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Private Letters of Edward Gibbon (1753-1794) Volume 2 (of 2)

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Voilà donc l'hyver; l'étude le matin, quelques conversations, quand vous serez fatigué, avec quelque homme de lettres, ou amateur, ou du moins qui aura vu quelque chose; à l'heure qu'il vous plaira un dîner, point de fermier général, mais l'honnête épicurien, avec un ou deux amis quand vous voudrez: puis quelques visites, une soirée, souvent un souper. Quant à l'été, vu votre manière d'aimer la campagne, on diroit que ma remise a été faite pour vous; pendant que vous vous y promènerez en sénateur, je serai souvent en bon paysan Suisse, devant mon châlet, ou dans ma chaumière; puis nous nous rencontrerons tout à coup, et tâcherons de nous remettre au niveau l'un de l'autre. Nous fermerons nos portes à l'ordinaire, excepté aux étrangers qui passent leur chemin; mais quand nous voudrons, nous y aurons tous ceux que nous aimerons à y voir; car on ne demande pas mieux que d'y venir se réjouir. J'ai eu, un beau jour d'Avril ce printems, un déjeûner, qui m'a coûté quelques Louis, où il y avoit plus de 40 personnes, je ne sais combien de petites tables, une bonne musique au milieu du verger, et une quantité de jeunes et jolies personnes dansant des branles, et formant des chiffres en cadence; j'ai vu bien des fêtes, j'en ai peu vu de plus jolies. Quand mon parc vous ennuyera, nous aurons, ou nous louerons ensemble (et ce sera ainsi un plaisir peu cher) un cabriolet léger, avec deux chevaux gentils, et nous irons visiter nos amis dispersés dans les campagnes, qui nous recevront à bras ouverts. Vous en serez content de nos campagnes; toujours en proportion vous comprenez, et vous trouverez en général un heureux changement pour les agrémens de la société, et une sorte de recherche simple, mais élégante. Les bergères du Printems, excepté Madame de Vanberg, ne sont sans doute plus présentables, mais il y en a d'autres assez gentilles, et quoiqu'elles ne soyent pas en bien grand nombre, il y en aura toujours assez pour vous, mon cher Monsieur. Peu à peu mon imagination m'a emporte, et mon style s'égaye, comme cela nous arrivoit quelquefois dans nos châteaux en Espagne. Il est bien tems de finir cet article, résumons nous plus sérieusement.

Si vous exécutez le plan que vous avez imaginé, j'aimerois même à dire que vous embrassez, surtout d'après ce que vous marquez vous même, Si je ne consultois que mon cœur et ma raison, je romperois sur le champ cette indigne chaine, &c. Eh! que voulez-vous consulter, si ce n'est votre cœur et votre raison? Si, dis-je, vous exécutez ce plan, vous retrouverez une liberté et une indépendance, que vous n'auriez jamais dû perdre, et dont vous méritez de jouir, une aisance qui ne vous coûtera qu'un voyage de quelques jours, une tranquillité que vous ne pouvez avoir à Londres, et enfin un ami qui n'a peut-être pas été un jour sans penser à vous, et qui malgré ses défauts, ses foiblesses et son infériorité, est encore un des compagnons qui vous convient le mieux.

Il me reste à vous apprendre pourquoi je vous réponds si tard: vous savez déjà actuellement que ce n'est pas manque d'amitié et de zèle pour la chose; mais votre lettre m'a été renvoyée de Lausanne ici, à Strasbourg, et je n'ai passé qu'une poste sans y répondre, ce qui n'est pas trop, vous l'avouerez, pour un pareil bavardage. Je suis parti de Lausanne la veille de Pâques pour venir voir un M. Bourcard de Basle, fort de mes amis; il est ici auprès du Comte de Cagliostro, pour profiter de ses remèdes. Vous aurez entendu parler peut-être de cet homme extraordinaire à tous égards. Comme j'ai été assez malade tout l'hyver, je profite aussi de ses remèdes; mais comme le tems du séjour du Comte ici n'est rien moins que sûr, le mieux sera que vous m'écriviez à M. D. chez M. Bourcard du Kirshgarten, à Basle.

Vous comprenez combien à tous égards, il est nécessaire m'écrire sans perte de tems, dès que vous aurez pris une résolution. Adieu, mon cher ami.*

462.
A M. Deyverdun

HIS GRATITUDE TO DEYVERDUN.

*Je reçois votre lettre du 10 Juin, le 21 de ce mois. Aujourd'hui Mardi le 24, je mets la main à la plume (comme dit M. Fréron) pour y répondre, quoique ma missive ne puisse partir par arrangement des postes, que Vendredi prochain, 27 du courant. O merveille de la grace efficace! Elle n'agit pas moins puissamment sur vous, et moyennant le secours toujours prêt, et toujours prompt de nos couriers, un mois nous suffit pour la demande et la réponse. Je remercie mille fois le génie de l'amitié, qui m'a poussé, après mille efforts inutiles, à vous écrire enfin au moment le plus critique et le plus favorable. Jamais démarche n'a répondu si parfaitement à tous mes vœux et à toutes mes espérances. Je comptois sans doute sur la durée et la vérité de vos sentimens; mais j'ignorois (telle est la foiblesse humaine) jusqu'à quel point ils avoient pu être attiédis par le tems et l'éloignement; et je savois encore moins l'état actuel de votre santé, de votre fortune et de vos liaisons, qui auroient pu opposer tant d'obstacles à notre réunion.

Vous m'écrivez, vous m'aimez toujours; vous désirez avec zèle, avec ardeur, de réaliser nos anciens projets; vous le pouvez, vous le voulez; vous m'offrez dès l'automne votre maison, et quelle terrasse! votre société, et quelle société! L'arrangement nous convient à tous les deux; je retrouve à la fois le compagnon de ma jeunesse, un sage conseiller, et un peintre qui fait représenter et exagérer même les objets les plus rians. Ces exagérations me font pour le moins autant de plaisir que la simple vérité. Si votre portrait étoit tout à fait ressemblant, ces agrémens n'existeroient que hors de nous mêmes, et j'aime encore mieux les retrouver dans la vivacité de votre cœur et de votre imagination. Ce n'est pas que je ne reconnoisse un grand fond de vérité dans le tableau de Lausanne; je connois le lieu de la scène, je me transporte en idée sur notre terrasse, je vois ces côteaux, ce lac, ces montagnes, ouvrage favoris de la nature, et je conçois sans peine les embellissemens que votre goût s'est plu y ajouter. Je me rappelle depuis vingt ou trente ans les mœurs, l'esprit, l'aisance de la société, et je comprends que ce véritable ton de la bonne compagnie se perpétue, et s'épure de père en fils, ou plutôt de mère en fille; car il m'a toujours paru qu'à Lausanne, aussi bien qu'en France, les femmes sont très supérieures aux hommes. Dans un pareil séjour, je craindrois la dissipation bien plus que l'ennui, et le tourbillon de Lausanne étonneroit un philosophe accoutumé depuis tant d'années à la tranquillité de Londres. Vous êtes trop instruit pour regarder ce propos, comme une mauvaise plaisanterie; c'est dans les détroits qu'on est entrainé par la rapidité des courans: il n'y en a point en pleine mer. Dès qu'on ne recherche plus les plaisirs bruyans, et qu'on s'affranchit volontiers des devoirs pénibles, la liberté d'un simple particulier se fortifie par l'immensité de la ville. Quant à moi, l'application à mon grand ouvrage, l'habitude, et la récompense du travail, m'ont rendu plus studieux, plus sédentaire, plus ami de la retraite. La Chambre des Communes et les grands dîners exigent beaucoup de tems; et la tempérance d'un repas anglois vous permet de goûter de cinq ou six vins différens, et vous ordonne de boire une bouteille de claret après le dessert. Mais enfin je ne soupe jamais, je me couche de fort bonne heure, je reçois peu de visites, les matinées sont longues, les étés sont libres, et dès que je ferme ma porte, je suis oublié du monde entier. Dans une société plus bornée et plus amicale, les démarches sont publiques, les droits sont réciproques, l'on dîne de bonne heure, on se goûte trop pour ne pas passer l'après-midi ensemble; on soupe, on veille, et les plaisirs de la soirée ne laissent pas de déranger le repos de la nuit, et le travail du lendemain.

HIS HESITATION TO ACCEPT.

Quel est cependant le résultat de ces plaintes? c'est seulement que la mariée est trop belle, et que j'ose me servir de l'excuse honnête de la santé et du privilège d'un homme de lettres; il ne tiendra qu'à moi de modérer un peu l'excès de mes jouissances. Pour cet engouement que vous m'annoncez, et qui a toujours été le défaut des peuples les plus spirituels, je l'ai déjà éprouvé sur un plus grand théâtre. Il y a six ans que l'ami de Madame Necker fut reçu à Paris, comme celui de George Deyverdun pourroit l'être à Lausanne. Je ne connois rien de plus flatteur que cet accueil favorable d'un public poli et éclairé. Mais cette faveur, si douce pour l'étranger, n'est-elle pas un peu dangereuse pour l'habitant exposé à voir flétrir ses lauriers, par la faute ou par l'inconstance de ses juges? Non; on se soutient toujours, peut être pas précisément au même point d'élévation. A l'abri de trois gros volumes in-quarto en langue étrangère, encore ce qui n'est pas un petit avantage, je conserverai toujours la réputation littéraire, et cette réputation donnera du relief aux qualités sociales, si l'on trouve l'historien sans travers, sans affectation et sans prétentions.

Je serai donc charmé et content de votre société, et j'aurois pu dire en deux mots, ce qui j'ai bavardé en deux pages; mais il y a tant de plaisir à bavarder avec un ami! car enfin je possède à Lausanne un véritable ami; et les simples connoissances remplaceront sans beaucoup de peine, tout ce qui s'appelle liaison, et même amitié, dans ce vaste désert de Londres. Mais au moment où j'écris, je vois de tous côtés une foule d'objets dont la perte sera bien plus difficile à réparer. Vous connoissiez ma bibliothèque; mais je suis en état de vous rendre le propos de votre maison c'est bien autre chose à cette heure; formée peu à peu, mais avec beaucoup de soin et de dépense, elle peut se nommer aujourd'hui un beau cabinet de particulier. Non content de remplir à rangs redoublés la meilleure pièce qui lui étoit destinée, elle s'est débordée dans la chambre sur la rue, dans votre ancienne chambre à coucher, dans la mienne, dans tous les recoins de la maison de Bentinck-street, et jusques dans une chaumière que je me suis donnée à Hampton Court.

 
 
J'ai mille courtisans rangés autour de moi:
Ma retraite est mon Louvre, et j'y commande en roi.
 

Le fonds est de la meilleure compagnie Grecque, Latine, Italienne, Françoise, et Angloise, et les auteurs les moins chers à l'homme de goût, des ecclésiastiques, des Byzantins, des Orientaux, sont les plus nécessaires à l'historien de la Décadence et de la Chute, &c. Vous ne sentez que trop bien le désagrément de laisser, et l'impossibilité de transporter cinq ou six milles volumes, d'autant plus que le ciel n'a pas voulu faire de la Suisse un pays maritime. Cependant mon zèle pour la réussite de nos projets communs, me fait imaginer que ces obstacles pourront s'applanir, et que je puis adoucir ou supporter ces privations douloureuses. Les bons auteurs classiques, la bibliothèque des nations, se retrouvent dans tous les pays. Lausanne n'est pas dépourvu de livres, ni de politesse, et j'ai dans l'esprit qu'on pourroit acquérir pour un certain tems, quelque bibliothèque d'un vieillard ou d'un mineur, dont la famille ne voudroit pas se défaire entièrement. Quant aux outils de mon travail, nous commencerons par examiner l'état de nos richesses; après quoi il faudroit faire un petit calcul du prix, du poids et de la rareté de chaque ouvrage, pour juger de ce qu'il seroit nécessaire de transporter de Londres, et de ce qu'on acheteroit plus commodément en Suisse; à l'égard de ces frais, on devroit les envisager comme les avances d'une manufacture transplantée en pays étranger, et dont on espère retirer dans la suite un profit raisonnable. Malheureusement votre bibliothèque publique, en y ajoutant même celle de M. de Bochat, est assez piteuse; mais celles de Berne et de Basle sont très nombreuses, et je compterois assez sur la bonhommie Helvétique, pour espérer que, moyennant des recommendations et des cautions, il me seroit permis d'en tirer les livres dont j'aurois essentiellement besoin. Vous êtes très bien placé pour prendre les informations, et pour faire les démarches convenables; mais vous voyez du moins combien je me retourne de tous les côtés, pour esquiver la difficulté la plus formidable.

HIS FRIEND AND VALET.

Venons à présent à des objets moins relevés, mais très importans à l'existence et au bien-être de l'animal, le logement, les domestiques, et la table. Pour mon appartement particulier, une chambre à coucher, avec un grand cabinet et une antichambre, auroient suffi à tous mes besoins; mais si vous pouvez vous en passer, je me promenerai avec plaisir dans l'immensité de vos onze pièces, qui s'accommoderont sans doute aux heures et aux saisons différentes. L'article des domestiques renferme une assez forte difficulté, sur laquelle je dois vous consulter. Vous connoissez, et vous estimez Caplen mon valet de chambre, maître d'hotel, &c. qui a été nourri dans notre maison, et qui comptoit d'y finir ses jours. Depuis votre départ, ses talens et ses vertus se sont dévelloppés de plus en plus, et je le considère bien moins sur le pied d'un domestique, que sur celui d'un ami. Malheureusement il ne sait que l'Anglois, et jamais il n'apprendra de langue étrangère. Il m'accompagna, il y a six ans, dans mon voyage à Paris, mais il rapporta fidèlement à Londres toute l'ignorance, et tous les préjugés d'un bon patriote. A Lausanne il me coûteroit beaucoup, et à l'exception du service personnel, il ne nous seroit que d'une très petite utilité. Cependant je supporterois volontiers cette dépense, mais je suis très persuadé que, si son attachement le portoit à me suivre, il s'ennuyeroit à mourir dans un pays où tout lui seroit étranger et désagréable. Il faudroit donc me détacher d'un homme dont je connois le zèle, la fidélité, rompre tout d'un coup de petites habitudes qui sont liées avec le bien-être journalier et momentané, et se résoudre à lui substituer un visage nouveau, peut-être un mauvais sujet, toujours quelque aventurier Suisse pris sur le pavé de Londres. Vous rappellez-vous un certain George Suess qui a fait autrefois avec moi le voyage de France et d'Italie? Je le crois marié et établi à Lausanne; s'il vit encore, si vous pouvez l'engager à se rendre ici, pour me ramener en Suisse, la compagnie d'un bon et ancien serviteur ne laisseroit pas d'adoucir la chute, et il resteroit peut-être auprès de moi, jusqu'à ce que nous eussions choisi un jeune homme du pays, adroit, modeste et bien élevé, à qui je ferois un parti avantageux.

Les autres domestiques, gouvernantes, laquais, cuisinière, &c. se prennent et se renvoyent sans difficulté. Un article bien plus important, c'est notre table, car enfin nous ne sommes pas assez hermites, pour nous contenter des légumes et des fruits de votre jardin, tout excellens qu'ils sont; mais je n'ai presque rien à ajouter à l'honnêteté de vos propos, qui me donnent beaucoup plus de plaisir que de surprise. Si je me trouvois sans fortune, au lieu de rougir des bienfaits de l'amitié, j'accepterois vos offres aussi simplement que vous les faites. Mais nous ne sommes pas réduits à ce point, et vous comprenez assez qu'une déconfiture angloise laisse encore une fortune fort décente au Pays de Vaud, et pour vous dire quelque chose de plus précis, je dépenserois sans peine et sans inconvénient cinq ou six cens Louis. Vous connoissez le résultat aussi bien que les détails d'un ménage; en supposant une petite table de deux philosophes Epicuriens, quatre, cinq, ou six domestiques, des amis assez souvent, des repas assez rarement, beaucoup de sensualité, et peu de luxe, à combien estimez-vous en gros la dépense d'un mois et d'une année? Le partage que vous avez déjà fait, me paroît des plus raisonnables; vous me logez, et je vous nourris. A votre calcul, j'ajouterois mon entretien personnel, habits, plaisirs, gages de domestiques, &c. et je verrois d'une manière assez nette, l'ensemble de mon petit établissement.

HIS HOPES OF A POLITICAL PLACE.

Après avoir essuyé tant de détails minutieux, le cher lecteur s'imagine sans doute que la résolution de me fixer pendant quelque tems aux bords du Lac Léman, est parfaitement décidée. Hélas! rien n'est moins vrai; mais je me suis livré au charme délicieux de contempler, de sonder, de palper ce bonheur, dont je sens tout le prix, qui est à ma portée, et auquel j'aurai peut-être la bêtise de renoncer. Vous avez raison de croire, mais vous ignorez jusqu'à quel point vous l'avez, que ma carrière politique a été plus semée d'épines que de roses. Eh! quel objet, quel motif, pourroit me consoler de l'ennui des affaires, et de la honte de la dépendance? La gloire? Comme homme de lettres, j'en jouis, comme orateur je ne l'aurai jamais, et le nom des simples soldats est oublié dans les victoires aussi bien que dans les défaites. Le devoir? Dans ces combats à l'aveugle, où les chefs ne cherchent que leur avantage particulier, il y a toujours à parier que les subalternes feront plus de mal que de bien. L'attachement personnel? Les ministres sont rarement dignes de l'inspirer; jusqu'à présent Lord North n'a pas eu à se plaindre de moi, et si je me retire du Parlement, il lui sera très aisé d'y substituer un autre muet, tout aussi affidé que son ancien serviteur. Je suis intimément convaincu, et par la raison, et par le sentiment, qu'il n'y a point de parti, qui me convienne aussi bien que de vivre avec vous, et auprès de vous à Lausanne; et si je parviens à la place (Commissioner of the Excise or Customs) où je vise, il y aura toutes les semaines cinq longues matinées, qui m'avertiront de la folie de mon choix. Vous vous trompez à la vérité à l'égard de l'instabilité de ces emplois; ils sont presque les seuls qui ne ressentent jamais des révolutions du ministère.

Cependant si cette place s'offroit bientôt, je n'aurois pas le bon sens et le courage de la refuser. Quels autres conseillers veux-je prendre, sinon mon cœur et ma raison? Il en est de puissans et toujours écoutés: les égards, la mauvaise honte, tous mes amis, ou soi-disant tels, s'écrieront que je suis un homme perdu, ruiné, un fou qui se dérobe à ses protecteurs, un misanthrope qui s'exile au bout du monde, et puis les exagérations sur tout ce qui seroit fait en ma faveur, si surement, si promptement, si libéralement. Mylord Sheffield opinera à me faire interdire et enfermer; mes deux tantes et ma belle mère se plaindront que je les quitte pour jamais, &c. Et l'embarras de prendre mon bonnet de nuit, comme disoit le sage Fontenelle, lorsqu'il n'etoit question que de decoucher, combien de bonnets de nuit ne me faudra-t-il pas prendre, et les prendre tout seul? car tout le monde, amis, parens, domestiques, s'opposera à ma fuite. Voilà à la vérité des obstacles assez peu redoutables, et en les décrivant, je sens qu'ils s'affoiblissent dans mon esprit. Grace à ce long bavardage vous connoissez mon intérieur, comme moi même, c'est à dire assez mal; mais cette incertitude, très amicale pour moi, seroit très facheuse pour vous. Votre réponse me parviendra vers la fin de Juillet, et huit jours après, je vous promets une réplique nette et décisive: je pars ou je reste. Si je pars, ce sera au milieu de Septembre; je mangerai les raisins de votre treille les premiers jours d'Octobre, et vous aurez encore le tems de me charger de vos commissions. Ne me dites plus, Monsieur, et très cher ami; le premier est froid, le second est superflu.*

463.
M. Deyverdun à M. Gibbon

*Me voilà un peu embarrassé actuellement; je ne dois vous appeller ni Monsieur, ni ami. Eh bien! vous saurez qu'étant parti Samedi de Strasbourg, pendant que je venois ici, votre seconde lettre alloit là, et qu'ainsi je reçus votre troisième, Dimanche, et votre seconde, hier. La mention que vous y faisiez du Suisse George, dont je n'ai pu rien trouver dans la première, m'a fait comprendre qu'il y en avoit une seconde, et j'ai cru devoir attendre un courier, la troisième n'exigeant pas de réponse.

Pour votre parole, permettez que je vous en dispense encore, et même jusqu'au dernier jour, je sens bien qu'un procédé contraire vous conviendroit; mais certes il ne me convient pas du tout. Ceci, comme vous le dites, est une espèce de mariage, et pensez vous que malgré les engagemens les plus solemnels, je n'eusse pas reconduit chez elle, du pied des autels, la femme la plus aimable qui m'eut temoigné des regrets? Jamais je ne me consolerois, si je vous voyois mécontent dans la suite, et dans le cas de me faire des reproches. C'est à vous à faire, si vous croyez nécessaire, des démarches de votre côté, qui fortifient votre résolution; pour moi, je n'en ferai point d'essentielles, jusqu'à ce que j'aye reçu encore une lettre de vous. Après ce petit préambule, parlons toujours comme si l'affaire étoit décidée, et repassons votre lettre. Tout ce que vous dites des grandes et petites villes, est très vrai, et votre comparaison des détroits et de la pleine mer, est on ne peut pas plus juste et agréable; mais enfin, comme on fait son lit, on se couche, disoit Sancho Pancha d'agréable mémoire, et qui peut mieux faire son lit à sa guise qu'un étranger, qui, n'ayant ni devoirs d'état ni de sang à remplir, peut vivre entièrement isolé, sans que personne y puisse trouver à redire? Moi même, bourgeois et citoyen de la ville, je suis presqu'entièrement libre. L'été, par exemple, je déteste de m'enfermer le soir dans des chambres chaudes, pour faire une partie. Eh bien! on m'a persécuté un peu la première année; à présent on me laisse en repos. Il y aura sans doute quelque changement dans votre manière de vivre: mais il me semble qu'on se fait aisément à cela. Les dîners, surtout en femmes, sont très rares; les soupers peu grands; on reste plutôt pour être ensemble, que pour manger, et plusieurs personnes ne s'asseyent point. Je crois, tout compté et rabattu, que vouz aurez encore plus de tems pour le cabinet qu'à Londres; on sort peu le matin, et quand nos amis communs viendront chez moi, et vous demanderont, je leur dirai; "ce n'est pas un oisif comme vous autres, il travaille dans son cabinet," et ils se tairont respectueusement.

Pour les bibliothèques publiques, votre idée ne pourroit, je pense, se réaliser pour un lecteur ou même un écrivain ordinaire, mais un homme qui joue un rôle dans la république des lettres, un homme aimé et considéré, trouvera, je m'imagine, bien des facilités; d'ailleurs, j'ai de bons amis à Berne, et je prendrai ici des informations.

Passons à la table. Si j'étois à Lausanne, cet article seroit plus sûr, je pourrois revoir mes papiers, consulter; j'ai une chienne de mémoire. A vue de pays cela pourra aller de 20 à 30 Louis par mois, plus ou moins, vous sentez, suivant la friandise, et le plus ou moins de convives. Marquez moi dans votre première combien vous coûte le vôtre.

 

SOCIAL HABITS AT LAUSANNE.

Je sens fort bien tous les bonnets de nuit: point de grands changemens sans embarras, même sans regrets; vous en aurez quelquefois sans doute: par exemple, si votre salle à manger, votre salle de compagnie, sont plus riantes, vous perdrez pour le vase de la bibliothèque. Pour ce qui est des représentations, des discours au moins inutiles, il me semble que le mieux seroit de masquer vos grandes opérations, de ne parler que d'une course, d'une visite chez moi, de six mois ou plus ou moins. Vous feriez bien, je pense, d'aller chez mon ami Louis Teissier; c'est un brave et honnête homme, qui m'est attaché, qui aime notre pays; il vous donnera tout plein de bons conseils avec zèle, et vous gardera le secret.

Vous aurez quelquefois à votre table un poëte; – oui, Monsieur, un poëte: – nous en avons un enfin. Procurez vous un volume 8vo. Poësies Helvétiennes, imprimées l'année passée chez Mouser, à Lausanne.44 Vouz trouverez entr'autres dans l'épitre au jardinier de la grotte, votre ami et votre parc. Toute la prose est de votre très humble serviteur, qui désire qu'elle trouve grace devant vous.

Le Comte de Cagliostro45 a fait un séjour à Londres. On ne sait qui il est, d'où il est, d'où il tire son argent; il exerce gratis ses talens pour la médecine; il a fait des cures admirables; mais c'est d'ailleurs le composé le plus étrange. J'ai cessé de prendre ses remèdes qui m'échauffoient – l'homme d'ailleurs me gâtoit le médecin. Je suis revenu à Basle avec mon ami. Adieu; récrivez moi le plutôt possible.*

44Poésies Helvétiennes. Par M. B * * * * * (i. e. J. P. L. Bridel). Lausanne. 1782. 8o. Épître au Jardinier de la Grotte, pp. 66-72. "Que j'ai passé de charmantes veillées,Dessous ce chaume au fond de ton verger!Loin du fracas d'un monde mensonger,Par le plaisir elles etaient filées.* * * * * * * *Tantôt quittant ce chaume solitaire,Asyle heureux qu'un palais ne vaut pas,Sur ta terrasse accompagnant tes pas,Nous contemplions les jeux de la lumière;L'astre des nuits à nos yeux se levantSe dégageait lentement des montagnes,Poursuivait l'ombre au travers des campagnes;Et scintillait dans les eaux du Léman."
45Cagliostro, whose real name is said to have been Giuseppe Balsamo, came to Strasbourg in 1780. Jean Benjamin de la Borde, in his Lettres sur la Suisse (published 1783), expresses enthusiastic admiration for his skill and character. For his share in the Necklace Scandal at Paris in 1785-6, Cagliostro was banished from France. He left the country, saying that he should not return till the Bastille was une promenade publique. At Rome he was condemned in the Papal Court to perpetual imprisonment, and died, it is said, in 1795.