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La maison d'un artiste, Tome 2

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Sur les coins, deux jardinières quadrangulaires, aux pans courbes, et sur la patine fauve desquelles se détache échevelé, avec des tortillages de queue qui ressemblent à des déroulements de serpents, l'oiseau de paradis chimérique, appelé Fong-hoang en Chine, Foô au Japon: l'oiseau des Impératrices de l'Extrême-Orient. Puis deux cornets, dont l'un est formé d'une feuille de latanier, serrée dans un nœud fait par le corps ornemental d'un délicat dragon, accompagnent la pièce du milieu. Quel charme a ce bleu des vieux cloisonnés, ce bleu qui n'est à la fois ni du bleu ni du vert, ce bleu où il y a un peu des ciels qu'a peints Véronèse, ce bleu où, en la sertissure du cuivre doré, des fleurs rouges, couleur de cire à cacheter, et des fleurs blanches, couleur de grès, éclatent dans une sourde richesse. M. de Balloy, qui a passé de longues années en Chine, comme secrétaire de la légation, me racontait, un jour, sur les bords du lac de Constance, la primitive fabrication de ces émaux cloisonnés. On ne connaît pas là-bas tout notre outillage d'Europe. L'émailleur, sa carcasse faite, ses cloisons soudées, et cela avec les doigts et deux ou trois méchants petits instruments, est assis devant le pas de sa porte, ayant devant lui un plat de feu, une espèce de four de campagne, et là il cuit et recuit, une trentaine de fois, ses émaux, soufflant son feu à grands coups d'éventail. M. de Balloy disait que la lucidité des cloisonnés chinois tient à ce que, avant que l'émail n'y soit versé, on argente l'intérieur des cloisons, dont les arêtes extérieures sont seules dorées, après l'achèvement de la pièce.

Trois bronzes japonais sont posés sur la tablette inférieure: un petit faucon, le corps aplati sur des serres énormes avec un redressement goulu de la tête; un éphèbe japonais, au bonnet de laque, à la robe décolletée, aux formes efféminées, chevauchant une mule rétive, un Kirin, l'animal fabuleux par excellence. Tête de dragon surmontée d'une corne, crête de crocodile sur le dos, corps de cheval avec des ailes membraneuses de chauve-souris, pieds de daim, tel est cet animal, dont l'apparition annonce la venue au monde d'un homme d'une intelligence et d'une bonté divines. Et l'animal lui-même, en dépit de son apparence monstrueuse, est si humain pour les créatures, qu'au milieu de la vitesse effroyable de sa course, il s'applique à ne point fouler un vermisseau.

Ces bronzes à figurations d'animaux sont tous, quadrupèdes, oiseaux, poissons, reptiles, des brûle-parfums, à petite plaque mobile s'enlevant pour laisser monter l'encens. Car les parfums jouent un grand rôle dans l'Extrême-Orient. Les Chinois en ont, de tout temps, fait venir de l'Arabie et de l'Inde, dont ils fabriquent des bâtonnets, des pastilles odoriférantes travaillées et sculptées avec le plus grand art. Nous trouvons, dans le catalogue de M. de Sallé, des paquets de hiang, ou mèches d'odeur, les unes à la senteur de camphre, les autres à la senteur de safran, et une boîte d'étain remplie de bois de calamba, bois très rare qui ne se recueille que sur la cime des plus hautes montagnes, et dont la livre, au dire de l'expert, se vendait jusqu'à deux cents ducats. Dans la vente de Guignes, notre ambassadeur en Chine sous le Directoire, il était offert, aux enchères parisiennes, un flacon de poudre jaune odoriférante, venant du Thibet, – de celle que le grand lama envoyait tous les ans à l'Empereur du céleste Empire pour fabriquer les chandelles aromatiques que l'on brûlait devant les idoles: chandelles faites, avec ce parfum, de la sciure de bois de santal, de la gomme. Le parfum, là-bas, n'est pas seulement une jouissance pour un odorat plus sensuel que le nôtre; il est, en même temps, un acte d'adoration de la divinité, poursuivie et atteinte par la fumée légère et pénétrante, dans ses reculements les plus lointains de l'humanité, et sous ses avatars les plus excentriques. C'est l'origine de ces bouteilles qui servent à l'évaporation d'eau parfumée, et de ces ting, ou assemblage de trois pièces de bronze: le vase à brûler le parfum, le vase à contenir des fleurs, le vase à placer la pelle et les pinces pour remuer les cendres. Du reste, j'ai là, sous la main, un petit plateau, dont la décoration est faite d'une inscription, qui témoigne de l'importance donnée dans les pays bouddhiques au brûlement des parfums, et à la volupté, que cet embaumement factice de l'air procure à l'homme et au dieu. Ce plateau coulé pour l'usage spécial de la maison de l'Empereur, pour le Yuen Ming Yuan, le palais des femmes, et sur lequel on apporte les bâtonnets parfumés, a pour inscription une poésie de l'empereur Kien-Long commentant les préceptes canoniques du livre intitulé Tsin-Tsé, et dont voici la traduction:

La fumée de l'encens monte jusqu'à la troisième voûte du ciel, et se répand de là vers les points cardinaux. Chaque molécule arrivant aux nobles narines du prince, de la transformation, lui fera oublier toutes les calamités de la terre.

La fumée montant en spirale est l'image figurée des dix mille bonheurs.

Sur la planche supérieure du grand meuble sont les grands livres, les grands manuscrits de toutes les paroisses, que leur format expulse des rayons de la bibliothèque. Je n'en cite que quelques-uns: la suite d'estampes gravées par madame la marquise de Pompadour; avec la planche de Rodogune; – les deux cahiers d'Éléments d'ORFÉVRERIE de Germain, – les Études d'Anatomie, fac-similés à la sanguine par Demarteau d'après les dessins de Monnet, et où le squelette, le coude appuyé à une console, pose en agréable du temps; – la Mascarade a la grecque, dans laquelle des femmes et des hommes, habillés de motifs d'architecture, moquent, en 1771, le retour du goût à l'antique; – la Caravanne (sic) du sultan a la Mecque, improvisée par les pensionnaires de l'Académie de France pendant le carnaval de 1748; – la collection des dessins de Watteau, publiée en deux volumes, sous le titre de «Figures de différents caractères Dessinées d'après nature, d'après Antoine Watteau; – la Galerie des Modes et costumes français, d'après nature, d'après les plus célèbres artistes en ce genre et colorés avec le plus grand soin par madame Lebeau… chez les sieurs Esnauts et Rapilly», un recueil fait dans le temps avec un titre spécial, des cent meilleures planches des six cents et plus éditées: collection que personne ne possède en France, et dont Rapilly n'a vu qu'une seule fois un exemplaire complet, qui s'est vendu sous ses yeux en Angleterre. Et encore des livres pour leurs reliures: une Description historique et géographique de la France ancienne et moderne, aux armes du Dauphin, père de Louis XVI; et la partition de Zémire et Azor, dans la plus splendide reliure à la fanfare, en maroquin rouge.

Parmi ces grands livres, un in-folio et deux in-quarto vous donnent la collection des «Cris de Paris» pendant tout le dix-huitième siècle, de ses premières à ses dernières années: ce sont le recueil des 12 planches de Boucher, le recueil des 60 planches de Bouchardon et le recueil rarissime des 12 cahiers de 6 petites estampes coloriées qui a pour titre: Cris de Paris, dessinés d'après nature par M. Poisson. Avec ces trois volumes, vous n'avez pas seulement la figuration de toutes les petites industries ambulantes, vous avez dans l'oreille le bruit de la rue d'alors, et comme le prolongement de l'écho des voix sonores assourdissant, du matin au soir, la grande ville. Et voici d'abord ce beau et original cri, pour le débit dans les carrefours des petits verres d'eau-de-vie, ressuscitant un moment l'homme et la femme du peuple, de leurs mortelles fatigues: La Vie, la vie, puis tous les autres: A racomoder (sic) les vieux soufflets. – Balais, balais. – Du mouron, du sençon pour les p'tits oiseaux. – A ramoner du haut en bas. – Talmouses toutes chaudes. – Au vinaigre. – A la fraîche, à la chaude qui veut boire. – Carpe vive. – Huistres à l'écaille. – Mon bel œillet. – Encre luisante, encre à écrire. – La lanterne en hiver, l'eau en été. – La liste des gagnans à la loterie. – Du grès, du sablon. – Pleurez petits enfants, pleurez vous aurez des moulins à vent. – Caffé, caffé. – D'l'anis toute sucrée. – Achetez mes belles estampes. – Parapluie là. – Marrons rôtis, marrons boulus. – Cannes à la mode, achetez mon beau jet. – Régalés-vous, mes dames, v'là le plaisir. – Maquereau, monsieur, v'là le maquereau. – Mottes à brûler, mes dames, belles mottes. – Vieux habits, vieux chapeaux. – Couteaux, ciseaux à repasser. – Mes bons colifichets. – Ah la lanterne magique, la pièce curieuse. – Voilà le bon pain d'épice de Rheims. – Allumettes, bonne amadoue, pierres à fusil et briquets. – A la crème. – A la mûre. – De gros gobets à la courte queue. – De gros cerneaux, les gros. – Du beau chasselas à la livre. – Almanach de Liège, à deux sols la pièce. – Pierre à détacher sans mouiller, sans eau. – A 6 sols, le marchand qui se ruine. – A 50 sols l'aulne, trois quarts de perte. – A la barque, à la barque. – Pois ramés, pois écossés. – Belle figue, pêche au vin. – Ha ma belle herbe, ma belle herbe. – Cartons, mes dames, voilà de bons cartons. – Petits serins, achetés mes petits oiseaux. – V'là du cresson, la santé du corps. – A la flotte, à la flotte, mes beaux rubans. – Épingles noires à 1 sol le cartron, les blanches à 2 sols le cent. – La mort aux rats, mes dames. – Achetés mes petits chiens, mon bel angola. – Curedents à la Carmélite, les beaux curedents. – L'Oraison de sainte Brigitte. – Édit du Roi donné de tout-à-l'heure, de tout-à-l'heure.

Aux livres sont mêlés quelques manuscrits, je parlerai seulement de deux. L'un est, en l'année 1787, l'Établissement de la maison et de la Garde-robe de Monseigneur le dauphin, montant à 59,842 livres. On y trouve cet article: Au S. Cordier, joaillier, pour fourniture faite à Monseigneur le Dauphin d'une montre, d'un cordon, d'une clef, d'un cachet et d'un œuf garnis en diamants, du choix de M. le duc d'Harcourt, suivant le mémoire du S. Cordier… 5,500. Un second article fait mention d'une somme de 177 liv. 11 s. 3 d. à payer au S. Auguste, orfèvre du Roi, pour fourniture d'un gobelet d'argent avec couvercle et anses, gobelet à l'usage du Dauphin. Dans un autre article, il est question d'une somme de 433 liv. 10 s. à payer au S. Foucard pour livraison de drap anglais, casimir et camelot de soie pour quatre habits et deux redingotes faites à l'enfant. Enfin, le mémoire se termine par une note du S. Richard, s'élevant à 748 livres pour fourniture de bonnets de coton, bas de soie, cordons des ordres et autres objets pour la garde-robe du prince.

 

L'autre manuscrit est plutôt un livre de dessins. Sur la première page, deux amours déroulent le plan d'un palais qu'on voit au fond du feuillage d'un jardin français. En bas est écrit: Recueil des plans de la maison de M. de Cassini, située rue de Babylone, exécutée en 1768 sur les desseins de Bellisard. Et dans des cadres précieusement dessinés et surmontés de cartouches soutenus par des amours à la Eisen, défilent sur douze feuilles les aspects, les profils, les coupes de la maison, que termine un charmant dessin représentant la rotonde du salon et son plafond peuplé d'amours. C'est, en son maroquin rouge, un curieux et rare spécimen de l'album que les seigneurs bâtisseurs du dix-huitième siècle faisaient exécuter de leur hôtel.

Tout en bas du meuble, serrés les uns contre les autres, sont tassés les portefeuilles ventrus qui contiennent la collection d'estampes du siècle passé. Moins riche, moins précieuse, moins unique dans son genre que la collection de dessins, cette réunion de gravures contient cependant le plus grand nombre des belles et rares pièces du dix-huitième siècle en des états dignes d'envie, et dans une fraîcheur, et avec une virginité de marges introuvables: telles enfin que les rapportait Clément des cartons de l'Allemagne et de la Hollande, il y a une vingtaine d'années. La France, elle, au siècle dernier, encadrait ses estampes, faisait pis, s'il est possible, coupait les marges au cadre de la gravure pour enfermer l'image dans des filets olive, en sorte qu'avant 1850, à moins de découvrir une épreuve venant de l'œuvre d'un graveur, c'était une bonne fortune de rencontrer une estampe française qui ne fût pas rognée, mouillée d'humidité et brûlée par le soleil. Et ce n'est vraiment qu'à partir de cette époque qu'ont apparu sur le marché ces belles estampes qui semblent, au bout de cent ans, sortir de chez l'imprimeur, – et cela avec ce rien de jaunissement chaud et harmonieux, cette sorte de patine, que seul le temps donne au beau, solide, sonore papier d'alors. Une particularité qui la fait aujourd'hui inestimable, cette réunion d'estampes, c'est le goût que j'ai eu des états d'eaux-fortes, au moment où personne n'en voulait, et qui m'a poussé à faire presque la collection de Watteau, de Chardin, de Baudouin, en ces esquisses, en ces souffles spirituels de gravures.

Mais commençons ce dénombrement des gravures du dix-huitième siècle par une division qui devrait toujours faire l'en-tête des catalogues d'estampes: Eaux-fortes de Maîtres et d'amateurs.

Boucher. – La collection rarissime, avant toute adresse, des quatre eaux-fortes ayant pour titre: le Sommeil, les Petits Buveurs de lait, le Petit Savoyard, la Tourterelle, quatre épreuves découvertes par le fureteur Robert-Dumesnil, dont elles portent la petite lentille imprimée à froid et provenant de la vente Leblond. Et encore de Boucher le non moins rarissime état d'eau-forte qu'il a gravé de son Andromède, comme dessous et préparation de la planche terminée au burin par Aveline. Une eau-forte qui montre, dans l'interprétation légère et spirituelle d'un corps de femme, toute l'habileté de pointe de l'aquafortiste, et son gras pointillé, et ses courbes hachures brisées, et le pittoresque ragoût du travail, et l'indication ressautante des contours. Une épreuve peut-être unique, que je me rappelle avoir vu vendre, il y a une trentaine d'années, à une vente de Defer, et que j'ai retrouvée dans la petite suite d'estampes de haut goût de M. Villot.

Madame Boucher. – De la jolie femme du peintre, devenue, aux côtés de son mari, une artiste, et qui a peint de lumineuses miniatures et égratigné quelques cuivres, un cartouche surmonté de trois cœurs enflammés, que soulèvent en l'air de leurs bras et de leurs jambes de gras amours, un cartouche signé: Jane Boucher.

Cochin. – La libre et croquante eau-forte de ce beau marquis contourné, lorgnant avec un verre grossissant les femmes sculptées de Goujon, et qui a pour titre: la Fontaine de St-Innocent.

Debucourt. – La seule eau-forte qu'on connaisse de lui, est l'état d'eau-forte du Juge ou la Cruche cassée qu'il s'est amusé à faire pour la gravure qu'en a exécutée Leveau. Une curiosité, mais rien qu'une curiosité.

Fragonard. – La grande planche de l'Armoire, avant toute lettre, et les quatre chefs-d'œuvre de son merveilleux grignotis: ses quatre bas-reliefs de satyres, choisis, triés, changés et rechangés, et dont maintenant quelques épreuves sont avant la planche nettoyée.

Mademoiselle Gérard. – De la belle-sœur de Fragonard, au travail de laquelle on sent toujours marié le travail du beau-frère, les rares planches de «la femme mettant à cheval un enfant sur le dos d'un gros chien», et de «la petite fille couchée sur un escalier avec un petit chien emmaillotté dans ses bras, et sur laquelle on lit: Première planche de mademoiselle Gérard, âgée de dix-huit ans, 1778.» Enfin de l'eau-forte de Fanfan j'ai deux états; et l'état le moins avancé est signé à la fois à la pointe des noms de Fragonard et de Mlle Gérard avec la mention: Épreuve avant la lettre.

Gravelot. – L'élégante eau-forte signée H. Gravelot toute gribouillée de croquetons, et du milieu desquels se détache cet étui, cette petite merveille de dessin rocaille, si prestement enlevée sur le cuivre.

Loutherbourg. – «La Boutique du barbier», exécutée avec ce trait humoristique qui a été repris servilement par les illustrations anglaises, et accepté comme une originalité de date récente.

Olivier. – Deux de ses femmes en costume du temps, des livres de musique à la main, assez rares mais assez méchantes eaux-fortes.

Paroy (le chevalier de). – «La Marchande de châtaignes.» Brillante petite eau-forte, à laquelle Augustin de Saint-Aubin n'a pas que fourni le dessin, mais bien encore le badinage de son habile aiguille.

Pater. – L'unique eau-forte qu'ait gravée le petit maître. C'est une halte à la manière de Watteau, où des soldats, des femmes, des vivandiers groupés, couchés autour du chaudron qui bout en plein air, sont bravement griffonnés, et traités avec un faire plus large que celui de ses dessins, de sa peinture.

Rue (de la). – La suite en premières épreuves de ses six bacchanales, six eaux-fortes d'un métier tout plein de ressouvenirs de Tiépolo.

Saint-Aubin (Gabriel). – La collection presque complète de l'aquafortiste qui a éclairé les élégances de dessin de son temps avec les effets de lumière de Rembrandt, et en première ligne, une épreuve du Salon du Louvre venant de la vente de la Beraudière, une épreuve du second état qui est le bon, et non encore entièrement ébarbée, et tout obscure de traînées d'un beau noir velouté, et des épreuves merveilleuses du Spectacle des Tuilleries, du Bal d'Auteuil, des Nouvellistes, de la Foire de Besons, du Charlatan, de l'Adresse de Perier, marchand quincaillier, etc.

Parmi les eaux-fortes inédites qui ont échappé aux recherches de M. de Baudicour, indépendamment des deux planches déjà signalées dans les «Répertoires des bals» par le S. de la Cuisse, j'indiquerai chez moi trois pièces:

1o Une petite eau-forte représentant un cabinet d'histoire naturelle, au milieu duquel se dresse une figure d'Isis, que désigne un génie aux grandes ailes. Elle décore l'almanach historico-physique ou la Phisiosophie des dames, 1763.

2o Une pièce singulière célébrant le renvoi des Jésuites et composée de deux médaillons: l'un qui représente un homme jetant au feu les livres de Molina, Mariana, Suarez; l'autre, une sortie gaminante d'écoliers de la haute porte d'un collège. Sur le rebord de la tablette qui devait servir à contenir l'inscription, se sauve un renard à la queue coupée. La planche, non terminée, est reprise dans certaines parties à l'encre et au bistre.

3o L'Almanach des Dieux pour l'année 1768. Un grand almanach, dessiné dans une architecture ressemblant au portail de Saint-Sulpice, et où chaque mois est surmonté d'un cartouche, renfermant, gravé à l'eau-forte, un croqueton de figure mythologique. Longtemps je ne donnai mon attention qu'à la singularité de l'almanach, quand un jour, regardant attentivement les petites figures, tout à coup j'eus la certitude qu'elles ne pouvaient avoir été dessinées que par Saint-Aubin, et que peut-être elles étaient gravées par lui: je prenais une loupe, et bientôt je découvris çà et là, sous les mythologies, d'imperceptibles S. A.

Saint-Non (l'abbé de). – Quelques eaux-fortes d'après Frago, où l'abbé attrape presque le pétillant faire du peintre.

Schenau. – La série de ses douze eaux-fortes, assez balourdes de dessin, mais d'une morsure savante et dont la première représente une petite marchande d'images qui a écrit sur son éventaire: Achetter mes pettites eaux forttes 1 a la 12me (sic).

Watteau. – L'épreuve d'eau-forte de la Troupe italienne qui porte en bas de l'estampe Peint et gravé à l'eau-forte par Watteaux: une épreuve que je crois unique, et que je regarde comme la pièce la plus précieuse de ma collection. A cette eau-forte sans prix, j'ai eu le bonheur de joindre l'eau-forte de la Recrue allant ioindre le regiment, pièce aussi de la plus grande rareté, et qu'on a cru un moment de Boucher, sur l'affirmation de Robert-Dumesnil, mais qu'une note découverte par moi, dans l'Abecedario de Mariette, attribue de la manière la plus positive à Watteau: «Recrue de soldats allant joindre le régiment, gravé à l'eau-forte par Watteau, et terminé par Thomassin.»

Et parmi les anonymes, je ne citerai que l'eau-forte singulière qui représente Voltaire comparaissant devant les juges de l'Enfer, avec au bas cette objurgation:

 
O mes amis, vivez en bons chrétiens.
C'est le parti, croyez-moi, qu'il faut prendre.
 

Nous arrivons aux gravures, aux burins cherchés par moi surtout parmi les planches de mœurs, et dont nous allons faire la revue en courant.

Aubert. – L'estampe du Billet doux25, cette estampe où se trouve l'élégante silhouette du grison, de ce messager grivois de l'amour taillé sur le patron d'un Lafleur de théâtre ou plutôt de l'Azolan des «Liaisons dangereuses».

Boucher. – Les deux amusantes estampes de la vie privée de son temps, échappées au peintre mythologique: la Marchande de Modes, gravée par Gaillard, et le Déjeuné, gravé par Lépicié, dont une étude du domestique versant le chocolat est dans la collection de la baronne de Conantre.

Baudouin. – Les états avant la lettre des pièces intitulées: le Chemin de la Fortune, le Modèle honnête, le Lever, le Danger du tête-a-tête, l'Enlèvement nocturne, le Confessionnal, le Catéchisme, le Curieux, le Fruit de l'Amour secret.

Les états d'eau-forte du Modèle honnête, du Curieux, du Carquois épuisé, de l'Épouse indiscrète, de la Soirée des Thuileries. Et l'on comprendra le goût des eaux-fortes de Baudouin, quand on saura que ces eaux-fortes seules conservent et l'esprit de la touche, et les pétillements de lumière et les transparences des ombres de sa peinture entièrement reflétée.

Canot. – L'estampe du Maitre de Danse, dans laquelle le joli coureur de cachets, sa pochette à l'épaule, apprend à une petite fille à faire la révérence.

 

Carmontelle. – Le trait à l'eau-forte de son estampe de la Famille Calas, dont les mains sont ombrées à la sanguine et les robes et les habits couverts en partie du travail le plus menu à la mine de plomb, indiquant la besogne du graveur.

Chardin. – Les états avant la lettre des pièces intitulées: le Bénédicité, l'Étude du dessin, «le Dessinateur», la Mère laborieuse, l'Économe, «la Jeune Fille à la raquette». Les états d'eau-forte du Dessinateur, de «la Jeune Fille à la raquette», de l'Aveugle, de «l'Ouvrière en tapisserie» de l'Écureuse, du Garçon cabaretier, de la Dame prenant son thé, des Amusements de la vie privée, de l'Antiquaire, de Sans-Soucis sans chagrin, de Simple en mes plaisirs, de la Blanchisseuse, de la Fontaine, cette admirable eau-forte de Cochin, qui, mieux que tous ses contemporains, joue de la morsure, met dans son travail des choses qui accrochent l'œil, est l'artiste dont l'eau-forte ressort le plus sur l'aplat des fonds. Et c'est tout l'Œuvre, de ce Maître que j'aime et j'admire, fait avec des premiers états à grandes marges, et dont les épreuves de telle ou telle pièce ont été changées deux ou trois fois pour arriver à la plus belle.

Cochin. – L'état d'eau-forte du Tailleur pour femme, et l'état d'eau-forte, – celui-ci une merveille de spirituelle et argentine gravure, – du Concours pour l'étude de la TÊTE D'EXPRESSION.

Colson. – L'estampe d'après ce petit maître inconnu, ayant pour titre: le Repos, le sommeil d'une jeune fille dans un fauteuil près du feu, dont la peinture fluide et laiteuse est aujourd'hui conservée au Musée de Dijon.

Coypel (Charles). – La belle estampe, à l'aspect sévèrement janséniste, et qui s'appelle: l'Éducation sèche et rebutante donnée par une prude, estampe gravée par Desplace, que je n'ai jamais vue passer en vente, et dont le croqueton de la première idée est au Louvre.

Debucourt. – Les estampes en couleur de ses trois promenades, de la Main, de la Rose, des Deux Baisers, des Bouquets, du Compliment, du Menuet de la mariée, de l'Oiseau ranimé. Il faut y joindre deux rares estampes du temps de la Révolution. L'une, en noir, est la représentation donnée à un grand-père, en ce temps de militarisme national, de sa petite-fille coiffée d'un bonnet à poil, tandis qu'un garçonnet, affublé d'un immense sabre, fait l'exercice avec un petit fusil. L'autre estampe, imprimée en couleur, montre également un grand-père tirant par la bride un cheval de bois sur lequel est juché un petit enfant agitant un tambour de basque, entre deux jeunes sœurs qui le soutiennent, surveillé en ses ébats par une jeune femme au grand fichu menteur qui le regarde avec des yeux de mère. Cette planche en couleur a pour titre l'Heureuse Famille, chez Depeuille, rue des Mathurins, avec au bas: Debucourt pinxit et sculpsit.

Eisen. – Parmi ses trois ou quatre grandes planches de mœurs, l'estampe de l'Amour européen, où le vignettiste montre une grandeur de dessin inattendu, et fait rondir le plus somptueux sopha, où jamais une femme du dix-huitième siècle ait étalé ses coquetteries. Je citerai une autre estampe qui n'est pas commune et dans laquelle un bossu est surpris par le guet chez une fille. Cette gravure a pour titre: le Vieux Débeauché (sic).

Fragonard. – L'état avant la lettre de la Gimblette, l'état d'eau-forte des Hasards heureux de l'escarpolette, et une épreuve très brillante de la Chemise enlevée, cette poétique et érotique image, si voluptueusement gravée par Massard, d'un corps de femme couchée, à laquelle l'Amour enlève son dernier voile.

Freudeberg. – La suite des douze estampes exécutées par l'artiste pour le «Monument du Costume» avec la tablette blanche et avant que les légendes ne soient ombrées.

Gravelot. – La grande planche tranquille et recueillie du Lecteur, dont mon ami Burty a vu la peinture en Angleterre; l'eau-forte par Moreau de son dessin de la Fondation pour marier dix filles par le marquis de l'Hôpital, enfin une rarissime planche gravée par Marchant et publiée de l'autre côté du détroit. Ce sont les Divertissements de la loterie où le dessinateur, dans un encadrement ronflant, turgescent et contourné, a distribué, en six cartouches, les divers épisodes se rattachant au tirage de la loterie à Londres, dans le siècle dernier.

Jeaurat. – Les états avant la lettre du Transport des filles de joie a l'hopital et du Carnaval des rues de Paris, de la Place Maubert, et une belle épreuve du Joli Dormir, et presque tout entière la série des planches de mœurs du peintre parisien, nous donne à voir, dans le Fiacre, la tenue guenilleuse du pauvre diable de cocher du temps, dans les Citrons de Javotte, un de ces déjeuners d'huîtres que l'on faisait à l'Auberge du Bout du Monde, au coin de la rue de ce nom et de la rue des Petits-Carreaux.

Lancret. – L'état avant la lettre, et le seul que je connaisse, du Glorieux, cette riche mise en scène à la Comédie-Française d'une comédie bourgeoise: un état de la planche gravée par Dupuis, d'un velouté dans les noirs tout à fait extraordinaire. C'est ce qu'on appelle, en langage moderne, une planche retroussée, par un tour de main qui est d'un emploi ordinaire dans le tirage des eaux-fortes d'à présent, mais qui était d'un usage très restreint dans le tirage des planches au burin du dix-huitième siècle. La planche, encrée et essuyée avec la paume de la main, est après cela époussetée, fouettée avec un chiffon qui fait sortir l'encre des tailles, et donne à l'impression des ombres, ces étendues de noir où il n'y a pas de petits points blancs.

La Tour. – Les états avant la lettre des portraits de Paris de Montmartel, de Restout, de Vicentini dit Thomassin.

Lawreince. – Les états avant la lettre de Qu'en dit l'Abbé, du Billet doux et des deux planches de l'Indiscrétion et de l'Aveu difficile, gravées par Janinet, et fraîches comme si elles sortaient de la presse.

Les états avant la dédicace de l'École de Danse, du Coucher des ouvrières en modes, du Lever des ouvrières en modes, de l'Assemblée au salon.

Les états d'eau-forte de Qu'en dit l'Abbé, du Billet doux, du Roman dangereux, de l'Assemblée au salon, de l'Assemblée au concert.

Leclerc. – L'estampe curieuse de l'Abbé en conqueste, représentant sous l'ombre d'arbres rameux un galant et poupin abbé filant au fuseau aux pieds d'une lectrice distraite.

Moreau le jeune. – Les états avant la lettre de ses gracieux cadres pour l'annonce des spectacles de la cour à Fontainebleau, et la rarissime planche de la Cinquantaine, et malheureusement une seule suite des deux séries exécutées par l'artiste pour le «Monument du Costume», mais de l'exemplaire de souscription, sur ce solide papier lisse où la fleur de la gravure vient dans le moelleux d'une impression sur peau vélin. Je possède encore de lui le tombeau de Rousseau à Ermenonville, une épreuve, avant que n'ait été effacée sur le cuivre la vieille femme agenouillée, dont l'agenouillement fut jugé impie par la Sorbonne.

Pater. – L'état avant la lettre de la grande composition du peintre qui a pour titre: l'Essai du Bain, et au bas de laquelle sont écrites à la plume trois pièces de vers par Savary, pour le choix de l'une être fait par l'éditeur.

Saint-Aubin (Gabriel). – La rare estampe non terminée de «la Parade des boulevards» et qui porte à l'encre, sur l'exemplaire du cabinet des Estampes, le nom de Duclos comme graveur. Et voici une planche encore plus rare: un éventail fait pour le mariage de Marie-Antoinette et de Louis XVI, représentant les deux nations fêtant l'alliance, le verre en main, pendant que des Amours roulent le plan de la dernière guerre; c'est un état d'eau-forte très légèrement indiqué, et entièrement retravaillé et accentué au crayon par Gabriel de Saint-Aubin qui a écrit dans le demi-rond blanc de l'éventail: «Je prie M. Duclos de me conserver cette épreuve retouchée avec le plus grand soin.» La planche a été terminée, j'en ai vu une épreuve chez Gosselin, mais c'est la seule épreuve que j'aie vue pendant toute ma carrière d'amateur et de chercheur. Aux passionnés de Gabriel, j'indiquerai également deux autres pièces gravées d'après lui: une vue de la statue équestre de «Louis le Bien-Aimé» en empereur et que dessine un homme assis sur une chaise: une estampe format grand in-8o, ayant l'air de faire partie d'un livre et qui est gravée en 1763 par Laroque. Une autre pièce, toute petite et toute couverte de l'écriture de Gabriel de Saint-Aubin, qui en a longuement écrit le titre, est le frontispice d'un almanach de Bourgogne pour l'année 1755, où l'on voit le buste du prince de Condé couronné par des Amours, et au bas duquel se lit: G. Aubin in. del. Fessard sculp. 1754.

25Depuis la rédaction de mon catalogue de dessins, j'ai trouvé deux croquis pour la composition du Billet doux, l'un représente la tête du domestique, porteur du poulet, l'autre le bas de la robe de la femme, ses deux pieds dont l'un est déchaussé, et une étude très étudiée de six mules dans des positions diverses, mules parmi lesquelles le peintre a choisi celle qui traîne sur le sopha. Ces deux dessins sont pastellés.