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La maison d'un artiste, Tome 2

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Maintenant des scènes de mœurs et d'intérieur:

Un armurier assis sur une natte, forgeant à grands coups de marteau une lame de sabre posée sur une enclume. Ses bras sortent des amples plis d'une longue robe, et il a sur la tête le bonnet de la noblesse. C'est la mise en scène, dans une amusante sculpture, de l'anecdote donnée par M. Mitford dans ses «Tales of Old Japan». L'armurier, échappant au mépris des professions d'art et d'industrie, professé par l'ancienne société féodale, a seul le droit, quand il arrive à l'opération délicate de souder et d'aciérer sa lame, de fermer le devant de sa boutique et de s'affubler d'un costume de cour. Cet ivoire est signé: Shoô wonsaï.

Trois prêtres de la déesse Benten tournoyant dans une danse circulaire, en jouant du tambourin, dont les interminables batteries ont pour but, dit M. Aimé Humbert, d'éloigner les malignes influences des méchants esprits. Cet ivoire est signé: Fô-Mïn.

Un vieux peintre accoudé à une petite table à écrire, où sa main repose sur un rouleau à demi fermé. De son pinceau, il montre derrière lui un écran sur lequel est représentée une tige de prunier sauvage. Et derrière l'écran est gravée la poésie, inspirée par les fleurs du prunier, et dont le sens est à peu près celui-ci: Les fleurs de prunier, amies de la neige, tombent comme la neige.

Un jeune garçon, en costume sacerdotal, un enfant de chœur des sept sages, déroule de ses deux mains, à la hauteur de sa poitrine, un rouleau d'écriture sacrée, semblable à un phylactère. Ivoire aux draperies du plus beau style. Cet ivoire est signé: Shoô ming.

Un jongleur japonais, tout en dansant, fait tomber à terre, d'une gourde tenue au-dessus de sa tête, les grands dés triangulaires d'un jeu de chô-ghi. Cet ivoire est signé: Tomô tada.

Shidouka, maîtresse de Yossi Tsouné, célèbre guerrier, danse devant Yoritomo, frère de Yossi Tsouné. Shidouka mime une no, une de ces danses de cour tombées en désuétude, une sorte de pantomime aux mouvements lents, cadencés, indolents. Elle est coiffée du bonnet en forme de cône et attaché par de longs cordons, spécial à ces danses, et son corps se perd noyé dans des étoffes, soulevées en de lourdes ondes qui ont une grâce sérieuse, sévère. D'une main elle s'évente, et l'autre, retournée derrière sa tête, disparaît dans l'ampleur d'une manche retombante. Sous les plis de la robe se recroquevillent de petites plantes de pied voluptueuses.

Une Japonaise, tout en mordillant un bout flottant de son kirimon, de sa robe, se pique une épingle dans les cheveux; un petit Japonais, blotti dans sa jupe, touche avec une palette d'ivoire le sam-sim, la guitare nationale à trois cordes.

Une Japonaise au long profil en lame de couteau, ayant à ses pieds un de ces petits chiens de graisse, truffés de deux ou trois grandes taches noires, tient contre elle son fils, une main sur sa tête, une main enfermant la petite main de l'enfant.

Quelques enfants sont représentés dans l'occupation de leurs jeux44. On les voit, ces enfants, avec leurs grosses têtes rasées et rosées, leurs houppettes noires sur le front et les tempes, leurs yeux bridés et brillants, leur nez camus, leurs joues à fossettes, leur menton dessiné par une ride vieillotte, on les voit avec le rire perpétuel de leurs traits grassouillets et boursouflés, en ce pays appelé le Paradis de l'enfance.

Un garçonnet japonais, sautillant, tout en soutenant sur son bras, retourné derrière son dos, un petit frère, moitié sur son épaule, moitié sur sa tête, et qu'il amuse avec une branche de pêcher en fleurs.

Un enfant assis à terre, la figure heureuse du bruit qu'il fait en jouant d'un petit tambour pris entre ses deux pieds. Cet ivoire est signé: Itsko Saï.

Un enfant couché, à plat ventre, sur un cerf volant où est peint un Japonais grotesque, et se grattant la tête de son peloton de ficelle.

Un enfant accroupi près d'une colombe à roulettes, tenant suspendu au-dessus de sa tête juvénile, rieuse, – et prêt à l'en recouvrir, – une effrayante tête en carton attachée à un simulacre de peau de bête, sous laquelle il va courir et imiter la danse du lion de Corée, qu'il a vu exécuter dans la rue par des saltimbanques.

Puis des sujets comiques, érotiques, philosophiques:

Un garçonnet agenouillé un genou en terre, dans un mouvement qui se gracieuse, près d'une fillette debout, la tête prétentieusement penchée, une main posée sur la poitrine: deux créatures tortillardes et boscotes, deux laiderons du Nipon, faisant des grâces et du dédain, avec de petits gestes maniérés et comiques à mourir de rire. Cet ivoire est signé: Rïu-Sen.

Une Japonaise enveloppée par un poulpe. La bête fluente, à laquelle les ivoiriers japonais donnent une tête de caricature humaine, entoure de ses tentacules et de ses ventouses la femme qui, la résistance lâche, la bouche entr'ouverte, une surprise presque heureuse sur la figure, ne témoigne aucune frayeur. Il semble que dans les nombreuses représentations que j'ai vues de ce motif, l'artiste caresse dans l'ivoire une imagination polissonne. Cet ivoire est signé: Hiro Tada.

Une Japonaise joufflue et mafflue, à la coiffure gigantesque, à l'obi, au nœud de ceinture monstrueux, une petite créature à la tournure falote et bouffe, tient d'une main, le nez de carton d'un masque de théâtre, et la pensée que ce nez amène dans la cervelle de la fillette, lui fait recouvrir la moitié de son visage d'une manche de sa robe, – le symptôme ordinaire de pudeur des dames japonaises, – tandis que ses petits yeux disparaissent dans une hilarité, rien moins qu'innocente.

Un paysan japonais, joyeux et débraillé, assis, une jambe repliée sous lui, parmi les tortils d'une branche d'arbustes à fleurs. Il tient dans sa main tendue un crapaud avec lequel il semble confabuler. Le crapaud est-il assez souvent là-bas reproduit en ivoire, en bronze, en porcelaine? Pourquoi cette affinité de l'homme de l'Extrême-Orient pour le paria des animaux? Pourquoi cette espèce de culte de l'art en faveur de ce disgracié de la nature? Il y a là des choses mystérieuses et secrètes, que les livres ne disent pas. Cet ivoire est signé: Tomo Tada.

Maintenant des figurations de la mort, du squelette.

Un squelette45 à demi couché à terre, le crâne méditativement appuyé sur les osselets de sa main, et se penchant en avant, pour considérer sous une feuille de lotus, que soulève son autre main, un serpent enroulé. Un des plus beaux et des plus parfaits ivoires japonais, où l'étrange curiosité de la Mort est rendue avec un naturel, une vie, si l'on peut dire, un peu effrayante. Ce netské servait à la fois d'attache et de cachet. M. Otsouka n'a pu lire l'inscription du cachet, qu'il croit en caractères boudhiques.

Parmi ces netskés, il existe une assez nombreuse réunion de singes, de ces animaux de grimaces, dont les Japonais ont fait une affectueuse étude anatomique et psychologique.

Un petit singe, grimpé sur le dos d'un gros singe accroupi, tire à lui un crabe au bout d'un cordage.

Un singe, gros comme un grain de riz, et mobile, monte et descend le long d'une tige de bambou. Cet ivoire est signé: Seï shi.

Un singe, à demi soulevé sur une coquille, se frotte le dos, avec un de ces gestes vagues et le regard anxieux des singes qui se grattent.

Un singe, – celui-ci est un chef-d'œuvre – furieux d'avoir mordu en vain dans un coquillage, montre la petite colère animale de sa face, dans l'entre-bâillement de côté de sa gueule, dans l'effacement de son nez plissé, dans l'ouverture et la dilatation de ses yeux, en lesquels, tout en bas, la pupille n'est plus qu'un imperceptible point noir qui louche. Il n'est pas possible, dans une tête de deux centimètres, de rendre un dépit rageur de bête d'une manière plus expressive, plus saisissante, plus comique. Et ce n'est pas seulement la tête qui est une merveille, c'est le corps, et les attaches des épaules, et les rondeurs du dos, et le flottement des reins sous la peau, et l'embryon solide de la queue: toute l'élasticité et la force du quadrumane traitées dans l'infiniment petit, de cette manière large, carrée, rudimentaire, avec laquelle Barrye établissait ses féroces sur leurs jarrets. Cet ivoire est signé: Tada mouné.

Un autre singe est curieux comme parodie et caricature du guerrier japonais. C'est un singe qui a endossé la cotte d'armes, la cuirasse, le pantalon en forme de jupon, les sandales de bois d'un samourai, – et il est en train d'assujettir son casque sur sa tête de filou. Un ivoire d'une grande finesse de travail avec toutes les arabesques de la cuirasse délicatement ciselées. Cet ivoire est signé: Shesaï.

D'autres animaux ont pris place sur les tablettes de la vitrine, aux côtés des singes.

Deux poussins se disputant un ver. On ne peut trouver un plus heureux emprunt à la nature, et à la fois une plus jolie imagination décorative, que le groupement autour des tortils du ver vivace, de ces deux petits corps dodus d'oiseaux, qui n'ont encore de plumes qu'aux ailerons des ailes. Cet ivoire est signé: Ran teï.

 

Un rat cherchant à sortir d'un sac de riz dégonflé, où le retient, par le milieu du corps, une bande de l'étoffe incomplètement rongée.

Un petit chien japonais, au mufle de carlin, le cou serré dans un collier, entouré d'une frange d'étoffe.

Une caille sur une tige de millet, un grain dans le bec.

Un bœuf couché à terre avec l'anneau dans le mufle, et prêt à être attelé à l'épaule, ainsi qu'on les attelle au Japon.

Trois tortues s'escaladant et faisant une de ces petites montagnes que l'on voit dans les parcs de tortues, en un rayon de soleil tombé à terre.

Un tigre sauté sur un tronc de bambou et ramassé dans un souple ramassement. Cet ivoire est signé: Jou Guën.

Un serpent glissé par la déchirure d'une grande feuille de nénuphar et saisissant, sur le bord de la feuille, une grenouille, au moment où elle saute à l'eau.

Une cigale, grosseur nature, prête à prendre son lourd vol. Travail d'une admirable perfection, où la toile d'araignée membraneuse des ailes, en train de se soulever et de battre, est comme tissée dans la matière solide.

Une grenouille portant sur son dos toute sa petite famille, dans une hotte faite d'une feuille de nénuphar. La hotte est liée par un petit câble de verdure au corps de la grenouille, qui prend son point d'appui sur un bouton de lotus. Petit ivoire spirituel de la série des «Scènes d'animaux» inventées par les Japonais bien avant notre Grandville. Cet ivoire est signé: Guïokou-Sen.

Des animaux fantastiques, quelques créations hybrides, des visions et des cauchemars de la nuit, sont en compagnie des animaux réels.

Il s'y rencontre surtout une série d'êtres embryonnaires, au milieu d'une ornementation faite d'apparences de nuages et de flots, de décors informes et comme fluents, qui nous semble l'ornementation voulue de ce temps, que la Genèse du Japon nous peint dans ces lignes:

«Au commencement il n'y avait ni ciel ni terre.

«Les éléments de toutes choses formaient une masse liquide et trouble, semblable au contenu de l'œuf embryon, où le blanc et le jaune sont encore mêlés, masse liquide et trouble, qui jetait des vagues comme une mer agitée.»

Un monstre en forme de chien, recouvert d'une peau faite de pustules et de verrues.

Un monstre à griffes et à crocs, brisant la coquille d'un œuf dont il sort.

Et encore toutes sortes d'objets divers et hétéroclites, transformés en des motifs d'ornementation et en des agrafes de goût. Je n'en citerai qu'un:

Une cosse de haricot, ployée en deux, sur laquelle une araignée de jardin poursuit une mouche.

A ces petites sculptures en ronde bosse, il faut joindre une série de boutons, où la sculpture est en demi-relief ou en creux, avec des parties qui ne sont guère qu'une gravure.

Un personnage légendaire, assis dans une anfractuosité de roche, la tête et le corps enveloppés d'une peau de loup, et tirant de son fourreau une lame de sabre, sa rouge bouche entr'ouverte par des exclamations de colère. Ivoire de coloriste et d'un beau caractère sauvage.

Un guerrier arc-bouté sur le pied droit, son sabre tiré, tenant en l'air par ses petits pieds un diablotin qu'il s'apprête à tuer. Ivoire d'un grand style et d'une charmante finesse de gravure, se rapportant à une légende chinoise, exécutée sur une garde de sabre, et dont je donne l'explication plus loin. Ce bouton est signé: Souzou ki Kôsaï.

Une Japonaise aux cheveux dénoués sous un chapeau de jonc, les deux mains drapées dans sa robe, et appuyée debout sur un long bâton; à ses pieds deux autres femmes, l'une qui se repose, son chapeau déposé sur ses genoux, l'autre qui rit derrière ses mains posées sur sa bouche, dans un geste enfantin. Ivoire d'un relief délicat.

Un enfant penché sur une toupie qu'il fouette avec rage. Bouton de forme carrée.

Sept masques d'hommes et de femmes ricanantes, dont les grimaces ressemblent à ces dépressions que les doigts obtiennent en s'enfonçant dans des têtes-joujoux en caoutchouc.

Une abeille butinante sur une tige de chrysanthème, les ailes frémissantes.

Un coq posé sur un treillage, où courent des feuilles de vigne. Ivoire dont le mince relief est peint et laqué en or. Bouton en forme de petite planchette rectangulaire.

Un fabricant de meules, pour réduire le thé en poudre46, les jambes nues croisées sous lui, le fundoshi, la ceinture qui habille le Japonais à la maison, dénouée autour des reins, son marteau posé sur son enclume qui repose, fume une pipette dont il envoie bienheureusement la fumée au ciel. Petite scène de nature, dont l'entaille profonde, la coupe grasse de l'ivoire, font un morceau d'art, qui ne ressemble en rien à l'art de l'ivoirerie de Dieppe. Ce bouton est signé: Fo jïtson, d'après le dessin de Yeï itcho.

Après les netskés en ivoire, les netskés en bois, d'un travail peut-être plus précieux, plus caressé que les premiers, et fouillés dans le cœur de ces belles essences ligneuses grenues et serrées que possède le Japon47. Parfois ces bois ont des parties exécutées en ivoire, parfois ils sont entièrement laqués.

Un prêtre du culte Kami, sous un bonnet de papier laqué noir, en forme d'un immense bonnet de police, et habillé d'une robe semée de branches de pin, dont le derrière, fendu sous les aisselles, se détache de son dos comme une chasuble. Un bouquet d'une main, un éventail de l'autre, il danse, portant attaché sur la figure un vrai masque d'Arlequin: le masque derrière lequel abritent leur incognito ces prêtres sauteurs, dans les pantomimes tirées de la vie d'un héros saint, qu'ils exécutent en plein air. Bois dont les pieds sont en ivoire.

La poétesse mendiante Onono-Komatch, qui est comme la personnification de cette tendre et mélancolique poésie de l'anthologie japonaise, intitulée: «l'Injustice d'ici-bas.»

«Dans ce monde il n'y a point de voie… je songe à me retirer dans la profondeur de la montagne, et là encore, le cerf pleure.»

Elle est en haillons, les cheveux épars, au dos un chapeau de jonc mangé par les rats, et se tient appuyée, sur un bâton de pèlerine, que le caprice du sculpteur a fait d'écaille. A son bras pend un panier d'où s'échappent des écritures mêlées à des herbages. Dans une répétition en ivoire que je possède, on voit Onono-Komatch tendant ses vers aux passants. Dans les deux représentations, c'est la hideuse et macabre figuration de la vieillesse et de la misère de la femme, avec l'édentement de sa bouche, le lacis des rides de sa figure, la dessiccation de son pauvre être, et ses jambes de phtisique. Et cependant cette pauvresse, elle était une noble demoiselle de Kioto, qui, tombée en disgrâce, se mit à vagabonder par l'empire du Lever du Soleil48, semant ses inspirations poétiques, le long des chemins et des routes, et apprenant, dans un langage lyrique, aux enfants, sur le seuil des temples, les magnificences de la création. Quelquefois, nous apprend M. Aimé Humbert, la vieille poétesse est représentée devant un bassin, au-dessus duquel elle efface, à grande eau, ce qu'elle vient d'écrire, – amoureuse de la perfection littéraire.

Un petit enfant, les jambes allongées de côté à terre, et tout empaqueté et tout encapuchonné, en un mouvement de mignardise frileuse, pareil à ces poses d'amours de notre dix-huitième siècle aux côtés d'une académie mythologique du vieil Hiver. La figure de l'enfant est en ivoire et la houppe de son capuchon est en corail. Ce bois est signé: Tô fu.

Un Japonais prosterné, les mains à plat, sur ses genoux, faisant le kow tow, la révérence où le front touche presque la terre. La tête mobile du vieillard, au moindre remuement, a, au bout de son cou de tortue, des branlements ankilosés tout à fait drolatiques.

Deux hommes, une main appuyée sur un long bâton, sont à cheval sur un camarade tombé à terre. L'un d'eux, riant d'un rire qui fait tressauter sa joyeuse bedaine, relève la robe du pauvre diable qu'il chevauche, et montre son derrière au public. C'est la légende chinoise des trois pêcheurs qui ont été à la pêche, et dont un seul a pris un poisson. Alors les deux autres se sont réunis contre lui, lui ont pris son poisson, l'ont bafoué, l'ont frappé. Mais ne voilà-t-il pas, plus tard, le battu qui devient empereur de la Chine, et son premier acte est de nommer ministres ses deux anciens compagnons de pêche. Bois d'une fine et large facture, où règne la jovialité et même un rien du dessin d'un tableau d'Ostade. Cet ivoire est signé: Mitsou masa.

Autour d'une cloche est entortillée une femme au corps de dragon, à la tête de harpie, et sur laquelle deux petites cornes séparent des cheveux, qui s'éparpillent derrière elle en une épaisse et farouche crinière. Une femme, amoureuse d'un prêtre qui l'avait abandonné, dit une légende japonaise, a suivi, jusque dans son temple, le prêtre qui s'est caché dans une cloche, et, ne pouvant le trouver, elle passe sa vie à tourner autour de cette cloche séchant de désespoir. L'allégorie se mêle ici à la légende, et la composition cherche à rendre la laideur physique et morale que produit la jalousie chez une femme. Une femme jalouse, les Japonais l'appellent une hanggia, démon féminin. Rien de plus souple que l'étreinte de ce corps humain de serpent autour de cette cloche, dans ce bois qui ne semble pas un bois, tant la sculpture en est floue, tant cela ressemble à une maquette de cire pour la fonte d'un petit bronze. Ce bois est signé: Itchi Bou.

Un rat, pelotonné en boule, faisant sa toilette. Une étonnante saisie sur le vif du petit animal dans le frottement de son museau et de son oreille, avec des indications du dessous des pattes de la plus savante myologie, et où se mêle je ne sais quoi d'ornemental, apporté par l'artiste japonais au dessin rigoureux de la nature. Ce bois est signé: Masanawo.

Un marron, oui, un marron! Le dernier mot, de l'imitation d'une chose morte. Un vieux marron ratatiné avec sa partie de bois lisse et sa partie de bois rugueuse, et où deux fausses piqûres de ver font les deux trous, par lesquels passe le cordonnet. Ce bois est signé comme le précédent: Massanawo.

Guën Tokou, échappé de la maison de Li-o-Fou, et galopant à bride abattue dans les flots du fleuve de Tankeï. L'élancement du petit guerrier, une main tenant la bride de son cheval, posée sur la hanche, une autre main ramenant son fouet de tout derrière lui, le flottement et l'envolée des vêtements du cavalier, la rapidité aérienne qui emporte, sur l'écume de la mer, l'homme et la bête soudés l'un à l'autre; toute la perfection des détails et le travail microscopique de la selle, des harnais, des étriers, font de ce bois le plus parfait netské que j'aie vu parmi les netskés venus en France, – une sculpture qui peut tenir à côté de tous les bois sculptés du Musée Sauvageot. Ce bois est signé: Shin Getsu sakau.

Après cette vitrine qui a son pendant à l'autre extrémité, vient une grande armoire vitrée qui prend tout le fond du mur, et qui est presque entièrement remplie de porcelaines de la Chine.

La porcelaine de la Chine! cette porcelaine supérieure à toutes les porcelaines de la terre! cette porcelaine qui a fait depuis des siècles, et sur tout le globe, des passionnés plus fous que dans toutes les autres branches de la curiosité! cette porcelaine dont les Chinois attribuaient la parfaite réussite à un Esprit du fourneau protégeant la cuisson des céramistes qu'il affectionnait! cette porcelaine translucide comparée au jade! cette porcelaine bleue, selon l'expression d'un poète, «bleue comme le ciel, mince comme du papier, brillante comme un miroir!» cette porcelaine blanche de Chou, dont un autre poète, Tou-chao-ling, dit que l'éclat surpasse celui de la neige, et dont il vante la sonorité plaintive! ce produit d'un art industriel chanté par la poésie de l'extrême Orient, ainsi qu'on chante chez nous un beau paysage, un morceau de création divine! enfin cette matière terreuse façonnée par des mains d'homme en un objet de lumière, de doux coloris dans un luisant de pierre précieuse! – je ne connais rien de comparable à cela pour mettre sur un mur de l'enchantement pour les yeux d'un coloriste. Et les jolies imaginations de couleurs en cette patrie des délicatesses quintessenciées de la coloration, et des recherches infinies des dégradations de la palette de l'univers! Et où a-t-il régné un empereur assez artiste pour dire, un jour, comme l'a dit l'empereur Chi-tsong: «Qu'à l'avenir les porcelaines pour l'usage du palais soient bleues comme le ciel qu'on aperçoit après la pluie, dans l'intervalle des nuages»? Et où, sur un tel désir et sur une telle commande, s'est-il trouvé un potier pour livrer aussitôt la poterie Yu-kouo-thien-tsing (bleu du ciel après la pluie)49?

 

Je catalogue les pièces de la vitrine, en y ajoutant quelques porcelaines répandues dans la maison, et rentrant dans les séries décrites:

Flacon à pans carrés, au goulot et au pied cylindriques. Ce grès à la couverte, couleur mastic, et où il y a des filtrées de bleu, et qu'on appelle en Chine clair de lune, serait un vase de la plus haute antiquité et qu'on trouve dans les sépultures de la dynastie des Thang.

M. Frandin me disait qu'on lui avait demandé à Pékin, d'un vase à peu près pareil, 600 taels (4,800 fr.). M. Bracquemond le croit recouvert d'une couche d'émail stanifère, l'émail des premières faïences aussi bien de l'Orient que de l'Italie et de Rouen, et reconnaissable aux tressaillures et aux picots qu'il détermine à la cuisson.

Potiche. Fond blanc, le col entouré d'une large bordure mosaïque au fond d'or, aux réserves blanches, où sont des feuilles aux nervures noires, des fleurs aux pétales lignés de rouge; sur la panse est jeté un oiseau perché sur une branche. Pièce curieuse où la branche de l'arbre, des fleurs de chrysanthème, une partie du plumage de l'oiseau, sont exécutés avec un or glacé de brun, et où, dans la décoration assoupie, éclate une tache de vert semblable à une grande émeraude.

Cette potiche qui porte le nien-hao de l'empereur Tching-hoa, de la dynastie des Ming (1465-1488), a, écrite en lettres d'or, au dos, cette inscription bizarre: «Dans ma maison où l'on cultive le bambou, l'automne est à l'œil ce que la plante de Chouen est au goût, et le vent qui, de son souffle, fait épanouir les fleurs, revient à des époques aussi régulières que le passage des oies sauvages.»

Grand vase. Forme cylindrique. Décor à prédominance des émaux verts. Une large bordure, d'un violet pâle, pointillé de noir, et sur laquelle courent des feuilles vertes, parmi lesquelles sont épanouies des fleurs rouges, forme quatre compartiments où se dessinent, sur les réserves blanches, des tiges de fleurs peintes avec le beau vert de la bordure, le rouge de fer, le violet manganèse, le jaune d'anguille, particuliers à cette décoration. Sur le tournant de la gorge, au-dessous d'une grecque verte, dans les réserves d'une mosaïque également verte, sont peints des koueï, des pierres honorifiques, que M. Jacquemart croit placés sur les vases destinés aux magistrats, aux dignitaires de l'Empire.

Cornet au col cylindrique évasé, au rebord intérieur sans couverte. Sur la gorge de ce vase de la plus fine porcelaine blanche, est un dessin de fleurs et de branchages réservé sur un fond rouge de fer, et dans quatre compartiments, sous des vols de papillons, des graminées aux fleurettes rouges, bleues, jaunes, violettes, s'élancent de la rocaille tourmentée de petits rochers, du plus bel émail vert tendre. Cornet aux émaux les plus frais et que fait encore ressortir l'original décor rouge de la gorge.

Potiche. Porcelaine à mandarins. Le peintre a représenté, sur le fond blanc de la porcelaine, un personnage boudhique monté sur un cerf axis, accompagné d'une Chinoise, et d'un homme chargé d'une corbeille de fleurs suspendue au bout d'un bâton. Il est précédé d'un garçonnet tenant entre ses bras un rouleau d'écriture. Sur le col de la potiche, c'est un Chinois, un grand bâton à la main, se retournant vers un enfant qui porte à deux mains une énorme pêche de longévité. Je ne puis donner une idée de l'esprit de la touche de ce vase, datant de Khang-hi ou de Yung-tching, qu'en disant que, pour la facture, elle ressemble à celle de nos plus modernes aquarellistes; et il y a des roses effacés de pantalons, des bleus passés de robes, des jaunes de soufre de casaques, et encore des brouillements de pourpre et d'azur sur des rochers et des ling chi (cryptogames), exécutés avec des émaux si translucides, si aqueux, que c'est tout à fait la fraîcheur des tons d'aquarelle, – mais d'une aquarelle qui n'a pas encore séché sur le papier.

Flacon à quatre pans carrés. Porcelaine blanche, légèrement grumeleuse, dont deux pans représentent des pivoines jaunes et roses, deux pans des rameaux de pêchers en fleurs, sur chacune desquelles est posé un oiseau. Bouchon décoré de fleurettes, et surmonté d'une rosace rose, enfermée dans un cercle jaune. Ce flacon d'une qualité exceptionnelle, aux roses les plus doucement roses, a le charme d'une franche et riante aquarelle sur une feuille de papier torchon.

Potiche. Fond blanc, sur lequel se détache une pivoine épanouie au milieu de chrysanthèmes entourés de vols de papillons. Décoration d'une finesse extrême et faisant merveille dans les ailes des papillons: décoration, où dominent de charmants tons carminés, mélangés de jaune, exécutés toutefois avec des émaux moins translucides et plus gouacheux que ceux des tasses et compotiers coquille d'œuf.

Petit rouleau au col rétréci, au goulot évasé. Fond blanc, gaufré de grandes fleurs ornementales dans des rosaces. Il est décoré d'un côté d'une grue bleue volant dans le ciel, de l'autre d'une tige de bambou qu'effleure le vol d'un dragon rouge. Ce vase, dont la décoration gaie, rouge, bleue, verte et or, a été imitée par le Meissen, serait, d'après les uns, de fabrication coréenne; d'après M. du Sartel, une porcelaine de Chine, surdécorée à Delft: moi j'y verrais un échantillon d'ancienne première qualité coloriée du Japon.

Cornet au col resserré, au rebord évasé. Fond blanc, recouvert d'un dessin coquillageux bleu, où sont ménagés deux médaillons octogones et deux médaillons carrés, dans les réserves desquels sont peints également en bleu, ici des bouquets de chrysanthèmes, là des pitong à pinceaux, des livres chinois et des espèces de grosses perles enrubannées, qui sont un des attributs des porcelaines destinées aux lettrés.

Vase en forme de grand flacon à quatre pans carrés. Fond blanc, sur lequel sont figurées en bleu et en violet (rouge de fer manqué) des tiges d'iris d'eau, d'œillets, de chrysanthèmes, de fleurs de pêcher, au-dessus de rochers recouverts d'un épais émail céladonné. Ce vase porte le nien-hao de l'empereur Khang-hy, de la dynastie des Tsing (1662-1723).

Vase en forme de grand flacon, aux quatre pans évasés en haut, au petit col carré. Fond blanc décoré sur chaque pan en bleu et en violet d'une branche tombante, sortant du touffu d'un arbre, et sur laquelle sont perchés un ou deux oiseaux pris dans le mouvement de leur balancement. Pièce du plus grand style ornemental.

Grand rouleau au col légèrement rétréci. Porcelaine blanche au décor richement polychrome. Au-dessus d'un rocher que surmonte un pêcher fleuri, un fong-hoang, l'oiseau de paradis chimérique des Chinois, étale dans le ciel bleu sa queue de paon.

Grand rouleau au col légèrement rétréci. Décor bleu sur fond blanc. Près d'une touffe de nénuphars et de grandes plantes aquatiques, une oie sauvage s'apprêtant à prendre son vol et à regagner dans le ciel deux autres oies, déjà volantes. Bordure gravée sous couverte à la gorge et au pied du rouleau.

Petite bouteille au long col étroit. Décor soufflé. Fond blanchâtre, que recouvrent des nuages violacés, piquetés de quelques petits points noirs, produits par le rouge de cuivre volatilisé en minerai.

Petite bouteille. Grès recouvert d'un émail rouge brun, dans lequel sont pratiquées au col deux taches vert de gris.

Bouteille en forme de coloquinte avec une ouverture de tirelire, et sur laquelle retombe une branche de feuillage chargée de gourdes, modelée en relief. Grès recouvert d'un émail gris où il y a des coulées d'émail bleu.

Petit vase cylindrique. Fond bronzé avec une pluie aventurinée sur la gorge et le goulot.

Grand plat. Fond blanc, sur lequel s'enlève un fong-hoang au milieu d'un enroulement de lianes vertes, enfermées dans un médaillon qui se détache sur les branches d'un sapin. Marli du plat aux grands compartiments bleus et rouges, où sont ménagées des réserves blanches décorées de petits paysages polychromes. Sur le rebord extérieur un enroulement ornemental exécuté en bleu. Ce plat porte le nien-hao de l'empereur des Ming, Tching-hoa (1405-1488).

Grand plat. Fond blanc, sur lequel s'élève un arbre au tronc et aux rameaux dorés, fleuri de petites étoiles rouges, bleues, vertes. Bordure mosaïque rouge de fer, où des réserves allongées renferment des fleurettes polychromes.

Grand plat. Fond blanc, sur lequel se dresse une tige de fleurs, exécutée en bleu pâle, dans une bordure à l'or et au rouge éclatants, et dont se détachent et se déversent, sur le marli du plat, quatre bouquets polychromes.

Plat. Sur le fond blanc, rondissant en une demi-couronne, deux rameaux d'arbustes fleuris de grosses fleurs, et portant un oiseau à la huppe verte, au ventre rose. Petite bordure rouge de fer. Porcelaine chinoise aux riches et épais émaux qui a quelque chose d'un dessin japonais. Numéro 190, gravé à la meule, d'une vente faite par Dresde de ses doubles.

44Un livre avec illustrations tirées d'albums japonais a été publié en Angleterre sur la vie des enfants au Japon. Il a pour titre Child-Life in Japan, by M. Chaplin Ayrton. London, 1879.
45L'emploi du squelette est très fréquent dans les netskés. J'en possède un autre qui représente un squelette jouant de l'éventail. Remarquons la perfection savante de l'imitation, en ce pays, où les études anatomiques étaient défendues.
46Ce broyage du thé au Japon a lieu seulement pour certaines cérémonies.
47Ils sont cependant généralement faits en cerisier.
48M. Burty s'est occupé avec prédilection de cette figure, très populaire au Japon.
49Ces porcelaines fabriquées au dixième siècle firent tellement fureur que, dans les siècles suivants, les plus petits tessons qu'on pouvait trouver, devenaient des ornements que les Chinois portaient à leur bonnet de cérémonie ou attachés au cou par un cordonnet de soie; aussi furent-elles imitées par tous les habiles contrefacteurs, et notamment par Tchéou à la fin du seizième siècle, et par le fameux Thang-Kong au dix-huitième siècle.