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Le chasseur noir

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X. SCÈNE DE LA VALLÉE DU TRAPPEUR PERDU

Le soleil n’était pas encore levé; cependant à travers les brumes molles et diaphanes du matin, l’orient se teignait de bandes blanchâtres.

Pathaway s’éveilla. Ses yeux cherchèrent Nick Whiffles dans l’ombre qui drapait encore l’intérieur de la hutte; mais la place du trappeur était vide.

Le chasseur noir répara rapidement le désordre de sa toilette et sortit.

Il trouva Nick Whiffles qui fumait gravement sa pipe à l’entrée de la cabane.

– Une belle matinée qui s’annonce, fit le chasseur noir.

– Hum! le couchant est diantrement chargé, oui bien, je le jure, votre serviteur!

Sébastien fit quelques pas pour s’éloigner.

– Enfin, nous pourrons visiter cette fameuse vallée du Trappeur perdu, dit le chasseur noir.

– La vallée du Trappeur perdu! cria derrière eux une voix émue.

Les deux hommes se retournèrent simultanément.

C’était Sébastien Delaunay.

Pauvre enfant, il tremblait comme la feuille de bouleau agitée par les autans.

– Oh! n’y allez pas, père Nicolas, je vous en prie, je vous en supplie, n’y allez pas!

– C’est une mission dont nous charge la providence, mon Sébastien chéri, répliqua le trappeur. Songe à Portneuf et à sa fille – à sa fille, tu sais?

– J’y ai songé, répliqua l’adolescent en baissant les yeux. Mais cette vallée du Trappeur perdu, elle est si terrible… ô mon Dieu! Vous n’y arriverez jamais… non, jamais, père Nicolas.

– Il y a du pour et du contre, dit Nick, car le hasard vient, souvent au secours des gens même à la dernière extrémité. S’il nous fallait désespérer et céder quand une maudite, petite difficulté se présente, eh! il n’y aurait rien à faire en ce bas monde, ô Dieu, non! Je me souviens qu’un jour je rencontrai un gars presque désespéré, mais cependant, suivant mon avis, il eut le courage d’attendre, et il a fait une chose qui réjouira toujours son coeur et qui lui donnera du bien-être – une longue vie de bien-être.

L’enfant, saisit tendrement, la main du trappeur et la pressa dans les siennes en répliquant:

– Oh! Nicolas, vous êtes poussé par un esprit bon et généreux, je le sais. Que ne puis-je vous suivre et partager vos périls!

Ensuite, à Pathaway, que cette scène impressionnait singulièrement:

– Excusez-moi, monsieur. Je suis obligé de prendre soin du père Nicolas qui expose sa vie à chaque instant.

– Nous serons deux, répondit distraitement le chasseur noir. D’ailleurs, j’apprends qu’une femme est mêlée à cette affaire, et il est du devoir de tout homme de coeur de secourir les faibles créatures.

– Sébastien eut une imperceptible agitation.

– Et puis, continua le premier, Nick a en horreur les scélérats qui hantent la vallée du Trappeur perdu, et moi j’estime qu’il est de notre devoir d’en délivrer le pays.

– Oui, c’est nécessaire, se hâta d’ajouter Whiffles; ces gens-là, vois-tu, petiot, ils finiraient par nous assassiner sous notre tente, si on les laissait faire.

– Je comprends, fit Sébastien d’un air triste. Mais vous me laisserez les chiens, père Nicolas.

– Comme de raison; et je ne serai pas longtemps, je te l’assure. Tu prendras bien soin du blessé, n’est-ce pas? La vallée du Trappeur n’est pas loin, et l’un ou l’autre de nous sera de retour avant la nuit.

– Au revoir donc! dit l’enfant, en essuyant une larme qui perlait à sa paupière.

– Au revoir!

Les deux aventuriers s’éloignèrent.

Deux ou trois fois Nick tourna la tête pour embrasser encore par la pensée Sébastien qui les suivait du regard; puis le naturel du trappeur reprit le dessus.

Il marcha vite, ferme et presque gaîment, non qu’il fût bien sûr de réussir dans son entreprise, mais il désirait et espérait éclaircir le mystère de la vallée du Trappeur.

Ils arrivèrent sans encombres à la porte du Diable.

Nick franchit le portique, accompagné de Pathaway, qui fut frappé du spectacle colossal que la nature étalait là, sous ses yeux. Les aiguilles basaltiques et le passage en forme de tunnel l’émerveillèrent surtout.

Le chasseur noir éprouva quelque émotion en s’engageant dans ce sombre passage. Néanmoins, son allure ne changea point. Son compagnon et lui continuèrent intrépidement leur route, jusqu’à la source d’eau chaude que Nick nomma la Chaudière du diable.

Procédant toujours, à travers des entassements de rochers, et d’épouvantables précipices, ils gagnèrent ce cours d’eau peu profond dont avait parlé le Shoshoné. Après l’avoir traversé sur des cailloux, Nick et Pathaway se trouvèrent devant un bois d’une étendue considérable. Étroite à ce point, la vallée s’élargissait un peu plus haut, à gauche.

Nick s’arrêta tout à coup, et Pathaway aperçut un ours gris qui se pavanait majestueusement à quelques pas d’eux.

– On dirait que c’est l’animal que nous avons vu la nuit dernière, dit Pathaway.

– Bah! les ours abondent ici comme les framboises, répondit Nicolas.

– Vraiment!

– Tel que je vous le dis, oui bien! Ça doit être un jeune, celui-là!

– Il a pourtant l’air bien vieux, dit en riant Pathaway.

– Lui oh oui! Je lui ai dit l’autre jour: Va, tu n’es qu’un ours manqué?

Le sourire du chasseur noir se changea en un franc rire que répétèrent les échos des rochers.

– Mais, en effet, ajouta-t-il, il ressemble à votre ours apprivoisé de l’autre soir.

– Vous trouvez? demanda Nick en appuyant à droite. Du reste, on dirait que c’est lui. Mais non, pas tout à fait, il était pas mal plus gros, pas mal plus gras et bien moins large; ah! bien moins large, l’autre, ô Dieu, oui!

– Je vois que je m’étais trompé, dit Pathaway, se pinçant les lèvres pour ne pas s’esclaffer.

Tout en causant, ils débouchèrent dans une vaste clairière où une scène étrange frappa leur vue.

Au centre de cette clairière se trouvait un homme, monté sur un cheval. L’homme avait les mains liées derrière le dos, une courroie de ouatap passée au cou attachée à sa cheville gauche, et de là à sa cheville droite, en glissant sous le ventre de l’animal, qui, fixé lui-même à un poteau par une longue corde, sur un sol complètement dénudé, se tenait la tête basse, et comme épuisé de besoin.

La condition du malheureux cavalier semblait pire encore. A peine pouvait-il supporter le poids de son corps: il chancelait et oscillait en tous sens, à chaque mouvement du quadrupède.

– O mon Dieu! ayez pitié de moi, messieurs! s’écria-t-il d’une voix éteinte.

– Courage, mon ami! s’écria Pathaway.

Il s’élança, délia rapidement le malheureux et le plaça doucement à terre.

La faiblesse de cet infortuné était, si grande qu’il s’évanouit sur le champ. Nick courut aussitôt à la rivière, puisa de l’eau dans son casque de pelleterie et la rapporta.

– Pauvre, pauvre diable! marmottait-il, je parierais bien une bonne carabine, contre n’importe quoi, que ces coquins voulaient te faire crever de faim là, avec son cheval, ô Dieu, oui! Deux belles créatures, cependant, le cheval et l’homme… ils avaient l’air bien attachés l’un à l’autre!

– Comme ils ont dû souffrir! fit le chasseur noir en baignant d’eau le visage de l’inconnu.

Celui-ci respira.

– Bon, bon, dit, Whiffles. Il revient; c’est moi qui vous le dis. Nous allons le sauver. Enfin, nous n’aurons pas tout à fait perdu notre temps.

En prononçant ces mots, il versait dans le restant d’eau quelques gouttes de whiskey et les faisait avaler à l’étranger qui ne tarda pas à reprendre ses sens.

Un biscuit sec, détrempé, acheva de le remettre.

Pondant ce temps, le cheval, délivré de ses entraves, étanchait sa soif à la rivière.

Nick se hâta aussi de lui donner un morceau de biscuit arrosé de whiskey.

– Ne me parlez pas de ces animaux à quatre pattes, dit Nick. Ah! je les ai étudiés, moi, et je les connais. Été, hiver, froid, chaud,, neige, pluie, nous avons tout vu ensemble. Et la faim et soif, est-ce que nous ne les avons pas endurées aussi ensemble?

Frappant, sur sa cuisse, il leva les yeux en l’air, d’un air tout satisfait. Une exclamation – son exclamation favorite – acheva sa pensée:

– O Dieu, oui!

Pathaway admirait sincèrement Nick Whiffles.

Il y avait en lui tant de bienveillance et de simplicité, et ces vertus font excuser tant de défauts! «Celui qui ne sent rien pour une bête est une bête lui-même».

Ainsi pensait au moins le chasseur noir.

– C’est comme ça, dit Nick, semblant répondre à cette réflexion; l’ami du cheval et du chien est l’ami de tout le monde. Celui qui abuse de l’un ou de l’autre abuse de tout le genre humain. Voilà mon opinion, ô Dieu, oui!

– Mais, est-ce vous? Nick Whiffles; est-ce vous ou bien ai je rêve? demanda l’inconnu en se frottant les yeux.

– Quoi donc! Portneuf! Que diable vous est-il arrivé, mon brave?

L’autre blêmit. Un frisson courut par tous ses membres. Sa main se porta névralgiquement à son cou sur lequel une raie d’un bleu pourpre indiquait la place de la corde, avec laquelle ses ennemis avaient tenté de l’étrangler insensiblement: car tout mouvement qu’il faisait à droite, à gauche ou en arrière resserrait inflexiblement le noeud.

– Oh! n’ayez pas peur, dit Nick, en se frottant les mains. Ce chasseur et moi on a entendu parler de votre malheur et on est venu à la vallée du Trappeur tout exprès pour vous secourir, oui bien, je le jure, votre serviteur! Mais Nannette. Savez-vous que je crains presque de vous en parler? Ce n’est pas là un sujet bien agréable pour vous, hein? Mais arrêtez-la. Il y a temps pour tout. Vous nous raconterez votre maudite petite histoire quand nous serons sortis de cette diablesse de place! Pourtant il nous faudra laisser le cheval. Ce n’est pas que ça ne me fasse de la peine, car c’est un bon cheval que le vôtre, Portneuf; mais il ne serait pas facile de le tirer d’ici, et, si vous m’en croyez, nous l’y laisserons pour le moment.

 

Le brave Whiffles avait débité ces paroles avec sa loquacité ordinaire et tout en chargeant Portneuf sur ses robustes épaules.

– Mettez-moi à terre, mon ami, dit celui-ci, au bout d’un moment.

– A terre!

– Oui, je crois que je pourrai marcher. Je suis resté longtemps assis, comme vous avez vu, et mes jambes sont engourdies.

Le frappeur se hâta de satisfaire son désir; mais Portneuf avait trop compté sur ses forces; car il fut incapable de se soutenir. Aussi, Nick le replaça-t-il bien vite sur son dos.

Ils continuèrent leur marche et quittèrent, sans accident, la vallée du Trappeur perdu.

Nick causait toujours avec la jovialité qu’on lui connaît; Pathaway semblait enfoncé dans de profondes réflexions, et, de temps en temps, un mélancolique soupir jaillissait des lèvres de Portneuf.

– Oh! ma Nannette, ma pauvre, pauvre Nannette! s’écria-t-il tout-à-coup d’un ton déchirant.

Pathaway, arraché à sa méditation, par ce cri, se retourna à demi et contempla le voyageur.

– Pardon, pardon, mon bon monsieur, dit alors Portneuf; je braille comme un enfant, mais jamais je ne me suis senti si faible! jamais! Puis si vous connaissiez ma Nannette, oh! si vous la connaissiez!

– C’est vrai ça, dit Nick, en hochant la tête. Mais soyez tranquille, Portneuf; on fera quelque chose pour elle. Maintenant, toutefois, allons rejoindre Sébastien. Il nous attend et je ne veux pas le laisser dans l’inquiétude. Il est jeune, vous savez, étonnamment jeune! ô Dieu, oui!

Ils arrivaient alors aux aiguilles de basalte dont nous avons précédemment parlé. Pathaway s’écria soudainement:

– Ah! toujours cet ours!

En effet, à dix pas devant eux, se tenait un ours qui les regardait curieusement.

Ils avancèrent encore; et ils n’étaient plus qu’à un ou deux pieds du quadrupède, quand il se leva sur ses pattes de derrière et agita ses pattes de devant d’une façon tout-à-fait remarquable.

Cette circonstance parut fort extraordinaire à Pathaway. Il allait exprimer son étonnement, lorsque Nick s’écria avec une véhémence qui ne lui était pas habituelle:

– A terre! couchez-vous dans le fourré!

Et, aussitôt, joignant l’exemple à l’ordre, il déposa son fardeau derrière un gros buisson et s’étendit à côté.

Pathaway l’imita, sans pourtant se rendre compte de ce brusque mouvement.

– Qu’est-ce donc? demanda-t-il, quand ils furent cachés.

– Rien, répliqua Whiffles.

– Qu’avez-vous vu?

– Moi? rien.

– Mais vous avez entendu quelque chose, poursuivit le chasseur noir, de plus en plus intrigué.

– Non, répliqua Nick dont les yeux interrogeaient avidement l’horizon; non, je n’ai rien vu, rien entendu. Mais je sais qu’il y a une maudite petite difficulté près de nous. Je puis toujours vous dire quand il y a du danger dans le voisinage, car si ce n’est pas moi qui le devine, un autre le devine pour moi, ô Dieu, oui!

Pathaway leva ses regards vers le rocher où il avait vu l’ours.

Il n’y était plus.

– C’est étrange! murmura-t-il.

– Chut! fit Nick, mettant un doigt sur ses lèvres. Un piétinement lointain se faisait entendre. Dix minutes s’écoulèrent sans que nos trois hommes échangeassent une parole.

Le bruit se rapprocha insensiblement et enfin une troupe de cavaliers se montra sur le penchant de la montagne. Ils arrivaient de l’ouest et allaient à l’est, en ligne parallèle avec la vallée du Trappeur.

A mesure qu’ils avançaient leur physionomie frappait d’émerveillement les trois spectateurs. Le personnage plus notoire du groupe était une jeune femme qui montait avec une aisance et une grâce toutes particulières au cheval fougueux.

Elle tenait la tête de la cavalcade. Son costume était pittoresque au possible et seyait bien à la beauté sauvage de l’amazone.

C’était une longue jupe de drap écarlate dont l’éblouissant éclat était encore rehaussé, par une bordure noire. Un coquet petit chapeau de velours, ombragé par des plumes rouges, couvrait sa tête. Des gantelets de peau noire emprisonnaient ses mains.

Était-elle jolie? Le chasseur noir eût été fort embarrassé de répondre, quoique la sveltesse et l’élasticité de sa taille l’eussent charmé de prime abord.

Mais la petite troupe passait à une trop grande distance pour qu’il fût facile de distinguer les traits de l’écuyère. Cependant, soit que Nick eût le nerf optique plus exercé, soit qu’il l’eût naturellement meilleur, soit qu’il connût cette femme, il marmottait de temps à autre avec admiration:

– Belle créature! belle comme une image! ô Dieu, oui!

Les gens qui accompagnaient cette héroïne du Nord-ouest, étaient au nombre de dix à douze. Leur équipement était uniforme. Il semblait qu’ils fussent enrégimentés.

– Qu’en dites-vous, Portneuf? demanda Nick à son compagnon.

– C’est Carlota, la fille de l’outlaw[25], répondit le Canadien.

– Je m’en doutais, murmura Nick. On voit bien que ce sont des oiseaux de même plumage. Mais alors il doit y avoir une autre entrée à la vallée du Trappeur perdu… une entrée pour les animaux comme pour les hommes.

– Oui, répliqua Portneuf; et c’est par cette entrée que l’on m’a fait passer. Nous avons suivi ce qu’ils appellent la piste du Trappeur; puis le diable sait où nous sommes allés!

Carlota et ses compagnons n’étaient plus visibles. Ils avaient disparu derrière un amas de rochers.

Les trois aventuriers se levèrent et se dirigèrent aussi vite que possible vers le campement de Nick où ils arrivèrent, on se le rappelle, peu de temps après le départ de Zene et de Beck. Le lecteur n’a pas, non plus, oublié, que la fin du repas pris par eux et Sébastien dans la cabane du trappeur, fut troublée par les abois d’Infortune et de Maraudeur.

XI. UN NOUVEAU PERSONNAGE

Le petit camp de Nick Whiffles était comme un oasis dans le désert, si loin s’étendaient les chaînes de montagnes; si vastes se déployaient les prairies; si nombreux étaient les fleuves et les lacs; si grande était la distance jusqu’aux confins de la civilisation.

Au moment où l’instinct des deux chiens fut brusquement éveillé, le soleil s’abaissait derrière la cabane et plaquait d’or les arêtes des pics altiers.

Pathaway sauta sur ses armes et courut à la porte.

L’ours gris fut la première chose qu’il aperçut.

On s’attendait si peu à cette apparition que tous, Nick excepté, tressaillirent.

– N’ayez pas peur, n’ayez pas peur, dit-il. C’est seulement l’ours apprivoisé dont je vous ai parlé. Ne le touchez point Pathaway. Je m’en vas le renvoyer. Il me connaît. – Dehors, maudite vermine!

– Nicolas prononça précipitamment ces paroles et avec une accentuation qui ne lui était pas ordinaire.

Il craignait sans doute que l’animal n’attirât l’attention particulière de ses hôtes. En même temps, il le poussait devant lui et l’ours battait rapidement en retraite, mais avec des grognements formidables.

Bientôt homme et bête eurent disparu. Nick resta absent une dizaine de minutes, et quand il revint à la hutte, on remarqua qu’il était soucieux et triste.

Ayant observé que Pathaway et Sébastien l’examinaient attentivement, il tâcha de recouvrer la gaîté. Mais ses efforts mêmes le trahissaient.

D’ailleurs on le vit prendre pour son cheval des précautions inusitées.

Il l’appela et l’attacha solidement près de la porte.

Tandis qu’il s’occupait à cette besogne, Sébastien se glissa vers lui et d’un ton bas:

– Il y a du danger, n’est-ce pas, Nicolas?

– Bonté divine! mais non, il n’y a pas la plus petite difficulté, pas la plus petite! et c’est drôle, car il y a un monde de difficultés ici, et il y en aura toujours plus ou moins… surtout plus, ô Dieu oui! Je pourrais te raconter un tas de difficultés que j’ai eues, et ça durerait, vois-tu, petiot, d’aujourd’hui à demain, rien que pour t’en indiquer une. Mais rappelle-toi que quelle que soit la difficulté, qui arrive il y aura toujours près de toi quelqu’un qui n’aura pas peur de la rencontrer.

– J’en suis bien sûr, oh! bien sûr! répliqua chaleureusement Sébastien.

Puis il ajouta avec hésitation et un ton bas:

– Mais cet homme, ce Pathaway?

– Ah! je t’entends, je t’entends, fit Nick en souriant. On en aura soin, mon Sébastien, quoiqu’il ait l’air d’un gaillard bien capable de songer à lui. Tu l’as vu, il n’y a pas longtemps, se tirer en brave d’une diablesse de petite difficulté. Mais rentrons; celui dont nous parlons a maintenant l’oeil sur nous. Il épie tout. C’est singulier comme il te surveille parfois.

– Peut-être méprise-t-il ma faiblesse, répliqua Sébastien en rougissant.

– Parfois ça pourrait bien être ça; mais parfois aussi, ça pourrait bien être autre chose…, oui, autre chose. Je sais ce que je veux dire. C’est comme si tu lui rappelais une créature à laquelle il n’aime pas à penser. Il y a du trouble, vois-tu, dans son esprit. Ça lui donne l’apparence d’une matinée brumeuse. Il ne dort pas bien la nuit. Il rêve, tressaute et marmotte des paroles comme un meurtrier, c’est-à-dire, non, pas comme un meurtrier, mais plutôt comme un jeune homme qui a été désappointé en amour.

Nick fit une pause, et, arrachant des profondeurs les plus basses de sa poitrine un soupir, mi-partie lamentable, mi-partie sentimental comme il en jaillit des souvenirs à moitié ensevelis, il s’exclama:

– O Dieu, oui!

– Sébastien était agité.

Le bon trappeur avait touché une corde sensible dans cette sortie soudaine sur les bords de l’océan des émotions. Il se retourna pour cacher un mouvement de trouble.

Nick secoua la tête comme si une pensée brillait devant son cerveau, mais il demeura silencieux.

– Montagnard, demanda alors Sébastien affectant d’être joyeux, avez-vous jamais été désappointé en amour?

Nicolas, qui marchait au moment où cette question lui fut posée, s’arrêta court comme s’il avait reçu autour du cou un lazzo mexicain.

– Désappointé! mon garçon, désappointé! Nous sommes tous plus ou moins désappointés, plutôt plus que moins. Oui…

Il aspira longuement l’air et poursuivit:

– Oui, je puis dire que j’ai été désappointé. Il fut un temps où l’aspect de deux beaux yeux, d’une jolie bouche et d’un petit pied gentillement chaussé me mettaient de la poudre dans le sang. Mais n’en parlons plus. Ce qui est passé est passé. Quand l’occasion se présentera, je te dirai peut-être une histoire, peut-être bien aussi que non; car à quoi bon revenir sur ce qui n’est plus? Ma maxime, c’est qu’il faut rire des vieilles petites difficultés et s’armer constamment pour affronter les nouvelles.

Là-dessus, il rentra dans la hutte. Mais à peine y avait-il mis le pied que les chiens aboyèrent une seconde fois.

– Le trappeur fronça les sourcils et s’avança vers la porte qui s’ouvrit alors pour livrer passage à un homme d’un extérieur repoussant.

Sa physionomie était basse et sournoise, ses vêtements en haillons; des trappes rouillées pendaient à son dos. Un mauvais fusil et un couteau tout ébréché composaient ses armes.

Il avait le visage, le cou et les mains affreusement sales les cheveux dans un état de désordre étudié. Il voulait évidemment faire croire qu’il venait de loin, et que la faim l’avait tourmenté dans son voyage; mais un oeil exercé ne pouvait manquer de découvrir l’artifice; car ses joues n’étaient pas creusées et pâlies comme celles de l’homme qui est resté longtemps privé de nourriture: plutôt sa personne annonçait un homme bien repu qui a peu marché.

Il s’assit sur un tronc d’arbre, promena un regard scrutateur sur ce qui l’entourait, jeta ses trappes à terre, plaça son fusil entre ses jambes et salua la compagnie par ces paroles:

– Comment ça va, vous autres?

– Bien, merci. J’espère que vos gens sont bien aussi, répondit sèchement Nick.

– Nos gens! je n’ai pas vu de nos gens ces mois derniers; car j’étais allé chasser dans les prairies de la Saskatchaouane près de l’extrémité de la branche Sud et j’ai failli y mourir de faim. Les Pieds-noirs m’ont joué de vilains tours. Je suis heureux de revoir des blancs. Mes hardes sont un peu en loques; mais je pense que ça ne fait pas de différence pour des chrétiens.

Le nouveau venu paraissait ne pas plaire au chasseur noir et son aspect avait considérablement ému Sébastien.

– Comment vous appelez-vous? demanda Nick.

– Hendricks, chez les civilisés, répliqua l’étranger en jetant un coup d’oeil sur Portneuf.

– Comment se fait-il que vous soyez tombé sur mon camp? continua le trappeur d’un ton dur et qui contrastait vivement avec les façons qu’il déployait d’habitude envers les hôtes que le hasard lui envoyait.

 

– Singulière question à faire à un franc-trappeur qui a faim et qui flairerait un morceau de viande à douze milles à la ronde!

Il ramena lentement ses regards de Portneuf à Sébastien; et on le vit changer tout à coup.

Sa mâchoire inférieure s’abaissa. Il resta bouche béante avec une expression d’étonnement, de curiosité et une sorte d’effroi.

Ce fut l’affaire d’une seconde. Mais Hendricks avait vu ou redouté une chose qu’il ne pouvait plus désormais oublier. Si ses traits basanés eussent été débarrassés de la fange qui les masquait, on les eût trouvés plus défaits que ceux d’André Jeanjean.

Nick, qui était en train de ranimer le feu, ne remarqua point l’émoi soudain de son visiteur; toutefois Pathaway le surprit et chercha à se l’expliquer.

– Ce’n’est pas une singulière question, répliqua Whiffles. Je donne volontiers à manger et à boire quand j’ai de quoi, mais j’aime à savoir à qui je donne, car il y a dans ces cantons des gens qui ne valent pas la corde pour les pendre.

Et il ponctua cette phrase de son affirmation favorite

– O Dieu, oui!

– Je ne suis pas de ceux-là, commença l’étranger…

– Sais pas, sais pas, interrompit Niok. Je ne suis pas votre juge et tant mieux pour vous, je vous jugerais trop sévèrement, car, voyez-vous, vous n’avez pas une de ces bonnes figures franches comme je les aime, oui bien, je le jure, votre serviteur!

Hendricks se dressa tout d’une pièce en mâchonnant un juron.

– Vous voulez me chercher querelle, Nick Whiffles, dit-il ensuite, en se mordant la lèvre..

– Tiens, il paraît que vous me connaissez à présent, fit tranquillement le trappeur.

– Oh! vous n’êtes pas assez novice dans le Nord-ouest pour en être surpris, répondit Hendricks, toisant Nick de la tête aux pieds. Il vous est possible sans doute, de m’insulter ici, entouré de vos amis; mais si nous nous tenions entre quatre yeux dans quelque prairie solitaire, ou dans une sombre gorge vous n’auriez pas la langue si bien pendue… c’est moi qui vous le dis.

Il ramassa ses trappes et son fusil et ajouta:

– C’est bon, je me rappellerai votre hospitalité, Nick Whiffles.

– Vous feriez bien mieux de vous restaurer avant de partir, dit l’autre toujours calme..

– Non, non, merci, je m’en vais.

– Vous auriez tort, car vraiment, vous devez être plus affamé qu’un ours au sortir de l’hiver. Dieu de Dieu, qu’il est décharné! Pauvre homme, il a bien perdu dix livres de graisse! Je parie qu’il n’a pas avalé une bouchée depuis une semaine!

Les épigrammes de Nick blessaient comme des flèches celui qui en était l’objet.

Mais si d’un côté le ressentiment le poussait à se venger; d’un autre la vue de Sébastien semblait refroidir magiquement ses belliqueuses dispositions. Laissant tomber ses trappes et déposant son fusil en un coin, il dit d’un ton bourru:

– Je vois bien que vous m’aimeriez mieux dehors que dedans. Mais je ne m’arrêterai que pour tâter à un morceau de viande si vous en avez au service d’un pauvre diable qui a perdu ses pelleteries et une partie de ses trappes, d’une manière ou d’une autre, entre des Indiens et des blancs malhonnêtes.

– Vraiment! Bon, voilà ce que vous désirez, une tranche de venaison et un bâton pour la faire rôtir Arrangez-vous!

– Ouah! grommela Hendricks.

Et, sans autre formalité, il fit cuire sa viande, qu’il mangea ensuite, mais de l’air d’un homme plus contrarié qu’affamé. Puis il reprit ses instruments de chasse et s’apprêta à partir.

– Vous pouvez rester et passer la nuit, étranger lui cria Nick.

– Votre invitation vient trop tard, un petit peu trop tard. Vous m’avez fait mauvaise mine, Nick, mais nous nous retrouverons, je vous le garantis.

Les prunelles d’Hendricks se fixèrent comme par une attraction irrésistible sur Sébastien qui s’effaçait dans un coin derrière Portneuf.

L’enfant eut le frisson.

Mais bientôt l’étranger tourna sur les talons et partit en marmottant des menaces.

Il s’éloigna comme s’il était content de s’en aller, quoiqu’un pressant motif l’engageât à s’arrêter.

Une fois hors du camp, il prit une allure ferme et rapide qui ne trahissait ni ce long jeûne, ni cette fatigue accablante dont il s’était plaint.

Dans la hutte de Nick Whiffles, sa présence avait laissé une impression semblable à celle que cause souvent le cri d’un oiseau nocturne sur les esprits qui croient aux présages.

– Drôle de visiteur! fit Pathaway, voulant rompre un silence qui devenait fatigant. Je pense aussi que vous ne l’avez pas très-bien repu, ami Nicolas.

– C’est vrai; mais il y a, comme ça, dans le monde, voyez-vous, Pathaway, des têtes qui vous répugnent au premier aspect. Mon caractère et le sien ne pourraient s’accorder. Ils sont comme l’huile et l’eau; vous auriez beau faire, vous ne les mélangeriez pas. Mais, ce n’est pas la première fois que nous nous abouchons, lui et moi. Seulement, je ne me rappelle ni où, ni comment, ni pourquoi je l’ai vu, ô Dieu, non!

Nick passa la main dans sa barbe, l’allongea, en porta l’extrémité à sa bouche, et mordit les poils à belles dents, en regardant distraitement le feu qui flambait devant lui.

Sébastien s’approcha du trappeur et se hissant sur les pieds jusqu’à son oreille prononça quelques mots à voix basse.

Whiffles recula comme s’il eût été mordu par un serpent à sonnettes.

Puis il se frappa le front; ses yeux lancèrent des éclairs.

Il décrocha sa carabine et se précipita vers la porte de la cabane, avant que les autres témoins de cette acène fussent revenus de l’étonnement que leur causait un pareil changement de manières chez un homme habituellement aussi paisible et aussi flegmatique que l’était Nick Whiffles.