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Le chasseur noir

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XVII. L’ÉVASION

En un coin de la hutte flambait un bon feu de sapinette, dont les chauds rayons éclairaient parfaitement le visage du chasseur noir.

– Tiens, c’est vous M. Pathaway! dit Jack d’un ton narquois; du diable si je vous aurais reconnu. Mauvaise chance, mal tombé cette fois! Vous n’avez plus longtemps à vivre. On vous a prévenu, n’est-ce pas?

– Oh! je ne désespère pas encore, dit le chasseur noir en souriant.

– Et vous avez tort.

Pathaway examina son interlocuteur.

Le visage de Wiley était sombre, presque impénétrable.

– Vous êtes un honnête homme? demanda notre héros.

– Moi, honnête, allons donc! je suis coquin et si je ne m’enorgueillis pas du titre, je ne m’en fâche pas non plus.

Pathaway comprit qu’il ne réussirait pas à faire battre un sentiment de générosité chez son gardien.

Il tourna alors ses batteries d’un autre côté et tâcha de le séduire.

– Si, dit-il, je vous offrais la fortune pour ma liberté.

– La fortune! et qu’en ferais-je? La fortune c’est bon dans les établissements; mais au milieu des montagnes à quoi ça peut-il servir?

– Mais ne pourriez-vous aller visiter les établissements?

– Moi! reprit Jack riant d’un rire incrédule! moi, visiter les établissements! Qu’est-ce que j’y ferais? à quoi serais-je propre? Est-ce que je saurais me coiffer d’un chapeau? mettre des bottes cirées. La belle tête que j’aurais dans un salon, hein? Ah! ah! ah! chacun me prendrait pour un ours gris.

– Oh! vous vous habitueriez bien vite à la vie civilisée!

– La civilisation, castors et loutres! qu’est ce que c’est que ça? Parlez du Nord-ouest et des jeunes beautés rouges et je vous comprendrai. Mais Jack Wiley ne veut pas de vos squaws au visage pâle. Elles ont l’air malade ces créatures-là. Vive les Indiennes! Ah! oui les Indiennes! Passe encore pour les bois-brûlées, mais vos filles blanches, pouah! je ne voudrais pas de la plus belle, pour une côte de bison. Assez causé. Ne me bâdrez plus à ce sujet, ou je me fâche.

– J’espérais qu’un millier de dollars en or, commença le chasseur noir…

– Un millier de dollars en or, hein! ça fait un boa tas, monsieur, interrompit Jack d’un ton pensif. Un millier de dollars! On peut faire diantrement des belles fêtes avec un millier de dollars, et même un fameux tour à Selkirk ou à Montréal.

– Mais oui, dit Pathaway, enchanté qu’il mordît à l’amorce.

– Est-ce que vous les auriez sur vous? fit Wiley jetant sur ses pistolets un coup d’oeil rapide, mais qui n’échappa point au prisonnier.

– Cet or sur moi, non, ma foi, je ne l’ai pas; je ne suis pas assez niais pour me charger d’une pareille somme quand je parcours ces régions.

– Psit! siffla Wiley. Vous vouliez m’en faire accroire; mais si vous n’êtes pas niais, vous n’êtes pas des plus fins, mon cher M. Pathaway. Allons, couchez-vous; il est temps, et tâchez de renforcer vos nerfs pour demain matin. Vous sentez que je ne suis pas un de ces oiseaux qui se laissent prendre avec deux grains de sel sur la queue.

– Soit! comme il vous plaira, répondit Pathaway, assez bon observateur pour s’apercevoir que sa tentative n’avait plus chance de succès.

Il s’étendit près du feu et se remit à réfléchir, car il avait découvert que le trappeur était sous l’influence de l’alcool.

Le chasseur noir ne savait guère comment il éviterait le danger mortel dont il était menacé. Mais il avait une de ces natures qui se plaisent au milieu des périls.

Sans se l’avouer peut-être, il aimait, comme Nick Whiffles, affronter «une maudite petite difficulté». Et, loin d’être abattu, son esprit se ranimait à mesure que les embarras de sa position augmentaient.

Wiley se tenait appuyé le dos contre la porte.

Il se remuait, tournait, agitait ses armes, mais ses paupières vacillantes étaient chargées de sommeil. Sa récente visite au monde des rêves et son rappel soudain par le capitaine Hendricks, avaient plongé son cerveau en une sorte d’état léthargique qui le pressait irrésistiblement de retomber dans l’oubli des choses extérieures. Son premier somme avait été comme le premier verre pour l’ivrogne: il sollicitait tous ses appétits vers un second. Aussi ses yeux se fermèrent-ils, malgré une ferme résolution de ne pas céder à la tentation.

Pathaway attendit ce moment avec une grande impatience. Mais il savait trop combien la circonspection lui était nécessaire pour agir en imprudent.

C’est pourquoi, lorsqu’il jugea que Wiley était bien endormi, il se souleva sur son coude, allongea le pied contre un fagot et brisa quelques branchages.

Il en résulta un son sec qui fit tressaillir la sentinelle.

Elle se redressa galvaniquement et baîlla.

Pathaway reprit aussitôt sa position première, et Jack, ayant une vague idée que tout allait bien, se reprit à ronfler de plus belle. Il n’y a rien que nous désirions tant que le sommeil quand il nous est défendu.

Prémuni par cette expérience, le captif prit encore plus de précautions.

D’un mouvement aussi rapide que léger, il fut sur ses pieds et se précipita sur Wiley, qui, malheureusement, se rappelait dans ses rêves la menace que lui avait faite le capitaine Hendricks. Pathaway était certain de n’avoir fait aucun bruit; mais quelque chose avertit son geôlier du danger: il bondit comme un automate mu par des ressorts et chercha ses armes, qui étaient tombées à ses côtés.

Mais il était trop tard; car, d’une main, Pathaway l’avait saisi à la gorge et renversé avant que Jack eût seulement pu ramasser un pistolet.

Le jeune homme noua ses doigts d’acier autour du cou de son gardien, et, plantant son genou sur sa poitrine, lui dit d’une voix sourde, mais impérative:

– Silence ou tu es mort!

En même temps, il retirait le couteau qu’il avait, on se le rappelle, caché dans sa poche de côté, et en faisait briller la lame sous les yeux de Wiley qui, interdit autant que suffoqué, ne put faire avec la tête un signe de consentement.

Le chasseur noir desserra ses doigts.

– Pour l’amour du ciel ne me tuez pas! balbutia le bandit.

– Ta vie, répliqua Pathaway, dépend entièrement de ton obéissance. Mais si tu ouvres la bouche, je t’étrangle.

Wiley aurait voulu parler, mais une crainte mortelle le tenait muet, à demi paralysé sur le sol.

Le chasseur noir tailla aussitôt une large bande de peau d’antilope dans la casaque de chasse du brigand. Puis il lui dit:

– Tourne-toi et dépêche.

Jack obéit avec un grognement.

Aussitôt Pathaway lui appliqua sur la bouche ce bâillon d’un nouveau genre, en découpant dans le même vêtement deux autres lanières, il lia avec rapidité les mains et les pieds de Wiley qui n’osait bouger quoique les ligatures faites, sans trop de délicatesse on le conçoit, fissent jaillir le sang de son épiderme.

Cela terminé, Pathaway s’adressa encore à Wiley:

– Tu vois, coquin, que les choses changent quelquefois plus vite que nous ne le prévoyons. Si tu avais été le prisonnier et moi la sentinelle endormie tu m’aurais tué, n’est-pas?

En prononçant ces paroles, le chasseur noir passait à sa ceinture les pistolets de Wiley, s’emparait de munitions et tout en jetant la carabine sur son épaule il ajouta:

– Il suffirait d’un coup, tu vois, pour mettre fin à ta misérable existence. Mais je ne suis pas de ceux qui aiment à verser le sang. Je ne le fais qu’à mon corps défendant… Je t’avertis, néanmoins, que je demeurerai quelques instants sur le seuil de cette cabane, et si tu fais un effort pour crier ou te détacher, j’en finirai avec toi.

Cette menace était inutile. Abruti par le whiskey, terrifié par ce qui venait de se passer; Wiley ne songeait pas à lutter, contre ce redoutable adversaire.

On comprend bien que, malgré sa déclaration, le chasseur noir ne s’arrêta point à la porte de la cabane et qu’aussitôt dehors il chercha à s’orienter.

La nuit étendait son aile noire sur le camp des bandits.

Un à un les feux s’étaient éteints; les habitants de ce terrible repaire dormaient dans leurs loges, et la plupart étaient en proie à une ivresse complète.

L’heure était favorable pour s’enfuir.

Le coeur de Pathaway battit avec violence au moment où il respira l’air de la liberté. Mais son émotion ne dura que quelques secondes.

Il s’élança bravement à travers le réseau de huttes et s’enfonça dans un chemin creux, qui lui parut être le même qu’on lui avait fait suivre pour arriver à la vallée du Trappeur.

Déjà les maisonnettes disparaissaient derrière lui et il ralentissait sa course pour reprendre baleine, quand, tout à coup, une ombre se dressa devant lui.

Cette ombre,.c’était; celle d’une créature humaine, celle de Carlota.

Pathaway l’avait trop bien examinée pour ne pas la reconnaître. Son apparition, à cet instant, ne pouvait être agréable au chasseur-noir.

Mais l’avait-elle aperçu? La lune était cachée, l’obscurité épaisse.

Peut-être avait-il échappé aux regards de la jeune femme.

Il s’arrêta Immobile, espérant que les ténèbres la protégeraient de leur bouclier.

Pathaway se trompait.

Carlota l’avait découvert. Elle s’approcha avec incertitude d’abord, puis avec décision en arrivant plus près.

Sa démarche et ses gestes indiquaient une surprise.

– Veuillez être silencieuse, dit Pathaway d’un ton impérieux quoique bas.

– Me commanderiez-vous? répondit hautainement Carlota:

– Non, vous êtes femme, je vous prie.

– Eh bien, donc?

– Écoutez, je m’échappe, parce que j’ai voulu m’échapper, et, à présent ni femme ni homme ne m’arrêterait impunément.

L’accent du chasseur noir exerçait un puissant empire. Mais Carlota n’était, paraît-il, pas femme à se laisser facilement intimider, car elle répliqua négligemment:

– Et s’il me plaît d’élever la voix et de crier «holà!»

 

Pathaway se jeta sur elle et lui colla la main contre la bouche.

– Excusez! nécessité oblige! siffla-t-il entre ses dents.

Elle ne fit aucun effort pour le repousser, ne bougea point, mais se tint calme, dédaigneuse, grande de dignité.

Cessant de la bâillonner, Pathaway la saisit au poignet.

– Nous sommes devant Dieu, mais prenez garde! dit-il avec une solennité lugubre.

– Oh! je sais, répliqua-t-elle froidement. Mais les menaces ne sauraient émouvoir Carlota.

– Alors, par le ciel, j’userai de la force!

Pathaway entoura de son bras droit la taille de cette Mystérieuse créature, et il allait lui fermer une seconde fois la bouche avec sa main gauche quand elle cria «Arrêtez!» avec tant d’impétuosité que ce dernier mouvement fut comprimé.

– Et que voulez-vous? ajouta Carlota avec une certaine agitation.

Croyez-vous qu’on m’effraye ainsi? Ai-je dit que je vous trahirais?

Le chasseur noir tressaillit.

– Vous alliez appeler au secours, dit-il presque timidement: je craignais que l’alarme….

– Laissez-moi continuer avant de parler, interrompit Carlota. Ce que je voulais dire, je ne l’ai point encore dit, et je voulais simplement crier: «Holà, Montagnards!»

– Pour l’amour de Dieu, taisez-vous! fit Pathaway, avec une intonation vibrante, quoique caverneuse.

– Ai-je donc élevé la voix plus haut que son timbre naturel? demanda-t-elle doucement. N’aurais-je pu crier si je l’eusse voulu… voyons? Était-il en votre pouvoir de m’empêcher d’éveiller le camp? Eh! vous ne le pensez point.

Elle prêta à ces mots l’emphase d’une femme habituée à dominer et qui se sent blessée dans ses fibres les plus délicates.

– Carlota répondit Pathaway changeant de manière et déployant plus d’affabilité; Carlota, je me suis mépris sur votre compte. Pardonnez-moi, je vous en conjure; mais, de grâce, laissez-moi partir sans retard. Souvenez-vous que c’est à votre sollicitation que j’ai épargné les jours d’Hendricks – votre père ou votre mari, ou votre amant, n’importe! J’en appelle à la compassion qui vous anime et je me confie à votre miséricorde.

– Oh! fort bien, après m’avoir insultée, après avoir osé lever la main sur moi!

– L’instinct de la conservation! balbutia Pathaway.

– Oui, cela se peut; mais les outrages ne s’oublient pas, surtout quand ils s’adressent à une femme de mon caractère. Vous êtes à ma merci.

Le chasseur noir fut prit d’un accès de colère qu’il essaya en vain de refouler.

– Oh! madame, s’écria-t-il, faites que je ne vous implore pas inutilement, car….

– N’avez-vous pas mendié mon assistance? interrompit-elle, en redressant sa belle tête, dont la brise de nuit faisait ondoyer l’opulente chevelure’.

– Oh! oui, repartit Pathaway avec empressement.

– Et si je ne mettais, aucun obstacle à votre fuite, trouveriez-vous le moyen de sortir de la vallée?

– J’en ai la conviction. Une fois dans le sentier de la piste du Trappeur, je suis sauvé.

– Peut-être oui, peut-être non. J’ai entendu parler de vous et je sais que vous êtes aussi brave qu’habile, mais….

Elle fit une pause.

– Mais? répéta Pathaway tout ému.

– Suivez-moi.

Il n’hésita point. Elle l’avait fasciné.

Carlota fit un détour et le mena, à travers des amas de rochers, et d’épais halliers, à un chemin rétréci, que le chasseur noir ne reconnut pas, de prime abord.

Bientôt ils arrivèrent près d’un cheval sellé et bridé.

– Qu’est-ce que cela? s’enquit Pathaway étonné.

– Eh, mon Dieu! ne devinez-vous point pourquoi ce cheval est ici? répliqua Carlota en souriant.

Les yeux du chasseur percèrent les ténèbres et cherchèrent à lire sur les traits de la jeune femme.

Mais elle avait détourné la tête.

– Puis-je croire que vous méditiez mon évasion et m’ayez amené un cheval?

– Croyez ce que vous voudrez; l’animal est maintenant à vous.

– Quoi?… oh! que vous êtes bonne et généreuse! Combien j’ai eu tort de vous soupçonner!…

– Assez! dit-elle fièrement. Une fois faite, une méprise l’est pour toujours.

– Elle s’arrêta, comme si elle luttait, contre une violente émotion. Son petit pied battait le sable, et de sa cravache elle vergettait les larges plis de son amazone.

Pathaway la considérait avec émerveillement.

Enfin, elle dit:

– Vous êtes discret?

– Oh, madame!

– C’est bien, pas de protestations, votre parole me suffit. Je vais vous procurer un guide… mais à une condition.

Cette déclaration n’accommodait sans doute point le chasseur noir, car il fit un geste que la jeune femme interpréta aussitôt défavorablement.

– Vous me suspectez, s’écria Pathaway. Votre sexe est toujours prêt à manquer de confiance dans le mien.

– Après? prononça-t-elle sèchement.

– Je pensais que les femmes ne faisaient pas de condition, et que leurs actes étaient libres et volontaires.

– Pour ce qui les regarde, cela se peut, répliqua-t-elle, mais quand il s’agit des autres c’est différent. La trahison, voyez-vous, c’est une terrible chose…. Promettez-moi cependant que vous ne partirez pas avec des intentions hostiles.

Pathaway se taisait.

– Vous hésitez? demanda-t-elle d’une voix frémissante.

– Vous me mettez dans une pénible position, répondit le chasseur noir fort embarrassé. Sans refuser de me rendre à un ordre de ma bienfaitrice, je manquerais à mon devoir envers l’humanité si je vous donnais la parole que vous désirez, car, je vous le confesse, mon plus grand bonheur sera de chasser de cette retraite les misérables qui s’y réfugient et de venger les nombreuses victimes de leur cupidité et de leur barbarie.

– Oui, voilà bien ce que je prévoyais. Vous bondissez à l’idée de revenir promptement ici avec une force écrasante… n’est-ce pas cela?

– Tel n’est pas mon dessein.

– J’ai ouï dire que le gouvernement anglais organisait une expédition contre nous, et qu’un détachement militaire devait partir de Montréal – s’il n’était déjà en route – pour nous donner la chasse.

– Je promets, répliqua Pathaway, de ne conduire contre vous ni troupe de guerre ni gens armés, mais je ne puis jurer de ne plus revenir dans la vallée du Trappeur. Vous oubliez, belle Carlota, ajouta-t-il galamment, que votre présence ici peut avoir de l’influence sur mes opérations. Des charmes comme les vôtres…

– Finissez! pas d’outrage, je vous prie. Un futile compliment ne me trompe pas; l’hypocrisie me fâche. Je n’exige plus rien. Demeurez ici quelques instants, et je vous enverrai une personne qui vous mènera fidèlement au camp de votre ami.

– La femme sera toujours femme! murmura Pathaway. Excusez, Carlota; il est un sujet dont je dois, comme homme d’honneur, vous parler avant de nous séparer. Il s’agit de la fille du Canadien.

– Ce n’est pas l’heure de faire des questions, répondit-elle précipitamment, avec un trouble manifeste.

– Et, baissant la voix, elle reprit:

– Connaîtriez-vous cette Nannette?

– Je ne l’ai jamais vue, dit Pathaway, mais au nom de l’humanité, je voudrais pouvoir la protéger. Qu’est-elle devenue? Ne pouvez-vous rien faire pour la sauver? Portneuf s’est échappé, je l’ai vu.

– Hendricks avait raison. Il a beaucoup à craindre de vous. C’est la première fois que je déserte ses intérêts. N’importe, ce qui est fait est fait. Ne bougez pas jusqu’à l’arrivée du guide.

Carlota s’éloigna d’un pas léger et rapide. Bientôt elle eut disparu dans les profondeurs de la nuit.

XVIII. JOE

Ce ne fut pas sans méfiance que Pathaway attendit l’arrivée du guide que Carlota lui avait promis.

Il se disait que peut-être elle se repentirait de ce qu’elle avait fait pour lui, et, qu’au lieu d’un conducteur, elle enverrait une troupe de bandits pour le reprendre. Son anxiété croissait de plus en plus et ses doutes prenaient la forme de la réalité quand le trot d’un cheval l’avertit que quelqu’un approchait.

En manière de précaution, Pathaway tira un pistolet et se tint sur le qui-vive.

Mais heureusement ces mesures étaient inutiles, car le cavalier qui arrivait était le guide annoncé par la jeune femme.

Il appartenait à la race indienne et pouvait avoir quatorze ou quinze ans.

– Squaw blanche avoir envoyé moi, dit-il. Moi montrer chemin à visage pâle.

– Carlota t’a envoyé? demanda le chasseur noir tout à fait rassuré.

– Joe l’a dit; Joe jamais dire même chose deux fois. Indien pas faire question; homme blanc faire question, pas juste.

Voyant que le jeune garçon n’était pas disposé à causer, Pathaway, qui s’était mis en selle, le suivit en silence.

Il songeait à Carlota, à Sébastien, à Nick, et à bien d’autres choses qui se rattachaient aux derniers événements de sa vie.

Quand l’aurore commença de blanchir l’orient, Joe mit son cheval au galop, partout où il fut possible, et marcha au grand trot dans les passes difficiles.

Sans doute, il avait hâte d’être hors de la vallée du Trappeur. En bien des endroits le sentier était dangereux, mais les deux animaux paraissaient accoutumés à le parcourir, et ils allaient d’un pas rapide, ferme et sûr.

Le soleil se leva au moment où il débouchèrent du défilé.

Pathaway supposait que son guide le quitterait à ce point; mais il n’en fut rien. Joe continua sa course vers le lieu où Hendricks et le chasseur noir s’étaient, rencontrés la veille.

– Je pense, dit alors Pathaway, que nous allons nous séparer ici.

– Séparer! non. Joe aller plus loin, répliqua le jeune garçon.

– Mais le capitaine Hendricks s’apercevra de ton absence? reprit le chasseur noir.

– Joe pas peur du capitaine. Il ira avec toi au camp de l’homme blanc, Nick, comme tu l’appelles.

Il jeta un coup d’oeil à Pathaway, puis il fixa ses regards sur la tête de son cheval.

– Ta maîtresse, Carlota, t’a-t-elle dit de m’accompagner jusque là? demanda Pathaway.

– Maîtresse avoir dit à Joe rester aussi longtemps qu’il voudrait. Joe revenir peut-être, et peut-être pas. Lui aller, ici, là, partout – pas savoir où il va. Parfois être guerrier.

– Alors, tu es libre de faire ce que tu veux? reprit le chasseur qui avait été tellement préoccupé jusqu’à ce moment qu’il n’avait pas fait grande attention au jeune Indien.

– Oui, repartit-il nettement.

Pathaway se prit à l’examiner.

C’était un garçon bien constitué et de fort bonne mine, qui semblait aussi capable que tout autre de sa race de faire son chemin dans le monde.

Il avait des cheveux longs, noirs, dont les boucles abondantes baignaient son visage et ses épaules. Son teint était très-foncé, et on remarquait en lui un penchant à la coquetterie, car il était chamarré de peintures, de plumes et de broderies, en rassade.

Il devait évidemment être un favori, parmi les habitants de la vallée du Trappeur, sans quoi il n’eût pas été aussi galamment attifé.

– Je parle pour ton bien, dit le chasseur noir, car il vaudra mieux pour toi ne pas retourner au milieu de cette bande de coquins. Mais il me semble aussi que tu es bien jeune pour te lancer sur la piste des guerriers, la tribu doit camper loin d’ici.

– Joe pouvoir chasser, pêcher et subvenir à ses besoins. Ne t’inquiète pas de lui.

– Depuis combien de temps as-tu quitté les tiens?

– Deux ou trois lunes. Squaw blanche donner à moi des habits, beaucoup à manger, rien à faire. Joe pas aimer ouvrage. Femmes faire ouvrage pour lui.

Le jeune Indien toucha son cheval de la main et accéléra son allure au point que Pathaway fut obligé de mettre sa monture au galop pour se maintenir à sa hauteur. Au bout d’une heure, ils atteignirent le but de leur destination, c’est-à-dire la cabane de Nick Whiffles.

Le brave trappeur était devant sa porte et appuyé sur sa carabine.

A la vue des deux cavaliers, il éprouva un double sentiment de plaisir et d’étonnement, qui se refléta instantanément sur son visage.

– Ma foi, je partais, ô Dieu, oui! exclama-t-il. J’ai fait une tournée la nuit dernière et j’allais en recommencer une autre. Je savais bien que vous reviendriez; je me tuais de le dire à Sébastien, mais il n’en voulait rien croire, oui. Dieu, je le jure, votre serviteur! Drôle de garçon que Sébastien, c’est moi qui vous le dis. Figurez-vous qu’il n’a pas fermé l’oeil de toute la nuit dernière. Il n’a fait que geindre et brailler comme une Madeleine. Tiens, mais vous avez l’air de vous être colleté avec quelque guerrier indien. Vous revenez avec deux chevaux et un prisonnier. Tant mieux; vous êtes le bienvenu; Quelle diablesse de maudite petite difficulté?…

Tandis que Nick faisait cette question, Sébastien sortit de la hutte.

 

Sa première impulsion fut évidemment de se précipiter vers Pathaway et de lui saisir la main. Mais il s’arrêta à mi-chemin, dans une attitude qui indiquait la surprise et la joie.

Le chasseur noir s’empressa de le saluer affectueusement.

– Quelle espèce de bagage avez-vous là? demanda Nick en désignant l’Indien.

Joe n’avait pas mis pied à terre. Ses regards étaient attachés sur Sébastien.

– Ce garçon m’a servi de guide depuis la vallée du Trappeur, répondit Pathaway.

– La vallée du Trappeur! exclama Sébastien, en frappant ses mains l’une contre l’autre.

Il avait l’air effaré et contemplait attentivement le guide.

Le chasseur observa ce tressaillement et le changement soudain de posture.

– Ainsi, dit Nick, vous êtes allé à la vallée du Trappeur et vous en revenez vivant? C’est bien extraordinaire, oui bien, je le jure, bien extraordinaire!

S’adressant ensuite à Joe:

– Pied à terre, et voyons quelle mine tu nous as.

– L’Indien ne parut pas avoir entendu.

– Mais Pathaway lui ayant, fait un signe, il sauta prestement sur le gazon.

– Joli marmot, joli marmot, quoiqu’il ait un petit brin l’air d’un gesteux. Il a bonne façon, tout de même, oui bien, je le jure, votre serviteur!

Sébastien et Joe échangeaient, durant cette apostrophe, des oeillades étranges.

Pathaway crut y découvrir des signes d’une vive inimitié.

– Ainsi donc, poursuivit Nick, changeant brusquement de sujet de conversation, vous êtes allé à la vallée du Trappeur. Voyons, mettez-moi ces bêtes-là au pâturage, et venez nous dire ce que vous avez vu et entendu.

A cet instant, Sébastien poussa un cri de terreur, en montrant du doigt la tunique de Pathaway, tailladées et déchirée en plusieurs places.

– Une maudite petite difficulté, oui bien, je le jure, votre serviteur! dit Nick qui avait fait la même observation. Moi, je me suis toujours bien tiré des difficultés. Chacun a les siennes. Elles vous tombent sur les épaules quand vous ne vous y attendez pas, et ce n’est pas toujours facile de les mettre de côté, ô Dieu non! C’est vrai, ça, les difficultés nous pleuvent sur la caboche dès que nous touchons la terre. Le premier souffle se fait au milieu d’un tas de difficultés, tout aussi bien que le dernier.

Puis viennent les dents, la coqueluche, la rougeole, la petite vérole, la fièvre scarlatine et tout le tremblement des maladies!… Et les coupures, les bosses, les claques, les torgnoles, les roulées, les piles qu’on attrape à l’école! Les bosses? ça me rappelle que j’avais une polissonne de disposition pour tomber quand j’étais moutard.

Je savais parfaitement grimper sur les arbres, mais c’était bien le pis pour moi, car au plus haut que je montais, de plus haut je tombais. Il y avait dans la maison une couple d’escaliers que je ne descendis jamais que la tête en bas, jusqu’à l’âge de onze mois. Et je faisais tant de vacarme alors, que les voisins croyaient que j’apprenais à jouer de la grosse caisse. Et c’est que je vous avais aussi une voix! Ce fut surtout dans ma deuxième année que cette superbe voix se développa.

Les difficultés l’avaient tant élargie que quand j’ouvrais la bouche les vitres tremblaient et tout le monde se bouchait les oreilles. Il fallait m’entendre quand j’étais tombé d’un pommier ou d’un cerisier! Quelle musique, bon Dieu! Regardant ceux qui l’entouraient, Nick s’interrompit pour dire ensuite:

– Sébastien, ne mange pas ainsi l’Indien avec tes yeux, Indien, ne mange pas ainsi Sébastien avec tes yeux. J’ai connu des enfants qui sont devenus enragés pour s’être ainsi dévisagés.

Où en étais-je? Ils m’ont fait perdre le fil de ma pensée, avec leurs mauvaises façons…. Votre chemise de chasse est pas mal endommagée, Pathaway.

Il s’arrêta et se prit à considérer alternativement le chasseur noir elles deux adolescents.

– Pour vous tout dire en peu de mots, répliqua Pathaway, j’ai eu, avant-hier, une rencontre avec cet Hendricks. Nous nous sommes dit de gros mots; il s’est montré insolent et je lui ai donné une leçon.

– Ah! j’en suis content, ô Dieu, oui! s’écria Nick en frappant le sol avec la crosse de sa carabine, bien content, répéta-t-il, et je pense que cette leçon a été bonne.

– Quelques coups de poing qui l’ont envoyé rouler à terre.

– Bravo!

L’oreille tendue, la paupière dilatée, la respiration haletante, Sébastien écoutait.

– Est-ce tout? demanda Nick.

– Non. Il fallut une revanche. J’ai proposé un duel au couteau, il a accepté; et, dans la soirée d’hier, nous étions sur le terrain, un charmant endroit. La victoire me favorisa; je désarmai mon adversaire.

Le jeune Indien, qui jusqu’alors avait paru indifférent au récit, se rapprocha du narrateur.

– Hendricks était à ma merci, reprit Pathaway, et je ne sais ce que j’aurais fait quand une femme s’interposa.

– Carlota, c’était Carlota! murmura Portneuf qui venait de les rejoindre, car cette conversation avait lieu hors de la hutte.

– Oui, c’était Carlota, et avant que je connusse le danger, j’étais entouré par les vagabonds de la vallée du Trappeur.

– La misérable! exclama Sébastien.

Le jeune indien lui décocha un regard irrité; mais resta immobile.

– J’étais prisonnier, reprit Pathaway; et, après m’avoir fait marcher quelque temps ils m’ont donné un cheval et conduit à la vallée du Trappeur perdu où je suis entré par l’est.

– Vrai! dit Nick, dont le visage s’épanouit, et qu’avez-vous vu?

– Oh! peu de chose, peu de chose; quelque pauvres huttes, pas loin de la piste du Trappeur, qui est à la vallée du même nom ce qu’est un petit ruisseau se jetant dans un lac. Tous les mystères du local ne me furent pas révélés. Les bandits m’ont caché leurs antres les plus secrets.

– Sans doute, dit Nick; mais je crois que ces antres ne sont pas loin du lieu où nous avons trouvé Portneuf.

– Je fus, continua le chasseur, commis à la garde de Jack Wiley, avec promesse d’être pendu le lendemain matin. Fort heureusement mon geôlier s’endormit; je sortis de la hutte et je cherchais la piste du Trappeur quand je rencontrai….

– Vous rencontrâtes? interrompit fiévreusement Sébastien.

Le jeune Indien fronça les sourcils.

– Carlota, répondit Pathaway.

– Que dit-elle? que vous dit-elle? s’écria, Sébastien avec une agitation extraordinaire.

– Que je ne la comprenais pas; que j’avais été grossier envers elle, et qu’elle m’apprendrait à la connaître.

Les prunelles de Joe dardèrent des éclairs.

– La femme n’était pas tout à fait morte en Carlota, poursuivit le chasseur noir. Elle avait préparé mon évasion et je faillis tout perdre par ma vivacité.

– Est-ce que, demanda timidement Sébastien, est-ce que cette Carlota – cette femme-homme – est belle?

Les regards de Joe se rivèrent sur le visage de Pathaway.

– Je ne m’en suis pas occupé sérieusement, répliqua ce dernier en souriant; mais maintenant que je me rappelle ses traits un à un, je déclare qu’elle est avenante. Pour mieux dire, elle a une certaine beauté sauvage capable de séduire bien des hommes. Elle est brillante et audacieuse. Ce sont des qualités qui éblouissent certaines gens.

S’adressant à l’Indien:

– Voyons, que penses-tu de ta maîtresse, Joe?

– Pour ceux qui l’aiment, elle belle; pour ceux qui ne l’aiment point, pas belle, répondit-t-il.

Et ses yeux, un instant abaissés, se portèrent de nouveau sur Sébastien.

– Eh diable! qu’est-ce que ça te fait, petiot, qu’elle soit belle ou non? dit Nick d’un ton goguenard. Est-ce que tu aurais envie de lui faire un doigt de cour? Ah! si c’était le cas, tu peux bien être sûr que je ne donnerai jamais mon consentement pour te marier avec la fille d’un pirate de terre, si ce n’est pas sa femme, ô Dieu, non!

– Je crois plutôt que c’est sa fille, dit Pathaway.

– Donc, reprit Nick, la vermine vous donna un cheval et un guide pour vous tirer de cette diablesse de vallée? hum! hum! hum! C’est pas tout à fait naturel ça. Je gagerais Maraudeur contre la première cagne venue que vous avez mis sa poitrine dans une maudite petite difficulté; c’est-à-dire, pas sa poitrine, mais son sein, ce qui n’est pas encore exact, car j’aurais dû dire son coeur, n’est-ce point Pathaway?

Sébastien sourit et Joe se mordit la lèvre inférieure.

– Oh! dit le chasseur noir, je ne suis pas assez fat pour m’imaginer que je fais ainsi des conquêtes à première vue. Du reste, Carlota n’est pas une femme commune.

– C’est aussi mon opinion, appuya Portneuf. Mais vous ne m’avez point parlé de mon enfant, de ma Nannette. J’attendais….