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Le chasseur noir

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XV. LE DUEL

Le soleil à son déclin versait sur la terre des rayons obliques qui mordoraient la cime des forêts. Les insectes achevaient de bruire sous l’herbe; les murmures du jour s’éteignaient peu à peu, et les oiseaux nocturnes commençaient à secouer leurs ailes.

Pathaway, les bras croisés, se tenait dans le vallon où la veille il avait eu, avec Hendricks, la scène racontée dans notre précédent chapitre. La mélancolie de cette heure solennelle se mariait à la mélancolie de ses pensées.

Insensiblement, le crépuscule jeta sur les objets des teintes vagues qui finirent par se perdre sous une mantille grisâtre. La brise cessa de faire frissonner les feuilles; le calme envahit la montagne.

Cette tranquillité parlait, comme une voix au coeur du jeune homme. Ses sympathies entraient en ardente communion avec la nature. Il en ressentait toutes les douces impressions.

Tout à coup, un homme parut sur le flanc de la colline.

C’était Hendricks.

– Je vous attendais, dit Pathaway quand il fut arrivé près de lui; et je craignais que vous n’eussiez oublié notre rendez-vous.

– Je suis venu pour me battre et non pour bavasser, répondit Dick d’un ton bourru.

– Vous serez satisfait, capitaine.

Ils déposèrent sur le gazon leurs ceintures et leurs pistolets. Hendricks ôta sa chemise de chasse, et montra nues ses épaules musculeuses.

– Les conditions? commença le chasseur noir.

– La vie pour le vainqueur, la mort pour le vaincu.

– C’est bien, dit Pathaway.

A son tour, il se dépouilla de sa tunique noire, mais sans affectation aucune.

Son adversaire put voir qu’il avait la poitrine pleine et arrondie, le bras bien fait et souple aux attaches, le buste admirablement proportionné.

Pathaway ne tremblait pas; mais la pâleur couvrait son visage. Ses yeux brillaient d’un éclat qu’Hendricks n’avait pas encore observé chez lui.

Il saisit, son bowie-knife. Le capitaine était prêt déjà. Tous deux se toisèrent une seconde. Hendricks se précipita sur Pathaway. Leurs armes se rencontrèrent. Des étincelles jaillirent du choc.

Une clameur aiguë déchira l’air et Dick se prit à ferrailler d’estoc et de taille avec une ardeur qui prouvait qu’il avait hâte d’en finir.

Il maniait avec une dextérité et une rapidité rares le terrible instrument qu’il avait choisi. Son couteau volait de côté et d’autre avec la célérité de la foudre. Mais partout il trouvait un autre couteau pour parer ses attaques. On eût dit qu’un bouclier invisible protégeait le corps du chasseur noir.

Celui-ci, cependant, demeurait sur la défensive: tantôt il reculait d’un pas, tantôt il se jetait à gauche, tantôt à droite, mais sans jamais se découvrir, sans faire d’effort pour répondre aux bottes de son antagoniste.

Le capitaine Dick ne tarda point à s’apercevoir qu’il consommait en vain sa vigueur et son adresse. Il s’arrêta pour reprendre haleine; car son coeur battait violemment, son poignet tremblait; la sueur baignait ses tempes.

Pathaway attendît silencieusement la reprise du combat. Mais il n’était pas difficile de voir qu’il commençait à s’intéresser à cette affreuse partie.

La confiance d’Hendricks dans sa force baissait, et perdre confiance en pareil cas, c’est perdre beaucoup quand ce n’est pas tout perdre. Celui-là qui ne doute pas de la victoire l’a gagnée à demi. Le doute est l’ennemi du succès.

Après un moment de repos, Hendricks s’avança pour continuer le duel, mais il s’avança avec plus de circonspection et moins d’assurance.

Alors Pathaway le pressa un peu et montra une habileté et une sûreté de coups qui réfrénèrent l’impétuosité du capitaine.

– Vous l’avez! s’écria soudain le chasseur noir… Et l’arme de Dick partit de sa main pour aller tomber à dix pas de là sur le sol.

Le misérable resta le bras tendu et soufflant comme un boeuf surmené.

Pathaway lui avait appliqué la pointe de son couteau sur le coeur et il l’envisageait avec la fermeté sombre d’un ministre de vengeance.

Les traits d’Hendricks se contractèrent. Son visage devint cadavéreux.

Ses dents cliquetèrent.

Il semblait déjà sentir le froid de la mort envahir ses membres. Mais, tandis qu’ils se regardaient, l’un avec le rayonnement du triomphe, l’autre avec une consternation impossible à peindre, un coup de pistolet retentit derrière Pathaway.

Le jeune homme tourna vivement la tête.

– Arrêtez! cria une voix féminine. On ne tue pas un homme désarmé. En frappant cet homme c’est moi que vous frapperiez.

En même temps une amazone se jeta entre eux.

Pathaway reconnut la jeune femme qu’il avait aperçue à l’entrée de la vallée du Trappeur et que Portneuf appelait Carlota.

Il se retira, s’inclina gracieusement et dit:

– Pour vous, madame, je l’épargne, quoique sa vie m’appartienne d’après les conditions de notre cartel.

– Et quel bien vous ferait sa mort? demanda Carlota.

– Demandez à Portneuf et à André Jeanjean, répliqua sévèrement le chasseur noir.

– Je ne vous comprends pas, dit Carlota changeant de couleur.

– Cet homme me comprend bien, lui! reprit Pathaway dont le doigt indiqua Dick qui frémissait encore, quoiqu’un sourire sinistre glissât sur ses lèvres.

Carlota passa la main sur son front et fixa ses yeux perçants sur le chasseur.

– Chut! chut! fit-elle brusquement. Ne parlez pas de cela, car cela ne vous regarde point.

Un regard d’avertissement accompagna sa remarque.

– Croyez-moi, jeune femme, dit Pathaway, je ne me tairai pas tant que la vérité me commandera de parler, et mon bras saura défendre mes paroles. Je dis que la vie de ce coquin m’appartient, et pas à moi seul, mais à la loi, car la loi atteint les gueux dans tous les pays, si loin que ce puisse être des grands centres de civilisation. La présence d’êtres humains fait la loi, même dans le désert.

– Vous êtes un fou, jeune homme, répondit Carlota impatientée. Je vous aurais donné la vie pour la sienne, mais votre imprudence vous perd; tant pis pour vous!

Elle étendit la main, et, aussitôt une vingtaine d’hommes surgirent des buissons voisins.

On les eût pris pour un peloton de démons détachés de l’enfer.

Ils entourèrent Pathaway, tandis que le capitaine Dick poussait des éclats de rire féroces.

Après le danger les lâches se font braves. La passion insoumise est insolente. Nous oscillons comme des pendules d’une idée à l’autre.

Cette joue que blêmit maintenant la terreur rougira bientôt d’orgueil. La délivrance soudaine produit souvent une révulsion qui atteint l’extrême même de l’émotion opposée.

Hendricks, oubliant la clémence de son vainqueur, se sentait disposé à abuser de son pouvoir.

Cependant, Pathaway, intérieurement fort troublé, gardait en apparence son sang-froid, remettait sa tunique, et glissait son couteau dans la poche de côté.

– Bien, dit-il, d’un ton assez léger, il paraît, mademoiselle ou madame, que je suis votre prisonnier. A votre prière j’ai épargné la vie de ce scélérat. Est-ce là la récompense que vous me réserviez?

Pathaway, en prononçant ces paroles, regardait Carlota. Il n’y avait ni embarras, ni impertinence dans ses manières ou son accent. Aussi excita-t-il l’intérêt de la jeune femme.

Le chasseur noir ressentait pour elle une véritable pitié, mélangée de curiosité.

Quelle était l’histoire de cette étrange et belle créature? Quel destin l’avait plongée au milieu de ces êtres farouches sur qui elle paraissait exercer un pareil ascendant?

– Oh! six pieds de terre, près de la piste du Trappeur, répliqua-t-elle avec un semblant de négligence, mais en étudiant la physionomie de Pathaway.

– Six pieds de terre! c’est ce qui doit m’échoir un jour, répondit-il tranquillement.

– Mais ce que tu ne désires pas maintenant s’écria Hendricks riant d’un rire sardonique.

– Je ne dis pas cela, je ne dis pas cela, capitaine Dick, repartit le chasseur. Car peut-être vous et les vôtres n’aurez pas cette bonne fortune, et qu’à la dernière heure, vos corps mesureront cinq ou six pieds dans l’air.

– Et si nous te pendions, toi aussi! hé! hé!

Cette menace souleva l’hilarité de la troupe.

Au bout d’un instant:

– Allons, mes gars, en avant! à la vallée du Trappeur et ayez l’oeil sur ce mangeur de lard, dit le capitaine à ses gens. Ah! j’oubliais de vous dire: j’ai retrouvé ce diable de Canadien-français chez notre ennemi juré, Nick Whiffles. Que le ciel le confonde! Oh! nous les ramènerons à la souricière.

Puis à la jeune femme:

– Carlota, ma chère, tu es arrivée à propos. Ce drôle m’avait pris par surprise.

Un sourire ironique arqua les lèvres de Pathaway; mais il dédaigna de répondre à cette grossière calomnie.

Quelques-uns des hommes haussèrent les épaules et s’adressèrent des oeillades moqueuses.

On se mit en marche.

La colline franchie, Pathaway aperçut dans la plaine plusieurs chevaux. Il devina que les brigands les avaient laissés à cet endroit afin de le surprendre plus aisément.

Chacun d’eux enfourcha un des animaux. Carlota elle-même se mit en selle, et fit placer Pathaway sur un cheval à côté d’elle.

Jamais notre héros ne s’était trouvé dans une situation aussi neuve, aussi propre à éveiller de sérieuses réflexions.

La nuit était tout à fait venue. Mais il ne faisait pas si noir que le jeune homme ne pût voir et admirer les attraits de sa compagne, car elle était belle, Carlota, la reine de cette horde sauvage!

Elle portait le même costume que le jour où Pathaway l’avait vue pour la première fois.

Ses traits étaient accentués, mais empreints d’une grande noblesse. Un ruban de velours, très étroit, ceignait son front et retenait ses cheveux dont les boucles tombaient capricieusement sur ses épaules.

 

Elle avait la taille fine, les épaules bien développées et tous les signes d’une santé robuste, capable de résister aux fatigues et aux privations. Ses yeux étaient noirs et d’un éclat difficile à soutenir.

Elle montait son cheval avec une élégance merveilleuse: tout en elle annonçait la femme habituée depuis l’enfance aux périls de la vie du désert. Pathaway fit, on le conçoit, un examen détaillé de sa personne, car il voulait savoir s’il pourrait s’échapper en l’intéressant à son sort.

– Singulière vie pour une charmante femme comme vous! dit-il, en se penchant à demi vers Carlota.

Elle arrêta brusquement son cheval.

– Singulière, dites-vous; mais n’est-ce pas celle de la liberté?

– Liberté… sans doute!… murmura Pathaway.

– Eh bien?

– Vous me pardonnerez mon audace, je trouve cette liberté trop grande.

– Vous trouvez?

– Je le confesse.

– A votre point de vue cela se peut. Mais nous sommes ce que nous font les impressions extérieures.

– Il y a de mauvaises impressions.

– Vous dites?

– Je dis que les impressions qui forcent une personne de votre sexe à jouer le rôle que vous semblez jouer sont mauvaises.

– Et que pensez-vous donc que je sois?

– Une femme égarée, la complice de gens flétris par la loi.

– Vous êtes franc, monsieur, répliqua sèchement Carlota.

– Pourquoi ne le serais-je pas? Est-ce que ces bandits qui vous entourent…

– Assez! interrompit Carlota. Il serait mieux pour vous de diriger vos pensées d’un autre côté.

– Je vous comprends. Vous voulez dire qu’il vaudrait mieux que je songeasse à mourir. Croyez-moi; mon existence n’a pas été si mauvaise que les remords puissent en troubler l’heure suprême. Et, après tout, est-ce qu’on doit se lamenter à l’approche du dernier ennemi de l’homme? Je parle sincèrement car je ne doute pas que je meure bientôt. Et vous jeune femme vous serez coupable de mon assassinat.

– Vous vous entretenez froidement d’une chose qui fait pâlir les plus braves, répondit Carlota avec une nuance d’intérêt.

– Je vous l’ai dit, je n’ai point à me reprocher d’avoir sciemment fait le mal; et j’ai foi en la miséricorde infinie de notre Créateur.

– Il suffit! s’écria Carlota en piquant son cheval, qui partit au galop.

Pathaway la suivit.

Elle parut lui savoir gré de ce mouvement.

– Vous venez des établissements? dit-elle tout à coup.

– Certes…

– Oh! oui, je le vois. Vous apportez ici des idées qui ne sont point les nôtres. Car vous ne savez pas que nous sommes une communauté, un monde! nous faisons nos lois et ne reconnaissons aucune autre législation. Je sais que cette terre est grande, qu’elle renferme une foule d’habitants, mais ces habitants me sont étrangers et je leur suis étrangère.

– Est-ce donc une raison pour vous faire louve? dit brutalement Pathaway.

– C’est la loi de la nature, reprit Carlota avec une emphase marquée. Il faut que tout animal vive aux dépens d’un autre. Les poissons dans l’eau, les fauves dans la forêt, les oiseaux dans l’air se dévorent les uns les autres. L’araignée tisse sa toile pour attraper la mouche imprudente, la panthère guette le daim pour le mettre en pièces, le vautour fond sur les poules, et, suivant cette grande loi de la nature, l’homme dépouille l’homme. Pourquoi mépriserions-nous les enseignements de la nature? Comment résister au commandement qu’elle a donné à toutes les choses animées? Les végétaux eux-mêmes ne se nourrissent-ils pas du suc des végétaux et même d’insectes?

Le visage de Carlota s’était incarné d’un enthousiasme farouche. Ses yeux noirs brillaient comme des diamants. Son coeur battait avec force.

Pathaway était muet d’étonnement.

– Quelle est votre opinion? dit-elle soudain et d’un ton souriant.

– Est-ce possible? est-ce possible? murmurait le jeune homme. Un esprit naturellement bien doué peut-il être aussi pervers? D’où lui viennent ces connaissances, cette facilité d’élocution? cette aptitude pour la comparaison?

Puis, élevant la voix:

– Vous m’affligez profondément, dit-il, car je vois qui vous êtes et je pense à ce que vous auriez pu être! Oui, en vous contemplant, j’oublie jusqu’à ma destinée. Et je me dis que votre sort est pire que le mien, quoique je sois menacé d’une mort violente.

Carlota, qui mordillait le pommeau de sa cravache, rassembla les rênes et mettant son cheval au trot, dit:

– Je n’ai jamais eu le bonheur de rencontrer un être aussi bizarre que vous. A quelle espèce appartenez-vous?

Cette question fut faite d’un accent moitié badin, moitié curieux.

– Je suis, répliqua le chasseur noir, un membre de la grande famille humaine et pas une bête de proie comme ceux qui m’entourent. Je ne suis pas un animal, mais un être humain.

– Et, moi, repartit amèrement Carlota, moi je suis l’animal à l’état sauvage.

Le chasseur noir se prit à sourire, en s’écriant:

– Et moi, votre butin légitime. Me mangerez-vous?

Elle haussa les épaules.

– Ne me sauverez-vous pas? fit Pathaway, se rapprochant d’elle.

– Non, répondit-elle d’un ton qui n’admettait pas d’équivoque.

Et pressant le flanc de son cheval, elle alla se placer près d’Hendricks.

Le chasseur noir demeura plongé dans un chaos de doute et d’agitation.

XVI. LA PISTE DU TRAPPEUR

La route devenait plus difficile et la nuit plus noire. Après avoir contourné les montagnes, franchi des ravines, traversé des parties de terrain boisées, ils arrivèrent à un étroit sentier, profondément encaissé entre des rochers à pic.

Pathaway roulait dans son esprit des projets d’évasion, mais sans trouver une occasion favorable pour les exécuter.

Une fois ou deux il songea sérieusement à fuir, lorsqu’ils atteindraient un pays plus découvert. Mais on le gardait avec tant de vigilance qu’il lui fallut renoncer encore à ce dessein.

Carlota se rapprocha de lui par hasard, ou peut-être intentionnellement.

Pathaway ne demandait pas mieux que de renouer la conversation avec cette jeune femme, et, d’ailleurs, il ne désespérait pas de l’intéresser à son sort.

– Voici une contrée bien sauvage! dit-il. Serait-ce une indiscrétion que de vous demander dans quelle partie de votre territoire nous sommes à présent?

– Nous parcourons la piste du Trappeur, répondit Carlota. Elle a reçu son nom de la légende d’un trappeur blanc qui, le premier, explora cette région solitaire. Ce trappeur s’égara au milieu des montagnes, et ce ne fut qu’au bout de deux mois qu’il parvint à s’en tirer. C’était au milieu de l’hiver. Aussi le pauvre homme eut-il à souffrir terriblement de la faim et du froid.

– Si ce fait fût arrivé maintenant, il eût été facile de s’expliquer la disparition du trappeur, dit Pathaway avec une légère teinte d’ironie.

– Sans doute, repartit sèchement Carlota.

– Je suppose que la piste du Trappeur conduit à la vallée du Trappeur, reprit le chasseur noir. J’ai ouï dire que plus d’un trappeur a perdu son chemin dans ces défilés.

– C’est bien possible, répondit Carlota.

– Il n’est pas non plus très-surprenant qu’on ne puisse toujours retrouver sa route quand on s’est engagé au milieu de ces gorges. M’est avis qu’on devrait y ériger des cabanes de refuge et y entretenir une meute de chiens, comme ceux du Saint-Bernard, pour sauver les trappeurs et les chasseurs égarés.

Pendant qu’ils causaient, la lune se leva, la sente s’élargit et Pathaway put mettre son cheval à la hauteur de celui de Carlota.

– La vallée du Trappeur! fit-elle en indiquant du bout de sa cravache un petit village à quelques pas devant eux.

Ce village se composait d’une quarantaine de huttes grossières et enfumées.

Pathaway laissa échapper une exclamation de surprise.

– Je supposais, dit-il ensuite à sa conductrice, que les tanières de vos gens étaient plus loin… dans quelque caverne.

– Ceux qui vont plus loin reviennent rarement répondit Carlota à voix basse. Mettez pied à terre.

Le chasseur noir s’empressa d’obéir, et il offrit la main à Carlota pour l’aider à descendre.

Mais, repoussant cette galanterie, elle sauta lestement de sa selle.

Pathaway se retourna et remarqua des signes de mécontentement non équivoques sur les visages de ceux qui l’entouraient.

Hendricks semblait particulièrement choqué de la familiarité qu’il avait témoignée à Carlota.

Le chasseur noir ne s’en émut pas.

– Vous reverrai-je? lui dit-il.

Elle ne répondit point et entra dans une cabane.

– Allons! cria Hendricks en le poussant vers me autre loge; allons, il est temps de vous préparer à sortir de ce monde. Nick Whiffles et vous nous avez joué de mauvais tours, mais j’espère que ce sont les derniers. Je suis bien sûr que vous n’êtes pas étrangers à l’évasion du Canadien. Peut-être vous figurez vous que je ne l’ai pas reconnu au camp de Nick, hein?

– Je sais que quelque chose vous a fait peur, répondit froidement Pathaway.

– C’est faux… faux! Je n’ai jamais eu peur.

– Bah! ou aurait dit que vous aperceviez un spectre.

– Mensonge! je regardais le gamin.

– Le gamin! riposta Pathaway avec une surprise parfaitement jouée.

– Lui-même.

Pathaway hocha la tête en signe de doute.

– Je crains fort que vous n’ayez pas la conscience bien nette, capitaine Hendricks, dit-il.

L’autre essaya un rire de mépris, mais il y avait plus d’effroi que de dédain dans les sons creux qui s’exhalèrent de sa poitrine. Cependant, pour se donner de l’aplomb, il lâcha une volée de blasphèmes épouvantables.

– Allons, entrez ici; c’est assez joué comme cela, grommela-t-il ensuite. Est-ce que vous pensez que parce que nous sommes des pirates de terre, nous devons tuer tous les enfants que nous rencontrons?

– Je ne vous comprends pas, capitaine, fit le chasseur noir.

– Le diable vous emporte! hurla Hendricks.

– On m’a dit, reprit Pathaway, que les criminels n’avaient point de repos. Je ne fais pas allusion à vous, capitaine; mais sans doute on vous a appris la même chose. Il est juste que les fantômes de ceux qui ont été assassinés viennent jour et nuit harasser leurs meurtriers. Il est de ces meurtriers qui ont été ainsi poussés à confesser leur crime, à se jeter entre les dents de ce monstre terrible, LA LOI, sombre dragon qui dévore impitoyablement les coupables.

– Ta! ta! ta! fit Hendricks en haussant les épaules et tournant sur les talons.

– Je sais ce que je dis, répliqua Pathaway avec un redoublement d’énergie. Moi-même, j’ai eu le malheur de tuer un homme en duel, et son cadavre sanglant ne me quitte pas.

– Jack Wiley! Jack Wiley, ici! cria le capitaine Dick.

Un homme parut. Il chancelait comme s’il eût été ivre.

– Hendricks ne s’aperçut probablement pas de l’état où se trouvait son subalterne, car il lui dit:

– Prends soin de ce gibier-là jusqu’à demain, et veille au grain, car si par malheur tu le laisses échapper, tu auras affaire à moi.

– C’est bien, capitaine; bien! on y verra, marmotta Jack. A-t-il des armes sur lui?

– Je ne pense pas, répondit Hendricks; mais, au surplus, tu as tes pistolets et ton fusil; il me semble que c’est plus que suffisant.

– Bah! il vaudrait mieux l’expédier ce soir, ça vous épargnerait l’ennui de le garder. C’est bien simple, une demi-once de plomb, vous savez?

– Fais ce que je te dis, et pas d’observation! répliqua aigrement Hendricks.

Et il sortit de la cabane.