courant de tes moindres découvertes.

Elle ne lui en dit pas davantage. Cela suffisait. Avec son flair, au bout de huit jours de campagne, le sénateur aurait rapporté une ample provende.

Sénéchal promit ce qu'on voulut: vigilance, célérité, discrétion. Il aurait fait des bassesses pour assister à la naissance d'un «potin parisien». En être le père, l'engendrer, le constituer de toutes pièces était une rare aubaine. Son imagination partait. Il se voyait déjà colportant la nouvelle de salon en salon, de rédaction en rédaction, de couloirs en couloirs; il se figurait les étonnements, les exclamations; il jouissait d'avance du bruit de son œuvre roulant dans Paris. C'était sa suprême volupté.

– Je les tiens! fit-il jubilant, lorsque Chandivier vint s'informer du résultat de son ambassade.

– Quel est l'heureux coquin?

– Oh! vous allez trop vite. Attendez. Cela n'aurait aucune saveur, s'il n'y avait pas une part d'imprévu.

– Qui tenez-vous donc?

– Les oiseaux: ou plutôt, je tiens le nid.

En possession de l'adresse, Chandivier se jugea en mesure d'édifier Facial. Il courut chez celui-ci, et le trouva en train de fouiller, pour la vingtième fois peut-être, le meuble secrétaire de sa femme.

– Regarde ce que je viens de découvrir, fit Facial en brandissant une feuille de papier brouillard arrachée à un buvard et maculée d'encre. Regarde, la date y est, c'est tout frais, c'est d'hier.

Il mit la feuille devant les yeux de Chandivier en la tenant à contre-jour. On pouvait lire, après la date très distincte:

«Cher… (ici un mot illisible.) Demain… une après-midi toute à nous… (d'autres mots illisibles au milieu desquels on épelait:)… amour… souffrir… voie naturelle du cœur… dégoût… en finir…»

– C'est de ta femme? demanda Chandivier.

– Oui. Si je savais à qui ce billet a été écrit! Mais où aller? où la prendre maintenant?

– Je vais te le dire.

– Tu as un renseignement? Ta femme a parlé?

– J'ai l'adresse. C'est 31, rue d'Argenteuil. Tu ne diras pas que je ne me suis pas occupé de toi!

– 31, rue d'Argenteuil? répéta Facial d'un air hébété. Mais le nom… le nom du misérable?

– Le nom, je l'ignore: tu pourras aisément l'apprendre au moyen de l'adresse, 31, rue d'Argenteuil…

Chandivier se frappa tout à coup le front.

– Sacrebleu! fit-il, je connais cette adresse! Qui diable déjà demeure là?

Facial apporta un Tout-Paris. Ils cherchèrent. A l'adresse indiquée, le nom de Rocrange tomba sous leurs yeux.

 

– Parbleu! c'est Rocrange! s'écria Chandivier. Je me disais aussi… Ce n'est pas étonnant que j'aie son adresse dans la tête: je lui ai deux fois envoyé de la part de Julienne des invitations, auxquelles d'ailleurs il ne s'est pas rendu.

– Imbécile que je suis! soufflait Facial. Rocrange! Comment n'ai-je pas deviné…

Il essuya son crâne moite de sueur.

– Quatre heures, dit-il en tirant sa montre. J'y vais.

– De la prudence, au moins! lui recommanda Chandivier. Ne t'emballe pas; sois calme.

– Je suis très calme, répondit le mari de Pauline.

13, rue d'Argenteuil, Facial se présenta avec beaucoup de dignité au concierge.

– M. de Rocrange?

– C'est ici.

– Est-il chez lui?

– Non, monsieur.

– Inutile de me tromper. Il est chez lui, avec une dame. Je suis le mari. Combien vous donne-t-il pour vous taire?

– Cinq cents francs.

– En voici mille. Au besoin, pourriez-vous témoigner de ce que vous savez en justice?

– Dame, Monsieur… Devant la noblesse de monsieur, j'irais jusqu'à témoigner en justice.

– C'est bien.

– Au premier, la porte à gauche. Sonnez trois coups brefs, le valet de chambre vous ouvrira.

Facial s'engagea dans l'escalier, dont il gravit les marches, l'une après l'autre, posément.

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