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Le chasseur noir

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Cette réflexion lui arracha un sourire mélancolique. Mais son naturel reprit aussitôt l’ascendant.

Le danger ne pouvait altérer l’esprit qui l’animait.

En toute circonstance c’était toujours Nick Whiffles, l’étrange personnage. Si la vue d’un péril imminent le frappait un moment, il rebondissait bientôt comme une boule de caoutchouc.

– Allons, pas tant de bruit, dit-il en s’adressant à l’ours, qui faisait des démonstrations très-hostiles; pas tant de bruit, car tu commences à m’échauffer les oreilles, ami Martin et il y a un petit degré au delà duquel patience n’est plus vertu. Si tu ne savais pas si bien grimper, je t’enverrais un joli morceau de plomb rond sous l’oreille droite, ô Dieu oui! Hurle donc! puisque ça te fait plaisir. J’ai refroidi deux de tes frères l’automne dernier, tu ne le sais peut-être pas, hein? Mais tu as une drôle de tête mon gaillard. Qu’est-ce que c’est que ça?

L’ours s’était levé et assis sur son train de derrière. Ses deux pattes de devant pendaient comme les nageoires d’un veau-marin, et son dos demeurait appuyé au pilier de basalte.

– Diable, comme il me reluque! dit Nick en examinant l’amorce de sa carabine; je n’aime pas ces regards-là. Est-ce qu’il aurait envie de me manger? Ce serait bien la plus coriace bouchée qui eût jamais passé sur sa langue. Tâche de ne plus te rencontrer sur le chemin de Nick Whiffles, monsieur l’impudent! D’ailleurs, je t’avertis que tu trouveras plus de graisse sous ma chemise de chasse que dans toute autre partie de mon système.

L’ours se dressa sur ses deux pieds et fît deux pas en avant.

Nick ajouta:

– Encore un, mon brave et nous allons entrer, toi et moi, dans une maudite petite difficulté, ah! dam, oui.

L’ours ne bougea point. Et comme Nick le visait les premières lueurs du matin apparurent à l’orient.

Quelques rayons d’or, avant-coureurs du soleil teignirent les colonnes, les tours et murailles de la ville hantée.

Au même instant, la forme le l’ours tomba à terre et la figure d’un homme se montra à la place.

Nick poussa une exclamation de surprise.

– Un Indien, oui bien je le jure, votre serviteur!

L’autre restait immobile at coi.

– Un Indien, sur ma parole! Qui es-tu, Peau-rouge? Qu’est-ce que signifie cette mascarade? Moyen de te précipiter dans quelque maudite petite difficulté, l’ami!

– Ténébreux est brave; il ne craint pas le croc de la panthère et marche, le coeur ferme, dans la vallée de l’Esprit du tonnerre: répliqua le personnage qui avait surgi de la peau d’ours.

– Multonomah! chef des Shoshonés! s’écria Nick. Enchanté de te voir, mon frère, quoique ce soit la dernière place du monde où j’aurais pensé te rencontrer. On ne trouve guère ici les gens de ta race, car il circule d’étranges histoires sur ces localités, ô Dieu, oui!

– Dans ces lieux réside un Manitou que nous ne devons pas offenser, répliqua Multonomah en attachant un regard inquisiteur sur Nick. Les Shoshonés font la guerre aux hommes, mais pas aux esprits. On peut voir et palper les premiers, les derniers sont comme le vent, invisibles, et trop délicats pour que des mortels puissent les toucher. Ténébreux croit-il au Manitou des montagnes?

Le Shoshoné, qui s’était rapproché et avait échangé une poignée de main avec le trappeur, tenait toujours ses regards rivés sur lui.

La question avait sans doute pour but d’arracher une réponse infiniment plus longue qu’elle n’en avait l’air.

Nick ne demandait pas mieux que de parler, ô Dieu non! Ses yeux disaient clairement: – «Je suis une pompe, mettez la main sur la manivelle et elle fonctionnera, je vous le garantis».

De fait, il arrondit son bras droit sur sa hanche comme le bras d’une pompe.

– Jamais vu un, dit-il.

L’Indien sourit.

– Bien, reprit-il, mon frère n’est pas un fou. Il sait comment suivre le bison à la piste. A l’aspect des nuages, il peut dire quand le vent se précipitera des montagnes, et le coucher du soleil lui apprend le temps qu’il fera le lendemain.

– Je te comprends, Indien. Tes paroles frappent les oreilles de Ténébreux. Je méprise les fous, ô Dieu oui! Peau-rouge, l’air n’est pas bon ici; avançons un peu.

– Oui, dit Multonomah secouant la tête, air malsain ici, pas pouvoir vivre longtemps, ouah! Frère, pourquoi es-tu venu dans une aussi mauvaise région?

Nick, qui commençait à grimper le flanc de la montagne s’arrêta court en entendant cette demande, et allongea comiquement les lèvres, suivant son habitude.

– Je suis venu voir l’esprit du Tonnerre, répliqua-t-il.

– Ténébreux est trop obscur. Il n’agit pas franchement avec son frère.

Ses pensées sont fermées. Nous ne pouvons aller ensemble.

– Shoshoné, il court de singuliers bruits à propos de la vallée du Trappeur. Ils sont parvenus jusqu’à moi. Multonomah est-il discret?

Le Shoshoné ne répondit pas; un sourire dédaigneux arqua ses lèvres.

– J’entends, s’empressa de dire Nick. C’était une boutade. Il n’est pas permis de douter de la discrétion d’un chef shoshoné. Ta main, Peau-rouge, et n’en parlons plus. Il y a une masse de blancs auxquels on peut se confier, mais je sais de quel bois tu es fait. Plus d’une fois, nous avons campé ensemble, Indien. En même temps, nous avons contemplé le ciel et les étoiles et nous nous sommes étonnés de ce que peuvent être le ciel et sa durée. Nous avons chassé en compagnie, dormi près du même feu, mangé du même bison dans le même morceau d’écorce, rôti au même feu et sur le même bâton. Un jour, Indien, il m’en souvient, nous avons failli crever d’inanition ensemble et dévoré un chien demi-mort de faim au terme de notre jeûne. N’était-ce pas dans le voisinage de la source à l’Écureuil? Nous avons chassé le castor sur la pierre jaune et à la tête de la rivière au Saumon, et jamais une querelle, tu sais? Mais ça me rappelle que j’ai perdu des trappes dans ces environs, à un endroit appelé le roc Noir et à la rivière à la Loutre, près des falaises de grès rouge.

– Ténébreux a perdu des trappes? est-il le seul qui ait raison de se plaindre? D’autres n’ont-ils pas perdu des trappes et des pelleteries? N’y a-t-il plus rien à dire, homme blanc?

– Pas seulement des trappes, mais ceux qui les ont tendues. – Pas seulement des pelleteries, mais ceux qui les possédaient…..

– Que veut dire mon frère?

– Que bien des trappeurs ont disparu sans qu’on sache ce qui leur est arrivé.

– Mauvais Manitou coupable.

– Indien, ni toi, ni moi ne croyons à ces bêtises. L’esprit du Tonnerre cesserait de se faire entendre si tu éteignais le feu ardent qui brûle au sein des montagnes. Ce ne sont pas les esprits hors du corps que nous devons craindre, mais ce sont les esprits qui sont dans le corps qui font le mal. J’ai eu plus de maudites difficultés avec ceux que je pouvais voir qu’avec ceux que je ne voyais pas. Peau-rouge, mes yeux ne sont pas restés fermés.

– Je vois qu’ils sont restés ouverts et j’en suis heureux.

– Indien, j’ai surveillé les gens par ici. Ils ont de terribles secrets, c’est moi qui te le dis. Mais les montagnes où ils se cachent sont muettes, et ce qu’elles ne nous révèlent pas, nous devons l’apprendre. Je le répète, il y a des créatures à deux pattes qui rôdent jour et nuit dans ces gorges et qui ne paraissent pas du tout effrayées du Manitou du mal. Nul ne peut dire d’où ça vient, où ça va, ce que ça fait.

– Ténébreux n’est plus aussi obscur. Il parle clairement à ses amis. Sont-ce des visages pâles ou des Peaux-rouges?

– Indien, Nick Whiffles est un homme de vérité. Sa langue n’est pas crochue. Leur peau est blanche, mais leur coeur est noir. Je suis fâché de le dire, oui bien, je le jure, votre serviteur!

– Il y a partout des hommes méchants. Il y a des Peaux-rouges dont la conduite n’est pas bonne. Les mauvais blancs habitent la montagne des rochers et la vallée inférieure. C’est pour cela que tu as trouvé le Shoshoné déguisé.

– Ah! ah! ton but, frère, était le même que le mien. Tu veux pénétrer dans les mystères de la vallée et voir ce que tu peux voir. Celui que tu appelles Ténébreux se propose la même chose. Bien, Indien, bien, très-bien. 11 y a, dans cette région un tas de vagabonds, qui font du mal en veux-tu en voilà; moi, je m’en vais vous les chasser et les mener à la justice. Je suis sur leur trace, tout comme je te le dis. Ils ont fait des actes qui font bouillir mon sang. Je les tiendrai à l’oeil et camperai sur leur piste jusqu’à ce que j’aie découvert leur retraite. Il y a des malhonnêtetés qui doivent être punies, des comptes qu’il faut régler. Nick le sait et Nick ne perdra pas de temps. On dit qu’il y a du danger. Mais où serait le plaisir, s’il n’y avait pas de danger? Le danger, c’est pas ça qui répugne à Nick Whiffles – vous, toi, ou un autre l’épeurer, ô Dieu, non! Indien, crois-moi, mettons-nous à l’oeuvre, dénichons toute cette racaille et purgeons-en les montagnes.

– Mais l’esprit du Tonnerre! fit Multonomah.

– Que le Tonnerre l’écrase! riposta victorieusement Nick.

– Ténébreux, le Grand-Esprit a voulu notre rencontre; il veut et peut tout: – hommes, animaux, aussi bien que nuages et pluies. Il a dit: Cette nuit visage pâle et Peau-rouge se rencontreront, et se tiendront le langage de la vérité. Il est bon que les méchants soient punis. – Tu vois cette peau d’ours?

Le Shoshoné avait roulé sa peau et l’attachait sur son dos.

– Oui, fit Nick, avec un signe de tête.

– Caché dans cette peau, poursuivit le sauvage, je me suis traîné à travers les rochers et j’ai vu des gens entrer et sortir par la porte Noire. Cette nuit, quelque chose semblait me dire d’aller chercher les mauvais esprits.

– Qu’as-tu vu? demanda Nick.

– J’ai vu source chaude, jetant eau et fumée.

– Après? car j’ai vu ça moi aussi et je n’en sais pas plus long.

– J’ai cheminé longtemps au milieu de grandes masses de rochers que, dans sa colère, le Grand-Esprit a précipitées en bas des montagnes, ou arrachées aux fondements de la vallée. Puis, j’ai trouvé une eau courante qui tournait, tournait, tournait et se perdait dans un gouffre noir. Après, j’ai traversé une fondrière et découvert un endroit où croissait le gazon. Au-delà, il y avait des arbres, les uns vieux, entrelacés; les autres rabougris et étêtés par la chute des rochers. Un bois épais couvrait le sol au-delà. Multonomah s’arrêta sur la lisière de ce bois.

 

– Qu’arriva-t-il alors?

– Le bois était bien sombre, – sombre comme le passage silencieux à la terre des esprits. Je ne pouvais voir qu’un coin du ciel. Si un Shoshoné était accessible à la crainte, Multonomah aurait eu peur. Pendant un moment il se tint tranquille et songea aux récits qu’on lui avait faits de la vallée. Il tâcha d’entendre la voix de son ami Manitou pour savoir ce qu’il avait à décider. Un bruit de pas arriva à ses oreilles. Il se coucha sur le sol et aperçut des gens de ta race. Ils ressemblaient à des francs-trappeurs. Leur barbe était longue; leurs cheveux pendaient sur leurs épaules; leurs ceintures étaient chargées de pistolets et de couteaux, et ils marchaient, en chancelant, comme l’homme rouge quand il a le coeur gonflé par l’eau de feu. Devant eux ils chassaient un homme et une femme. L’homme, c’était Portneuf, le voyageur[18] canadien; la femme, c’était sa fille, toute jeune et, belle comme la nouvelle lune. Les mains de Portneuf étaient liées; sa tête penchait désespérément sur sa poitrine. Sa fille pleurait. Le coeur du Multonomah fut ému.

– Portneuf, je le connais; c’est un bon et brave compagnon. J’ai souvent pagayé avec lui et ses chansons réjouissaient toujours mes oreilles. Je me souvient bien de

A la claire fontaine,

M’en allant promener….

Et sa fille, donc! Nannette, comme je l’appelais. En voilà une perle malgré ses jupes! Indien, ce que tu viens de me dire-là m’attriste, ô Dieu, oui! Nannette est trop gentille pour… J’en frémis, vois-tu. C’est comme l’affaire que j’ai vue au rocher Noir. Tu ne sais pas ça, toi! Une femme, belle! mais belle, plus belle qu’un ange. Dieu me pardonne! Oh! j’ai bien remarqué les hommes. Sois tranquille, je les reconnaîtrais. Brigands, va! Si tu l’avais vue, Indien, leur demander grâce. Ça aurait touché un Peau-rouge comme toi, oui bien, je le jure, votre serviteur! Je la vois encore, avec ses blanches petites mains, sa jolie figure, si pâle, si suppliante. Quand elle les agitait ses pauvres chers bras d’ivoire, on aurait juré une colombe secouant ses ailes, sais-tu pas, Indien? Ça me perçait le coeur. Comme je te les aurais rossés les scélérats qui la faisaient souffrir! Gueusards de gueusards! Mais ils étaient six et j’étais tout seul Quand je te dirai qu’ils l’ont fourrée dans un manteau et jetée à l’eau, avec une pierre au cou! Mais je voyais tout, et je l’ai sauvée comme de raison, la pauvre chère âme du bon Dieu. Peau-rouge tu ne peux te figurer la satisfaction que ça m’a donné. Jamais tu n’as vu tant de beauté, tant de bonté, tant de franchise, tant de courage et tant d’esprit qu’il y a en elle… ô Dieu, non!

– Qu’est-ce que Ténébreux en a fait?

Nick Whiffles, surpris de l’interrogation, ne répondit pas avec sa vivacité et sa bonhomie accoutumées.

– Oh! dit-il, je l’ai envoyée à ses parents, – à ses frères, je veux dire. Ce n’était peut-être pas tout-à-fait ses frères. Mais elle avait des parents quelque part, en haut, dans les montagnes, tu sais, Indien; non pas les montagnes, mais les établissements…..

– Ouah! fît le Shoshoné.

Sans prendre garde à cette laconique, riposte, Nick continua:

– Depuis cette circonstance, qui s’est présentée il n’y a pas bien des mois, je me suis mis à l’ouvrage pour découvrir les auteurs de l’attentat. Oh! je les trouverai, c’est sûr, oui bien, je le jure, votre serviteur! – Continue ton histoire, Indien.

Multonomah reprit froidement:

– Le Français et sa fille s’enfoncèrent dans les rochers et je ne les vis plus. Je retournai, et rencontrai Ténébreux qui sait ce qui est arrivé depuis.

VII. LA SÉPARATION

Le chasseur noir dormait profondément sans connaître la sortie de Jack et de Nick. Cependant, son sommeil était agité.

La scène émouvante à laquelle il avait pris part colorait ses songes. Bill Brace, Ben Joice et Zene Beck flottaient devant sa vue.

A la fin, ce vilain rêve changea. Les lèvres du chasseur s’ouvrirent pour donner passage à quelques douces paroles. Sa physionomie prit une expression plus gracieuse.

Il lui semblait qu’une blanche main caressait son front; qu’un aimable visage lui souriait; que des yeux brillants l’inondaient de leurs feux.

– Chère ange! s’écria-t-il en étendant les bras avec transport.

Ce mouvement réveilla notre jeune homme.

Après un moment d’indécision pour se reconnaître, il jeta les yeux sur l’adolescent qui reposait tranquillement dans sa couverte écarlate.

– Fumées du cerveau que tout cela! murmura Pathaway, en se frottant les yeux. Le temps aurait dû m’enseigner la résignation. Je suis plus faible qu’un enfant.

Il s’accroupit sur sa couche, plaça sa tête dans ses mains et s’abîma dans un océan de réflexions, jalonnées ça et là de brillants souvenirs et marquées sans doute aussi par les cicatrices de blessures terribles.

Pendant qu’il méditait, Sébastien ouvrit les yeux et coula vers lui un regard timide.

Il avait froid, le pauvre enfant, car ses dents claquaient; un tressaillement nerveux agitait ses membres.

Les pommettes de ses joues étaient d’un rouge brûlant et ses yeux étincelaient d’un éclat inusité. 11 ne les ferma plus et continua d’observer le chasseur noir. Peut-être avait-il peur? Mais les chiens couchés à ses pieds n’étaient pas de faibles moyens de protection!

Quand le soleil se leva et vint rougir le sol de la cabane, Sébastien répara rapidement le désordre de sa toilette et passa devant le chasseur noir pour sortir.

Celui-ci l’apostropha:

– Tu as bien dormi, mon garçon; tes nerfs ne sont pas robustes.

– Je n’ai pas rêvé; le sommeil sans rêves est le moins fatigant, répliqua négligemment Sébastien.

– Les rêves! répéta Pathaway en rougissant.

Puis il sourit et dit:

– Tu as raison, mon garçon. Le sommeil sans rêves est le meilleur. Les songes sont des hôtes importuns qui lassent toujours.

Sébastien se tenait près de la porte de la cabane: le soleil l’enveloppait de ses rayons d’or.

– Il a l’air d’un Adonis, murmura Pathaway.

Et élevant la voix:

– Quel est ton nom?

– Sébastien Delaunay.

– Ta mère était bien belle, n’est-ce pas?

Sébastien sourit; ses joues brunes se teignirent d’un vif incarnat.

– Ma mère avait la peau plus brune que la mienne, les cheveux plus longs et plus foncés, les yeux plus grands. Pour moi, chasseur, elle était bien belle, ma mère, quoiqu’elle vécût dans les wigwams.

– Mais ton père…

– Mon père avait la peau comme la vôtre, interrompit Sébastien, tournant complètement le dos à son interlocuteur, comme s’il était fatigué de la conversation.

– Tu as la voix de ta mère, mon garçon?

Sébastien ne répliqua pas.

– Tu appelles «père,» le brave trappeur, si je me souviens bien, ajouta encore le chasseur.

– Oui, je l’appelle «père,» répliqua laconiquement Sébastien, sortant de la hutte.

Il demeura dehors pendant une demi-heure environ et en revenant il trouva Pathaway debout contre la porte.

– Où donc est Nick? je l’ai vainement cherché, demanda ce dernier.

– Il est, je pense, parti cette nuit pour suivre Wiley; répliqua Sébastien.

– Comment cela?

– Ce Wiley n’avait pas bonne mine. Il a décampé, et…

L’adolescent s’arrêta et poussa une exclamation de terreur.

Pathaway, surpris, leva les yeux. Alors il aperçut Nick qui arrivait accompagné d’un ours gris marchant paisiblement à côté de lui.

– O père Nicolas, n’approchez pas avec cette horrible bête! s’écria Sébastien terrifié.

– N’aie pas peur, petit; j’ai magnétisé l’animal et je le tiens en mon pouvoir. N’est-ce pas curieux, hein! que cette puissance de la volonté? Il faut le voir pour le croire, quoi donc! Il n’était pourtant pas apprivoisé, quand je l’ai pris, ô Dieu, non! C’est-à-dire que je ne l’ai pas pris, mais bien acheté d’un Indien, s’il vous plaît. Et il en connaît de jolis tours! Je sais le faire tenir sur ses jambes de derrière tout comme un homme; avec ses pattes de devant il donne une poignée de main; par le soleil, il connaît l’heure, et il trotte, court, galope, se couche et se lève comme un vrai chien.

– Tenez-le à une distance convenable, dit Pathaway; je n’ai pas grande amitié pour cette espèce d’animaux.

Sébastien, qui avait couru chercher son arc dans la cabane, revint en ajustant une flèche.

– Debout, vilain bruin,[19] debout sur tes jambes de derrière, dit Nick en allongeant un coup de pied à l’ours, qui grogna sourdement.

Le jeune garçon tressaillit, l’arc lui tomba des mains.

– Debout, et danse-nous ta danse de guerre, répétait Nick à l’ours, en commençant à chanter, sur un ton lugubre, un refrain sauvage.

Le quadrupède se leva sur ses pattes de derrière et dansa avec une gravité burlesque au son de la musique discordante dont Nick régalait ses auditeurs.

– Merveilleuse bête! dit Pathaway, surpris de cette arrivée.

– C’est vrai, monsieur, bien merveilleuse, n’est-ce pas? Mais, moi, voyez-vous, je n’ai jamais eu d’affaires communes dans ma ligne d’entreprise, ô Dieu, non! Une belle bête, hein! Peut-être n’avez-vous pas grande confiance en elle; mais je vous garantis qu’elle est bonne et fidèle autant qu’un chien, sans même excepter Maraudeur et Infortune, qui sont les spécimens les plus entendus de leur race, oui, bien, je le jure, votre serviteur!

Sébastien secoua la tête d’un air peu rassuré.

– J’aime mieux les chiens, Nicolas, dit-il ensuite.

L’ours gronda; de façon à démentir les louanges que lui avait données Nick.

– Allons, assez comme ça, fit ce dernier en le poussant rudement avec son mocassin. A bas et tenez-vous tranquille…. – ou sinon! – Infortune, la paix! Maraudeur, à l’ordre! soyez polis envers les étrangers! Vous n’avez pas tous les jours l’honneur d’une compagnie aussi distinguée.

– Donnez-lui quelque chose à manger, dit Pathaway toujours souriant.

– Oh! ce n’est pas la peine..,.. au moins je le pense….. Il a dévoré la moitié d’un bison, il n’y a pas dix minutes. Quand vous lui offririez le plus friand morceau, c’est tout au plus s’il daignerait le flairer. Voyons, mes chiens, ne l’incommodez pas. Il pourrait bien se fâcher, et, ma foi, vous n’en seriez pas quittes à bon marché….. ô Dieu non!

Puis A Pathaway:

– Pardon, étranger; je vous dois des excuses. Mais nous allons réparer ça.

– Aidé de Sébastien, Nick s’occupa aussitôt du déjeûner.

De même que la veille, le chasseur noir mangea peu, malgré les instances de son hôte et les histoires dont il assaisonnait sa venaison.

Après la repas, Whiffles et Pathaway se promenèrent, en causant, sur le plateau.

L’ours avait disparu.

– Il faut que je vous quitte, dît le chasseur; cependant, si malheur ne m’arrive pas, nous nous rencontrerons encore.

– On connaît mieux ses affaires que celles des autres, répliqua flegmatiquement le trappeur; mais je suis facile que vous deviez partir aujourd’hui. Ne m’en voulez pas si je vous engage à être prudent. Ce gredin de Bill Brace n’oubliera pas aisément la roulée que vous lui avez administrée. Il se montrera rétif comme un poulain indompté. Puis ce n’est pas tout, ajouta-t-il en baissant la voix. Il y a quelque chose à craindre dans ces montagnes. Parfois le trappeur solitaire manque tout à coup et on ne sait ce qu’il est devenu. Les caches[20] sont souvent ouvertes et pillées. Ce n’est pas un canton sûr pour les jeunes gens inexpérimentés, oui bien, je le jure!

– Merci de votre bon conseil, montagnard; soyez assuré que je sais l’apprécier, quoique je ne connaisse pas plus les lieux à éviter que ceux à rechercher. Ma vie n’est point dépourvue de but. Je ne suis pas une épave abandonnée à la merci des vents. Je sais que faire. Ma force est grande, car elle repose dans la confiance que j’ai en moi. Je sais aussi ce que mon esprit peut concevoir et mon corps exécuter.

– Votre corps n’est pas gros, mais il n’est pas du tout mal fait, répliqua Nick en toisant le chasseur noir.

– Ce n’est pas le corps qui a le pouvoir, mais c’est l’esprit qui y est renfermé. Oui, c’est l’esprit qui donne impulsion et force aux actes physiques. Quand un homme combat pour une bonne cause, l’âme elle-même prend part à la lutte. Elle passe dans les poings et les bras, change les muscles en fer et rend l’homme invincible.

 

– Tout juste, tout juste, vous l’avez dit! s’écria Nick avec enthousiasme. J’ai fréquemment eu cette idée-là; mais je n’aurais pu l’exprimer le quart aussi bien que vous, quoique le docteur Whiffles, – un homme remarquable, ah! oui! – pouvait vous faire avaler son sujet comme une pilule. C’était mon frère, que le docteur Whiffles. Ça sert à quelque chose que la science, ô Dieu, oui! Mais du diable si j’ai eu de la patience pour apprendre, moi! surtout quand je songe à ces maudits journaux! – c’est comme ça que vous appelez ça? – qui se mêlent des affaires privées; traînent devant le public les histoires des autres, avec leur façon de faire et de parler. Seigneur oui, c’est comme je vous le dis! On m’a diablement injurié… trop, oui! par Dieu!

Il hocha la tête d’un air sérieux et presque chagrin.

– Si jamais il y a encore un Nick Whiffles, il sera fameux, reprit

Pathaway, en tournant les yeux à l’horizon. Adieu, montagnard, adieu!

Nous nous reverrons quelque jour.

Les deux aventuriers échangèrent une poignée de main, et le chasseur noir s’éloigna, suivi longuement par les regards de Nick Whiffles, qui semblait plongé en des réflexions profondes.

Pathaway s’enfonça dans le bois sur le versant oriental de la montagne, et, après une heure de marche, il atteignit une petite prairie qui se déroulait au pied. L’ayant traversée, il arriva au bord d’un lac d’eau stagnante, qu’il longea toujours à l’est jusqu’au moment où le soleil passa au méridien.

lors le chasseur noir découvrit un canon[21] qui courait au nord-ouest.

Jadis cette tranchée avait sans doute été un conduit pour l’eau; mais alors il était rempli par une végétation luxuriante.

– Que c’est pittoresque! que c’est beau! que c’est rafraîchissant!… s’écria Pathaway, transporté à la vue du délicieux paysage qui se déployait devant lui.

Il soupira et s’arrêta pour contempler cette, magnifique perspective.

En ce moment, vers l’extrémité occidentale du canon, s’avançait un trappeur.

Il pliait sous une charge de pelleteries.

Cependant, si lourd que fût son fardeau, il paraissait gai et marchait d’un pas ferme et léger.

Parvenu à un endroit où une roche, ombragée par les arbres, se projetait hardiment sur le gazon, le trappeur s’arrêta, déposa son faix et se mit à préparer un modeste déjeûner, en fredonnant le refrain d’une chanson de batelier canadien.

 
Et moi qui aime à boir’ de tout,
Arrosons nous la dall’ du cou;
Arrosons-nous la dalle!
 

– Pauvre homme, comme il est gai, murmura Pathaway. Dieu sait, cependant, ce que lui a coûté de peines ce lot de pelleteries! que de dangers il a dû braver, que de privations il a dû supporter! Chante, honnête trappeur. Ah! tu en as bien le droit. Les gens de ta classe sont braves et rudes au labeur. Il ne leur manque qu’une vertu, c’est celle de la frugalité. Te voilà comparativement riche; mais dans un mois ou deux, à peine auras-tu un vêtement pour te couvrir. La dissipation et la prodigalité t’auront, hélas! ravi les fruits de bien des jours de travail et de misères.

La détonation d’une carabine interrompit les réflexions de Pathaway. Une traînée de fumée blanchâtre s’étendit entre les rochers dans la direction du trappeur qui tomba la face contre terre en poussant un cri.

Aussitôt, Pathaway changea sa position et se coucha sur le sol. Deux hommes sortirent des broussailles et se précipitèrent sur le paquet de pelleteries.

Le trappeur gisait inanimé, sanglant, sur le sol.

– Il est mort, fit l’un des meurtriers. Ma foi c’est là une bonne prise, et, comme j’ai fait le coup, à moi la plus grosse part.

– Un moment, s’écria l’autre, mettant le pied sur le paquet, et jetant un coup d’oeil de défi à son complice.

– Allons, tu badines, Ben, n’est-ce pas avec ma poudre, mon plomb et ma carabine?

– Ça n’y fait rien, Zene Beck; l’on fera le partage en francs montagnards que nous sommes. Nous avons nos lois, tu sais, et le capitaine se chargera de les faire observer. Quant à l’avoir tué, est-ce que je n’aurais pu en faire autant? Pas de plaisanteries, donc!

– Quoi! c’est ainsi que tu le prends. Assez causé. Ce paquet-là m’appartient et je l’aurai; entends-tu? Comme ton ami, je consens à ceci: – Un tiers pour toi, deux tiers pour moi, ou le couteau pour tous deux; ça va-t-il?

Ce disant, Zene avait tiré son énorme bowie et Joice se préparait à l’attaque.

Les armes se croisèrent et cliquetèrent avec un grincement qui témoignait de l’ardeur sauvage des deux assassins.

Déjà le fer avait plus d’une fois mordu leur chair, et ils poursuivaient vivement ce féroce combat, quand un nouveau personnage parut à la pointe des rochers. Il portait un sombrero mexicain et une ceinture rouge ceignait sa taille.

– A bas les armes, brigands! cria-t-il.

Ben et Zene s’arrêtèrent par un mouvement simultané.

A ce moment, une douzaine d’hommes envahirent le canon.

Ils apparurent si subitement qu’on eût dit que la terre les avait vomis.