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Le chasseur noir

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Brace, haletant comme une machine à vapeur, proféra un horrible juron et se rua contre le chasseur qui, glissant agilement sous le bras du bandit, lui asséna un coup formidable au-dessous de l’oreille droite. Le blessé fléchit comme un boeuf à l’abattoir et roula à terre. Mais, bientôt relevé, il revint à la charge avec une furie et une violence terribles.

C’est alors que le chasseur noir déploya ses étonnantes ressources de pugiliste. Parant les coups avec adresse, il les portait avec une dextérité et une vigueur qui jamais ne faisaient défaut.

Le visage du trappeur ne fut bientôt plus qu’une masse de chairs pantelantes et saignantes. Il tombait à tout instant, et se remuait déjà avec difficulté, lorsque Pathaway l’acheva par un coup sous le menton.

Bill Brace roula sur le sol.

– Ainsi je punis l’impudence, dit le chasseur.

Puis, se tournant vers Joice et Beck:

– A qui le tour? ajouta-t-il.

Brace recouvrait ses sens.

Il essaya de se mettre sur pied, en hurlant d’impuissantes imprécations. Mais, trop faible pour se tenir debout, il retomba avec une telle faiblesse que toutes les jointures de son corps en craquèrent.

Cédant alors à une rage indicible, il s’écria:

– Vos couteaux, camarades! Hachez-moi ce gredin en chair à pâté. C’est le diable! – le diable en personne, Ben Joice. Sers-lui du baume d’acier, Zene Beck, et je serai ton débiteur pour la vie.

Prompt comme la pensée, Pathaway passa la main derrière son cou et en tira une de ces armes terribles qui portent le nom du célèbre combattant texien, – Bowie le brave, l’intrépide, l’audacieux!

La lame brillante étincela et réfléchit les rayons de la lune comme les facettes d’un diamant:

Joice et Beck sortirent de leurs mitasses des armes semblables, et ils se précipitaient sur le chasseur, avec des cris forcenés, quand ils furent arrêtés par l’attitude déterminée du gladiateur.

– Pourquoi hésiter, poltrons? leur dit-il. Venez-donc! le mangeux de lard, vous apprendra comment on se sert de ce joujou.

Et il montrait son large coutelas.

– N’ayez pas peur, quoique ce soit le diable, grommela Brace d’une voix caverneuse.

Honteux de leur incertitude, Joice et Beck marchèrent sur Pathaway, qui les attendait imperturbablement.

Ils fondirent en même temps sur lui.

Mais, les évitant aussi lestement qu’il l’avait fait dans sa rencontre avec Brace, il laboura le bras droit de Joice avec son couteau.

Ce misérable laissa échapper son arme.

Au même moment, une flèche atteignit Beck à l’épaule et les deux chiens, Maraudeur et Infortune, lâchés par Sébastien, chargèrent vigoureusement les trappeurs, tandis qu’une voix criait à quelque distance:

– Qu’est-ce que c’est que ça? qu’est-ce que c’est que ça? Encore une maudite petite difficulté, je le jure, ô Dieu, oui!

V. LA HUTTE

Un personnage de haute stature apparaissait à quelques pas. Derrière lui marchait un individu moins grand, mais plus large des épaules.

Le premier était notre ami Nicolas.

Son interpellation fit suspendre aussitôt les hostilités.

Cependant les chiens s’acharnaient après Bill Brace, et pour refroidir leur ardeur Nick dut user du pied.

– La paix, Maraudeur! A bas, Infortune! Que diable s’est-il passé ici? On se bat, ô Dieu, oui! Quel est ce matin étendu sur l’herbe? Il a la figure d’une pomme pourrie, je le jure, oui bien, votre serviteur! D’ordinaire, il ne doit pas être beau garçon, dame non! mais comme ça faut avouer qu’il a la plus vilaine tête qu’on puisse imaginer. Je ne crois pas que, dans tous ses voyages à travers l’Afrique centrale, mon grand-père ait jamais rencontré un pareil échantillon de nature humaine, quoiqu’il ait vu des nègres, rouges comme l’écarlate, des singes qui parlaient et des sapajoux qui faisaient l’exercice militaire, avec leurs maréchaux, généraux et caporaux… oui bien, je le jure, votre serviteur!

A la voix de leur maître les chiens se turent, Nicolas se tourna alors vers Pathaway, et commença à l’examiner avec une attention toute philosophique quoique peu courtoise assurément.

– Étranger, dit-il ensuite, vous avez tapé ferme sur ce gaillard-là; je ne sais ni le commencement ni la fin de votre histoire, mais je crois que la justice est de votre côté.

– C’est aussi mon opinion, répliqua le jeune homme. Il fallait me défendre ou me laisser voler. J’ai préféré me défendre, et ce bandit a reçu une leçon qu’il n’oubliera pas de longtemps, j’espère.

– S’il l’oublie, c’est qu’il a la mémoire courte, répliqua Nick, en regardant Bill Brace dont le visage s’était tellement enflé qu’on avait peine à distinguer ses traits.

– Je l’ai ménagé autant que j’ai pu, dit Pathaway.

– Ma foi, monsieur, reprit le trappeur émerveillé, on ne dirait pas que vous êtes capable de remuer une pareille masse de chair. Mais vous l’avez prodigalement servi, ô Dieu, oui! je vous en fais mon compliment. Quant à lui, il ne paraît pas qu’il vous ait touché. Qu’a-t-il, donc fait?

– Parlé plus qu’agi, répliqua simplement Pathaway.

– Vous êtes un luron, monsieur, oui bien, je le jure, fit Nick. Au surplus, vous ressemblez comme deux gouttes d’eau à mon oncle. L’avez-vous connu, mon oncle l’historien? Trait pour trait, c’était vous. Il avait la même taille, seulement un peu plus courte. Son bras droit c’était le vôtre, quoique un peu plus long. Ses jambes avaient, Dieu me pardonne, une similitude complète avec celles sur lesquelles vous êtes juché, pourtant elle n’étaient pas aussi droites. Il me semble qu’il cageottait, mon grand oncle l’historien. Sa physionomie était plus ouverte que la vôtre, parce que sa bouche était plus large. Il possédait un nez remarquable, mon oncle. Je n’en ai jamais rencontré un pareil avant le vôtre; mais j’ai idée qu’il était un peu plus gros, étranger… Oui un peu plus gros, étranger… Je l’ai vu une fois, illuminé par les rayons de la lune et je vous garantis que ça avait l’air d’une meule de foin. Ah! quel organe c’était que le nez à mon oncle l’historien! Du reste, ce nez il était dans sa branche d’affaires, car, étant historien, il vous sentait les faits à dix siècles de distance… et même plus…

Le chasseur noir sourit.

Son visage ne présentait plus une seule trace d’excitation. L’expression en était agréable. Ses muscles qui avaient été aussi rigides que des barres d’aciet s’étaient relâchés de leur tension anormale, et paraissaient aussi flexibles que ceux d’une femme. L’esprit du gladiateur s’était éteint dans ses yeux. Ce n’était plus un vengeur implacable et sans pitié, mais un jeune homme bon, à l’air doux et avenant.

Il avait adroitement caché son arme et remettait son habit noir.

Les autres témoins de cette scène demeuraient silencieux.

Ben Joice se glissa sournoisement vers le compagnon de Nick qui, dès son arrivée, lui avait fait divers signaux télégraphiques.

– Eh! pourquoi diable ne parlez-vous pas, Jack Wiley? dit Nick. Est-il besoin de faire ainsi des mouvements de main et de bras, comme un muet! Est-ce que vous avez honte de notre compagnie? Vous n’avez pas oublié vos vieilles connaissances, n’est-ce pas?

– Non, répondit alors Wiley à Joice, en parlant à voix basse, la main à demi collée sur sa bouche.

– Non, que diable veux-tu dire? fit brusquement Ben.

– N’as-tu pas le sens commun? reprit Wiley sur le même ton. Je ne veux pas que tu me reconnaisses devant ces gens-là. Ce grand blagueur doit être veillé de près; tu entends? Il prétend que les Indiens l’appellent Ténébreux, et je t’assure qu’il est rusé. Je ne serais pas surpris qu’on l’eût envoyé pour nous guetter, bien qu’il m’ait rendu un bon service. Ne ma parle pas trop.

Nick, avec sa subtilité habituelle avait observé ce qui se passait, et deviné que Wiley et les autres trappeurs étaient des oiseaux de même plumage.

– Jeune homme, dit-il, en s’adressant au chasseur noir, vous n’avez plus affaire ici, m’est avis que vous feriez aussi bien de venir avec moi. Ces gibiers-là ne vous veulent pas grand bien. Le plus vite vous aurez quitté leur compagnie sera le mieux.

– J’accepte volontiers votre offre, répondit Pathaway.

– Alors, Jack Wiley, si vous voulez venir avec moi, il est temps de laisser cette bande de gueusards. Ils sont d’humeur trop libre pour que j’aime à rester avec eux.

Bill Brace se mit sur son séant, et se penchant contre Joice, lâcha un torrent d’invectives et de menaces, dans ce langage mêlé d’indien, d’anglais et de français, qu’en ne peut entendre que dans le Nord-ouest, parmi les trappeurs livrés à tous les excès d’une vie désordonnée.

– Bill Brace a la mémoire d’un Indien, hurlait-il. Tu as mis un tison enflammé sous le nez de l’Ours gris, mais il s’en souviendra, mon petit.

– Il me semble qu’il l’a touché avec quelque chose de plus dur qu’un tison enflammé, fit Nick.

– Je suis un trappeur, un Indien! continuait Bill en montrant le poing. Oui, Indien, plus Indien que trappeur.. Houah! houp! J’aurai ton sang,, mangeux de lard. Je te suivrai, jour et nuit. C’est moi qui suis Bill Brace et je te défie de dire que tu m’as battu. Tue-le, Jack Wiley, tue-le et je te donnerai cent peaux de castor. Où sont vos pistolets, reptiles? Je… je… je me sens faible. Un peu d’eau, Ben. Ma tête est tout à l’envers. Soutiens-moi ou je tombe!…

En prononçant ces mots il se laissa aller à demi évanoui sur son compagnon.

– Où est Sébastien, où est Sébastien? demanda Nick, en se tournant tout à coup.

Maraudeur s’élança vers un massif de jeunes pins et se mit à aboyer. Nick suivit aussitôt le chien. Il trouva le jeune garçon étendu presque insensible, et tenant son arc à la main. Le trappeur le prit tendrement dans ses bras.

– Pauvre enfant! pauvre enfant! murmura-t-il. Il a assisté à un terrible spectacle, et ça a été trop fort pour ses nerfs.

 

S’adressant ensuite à Pathaway:

– Il n’est pas bien robuste, voyez-vous, monsieur. D’ailleurs sa santé cloche depuis quelques jours. La rougeole, vous savez?

Un sourire glissa sur les lèvres du chasseur noir. Mais jetant, en ce moment, un regard sur le visage de Sébastien, il conçut pour lui une vive sympathie.

– C’est un Bois-brûlé! exclama-t-il.

Nicolas ne parut pas charmé de la découverte

– Qu’il soit Bois-brûlé ou n’importe quoi, c’est un bon garçon, dit-il un peu brusquement. Il est brave, doux, obligeant; je l’aime, moi. S’il a les membres délicats, ils se développeront avec le temps, je vous la dis, et il deviendra aussi vaillant qu’un chef comanche, je parle. Son système a l’air un peu désorganisé, mais qu’est-ce que ça prouve? il n’est pas poltron, pour ça, ô Dieu, non, je le jure, votre serviteur!

– Est-ce que vous seriez son père ou son oncle? interrogea Jack Wiley, en ricanant.

– Je suis son père, et il est mon fils, n’allez-pas me contredire, répliqua sèchement Nicolas.

Sébastien commença à reprendre ses sens. Il ouvrit sur le trappeur ses grands yeux, doux, rayonnants d’intelligence, et un tressaillement courut partout son corps.

– N’y pense plus, n’y pense plus, enfant, dit Nick; c’est passé et il n’y a personne de tué. Peut-être quelqu’un serait-il mort, si ses blessures eussent été mortelles, mais elles ne l’étaient pas. Courage, il arrive de ces choses-là tous les jours! Seulement tu ne les vois pas.

– Qu’est-il arrivé, Nicolas? demanda-t-il d’un ton dolent.

– Rien de bien considérable; non, rien de bien considérable, je t’assure; une partie de coups de poing qui a causé une damnée petite difficulté à l’un des joueurs, voilà tout. Mais comment te sens-tu, maintenant, mon cher enfant?

La voix de Nick était pleine de sollicitude. Le jeune garçon lui plaça ses mains sur les yeux et les y tint un instant.

Pathaway le considérait avec autant de pitié que d’admiration; car ses petites mains mignonnes semblaient moins faites pour la vie incivilisée que pour la vie de salon.

– Joli garçon! joli garçon, murmura-t-il; mais trop efféminé pour ce genre d’existence. Il faudrait le renvoyer à son foyer natal, sur les bords de la rivière Rouge.

– Peux-tu marcher, à présent? fit Nicolas.

– Je le crois, répondit Sébastien au trappeur, qui poursuivit en s’adressant à Pathaway:

– Ah! monsieur, c’est un si rude marcheur quand il est en bonne santé! Il monte aussi à cheval comme un singe, et moi qui vous parle je n’ai pas encore rencontré de cheval capable de le démonter. Il descend d’une famille aristocratique et n’a pas été élevé au travail comme les enfants de son âge. Son père était un comte français, un duc anglais ou un prince russe déguisé, ou quelque chose d’approchant. Je ne me rappelle pas exactement le titre. Sa mère était une demi-sang de très-haute race, le plus beau spécimen de femme qu’on pût voir….. – Mais comment vas-tu, mon Sébastien? Si tu ne peux te tenir sur tes jambes, je te porterai. Ça me va, à moi, de porter les enfants comme toi, en haut des montagnes.

– Non, non, j’irai bien tout seul, répondit Sébastien, dont les regards se fixèrent pour la première fois sur le chasseur noir, et qui rougit comme une jeune fille.

– Qu’est-ce encore, petiot? Ne vas pas t’évanouir encore.

Ensuite à Pathaway:

– Il a été sujet à ces attaques depuis qu’il a eu la coqueluche, il y a deux ans au plus. Il ne s’en est pas bien tiré, car cette diablesse de toux lui est tombée dans les jambes, croiriez-vous ça? Tout le village a eu la coqueluche et a toussé tant et si rudement que tous les Indiens du pays ont pris leurs talons à leur cou. Cette maladie-là ne devrait pas être tolérée du côté septentrional des montagnes Rocheuses, ô Dieu, non!

Nick, tout en faisant ces excuses et ces explications, souleva le jeune garçon sur son bras gauche, et lui versa un peu de whiskey dans la bouche. Le liquide ardent brûla la gorge de Sébastien, et produisit un paroxysme de strangulation, qui, quoique dangereux, eut pour résultat de ranimer complètement ses sens.

Il sourit et déclara qu’il était mieux.

– Comme de raison, répondit Nick, avec sa bonhomie habituelle. Il ne faut rien dans le monde que l’apoplexie qui n’est sérieuse que quand vous l’avez eue quelquefois. Mon frère, le docteur Whiffles, avait coutume de la guérir sans difficulté avec le précipité rouge et l’ocre jaune.

– Ce n’est pas un remède commun, fit remarquer Pathaway.

– Non, ce n’était pas un remède commun. Il n’était connu de personne que de mon frère, et le secret est mort avec lui. Je vous raconterai un jour ou l’autre comment il a fini, mon frère le docteur. – Ah! les jarrets fléchissent encore, mon Sébastien; mais l’usage les rendra plus torts et plus longs aussi. Appuie-toi sur moi et n’aie pas peur de me fatiguer.

– Une voiture et une nourrice lui conviendraient mieux, grimaça malicieusement Wiley.

– Je connais des gens qui ont besoin d’une charrette et d’un bourreau, quoique je ne veuille pas dire que j’en aie vu ce soir, riposta Nick.

– Vous savez que les enfants doivent souper et se coucher de bonne heure, fit Jack comme s’il n’eût pas remarqué l’allusion du trappeur. Pour moi, je n’aime pas les garçons qui pâlissent comme des filles à la vue du sang. Ce n’était pas comme ça, avant que les établissements fussent aussi près et aussi nombreux.

– Tout change, dit Pathaway. Il y a des francs trappeurs qui ne sont pas ce qu’ils devraient être.

– Je n’ai pas envie de me quereller avec vous, monsieur, grommela Jack

Wiley, en jetant un regard de défi au chasseur noir.

Celui-ci ne daigna pas relever l’invective.

On arrivait sur le plateau, et tous entrèrent dans la cabane de Nick.

Le feu fut promptement renouvelé, et, à ses brillantes clartés, nos gens purent s’examiner plus à leur aise.

Les yeux de Sébastien s’arrêtèrent complaisamment sur Pathaway dont les regards le cherchaient souvent aussi avec un indéfinissable intérêt.

Le souper fut préparé et mangé avec un appétit, aiguisé par de longues courses à travers les montagnes.

Jack Wiley dévora, non-seulement sa portion, mais il empiéta sur la part de ses voisins. Il avait la faim d’un ours resté longtemps sans nourriture et il engloutissait, avec une facilité prodigieuse, les quartiers de bison rôti.

D’abord Sébastien ne fit pas à cet individu l’honneur d’une grande attention; mais quand les lueurs du brasier éclairèrent les physionomies tous deux échangèrent des regards singuliers. Chez le premier il y avait la terreur; chez Jack Wiley c’était une curiosité vague et inquiète.

Ayant fini de manger, le chasseur noir se jeta négligemment sur une peau de buffle que son hôte lui avait préparée.

Wiley alluma une pipe et s’étendit dans un coin pendant que le jeune garçon s’enveloppait timidement d’une couverte écarlate et se couchait dans la partie la plus sombre de la hutte.

Soit par hasard, soit avec intention, Nick se plaça entre Sébastien

Delaunay et ses hôtes.

VI. LA VALLÉE DU TRAPPEUR

Au bout d’une heure, tout sembla reposer dans la cabane du trappeur.

Alors, Jack Wiley ouvrit les yeux, souleva sa tête, contempla un instant les dormeurs, puis il se mit sur son séant, s’allongea et se coula aussi doucement que possible hors du logis.

Maraudeur s’était bien éveillé à demi; mais ne croyant pas qu’il fût à propos de contrarier l’hôte de son maître, l’honnête animal reprit le cours de ses rêveries canines.

Sorti de la cabane, Wiley traversa rapidement le plateau et aperçut le cheval de Nicolas qui paissait voluptueusement l’herbe tendre.

– Vilaine bête, mais qui doit avoir de bonnes qualités, pensa Jack. Sa crinière est pas mal raide. On dirait un buisson d’épines, mais ça vous a des jambes taillées pour la course. Elles sont lisses, propres et parfaites aux attaches. J’aime cette croupe, cette petite tête, et cette gracieuse encolure. Ma foi, ce ne serait pas bien de laisser là ce quadrupède. Il est vrai que son propriétaire m’a rendu un petit service, mais les affaires sont les affaires et l’amitié n’a rien à y voir.

Quoique Jack louchât supérieurement, ses regards parvinrent, cette fois, à se concentrer avec ardeur sur le coursier de Nick.

– Décidément, il me va! murmura-t-il.

En déboutonnant sa chemise de chasse, il en tira une forte lanière de cuir qu’il avait enroulée autour de son corps.

Ensuite il s’approcha de l’animal qui continuait paisiblement son régal, et lui ajusta la lanière autour du cou.

Ayant réussi au delà de ses voeux, Wiley sauta sur le dos de l’Hérissé qui, loin de faire de la résistance, marcha volontiers à une cinquantaine de verges plus loin. Mais arrivé à cette distance le cheval s’arrêta court, s’appuya sur ses jambes de devant, logea sa tête entre elles, et, lançant en l’air son arrière-train, vous envoya l’écuyer mesurer la surface plane.

Jack tomba sur le nez, avec une violence qui fit danser trente-six chandelles devant ses yeux. Pendant quelques minutes il ne vit rien que du feu au milieu duquel voltigeait un cheval enragé.

Pas fort loin de cette scène, il y avait un homme qui riait de bon coeur, je vous assure.

C’était Nick Whiffles.

Son sommeil avait été aussi léger que celui de l’ingrat trappeur. En le voyant partir, il s’était levé et l’avait suivi.

Lorsque Wiley enfourcha l’Hérissé, Nick fronça les sourcils; c’est que, s’il se souciait médiocrement de la reconnaissance, il tenait à son bien, surtout quand ce bien était un cheval favori.

Revenant donc promptement à la hutte il saisit ses armes, poursuivit le voleur et arriva juste au moment où l’Hérissé venait de lui faire baiser notre mère commune.

– Bravo! se dit Nick, avec un véritable orgueil. Je ne lui aurais jamais pardonné s’il ne s’était pas comporté ainsi, oui bien, je le jure, votre serviteur! Eût-ce été juste de se laisser prendre par cette vermine, qui tombera quelque jour dans une maudite petite difficulté, si la providence n’amende pas sa diablesse de mauvaise nature. Le traître! le renégat! Oublier ce que j’ai fait cette nuit pour lui! Il mériterait d’être pendu, et je vous dis qu’il ne sera jamais mieux qu’au bout d’une corde.

Cependant Jack Wiley se remettait de sa chute:

– Voilà donc, grommelait-il en s’étirant et se frottant le visage, voilà donc quelques-uns des tours que cette, grande perche de trappeur lui a appris. Ah! mon brigand, je te corrigerai de ces manières-là quand nous serons dans les montagnes. Allons, reste en repos. Tu ne recommenceras pas si facilement cette fois.

Et il se replaça sur le dos de l’Hérissé, dont la mauvaise humeur semblait s’être dissipée.

– Encore dessus, ô Dieu, oui! pensa Nick. Eh bien, s’il peut s’y tenir, je le lui donne cet imbécile de l’Hérissé. Je ne veux pas avoir un cheval qui se laisse mener par un pareil vaurien, moi!

Tandis que Nick se livrait philosophiquement à ce soliloque, l’Hérissé fournissait à Wiley des preuves incontestables de son éducation.

Après trois ou quatre plongeons vers le sol, il se dressa sur les pieds de derrière, décrivit une mirifique pirouette, se jeta à droite, puisa gauche, et finit par se renverser et se rouler sur le dos.

Si le cavalier eût été moins agile, il ne s’en serait pas tiré sans quelques os cassés; mais il en fut quitte pour des meurtrissures et des contusions.

– Je ne céderai pas d’un point, et si je puis te monter, je te conduirai, exclama Jack furieux en s’avançant pour reprendre le bout du lazzo qui balayait la terre.

L’Hérissé, qui n’était peut-être pas rusé comme le serpent, mais qui avait toutefois la finesse que son maître avait pu lui donner, voulut, sans doute, déployer toutes ses qualités, car, tournant soudain les talons à son triste admirateur, il lui planta ses deux sabots en pleine poitrine et le laissa là, marqué d’une double demi-lune.

Si la force du coup n’eût été à moitié perdue avant d’atteindre Jack, bien sûr que le coquin n’aurait plus, jamais de sa vie, lancé un lazzo au cou d’un cheval.

Accroupi sur le gazon Nick Whiffles s’abandonnait de tout coeur à un de ces bons rires silencieux qui nous prennent parfois et qu’il est impossible de décrire avec la parole ou la plume.

Après cet exploit, l’Hérissé se remit à brouter l’herbe en traînant la lanière sous ses pieds.

Wiley se tordait dans des convulsions, comme un homme souffrant les douleurs purgatoriales de la colique bilieuse.

Au bout de cinq ou six minutes il se releva néanmoins, en marmottant des imprécations et se dirigea vers le lieu qu’on appelait la Vallée du Trappeur perdu.

 

– Je ne m’étais pas beaucoup trompé sur son caractère, dit Nick en se mettant, de suite, sur la piste de Jack Wiley. Il y a en moi quelque chose qui me dit toujours quand on ne doit pas se fier à un homme. Je l’ai retiré comme un tison du bûcher, et je ne sais pas si j’en suis vraiment fâché. Pourtant je suis fâché qu’il y ait tant de noire ingratitude dans le monde, ah Dieu, oui! Mais, peuh! je m’en fiche, comme d’une cartouche brûlée. J’accepte le monde comme je le trouve, moi. C’est un bon monde, aussi bon qu’a pu le faire le Maître de la vie, car je sais que, lui, il est si bon qu’il en ferait un meilleur s’il le pouvait. Il y a dedans de mauvaises gens, ô Dieu, oui; mais, bast! tout finira par bien aller… – Diable, où va ce chenapan?

Comme il n’y avait personne pour répondre à la dernière interrogation du trappeur, il fut obligé de s’enfoncer dans les conjectures, tout en suivant son voleur. Après avoir trotté par monts et par vaux, Nick atteignit enfin une éminence dominant la vallée du Trappeur perdu, tandis que Jack Wiley descendait la versant de la colline vers la Porte du Diable.

– Il ne paraît pas aussi effrayé des fantômes qu’il l’était, il y a deux ou trois heures, se dit Nicolas. Je crois bien être sur la trace de ceux que j’ai déjà cherchés. Je pénétrerai enfin le mystère; on pénètre toujours les mystères quand on cherche. On a l’oeil à vous, mon gentilhomme, n’ayez peur. Il n’y a pas de mal à reconnaître la compagnie que vous fréquentez et peut-être ça rapporte-t-il gros. Pressons-nous, car le jour approche, et m’est avis que ce n’est pas un lieu sûr à explorer quand le soleil luit.

Le terrain qu’ils parcouraient alors était coupé par d’effrayantes fondrières, des roches détachées, d’énormes masses de granit tourmentées.

Partout on rencontrait des vestiges des convulsions volcaniques, qui, à une époque reculée de l’histoire du monde, avaient ébranlé les montagnes jusque dans leurs fondements et épanché, à la surface de la croûte terrestre, des torrents de roches fondues et de minéraux.

Souvent Wiley disparaissait à la vue, perdu qu’il était par les inégalités du sol. Nick n’en continuait pas moins sa chasse avec cette patience stoïque qu’on lui connaît.

Ils se trouvèrent bientôt près de la vallée et Wiley s’éclipsa tout à coup derrière un gigantesque portique de roc.

– Parfaitement nommé, murmura Nicolas, en examinant avec intérêt ce phénomène naturel. Si ça ne ressemble pas à la porte du diable je ne m’y connais pas.

Les deux côtés de cette porte étaient composés de puissantes colonnes de basalte, qui, s’inclinant l’une vers l’autre, se joignaient au sommet.

A droite et à gauche, d’autres piliers, de même formation, les uns plus gros, les autres plus petits, et entrelacés de projections rocheuses, se dressaient en étroit réseau, ne laissant qu’une entrée principale à la région mystérieuse appelée la Vallée du Trappeur perdu.

La curiosité de notre ami Whiffles était aiguisée à ce point, qu’il n’aurait pas voulu battre en retraite, si dangereuse que pût être son entreprise. Il accéléra même le pas et arriva sous le porche titanique.

La silhouette de la ville hantée se déchiquetait devant lui.

Néanmoins des blocs de rochers barraient le passage. Nick en longea le contour et se trouva dans les ténèbres. Il lui sembla pénétrer dans une région souterraine.

L’air y était glacial, imprégné de vapeurs humides; le pied se posait sur un sol mou, visqueux. Whiffles n’en allait pas avec moins de fermeté, mais il fit un faux pas et tomba dans la vase.

Un corps froid et gluant qui passa alors contre son visage lui apprit que le lieu était fréquenté par des reptiles.. Se relevant avec vivacité, le trappeur essaya de se reconnaître au milieu de la noirceur qui l’enveloppait.

Ce lui fut impossible.

Un autre eût abandonné l’aventure; mais, comme

Napoléon, Nick avait foi en son étoile. Ayant échappé à tant de périls, il doutait sérieusement qu’un malheur réel pût lui arriver.

Son esprit, étrangement constitué, avait acquis une si vigoureuse croyance dans une providence protectrice que la crainte du mal le gênait rarement, si jamais elle l’effleurait.

Après bien des difficultés, il atteignit une place où il pouvait distinguer un coin du ciel, à travers de gros arbres qui confondaient leurs rameaux à la cime des rochers.

Un bruit mêlé de sifflements et de mugissements frappa l’oreille de Nicolas. Il s’arrêta, écouta, et, incapable de préciser la cause du son, marcha dans sa direction.

Ce bruit était produit par une source d’eau chaude, qui lançait à plusieurs pieds de hauteur ses gerbes noyées dans des nuages de vapeur bleuâtre.

Quoique Nick ne fût pas superstitieux, ce spectacle l’impressionna.

Qu’est-ce qui lui prouvait que les traditions des Peaux-rouges ne fussent pas vraies? Il avait vécu et communié avec la Nature, – cela pendant près de quarante années, mais la connaissait-il entièrement? N’y avait-il pas quelques-uns des secrets de cette féconde mère qui eussent échappé à la perception du hardi trappeur?

Il ne l’avait pas vue à nu; il n’avait palpé que ses formes extérieures. Il pouvait y avoir, et il y avait des arcanes inexplorés par le brave homme. Sans doute, ce n’était pas du lait qui coulait dans ses veines. La poltronnerie et lui n’avaient jamais couché sur la même peau de buffle, comme il disait si énergiquement. Mais il y a un régulateur prudent et vigilant qui gouverne le mécanisme intime de l’individu, quand les sauvegardes ordinaires lui manquent.

Nicolas sentit un frisson courir dans ses artères.

Il était vraiment mal à l’aise et tourna la tête, dans l’intention, ma foi, de rétrograder.

Mais alors, il crut s’apercevoir qu’il n’était pas seul dans le tunnel. C’était comme un grincement, le grattement d’un chien ou d’un gros animal grimpant sur les rochers.

L’obscurité était trop grande pour permettre de voir; aussi Nick se sentit-il d’autant plus anxieux de savoir à quelle sorte de compagnon il allait avoir affaire.

Il avait naturellement bonne vue. S’habituant peu à peu à l’obscurité, il finit par distinguer un corps long et noir qui marchait en ligne parallèle avec lui. Whiffles supposa que c’était une personne qui rampait sur ses mains et ses genoux; il ramassa une petite pierre et la jeta à cet objet.

Un grognement menaçant lui répondit.

Nick s’arrêta.

Sa position n’était décidément pas enviable. Il ne savait s’il devait reculer ou avancer.

Un nouveau grognement lui apprit que l’animal auquel il avait affaire était un ours.

Après un moment de réflexion, Whiffles se détermina à continuer son chemin, pensant qu’il y avait plus de sécurité devant que derrière lui, car le peu qu’il avait entrevu de la vallée du Trappeur l’avait défavorablement impressionné.

Nicolas poursuivit donc sa marche, lente et difficile.

Il lui fallait tantôt se traîner le long des pointes de rocher, tantôt franchir un précipice, et tantôt traverser un terrain marécageux où il enfonçait jusqu’aux genoux. Enfin il atteignit l’entrée de la porte du Diable, et déjà il se félicitait de sa bonne fortune, quand un troisième grognement lui fit porter une main à la détente de sa carabine, et l’autre à son couteau-bowie.

Près d’un des prismoïdes de basalte, se tenait un ours, un ours-gris, de taille formidable.

Il regardait, gueule béante, par-dessus son épaule gauche.

Nick le coucha en joue, et le monstre poussa un grondement sauvage en montrant une rangée de dents aussi blanches que l’ivoire.

Depuis longtemps notre trappeur connaissait la nature des animaux de cette espèce.

Il savait combien ils ont la vie dure. Rarement un seul coup de feu les tue. Au contraire la douleur qu’il leur cause les met en furie.

Ils attaquent se défendent à outrance et malheur alors à l’imprudent qui a tiré sur eux!

– Non, non! ça ne sera pas, murmura le trappeur. Ces créatures-là ne supportent bien que les blessures mortelles. D’ailleurs, il ne fait pas encore assez clair pour se livrer à ce petit exercice qui tranche une question de vie ou de mort. J’ai toujours eu la chance de me fourrer dans une maudite petite difficulté et de m’en sortir les mains nettes, oui bien, je le jure, votre serviteur! Mais supposons que cet animal innocent me dévore, est-ce qu’on aurait encore l’audace d’imprimer ça? Ce serait bien là le désespoir de ma mort, ô Dieu, oui!