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Le chasseur noir

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XXI. UNE ÉMOUVANTE DÉCLARATION

Pathaway et le reste des aventuriers étaient déjà loin.

En chemin, suivant sa promesse, le chasseur noir s’était tenu auprès de Sébastien pour le protéger, avant tout, en cas de nécessité.

L’adolescent recevait ses attentions avec un singulier mélange de gratitude et de timidité, et s’il eût fait plus clair on l’eût vu rougir plus d’une fois. Souvent aussi on eût vu s’arrêter sur eux les yeux de Joe, pleins d’une sombre expression.

Cependant, l’Indien s’étant rapproché, Pathaway appuya un peu sur la droite pour lui parler.

– Je regrette fort, dit-il amicalement, qu’un garçon qui m’a rendu un si grand service soit traité de la sorte. Mais, nous sommes placés dans une position si périlleuse que nous devons user de toutes les précautions raisonnables, quoique j’avoue que si ce n’était pas notre ami, le trappeur, je ne consentirais pas à cette mesure.

– Indien pas s’en occuper; avoir guidé visage pâle, mauvaise récompense. Chasseur blanc pas de mémoire. Attacher Joe comme chien – mais Joe pas sentir – pas mal aux chairs.

Il prononça ces phrases saccadées d’un ton si affligé que Pathaway n’aurait pas été surpris que des larmes coulassent sur ses joues. Mais le chagrin de l’Indien – chagrin il y avait – était empreint d’un ressentiment qui semblait aussi tout près d’éclater. Ne sachant comment adoucir un caractère de cette trempe, Pathaway continua de se tenir à son côté, en cherchant l’occasion de renouer l’entretien.

Sébastien trottait à une faible distance, qui ne lui permettait cependant, pas d’entendre les paroles du chasseur noir et de Joe.

– Pourquoi toi marcher près de moi? dit ce dernier au bout d’un moment.

Joe pas blanc. Va vers ta squaw!

– Ces mots furent accompagnés d’un dédaigneux regard à l’adresse de Sébastien.

– Que dis-tu, Joe? demanda le chasseur noir n’en croyant pas ses oreilles.

– Joe dire à toi d’aller avec squaw.

– Une squaw! où?

– Celle-là! répliqua l’Indien montrant Sébastien par un mouvement de tête.

– Lui une squaw! non. Il ne mérite pas ce reproche. C’est au contraire un garçon courageux. La blessure qu’il porte au bras l’atteste.

– Quoi? comment ça? demanda vivement Joe, comme s’il eût été mis hors de garde.

– Il m’a sauvé la vie, en jetant son bras entre moi et le couteau d’un assassin, – un brigand fieffé, nommé Bill Brace..

– Bill Brace! répéta l’Indien d’une voix émue.

– Oui, Bill Brace, une de ces créatures d’Hendricks. Et sans Sébastien Delaunay je dormirais, pour ne plus me réveiller, sous le vert gazon des solitudes. Je dois donc à cet enfant plus qu’à tout autre.

– Personne autre n’a-t-il sauvé la vie du chasseur au visage pale? demanda sèchement Joe.

– Oui, Carlota, – une femme bien mystérieuse, répondit Pathaway en soupirant. Elle aurait pu être aussi recommandable par l’esprit que par le physique; mais maintenant, hélas! c’est une beauté perdue.

– Elle a sauvé vie à toi et toi pas aimer elle. Pas ainsi fait Indien. Lui pas oublier, quand rencontrai un ami, prendre lui par la main et dire: «Toi libre. Voici cheval, selle, avec bride et garçon indien qui trahira pas toi».

– Ces liens te blessent-ils? demanda Pathaway, après une pause embarrassante.

– Joe pas se plaindre. Lui pas pleurer comme squaw.

Cependant ses poignets étaient déjà fort gonflés. Le chasseur noir s’en aperçut.

– Je vais te dégager les mains, s’écria-t-il touché de remords.

Et aussitôt il trancha la corde en ajoutant:

– Je me fie à toi, j’espère que tu n’abuseras pas de ma bienveillance.

– Joe pas faire promesse; faire ce qui plaît à lui, mais pas promesse. Lui dire à visage pâle que ce garçon pas garçon, lui squaw, lui femme!

– Mais qui?

L’index de l’Indien désigna clairement Sébastien.

– Comment, lui? fit Pathaway, répétant avec l’Indien le geste du doigt qu’avait fait Joe.

– Lui!

Un nuage monta au cerveau du chasseur noir.

– Joe dire vérité; lui pas mentir; ce garçon, femme!

Pathaway ne répondit pas immédiatement.

Peut-être comparait-il l’assertion du jeune indien avec des soupçons vagues qui étaient déjà entrés dans son esprit. Peut-être cette déclaration si précise soulevait-elle en lui un monde d’idées.

Quoi qu’il en soit, il demeura préoccupé pendant plusieurs minutes.

A la fin, relevant sa tête, qui s’était penchée sur sa poitrine, il dit, de ce ton de réflexion que prennent certaines personnes, en répondant plutôt à leurs propres pensées qu’à leurs interlocuteurs:

– C’est une plante délicate que Sébastien, un bois-brûlé d’une faible, mais charmante complexion; néanmoins cette conjecture est bien improbable.

– Visage pâle sage, mais Joe savoir, savoir ce garçon femme, Coeur d’homme blanc dire à lui, garçon, femme; mais homme blanc pas croire coeur; marcher comme homme qui rêve, maintenant satisfait, maintenant pas; maintenant pas souci, maintenant beaucoup souci.

Les yeux pénétrants de l’Indien étaient fixés sur le chasseur noir comme pour lire au plus profond de son âme.

Défait, ce dernier était grandement ému; et il ne songeait plus ni à Carlota, ni aux bandits de la vallée du Trappeur.

Joe avait-il vraiment fait une découverte? Ce joli garçon était-il une femme? Si c’était réel, comment se trouvait-elle en ces lieux? Pourquoi portait-elle ces vêtements masculins? Quel intérêt Nick, ce brave trappeur, fait pour la chasse et les «maudites petites difficultés,» avait-il à la garder ainsi avec lui? Quelle était donc son histoire? et dans quel but errait-elle comme une fée nomade des déserts du Nord-Ouest?

 
«Ses grands yeux bleus brillaient vers le soir
Comme turquoise sur velours noir,
Et de sa voix, si douce et charmante,
Elle disait ses soupirs d’amante.
O belle était la fille du trappeur,
O belle était la fille du trappeur!»
 

La naïve complainte, échappée tout à coup aux lèvres de Jeanjean, rompit mélancoliquement le calme de la nuit.

Mais au moment où le pauvre fou disait son refrain, une voix bien connue retentit aux oreilles de la troupe.

– C’est joli, bonne musique, ô Dieu, oui; un moment toutefois! Cette musique-là n’aurait pas le pouvoir d’adoucir les animaux à deux pattes qui nous entourent. Aussi, André, mon garçon, cesse de chanter, quoique tu chantes aussi bien que mon oncle Whiffles, le grand explorateur de l’Afrique centrale. Ce que tu ne sais pas, ignorant! c’est qu’un jour, pour avoir trop bien chanté, il s’est fait scalper par les nègres noirs de là-bas. Si tu continues, les nègres rouges d’ici pourront bien se passer une pareille fantaisie…… oui bien, je le jure, votre serviteur!…

– S’adressant ensuite à Sébastien, Nick Whiffles ajouta:

– Tiens, est-ce que tu dors? petiot? Et comment va notre bobo? Pas trop bien, n’est-ce pas? La nuit est fraîche et la fraîcheur n’est pas bonne pour les éclopés, ô Dieu, non! J’ai connu, une fois, une femme qui s’était coupé le bras… – mais non, ce n’était pas une femme, qu’est-ce que je dis là, moi? C’était ma soeur Maggy Whiffles, une belle créature, s’il vous plaît. Mais tu ne te sens pas plus mal, hein, Sébastien?

Pathaway se tourna du côté de Whiffles, comme un homme qui sort d’un rêve.

Le jour venait enfin de dissiper les brumes qui voltigeaient sur le cerveau du chasseur noir.

Il comprenait les soins exquis, malgré leur rude simplicité, dont Nick entourait Sébastien, sa tendresse vraiment féminine, sa constante sollicitude et les mille attentions qu’il avait pour l’enfant.

Mais il restait un mystère à approfondir, et notre héros se plongea tout entier dans ce mystère. Déjà il n’était plus indifférent aux périls qui les environnaient… Il avait à sa charge un être frêle et gracieux, qui prêtait un immense intérêt à la fuite ou à la défense.

Un roman de femme venait colorer les vastes régions du Nord-Ouest.

Le charme de son innocence, de son infortune, de sa beauté remuait puissamment le coeur du jeune homme.

Il sentait ses forces grandir et désirait presque qu’un incident lui fournît l’occasion de déployer sa valeur et son adresse sous les yeux de l’attrayante inconnue. Car ainsi sommes-nous faits qu’il se mêle toujours un petit grain d’amour-propre au calice de nos plus généreuses émotions.

Cependant, après l’échange de quelques poignées de main, Nick Whiffles reprit, avec ses amis, la marche un instant suspendue.

Ils ne tardèrent pas à arriver au cul-de-sac conduisant au petit bassin qui avait reçu le nom de Rocher Noir, à cause des masses de granit sourcilleuses qui le surplombaient.

Nick Whiffles avait de justes raisons pour se rappeler cette localité, car, non-seulement il y avait perdu nombre d’attrapes, mais il y avait été témoin de ce terrible drame décrit dans le premier chapitre de notre récit.

Pathaway remarqua que Sébastien frissonnait de tous ses membres et que Nick, placé à côté de lui, semblait l’encourager par d’affectueuses paroles.

– Dans des circonstances ordinaires, dit le trappeur, d’un ton assez dégagé, ce lieu serait sûr; mais au point où nous en sommes, il serait difficile de lui accorder toute confiance, car il est à croire que les païens rouges sont ligués avec nos ennemis; et peut-être bien qu’ils nous donneront de leurs nouvelles avant que le monde ne soit beaucoup plus vieux, mais, après tout, trois bonnes carabines dans des mains exercées parlent honnêtement aux oreilles et au coeur d’une troupe de ces vermines!… oui bien, je le jure, votre serviteur! Et puis une petite difficulté, si petite qu’elle fût, me ragaillardirait. Il y a longtemps que je n’en ai eu une. Elles deviennent rares les difficultés, ça s’use, comme toute chose, ô Dieu, oui! Mais n’aie pas peur, Sébastien, on se tirera de celle-là comme des vieilles.

 

– Je n’ai pas peur, père Nicolas, répondit Sébastien.

– Pas un petit brin? pas un petit brin? vrai? Ah? je savais bien, moi, que tu n’étais pas poltron.

L’Indien fit un haussement d’épaules qui attira l’attention de Nick, car, lui lançant un regard aigu comme une flèche, il dit avec vivacité:

– Ces polissons de Peaux-Rouges sont déjà de taille à vous scalper quand ils ont fait leurs dents de lait. Mais je connais un moyen excellent pour leur rogner dents et griffes.

Joe pensa-t-il que cette remarque s’appliquait à lui? voilà qui est problématique.

Un sourire s’épanouit sur les lèvres pâlies de Sébastien, mais pour s’effacer tout de suite.

Les voyageurs débouchaient alors de la passe dans le bassin du Rocher Noir.

XXII. LES ENNEMIS

Le rempart irrégulier de rochers qui prête son nom à cette place, dressant à perte de vue ses sombres crêtes, ressemblait à une muraille bâtie par quelque race de géants éteinte. On eût dit que la main active et dévastatrice du temps, seule, en avait altéré l’uniformité. Le cours d’eau, auquel Nick avait donné l’appellation de coulée Noire, marquetait comme une plaque d’ébène l’espace enfermé par les rochers.

Sébastien se serra près de Whiffles et le chasseur noir se rapprocha d’eux.

– Notre jeune ami a encore le frisson? dit-il doucement.

– Pas le frisson, du tout, répliqua Nick; ce n’est que l’animosité de sa blessure. Ça lui donne de fières douleurs, voyez-vous? mais comme il est de sang indien, en partie au moins, il ne bronche pas. La vanité l’empêche de se plaindre. Je connais ça, moi! Vous n’avez pas idée de la quantité de tourments qu’il peut endurer. Je crois réellement qu’il pourrait se laisser arracher une double dent par un docteur de Selkirk, sans brailler, ce qui prouve pas mal en faveur de son courage, car les dents de Whiffles poussent joliment dures. On a bien essayé une fois de m’en tirer une, à moi – les docteurs s’entend: mais ça n’a pas payé, ô Dieu, non! Après qu’ils eurent cassé un tas d’instruments à n’en plus finir et après m’avoir mis la bouche tout on sang, je leur dis:

«Arrêtez!» – et je vous prie de croire qu’ils s’arrêtèrent à coeur joie.

«Apportez une lanière,» que je dis ensuite. La lanière fut apportée.

«Passez un noeud coulant autour du marteau». et ils le passèrent.

«Attachez l’autre bout à un arbre,» que je leur dis.

Ils ne demandaient pas mieux que d’obéir. Quand ça fut fait, prenant un pistolet dans chaque main, je leur dis: «Saisissez-moi par les talons,» – et par les talons ils me saisirent.

– «Maintenant, tirez!» que je dis, «et le premier de vous qui lâche avant que le chicot» – c’était un chicot, je me rappelle – «ne soit dehors, je le tue!…»

Après ça, ils s’échauffèrent, se démenèrent et tiraillèrent pendant bien quinze minutes ou même plus, et la sueur découlait sur eux comme la pluie du toit, d’une maison dans une averse.

Ça me faisait mal en diable, Dame! j’imaginais que tous les os de mon système allaient y sauter. Mais, faut vous dire que j’avais un coquin de mal de dents qui me tarabustait depuis deux mois et que j’en étais tombé dans le désespoir.

«A quoi bon, pensais-je, avoir des os si l’on doit en tout temps avoir une maudite difficulté avec eux aujourd’hui celui-ci, demain celui-là. C’est aussi bien de n’avoir point d’os que d’en avoir des pourris?»

«Il y a des animaux,» raisonnai-je, «qui n’ont pas d’os. Il y a les serpents, par exemple, qui n’en ont point pour les faire enrager, ce qui ne les empêche pas de courir comme le tonnerre. Je vaux bien un serpent, il me semble?» que je dis. Et là-dessus je menaçai les docteurs de mes armes, et le marteau, non, le chicot, ou plutôt le chicot-marteau – car c’était le chicot d’un marteau – sortit de son trou avec un bruit de tremblement de terre.

Nick fit une pause, et puis il ajouta en secouant la tête:

– Jamais ensuite on ne m’en tira d’autres, car mon esquelette en fut terriblement ébranlé; et ça m’emporta un bon morceau du système nerveux, car, vous le savez, les chicots-marteaux sont plantés droit dans le système nerveux.

Pathaway ne manqua pas de remarquer le tact que déployait le trappeur pour lui détourner l’esprit de Sébastien; et pour porter les pensées de ce dernier vers un sujet plus agréable que celui qui le troublait évidemment.

– Votre blessure vous fait-elle donc beaucoup souffrir? demanda-t-il: d’un ton caressant et respectueux à la fois; car depuis l’étrange déclaration de l’Indien Joe, il éprouvait un violent désir de causer avec Sébastien, dont la voix, toujours claire, quoique basse, lui semblait de plus en plus mélodieuse.

– Vous vous inquiétez trop à cause de moi, répondit Sébastien, en faisant un violent effort pour être gai. Ce bon Nicolas m’a trop gâté. S’il s’était montré plus dur à mon égard et s’il avait voulu plus soigner ma réputation comme chasseur, je serais aguerri aux fatigues de la vie dans laquelle je suis né.

– Niaiserie! niaiserie! interrompit brusquement Nick. Je sais mieux que toi ce dont tu es capable. Tu peux voyager et pâtir de la faim aussi bien que nous, et mieux que nous, oui, oui, monsieur l’entêté, mieux que nous, c’est-à-dire que moi qui te parle.

– Sait-il trapper? demanda machinalement Pathaway.

– Trapper! Je voudrais vous voir trapper comme lui, répondit Nick avec onction. Il vous pose son pied sur le ressort d’une trappe, comme vous ne vous en douteriez jamais. Et crac! elle bâille, et ses doigts vous travaillent entre les mâchoires de la trappe, attachent l’appât, que c’est merveille!….. Il sait aussi où placer le piège, et le cacher dans le gazon. Vous seriez étonné, si vous voyiez le paquet de pelleteries que ce garçon-là a déjà ramassées, ô Dieu, oui!

– C’est, sans doute, aussi un bon tireur? continua le chasseur noir, qu’intéressait le zèle honnête de Nick.

– Il tire et frappe à toute distance. Un jour il a coupé en deux une plume placée sur la tête d’un Pied-Noir à cent verges de lui, rien que ça! Il avait un petit fusil, qui m’avait bien coûté cent dollars, mais il lui fut volé eu même temps que son cheval. Je vous ai raconté comment un coquin prit son animal, n’est-ce pas? C’était une bonne bête, ça m’a fait diantrement de la peine, oui bien, je le jure, votre serviteur!

Sébastien, qui marchait au milieu d’eux, chancela tout à coup, et il serait tombé si Pathaway ne l’eût aussitôt reçu dans ses bras. Malheureusement, dans sa précipitation, le jeune homme saisit l’adolescent par son bras blessé. La douleur que ressentit Sébastien lui rendit en partie l’usage des sens, car il rougit et une légère contraction plissa son visage mais il ne laissa pas échapper une exclamation.

Tandis que le chasseur noir soutenait son protégé, Nick courait à la rivière et y remplissait d’eau son casque.

Aussitôt revenu, le trappeur jeta quelques gouttelettes du frais liquide au visage de Sébastien, ce qui acheva de lui rendre la connaissance.

En tenant dans sa main le bras de Sébastien, Pathaway sentit quelque chose de tiède qui tombait sur ses doigts. Il s’aperçut avec effroi qu’ils étaient maculés de taches cramoisies.

La bande qui couvrait la blessure de l’adolescent s’était dérangée et le sang en sortait avec abondance, Nicolas le remarqua et parut embarrassé. Mais cet embarras dura à peine quelques secondes. Tirant vivement d’une poche mystérieuse une sorte d’étoffe jaunâtre, il lia le bras du blessé par dessus son capot.

Pathaway, mécontent de ce pansement incomplet, voulut le refaire avec plus de soin; mais Nick s’y opposa fermement en disant au chasseur noir:

– Oui bien, ce pansement est bon pour le moment, je le jure, votre serviteur!

– Mais non, mais non, insista Pathaway, le sang coule en telle abondance que dans quelques instants les forces feront défaut au blessé.

– Non, non, reprit l’opiniâtre Nick, les enfants ont toujours trop de sang, disait mon frère le docteur Whiffles.

Et il finit d’enrouler la bande par-dessus la manche du capot de Sébastien.

Joe s’était glissé furtivement près de Pathaway; il insinua, dans l’oreille du chasseur noir, plutôt qu’il ne prononça:

– Homme blanc pas croire Indien… homme blanc tient squaw par la main…

L’ouïe subite de Nick Whiffles perçut l’avis donné au chasseur noir bien avant qu’il n’y répondit.

– Te tairas-tu, vermine rouge!… ou sinon je t’écrase! oui bien je le jure, votre serviteur!…

L’Indien se refit muet et impassible; mais le jour, qui remplaçait le crépuscule, permit de lire dans ses grands yeux fixes, exempts de cillements comme ceux des grands carnassiers, qu’une sourde colère couvait en lui.

Toutefois Joe resta muet.

Un bruit lui était parvenu, aussi vague que celui des branches murmurant au loin entre elles ou que celui du cours d’eau rendu squameux par la brise. Ce bruit quelque léger qu’il fût, éveilla cependant la susceptible attention de l’Indien et de Nick.

En même temps, ils interrogèrent du regard l’étroit horizon qui les encerclait.

– C’est du côté où le soleil se couche, dit sourdement Nick à l’Indien, que tu les entends venir… Dieu, oui nous allons avoir une maudite petite difficulté; je vous le jure, votre serviteur.

Pathaway, Portneuf et Sébastien, s’étaient rapprochés, tandis que Jeanjean regardait tout et ne voyait rien.

– Qu’est-ce donc, père Nicolas? demanda craintivement l’adolescent.

– Rien de bon, petiot, non, rien de bon!…

– «O belle était la fille du trappeur,» fomenta inconsciemment André; d’une voix froide, comme celle d’un écho.

– Mais tais-toi donc!… dit entre ses dents serrées Nick Whiffles.

Et chacun d’eux retenait sa respiration pour mieux écouter.

Dans le silence qui les entourait tout bruit eût été perceptible; mais ils n’entendaient que le souffle de l’air et le frôlement de l’eau contre les pierres de ses rives.

– Allons-nous rester ici?… demanda le chasseur noir.

Au lieu de répondre, Nick fît un geste énergique pour de nouveau commander le silence.

– «O belle était la fille du trappeur,» jeta d’une voix éclatante le pauvre Jeanjean.

Portneuf, le plus rapproché de son ami, lui mettant une main sur la bouche, comprima la voix du chanteur.

A ce moment, une pierre, détachée du haut des roches par un pas furtif, celui d’un animal peut-être, rebondit sur la tête de Joe. Par ce heurt, tiré de la contemplation de ses pensées intimes, ses regards se portèrent en haut.

Rien d’insolite ne s’y montrait.

Mais, en observant autour de lui, le jeune Indien vit les yeux de Sébastien contemplativement fixés sur le chasseur noir.

Quelque empire qu’exerçât sur lui sa volonté, Joe eut un tremblement visible et ses dents se serrèrent à se briser.

Infortune et Maraudeur, plâtrés dans les hautes herbes que broutaient les chevaux, se levèrent; chacun des veilleurs vigilants se plaça près de Sébastien, éventant au loin, inventoriant et de l’ouïe et de la vue.

Soudainement averti d’où s’approchait quelque chose ou quelqu’un, Maraudeur, par une aspiration prolongée, sembla dire à son maître – «prends garde!…» – Que tu sens mon vieux!… demanda Nick au brave chien.

Ce fut un sourd grondement d’infortune qui répondit. Poussé du côté d’où le soleil dardait ses premiers feux, il indiqua aux aventuriers le point de mire à leur suspicion.

Peut-être n’était-ce que le souffle de la brise matinale, qui agitait les plantes et, les arbustes poussés au faîte de la muraille basaltique, on bien un oiseau inquiet pour sa couvée du voisinage d’un reptile? – Non… Qu’était-ce donc?… Rien encore de visible!…

Mais le danger s’avançait… un réel danger, puisque Nick Whiffles, sans mot dire, prit en mains sa longue carabine et l’arma, mit à la portée de sa dextérité ses pistolets et le bowie-knife, qu’il portait, comme tous les trappeurs.

Ce que voyant, Portneuf et le chasseur noir firent de même.

Joe resta, lui, à la même place, immobile, pensif et désarmé, tandis que Sébastien se mit au centre du groupe et tout près du Canadien. Malgré la douloureuse blessure de son bras, l’adolescent prit une flèche, la tint entre ses dents, tandis qu’il bandait son grand arc.

La violente tension imposée à son bras blessé en fit jaillir le sang, mais elle n’arracha pas une plainte à Sébastien.

Ainsi que les hommes, il attendait la venue du danger.

Une balle, partie de haut, une détonation formidable, dirent de quel point il était redoutable.

– Personne n’est blessé, oui bien, je le jure! dit le Ténébreux.

– Si, père Nicolas.

Et Sébastien s’élança bravement vers Joe, pour le secourir en voyant son sang couler abondamment de sa poitrine, traversé par une balle.

 

– Paix donc! fit sourdement Portneuf, attention!

Un arbuste duquel les branches s’agitaient à peine, devint le but des trois tireurs. L’oeil d’un sauvage ou d’un coureur des bois, seul, entre les oscillations de la feuillée, pouvait apprécier la présence d’un être humain, parce que dans les rameaux une plume se mouvait.

Trois gâchettes pressées, trois tonnerres répercutées par les échos s’éloignèrent, tandis qu’un corps tombait mort et mutilé sur l’herbe, croissant au pied du rocher noir.

– Et d’un… je vous jure, votre serviteur, compta stoïquement Nick Whiffles, en voyant le chef des Pieds-Noirs, portant encore ses sept plumes au crâne.

– Garde à vous, insista tout bas Pathaway, en mettant en joue; vise à gauche.

Et le canon de son fusil servit d’indicateur.

Joe tressaillit et pâlit sous son bistre: ses yeux de braise lancèrent des étincelles. Il avait vu flottant quelque chose de rouge au but indiqué par le chasseur noir.

Était-ce la crainte, la colère ou sa blessure qui faisait trembler le jeune Indien?… Qui le peut dire?… Sébastien peut-être, dont toute l’attention était condensée par lui. Il s’approcha cordialement de Joe, qui le repoussa brutalement.

– Squaw, laisse Joe mourir?… le grand Manitou le veut!

Et les yeux de l’Indien, élevés au ciel par cette impulsion commune à tous les êtres, eurent une si terrible vision qu’elle le terrassa, ce que n’avait point fait le plomb meurtrier.

En même temps, et de divers points, des coups de feu se croisèrent, du sommet du rocher noir, tirés sur ceux guettant à sa base; et ceux-ci répondant à ceux qui les assaillaient. C’était terrible…

– Touché!… dit sourdement Portneuf en tombant à genoux.

La joie de la vengeance assouvie fit se démasquer le capitaine Dick.

«Dieu aveugle toujours le criminel qu’il veut perdre».

– A toi, bandit! cria le blessé en tombant à genoux.

Et, frappé en plein front par la balle du Canadien, le chef des pirates de la ville hantée vint rouler à la place même où bourreau, implacable, il fit noyer la jeune femme qui le suppliait en vain!

– Justice de Dieu! s’écria Sébastien, c’est là qu’il vient mourir!…

Seul, Joe entendit l’adolescent.

– Visage pâle, cria-t-il en faisant un suprême effort pour s’élancer vers le chasseur noir, garde toi! garde toi!

C’était Bill Brace qui se glissait comme un serpent, par une fente du rocher, du côté opposé à celui d’où étaient partis les premiers coups de feu.

Bill Brace eût pu tuer Pathaway à bout portant sans l’avertissement de l’Indien.

Prompt et souple comme un félin, le chasseur noir se jette de côté, esquive la balle du bandit, l’ajuste et lui brise l’épaule droite.

La rage de l’impuissance au coeur, Bill Brace laisse choir sa carabine de son bras droit mutilé; mais de la main gauche, il décharge son pistolet sur celui qui l’a vaincu une première fois, et qu’il ne sait atteindre…

La vue du sang, les détonations, ont rappelé l’esprit égaré d’André Jeanjean. L’honnête trappeur regarde, étonné d’abord, autour de lui; puis, se saisissant de l’arme du bandit, encore chargée d’un côté il met en joue, et la balle meurtrière atteint Bill Brace en plein corps… il tombe, vociférant, hurlant, et sans courage, attendant la mort…

Les yeux de Bill Brace rencontraient ceux de Joe, il cria:

– Grâce!… grâce!…

– Pourquoi le bandit demande-t-il grâce à l’Indien?… Pourquoi!… La vie des Outlaws a des mystères insondables…

– Achève cette cagne, ou je t’achève, oui bien je le jure, votre serviteur! dit à Pathaway Nick Whiffles en tombant à côté de lui, comme la pierre que lançait la baliste.

Le Ténébreux, agile et subtil comme le lynx, s’était hissé au sommet sourcilleux à la poursuite d’un Pied-Noir, et quatre plumes avait servi de gaine à la lame altérée du bowie-knife du Ténébreux.

Cela s’était fait vite et sans bruit.

Point ne fut nécessaire que quelqu’un achevât Bill Brace… pris d’un hoquet sanglant, durant quelques instants il se tordit dans d’horribles convulsions, et puis, masse inerte, mais horrible, il resta les poings crispés et menaçants sur l’herbe ensanglantée.

Quatre dos bandits étaient là gisants… desquels le capitaine Dick et le chef des Pieds-Noirs… C’était un résultat immense, non-seulement pour ceux desquels nous avons suivi les luttes, mais pour tous les trappeurs Nordouestiers.

Et le soleil radieux épanchait ses chauds rayons sur ce sombre tableau… lorsqu’un grognement d’impatience de Maraudeur fouetta de nouveau la surveillance de Nick Whiffles, qui reprenait baleine.

– Encore une maudite petite difficulté, oui bien je vous le jure! votre serviteur! Maraudeur a l’oreille fine, ô Dieu, oui!

– Non, c’est Bruin, répliqua le chasseur noir; il vient sans doute savoir si le ciel est dégagé des nuages orageux que Multonomah y voyait hier soir.

C’était bien en effet l’Ours gris qui descendait lentement et sans bruit par l’anfractuosité qu’avait déjà suivie Ténébreux.

Un soupir, plutôt une plainte qu’un soupir, arraché à Joe par la souffrance, attira Sébastien près de lui. L’Indien, épuisé par deux blessures, s’affaissait sur lui-même privé de sentiment. La main droite convulsivement crispée sur sa poitrine semblait y comprimer un douloureux secret.

Prenant le casque de Bill Brace, qu’il trouvait à portée de sa main, Sébastien s’élança pour puiser de l’eau et secourir l’Indien Joe.

Mais, horrible! horrible vision!… il vit, réfléchie par le miroir liquide au-dessus duquel il se penchait, non point l’image de la pâle jeune femme noyée par le capitaine Dick, mais la sinistre silhouette de Jack Wiley.

Immobile et caché comme un carcajou, Wiley choisissait prudemment la proie le mieux à sa portée… n’importe lequel des quatre hommes.

Se relever, sans hâte, sans lever la tête, saisir le bras de Nick

Whiffles et lui dire sans voix, mais seulement des lèvres:

– Au-dessus de nous, visez vite et bien… Wiley nous guette.

Prompt comme la pensée, Nick ajuste un coup de roi, presse la gâchette, et Wiley tombe comme un bloc détaché du rocher noir.

En même temps l’Ours gris s’approche de Nick Whiffles. Et reprenant son contre-pied, Ténébreux le suit par le chemin des antilopes qui l’avait amené…

Attaque et défense avaient duré peut-être le quart d’une heure; mais c’était suffisant pour ôter la vie à cinq créatures de Dieu et pour épuiser les forces de deux blessés.

De ceux-là, Portneuf, adossé contre un rocher, perdait son sang à flots par sa jambe brisée, malgré les efforts de Jeanjean pour arrêter l’hémorrhagie.

Le Canadien restait inanimé, le pouls éteint, les yeux clos, la bouche entr’ouverte et sans haleine.

Pathaway le crut mort.

– Pauvre diable! dit-il à André Jeanjean, pour peu de jours nous l’avions sauvé des terreurs de la ville hantée!

– La mort revient toujours à la charge contre ceux qu’elle a une fois flairés de près, répondit André, qui contemplait stoïquement son ami.

– Je voudrais le secourir encore!… mais que faire?

Et, ce disant, le chasseur noir cherchait autour de lui Nick Whiffles, l’homme au coeur d’or et d’imperturbable sang-froid.

Ce fut Multonomah qui répondit, comme une apparition, à ce tacite appel.

– Le grand esprit a dit à Multonomah: «Guéris visage pâle». Homme blanc, viens.

Et le chasseur noir suivit docilement le Shoshoné.

Lorsqu’ils revinrent, munis du dictame cueilli par le sauvage, Sébastien était agenouillé près du Canadien, étendu sur une civière improvisée.

Portneuf, mourant, baisait avec amour le visage de l’adolescent.

Les sanglots de celui-ci ébranlaient sa poitrine à craindre qu’elle ne se rompît.

– O père! père! vivez pour votre enfant!…

Et de nouveaux sanglots arrêtèrent l’ardente et suprême prière de Sébastien…

Le Shoshoné toujours froid et réfléchi tandis qu’il lavait et sondait la blessure du Canadien:

– Mon frère, le visage pâle, marchera avant que trois fois les lunes n’aient changé.

Et il retira la balle et les esquilles qu’elle avait faites. Les plantes cueillies par Multonomah, broyées entre deux granits, le suc de ces plantes répandu sui la plaie, il la recouvrit ensuite avec la pulpe des simples; enveloppant le tout d’un tissu fourni par Nick Whiffles, le docteur de la nature consolida l’appareil à l’aide de filaments et de terre blanchâtre.