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– Un espion! un espion! où est-il? Il faut faire un exemple! il faut le lyncher, le pendre! répétait-on avec des accents terribles autour de l’infortunée Léonie.



Un homme la saisit au collet:



– Qui es-tu, que fais-tu? lui dit-il brusquement.



Elle se mit à pleurer. Ses larmes furent interprétées comme un témoignage de culpabilité.



– Allons, dit l’homme, ton nom, et vite!



Folle de terreur, de confusion, elle se taisait.



– C’est un traître! Qu’on l’accroche à un arbre! vociféraient les patriotes.



– C’est une femme déguisée! glapit l’Indienne à quelque distance.



– Une femme! nous allons voir ça!



Avec ces mots, salués par les ricanements et les quolibets de la populace, l’individu qui s’était emparé de la jeune fille fit sauter les boutons du frac qui lui emprisonnait la taille.



– Oh! pitié! grâce! monsieur; grâce! supplia-t-elle en tombant à genoux.



– Déshabillez-le! déshabillez-le! et qu’on lui donne le fouet! oui, qu’on le fouette! nous allons rire! beuglaient quelques ivrognes.



– Oh! monsieur! monsieur! épargnez-moi cette honte! Je vous dirai tout! Je suis une pauvre fille, bégayait Léonie à travers ses sanglots.



– Une fille! tu es fille! Qu’est-ce que ça veut dire?



– J’avais envie d’assister à l’assemblée.



– Pour nous trahir!



– Je vous fait le serment que non. Je suis venue avec mon cousin, un patriote, un des Fils de la liberté!…



– Quel est ton nom?



Léonie hésita.



Sachant combien son père avait d’ennemis, combien il était odieux au parti libéral, elle pressentait la fureur de cette plèbe exaltée, en apprenant qu’elle était la fille de M. de Repentigny.



Elle recueillit, pour un élan suprême, tout ce qui lui restait de vigueur, se releva d’un bond, tendit ses mains en l’air et s’exclama:



– À moi! à moi! à moi!



Ce cri fut entendu, car la foule, haletante, grondeuse, s’écarta presque aussitôt pour livrer passage à trois hommes qui, comme un torrent, accouraient, renversant tout ce qui voulait s’opposer à leur fougue.



Le premier, Co-lo-mo-o, arriva près de Léonie.



– Retire-toi ou je t’assomme! proféra-t-il, en repoussant le brutal qui avait questionné la jeune fille.



Dix poings fermés menacèrent à l’instant le Petit-Aigle; quelques canons de pistolets furent même dirigés contre lui, des imprécations l’assaillirent.



– À bas le sauvage! mort au sauvage!



Mais alors parut Poignet-d’Acier suivi de Cherrier. Derrière eux venait un bataillon de chasseurs nord-ouestiers.



– Arrière! ordonna-t-il. Cet enfant m’appartient. Malheur à qui le touche!



Son accent, son geste, étaient irrésistibles.



Les plus audacieux reculèrent intimidés.



XV. Les suites d’un déguisement

Saint-Charles, coquettement assis au penchant d’une colline, à une douzaine de lieues de Montréal, est une des plus florissantes paroisses du Canada. Le site en est gracieux, les horizons variés à l’infini, les alentours pleins de poésie. Il y fait bon respirer les fraîches et fortifiantes senteurs de la campagne; il y fait bon rêver, aimer doucement dans la paix et la solitude.



Dans ce plaisant village, M. de Repentigny possédait un cottage, au sein d’un parc délicieux que festonnaient des eaux vives, folâtrant avec un murmure argentin, soit dans les méandres d’un vaste jardin anglais, soit à travers des pelouses aussi unies qu’un drap de velours, soit sous des bosquets ombreux, animés par les concerts des gentils musiciens ailés.



Le Cottage, ainsi le désignait-on, à contresens toutefois, n’était rien moins qu’une chaumière, mais bel et bien un beau manoir, miniature d’un château-fort, comme on en voit tant dans la Grande-Bretagne et même aux environs des grandes villes américaines.



Il avait ses tourelles, son donjon, ses créneaux, ses mâchicoulis, ses petites fenêtres à ogives.



C’était une confusion du moyen âge avec la Renaissance, de l’art moderne avec l’art ancien.



Intérieurement, tout était disposé à l’anglaise: cuisine dans le sous-sol ou basement; parloir et salle à manger à ce que nous appellerions le rez-de-chaussée, mais que les Anglais appellent le premier; chambres à coucher et cabinets de toilette aux étages supérieurs.



En revenant de Trois-Rivières, où elle avait passé un mois avec sa fille, madame de Repentigny s’était arrêtée à sa campagne de Saint-Charles.



Elle avait l’intention d’y séjourner pendant l’été. Son mari avait approuvé ce projet, parce que les troubles qui éclataient continuellement à Montréal rendaient la ville dangereuse pour la femme d’un fonctionnaire aussi dévoué au gouvernement que l’était M. de Repentigny.



Mais, peu après son arrivée au village, madame de Repentigny tomba malade. Depuis longtemps elle était atteinte d’une hypertrophie du cœur, causée par ses chagrins domestiques. L’affection fit tout à coup des progrès si rapides, que la vie de la pauvre femme fut en danger. On manda M. de Repentigny. Il répondit que les affaires de la colonie le retenaient à son poste.



Léonie soignait sa mère avec une tendresse et une sollicitude sans bornes. Nuit et jour à son chevet, elle n’avait plus de pensées, plus de vœux que pour son rétablissement. Est-il nécessaire de dire qu’elle lui cacha cette réponse laconique et dure?



Vers la fin de septembre, la santé de madame de Repentigny parut s’améliorer.



Au commencement d’octobre, elle alla positivement mieux, et, pour fêter sa résurrection, comme disait Léonie, on convia plusieurs amis de Montréal et de la campagne à un grand dîner. Cherrier, sa femme et sir William étaient naturellement au nombre des invités. Ce dernier, occupé par son service, envoya une lettre d’excuses, en ajoutant que, dès qu’il aurait un moment de liberté, il volerait «certainement, très certainement, présenter ses respects à ces dames».



Le 15 avait été choisi pour la partie.



Mais, dans l’intervalle, on apprit qu’une grande assemblée publique aurait lieu à Saint-Charles, le 23, et le dîner fut remis au 22, afin que les hôtes étrangers profitassent de cette occasion pour jouir du spectacle.



Telle était cependant l’anxiété générale, que les Canadiens, si passionnés pour les distractions, négligeaient leurs plaisirs.



Tout le monde avait promis de venir; à l’exception des époux Cherrier, personne ne vint de Montréal.



Pour avoir lieu tout à fait en famille, le dîner n’en fut pas moins gai.



Enchantée de voir sa mère souriante, et, en apparence bien portante, Léonie témoigna sa joie par cent folies aimables.



Entre autres, elle se déguisa secrètement avec un costume d’homme que sa cousine Louise s’était fait faire pour accompagner Xavier dans ses excursions, et elle parut ainsi au dîner. Ce déguisement ne contribua pas peu à réjouir les assistants.



– Ma foi, chère espiègle, vous devriez prendre ce costume pour aller demain à l’assemblée, lui dit Cherrier en se promenant avec elle dans le parc, après le repas.



– Tiens, mais ce serait original!



– Est-ce convenu?



– Oh! maman ne le permettrait pas.



– Qui le lui dira?



– Vous êtes charmant, mon cousin, vous avez réponse à tout.



– Et vous, vous faites le plus ravissant cavalier que je sache!



– Oh! un superlatif à la sir William! s’écria la jeune fille en riant aux éclats.



Le front de Cherrier se rembrunit.



Léonie s’en aperçut aussitôt.



– Pardon, dit-elle, j’avais oublié.



– Quoi donc? fit Cherrier reprenant à l’instant sa bonne humeur.



– Rien, mon cousin, rien… je sais ce que je sais… Mais Louise?



– Louise ne veut pas venir à l’assemblée. Elle restera près de votre bonne mère.



– Alors voilà qui est dit. Nous irons flâner à cette assemblée, le stick à la main, le lorgnon à l’arcade sourcilière…



– Bravo!



– À une condition pourtant!



– Et laquelle?



– C’est que le cigare et le grog nous sont interdits.



– Approuvé de grand cœur, dit Cherrier en souriant.



Voilà comment, le jour suivant, mademoiselle Léonie de Repentigny se trouvait, en élégant dandy, avec Xavier Cherrier au meeting des patriotes canadiens.



Composé des habitants des comtés de Richelieu, Saint-Hyacinthe, Rouville, Chambly et Verchères, ce meeting, qui devait secouer si violemment les bases du gouvernement anglais, sur les bords du Saint-Laurent, prenait le nom de Confédération des six comtés, au moment même où la jalousie de la fille de Mu-us-lu-lu menaçait de devenir fatale à Léonie de Repentigny.



– Allons, mon enfant, donnez-moi le bras, lui dit Poignet-d’Acier en faisant signe à ses trappeurs de former une haie pour leur permettre de passer.



En un clin d’œil le mouvement fut opéré.



La jeune fille et ses trois cavaliers sortirent de la foule, qui s’élança vers de nouvelles scènes de tumulte.



La maison de sa mère n’était pas fort éloignée du théâtre de cette réunion.



Bientôt remise de son trouble, Léonie dit, en arrivant à la porte, à ses compagnons:



– J’espère, messieurs mes libérateurs, que vous daignerez entrer; et je vous prie de ne point parler de ma mésaventure devant maman. Elle est malade et si elle apprenait…



– Je vous remercie de votre invitation, mon enfant, dit Poignet-d’Acier. Mais ma présence est encore nécessaire sur la prairie.



La jeune fille se tourna en rougissant vers Co-lo-mo-o.



– Ce jeune homme accepte! intervint le capitaine, remarquant qu’elle ne pouvait articuler une parole.



– Je vous demande pardon, monsieur, répondit Co-lo-mo-o, je ne puis accepter.



– Vous me refuseriez! balbutia Léonie.



– Non, non, vous dînerez avec nous, messieurs, dit Cherrier.



– Cela m’est impossible, mon ami. Mais je vous enverrai le jeune Aigle.



Co-lo-mo-o voulut protester.



– Allons, venez, lui dit Poignet-d’Acier; j’ai à vous parler.

 



– Cependant, monsieur, je vous déclare…



– Et moi, je vous déclare que vous acceptez l’invitation de mademoiselle, reprit gaiement le capitaine. – Parbleu, ajouta-t-il, nous savons, monsieur le sagamo, que vous avez reçu une instruction aussi brillante que la plupart de nos jeunes gens de bonne famille; nous savons que vous pouvez prendre, quand il vous plaît, des manières aussi courtoises que pas un de nous, et nous certifions enfin que vous pouvez être un guerrier illustre chez les Iroquois, un général habile chez les blancs, et, partout, un homme agréable en société.



Ayant dit, Poignet-d’Acier salua et entraîna le Petit-Aigle, moins touché peut-être par la flatterie adressée à sa vanité indienne que par les éloges donnés à ses mœurs policées.



– À présent, mon brave jeune homme, lui dit le capitaine, faites-moi votre rapport. Soyez bref, mais précis. Quel est l’esprit de la population à Québec?



– Sur Québec, monsieur, répondit Co-lo-mo-o, il ne vous faudra pas trop compter. Corrompus par l’or de l’Angleterre ou éblouis par le faste de la cour vice-royale, les habitants n’ont ni l’idée de l’indépendance, ni la fermeté nécessaire pour agir. Quelques fleurs empoisonnées sur les chaînes dont ils sont chargées leur en cachent les meurtrissures.



– Mais les paroisses? reprit impatiemment Poignet-d’Acier.



– Dans les paroisses, c’est différent. Touchez la corde de l’émancipation, elle vibrera dans tous les cœurs. J’ai parcouru le pays jusqu’à Gaspé. Partout j’ai trouvé un peuple soupirant pour l’heure de la délivrance. Les Indiens du Saguenay, du Lac Saint-Jean; les Montagnais, les Abénaquis, vous prêteront leur concours, comme les Hurons de Lorette, les Iroquois de Caughnawagha, si l’on nous garantit que les territoires de chasse qui s’étendent à l’ouest des Grands-Lacs nous seront rendus, et que nous y pourrons vivre et mourir sans être désormais inquiétés par les blancs.



– Vous avez ma parole et j’ai celle des chefs du mouvement populaire.



– Nous vous la rappellerons, monsieur.



– Ainsi, à l’exception de la capitale, tout est préparé, dit Poignet-d’Acier, en s’arrêtant pour réfléchir.



– Je le crois, il ne manque que des armes.



– Des armes! oui, nous en manquons… Ah! si j’avais les trésors que j’ai perdus… Bah! à quoi bon ces regrets! Le plus fort est fait. Grâce à moi, les masses sont soulevées. J’ai rompu le pont derrière ces meneurs timides. Ils marcheront! et, au défaut de fusils ou de sabres, ils prendront des fourches ou des fléaux! Quand un peuple veut sa liberté, il trouve dans son cœur ses meilleures armes! N’est-ce point votre avis?



Et comme Co-lo-mo-o demeurait silencieux:



– Allons, allons, continua-t-il, tout est pour le mieux. Il ne nous reste qu’à profiter de l’enthousiasme pour marcher immédiatement sur Montréal. Une fois cette métropole à nous, le Canada nous appartient. Maîtres du Canada! Quel rêve! et comme voluptueusement, j’assouvirai ces vengeances qui fermentent là, depuis tant d’années… Des siècles de torture! poursuivit-il, d’un ton creux, en se frappant le front de son poing crispé. C’est que, moi aussi, j’ai souffert, s’écria-t-il, comme s’il cédait à un invincible besoin d’expansion, souffert, le martyre, pour ces Anglais qui m’ont séduit ma femme, violé ma fille, mon unique enfant, mon Adèle chérie; ces Anglais qui ont armé mon bras pour le meurtre et le parricide… Horreur!



– Mon frère trouvera un bras, un bras infatigable pour frapper à côté de lui, dit tout à coup Nar-go-tou-ké en paraissant au bout du mur du parc, près duquel Poignet-d’Acier se tenait avec Co-lo-mo-o.



– Que faisais-tu là, mon frère? demanda le capitaine.



– Nar-go-tou-ké a vu le fils de son ennemi. Il l’épiait, répondu le sagamo.



Poignet-d’Acier n’accorda aucune attention à cette réponse. Une soudaine évolution de la foule sur la prairie l’occupait à ce moment tout entier.



– Je vous laisse, dit-il aux Iroquois. Je vais engager Neilson à profiter de l’ardeur de cette multitude pour la pousser, sans retard, sur Montréal. Demain, elle serait refroidie, nous n’en pourrions rien tirer.



Et il marcha, à grands pas, vers l’estrade qu’on apercevait à une faible distance.



– Mon fils, dit Nar-go-tou-ké à Co-lo-mo-o, dès qu’ils furent seuls, le rejeton de l’Anglais qui a voulu outrager ta mère, de celui qui l’a livrée aux lâches tribus de la Nouvelle-Calédonie, est là, dans cette maison. Puisque l’heure de la vengeance a sonné, commençons par nous venger de celui-là. Nous allons le guetter, et, quand il sortira…



L’Indien fit résonner, d’un air significatif, une carabine qu’il avait à la main.



– Dans un instant Co-lo-mo-o rejoindra son père, répondit le Petit-Aigle; mais il faut, auparavant, qu’il aille délibérer avec les chefs des tribus qu’il a amenées.



– Va, Nar-go-tou-ké t’attendra, reprit le sachem.



Le Petit-Aigle partit, en feignant de se diriger vers la foule qu’un orateur haranguait de nouveau. Mais, bientôt, il se jeta à gauche dans une saulaie et s’assit au pied d’un arbre.



Là, il médita, durant quelques minutes. Son esprit paraissait flotter entre diverses résolutions, car tantôt il tournait les yeux vers le cottage de madame de Repentigny, et tantôt sur le meeting.



S’arrêtant enfin à une détermination, il prit, dans la bourse de vison qui pendait sur sa poitrine, suivant l’usage indien, un crayon, une feuille de papier, et il écrivit sur son genou.



Ce travail terminé, il le relut avec soin, plia le papier en forme de lettre, le cacheta et y mit la suscription:



Mademoiselle,



Mademoiselle Léonie de Repentigny,



à



Saint-Charles.



Pour une petite pièce de monnaie, il fit ensuite porter le billet à son adresse.



Léonie venait de changer de costume, quand on le lui remit, en annonçant que sir William, arrivé depuis une demi-heure, était allé rendre ses devoirs à sa mère.



Surprise à la réception de ce billet, dont l’écriture ne lui semblait pas étrangère, la jeune fille le décacheta avec une certaine émotion.



Ses yeux volèrent aussitôt à la signature.



Paul, disait cette signature.



– Paul! Paul! je ne connais point de Paul, murmura Léonie, en parcourant la missive.



Elle était ainsi conçue:



«Mademoiselle,



«J’aime à vous remercier pour les lignes que vous m’avez remises à bord du Charlevoix; ces lignes m’avertissaient qu’on m’avait découvert sous mon déguisement de planteur; par conséquent je vous dois d’être libre, car aussitôt je sautai dans le fleuve et gagnai la rive à la nage. J’aurais voulu pouvoir vous témoigner plus tôt ma reconnaissance. Des causes majeures s’y sont opposées. Obligé aujourd’hui de vous écrire pour vous déclarer que je ne puis accepter votre invitation, je mets à profit cette circonstance et vous exprime la gratitude de votre tout dévoué,



«Paul».



«P. S. Vous avez chez vous un jeune officier anglais; qu’il ne sorte pas de la journée. Il y va de sa vie».



Cette singulière épître troubla si fort Léonie, qu’elle n’entendit pas la cloche qui sonnait le dîner.



Madame de Repentigny l’envoya chercher par une domestique.



– Mon ange, lui dit-elle, en la baisant au front, tu feras les honneurs, car je suis un peu souffrante.



La jeune fille avait repris son assurance, remettant au soir le soin de relire et de commenter la lettre de l’Indien.



Sir William King, Xavier Cherrier, sa femme et un vieux parent de M. de Repentigny attendaient déjà, sans cérémonie, dans la salle à manger.



– Eh bien, notre Antinoüs sauvage ne vient donc pas? questionna Cherrier.



– Je ne sais, mais ce n’est pas probable, répondit Léonie d’un ton quelque peu hypocrite.



Le repas fut assez triste, sir William et Cherrier n’ouvraient la bouche que pour s’adresser des épigrammes trop peu voilées.



Comme on causait politique au dessert, le parent de M. de Repentigny dit, en branlant la tête:



– Ça ne fait rien, le parti anglais a reçu aujourd’hui une fière blessure!



– Ah! riposta sir William, en décochant un regard ironique à Cherrier, si nous devions compter toutes celles que nous avons faites aux Canadiens-français, nous ne trouverions pas assez de chiffres dans la table de multiplication. Demandez plutôt à monsieur!



Xavier se mordit les lèvres pour ne pas éclater. Mais il sut se contenir, se leva de table et remonta avec sa femme dans leur appartement.



Le vieux monsieur sortit aussi pour aller faire un tour de promenade.



L’officier, s’approchant alors de Léonie, lui prit la main comme s’il voulait la porter à ses lèvres.



La jeune fille recula d’un pas, en retirant sa main.



– Sir William, dit-elle gravement; vous vous êtes battu avec mon cousin; ne niez pas…; j’en suis sûre; je ne saurais aimer l’homme qui a versé le sang de l’un des miens. Ainsi donc tout est rompu entre nous. N’essayez point de me fléchir, vous perdriez votre temps. Mais je ne manquerai point pour cela aux devoirs de l’hospitalité; vous pouvez rester ici tant qu’il vous plaira; je vous engage même à ne pas quitter la maison aujourd’hui. On m’a prévenue que vos jours seraient en danger, si vous mettiez le pied dehors.



Laissant le jeune homme bouleversé par ces paroles, Léonie de Repentigny regagna sa chambre à coucher.



XVI. L’insurrection

Filles de l’enthousiasme, les révolutions populaires ont la même durée que cette fièvre de l’esprit.



Si, après l’assemblée de Saint-Charles, les patriotes canadiens se fussent instantanément portés sur Montréal, il est vraisemblable que la métropole serait tombée en leur pouvoir, et qui peut dire qu’alors ils n’auraient pas été maîtres de la province!



Mais si Neilson et plusieurs autres étaient décidés à profiter de l’ardeur de leurs partisans, Papineau, chef réel du mouvement, balançait. Il paralysa par sa tiédeur tous ces braves qui ne demandaient qu’à voler au combat. Ne se croyait-il pas assez bien préparé, n’osait-il encore assumer la haute responsabilité qui incombe aux meneurs d’une insurrection? ce n’est pas à nous de répondre. Nous sommes trop près encore de ces tristes événements. Leur appréciation appartient à la postérité.



Cependant, le lien entre l’exécutif et les Canadiens était brisé. Le renouer par des moyens pacifiques n’était plus au pouvoir de personne.



À Montréal, et dans les comtés limitrophes, on arma ouvertement.



Des bandes hostiles sillonnèrent le pays.



Les occupations ordinaires de la ville et des champs furent abandonnées. Chacun prit fait et cause pour un parti ou pour un autre. La guerre civile alluma ses torches.



«Le 7 novembre, les Fils de la liberté et les Constitutionnels ou les membres du Club Doric, comme les nommèrent les Anglais, en vinrent aux mains, avec des succès divers. La maison de M. Papineau et celle du docteur Roberston et autres furent attaquées et les presses du Vindicator saccagées. On appela les troupes sous les armes: elles paradèrent dans les rues avec de l’artillerie».



L’autorité mit sur pied toutes les forces militaires, et inonda la campagne de détachements chargés de faire exécuter les nombreux mandats d’arrestation lancés contre les fauteurs de la Confédération des six comtés.



Depuis l’assemblée, Papineau, Neilson et leurs principaux partisans étaient restés dans le comté de Richelieu.



Entourés d’une foule d’hommes dévoués, ils s’y disposaient à la résistance, commettant cette grande faute, – faute irréparable – c’est d’attendre, c’est-à-dire de laisser se dissiper l’ivresse de leurs gens, au lieu de marcher droit à l’ennemi.



Leur quartier général avait été établi entre Saint-Denis et Saint-Charles, villages éloignés de sept milles l’un de l’autre, sur le Richelieu.



Le premier est à seize milles de Sorel, le second à dix-huit de Chambly, localités où le gouvernement anglais avait caserné plusieurs régiments.



Ces régiments reçurent, en même temps, l’ordre d’aller attaquer les rebelles, et de les prendre ainsi en avant et en arrière, – Saint-Denis et Saint-Charles se trouvent entre Chambly et Sorel.



Comme ils avaient à peu près la même distance à parcourir, ils devaient vraisemblablement se joindre à peu près à la même heure sur le théâtre des opérations.



Le 21 novembre au soir, le colonel Gore partit de Sorel avec cinq compagnies d’infanterie, une pièce d’artillerie de six et un piquet de police à cheval.



Le temps était mauvais; il faisait froid et pleuvait à torrents. Tous les chemins avaient été défoncés et les ponts rompus par les paysans.



Néanmoins, le lendemain, le colonel Gore et ses troupes arrivèrent devant Saint-Denis, après une rude marche d’environ douze heures.



Il pouvait être dix heures du matin.

 



Aussitôt le tocsin laissa tomber dans l’espace ses notes funèbres.



Des barricades défendaient toutes les avenues du village, et un puissant rempart, construit avec des troncs d’arbres, interceptait la route.



Retiré dans une grosse maison de pierre qu’il avait fait fortifier et créneler, le docteur Neilson avait résolu de vaincre ou de mourir. M. Papineau, le docteur O’Callaghan et quelques officiers de milice s’y trouvaient avec lui.



Huit cents hommes, dont un quart à peine munis de fusils, le reste portant qui une lance, qui un épieu, qui une fourche, qui une faux, ou de vieux sabres rouillés, faisaient retentir le village des chants de la Marseillaise et de la Parisienne.



Malgré leur nombre et leur détermination, Neilson doutait de la victoire.



– Monsieur, dit-il à Papineau, vous devriez vous retirer à Saint-Charles; ce n’est pas ici que vous serez le plus utile; nous aurons besoin de vous plus tard.



– Que penserait-on de moi, si je m’éloignais à cette heure? répliqua celui-ci.



– Vous êtes notre chef à tous; à tous, vous devez compte de votre vie, reprit Neilson.



À ce moment le canon gronda.



– À nos postes, messieurs! s’écria Neilson et souvenez-vous que la patrie a les yeux sur vous!



Le feu des Canadiens répondit aussitôt à l’artillerie des troupes royales.



Mais que pouvait un seul canon contre des amas de pins hauts comme des maisons?



Les insurgés se montraient à peine, lâchaient leurs coups de fusil et disparaissaient derrière les barricades.



La mousqueterie des Anglais ne leur faisait pas plus de mal que leur canonnade.



Cependant un boulet, passant à travers les souches, tua un membre de la Chambre législative, M. Ovide Perrault, blessa plus ou moins grièvement cinq hommes, et jeta quelque confusion dans les rangs des Canadiens.



Mais, vers deux heures, et après que le colonel Gore eut fait de vaines tentatives pour emporter les retranchements à l’assaut, les patriotes reçurent du renfort, et Neilson commanda une sortie.



Elle réussit complètement. Les royalistes, épuisés de fatigue, à court de munitions, lâchèrent pied et s’enfuirent vers les bois, en abandonnant leur canon, leurs fourgons et leurs blessés.



Fiers de ce triomphe, les Canadiens rentrèrent chez eux en chantant des hymnes d’allégresse. Mais ce n’était pas l’heure de s’endormir sur les premiers lauriers; car, s’étant emparés d’un officier anglais, ils avaient appris que le colonel Wetherell s’avançait de Chambly sur Saint-Charles, à la tête de cinq compagnies, d’une troupe de police à cheval et de deux pièces de canon.



Après avoir réparé leurs fortifications, ils coururent prêter assistance à leurs amis de Saint-Charles.



Bon nombre d’habitants avaient quitté le village avec les femmes et les enfants. Mais madame de Repentigny et sa fille y résidaient encore; la première ayant fait une rechute, et les médecins ayant déclaré qu’il était impossible de la transférer à la ville sans compromettre son existence.



Le 25 novembre, au matin, la pauvre femme sommeillait dans son lit, et Léonie, assise à son chevet, parcourait des yeux plutôt qu’elle ne suivait avec l’esprit un livre de piété.



C’était un touchant tableau!



La mère, immobile, les joues amaigries, le teint jaune comme l’ivoire du crucifix qui pendait dans la ruelle, déjà marquée au sceau de la mort, était l’image de la douleur profonde, mais résignée.



Pâle, les yeux cernés par l’insomnie et les angoisses, sa fille offrait une navrante personnification de l’Inquiétude.



Tout à coup les roulements du tambour résonnent, déchirés par les notes perçantes du clairon.



Madame de Repentigny s’agite sur sa couche, Léonie tressaille.



– Qu’y a-t-il, mon enfant? demande la première d’une voix affaiblie.



– Ah! maman, maman! ils vont se battre! ils vont se battre! répond la jeune fille en se levant et se jetant sur l’oreiller qu’elle baigne de ses larmes.



– Heureusement que ni ton père, ni sir William, ne sont là, dit la tendre mère en faisant un effort pour baiser sa fille. Ton père est à Québec, sir William à Montréal, prions Dieu pour eux!



– Et pour mon cousin, dit Léonie en tombant à genoux.



– Ah! oui, il est à Saint-Eustache. Mais il ne court aucun danger, n’est-ce pas?



– Je l’espère, maman.



Après ces mots, toutes deux joignirent les mains, et confondirent leurs cœurs dans un élan vers l’Éternel.



Le canon détona, accompagné d’une fusillade nourrie, alors qu’elles achevaient cette ardente oraison.



– Sonne donc pour savoir ce qui se passe au dehors, mon enfant, dit madame de Repentigny.



À cet appel, un domestique arriva; mais il ne put rien dire, sinon que les troupes du roi étaient aux prises avec les rebelles.



Léonie se précipita vers la fenêtre.



– Prends garde! ah! prends garde, ma fille! lui cria madame de Repentigny avec terreur.



– Il n’y a rien à craindre, bonne maman; je vois parfaitement, mais on ne peut m’apercevoir; et, d’ailleurs, on ne tire pas de ce côté, répondit Léonie en collant son visage contre les carreaux de la croisée. Ah! voici les militaires qui chargent; les insurgés plient; le ciel est tout noir de fumée.



Le colonel Wetherell venait en effet de fondre sur les Canadiens avec une impétuosité irrésistible.



Quoique sorti de Chambly dans la nuit même où le colonel Gore sortait de Sorel, il n’avait pu arriver avant le 25 en vue de Saint-Charles, tant les habitants avaient semé d’obstacles sur sa route.



À midi, il prit position sur une colline qui domine la rivière, et braqua son artillerie contre le camp des patriotes.



Ce camp, fortifié par des ouvrages en terre et en bois, formait un parallélogramme, appuyé d’un côté sur la rivière, de l’autre sur la maison de M. Debartzeh, l’un des instigateurs de l’insurrection.



Trouée par une centaine de meurtrières, cette maison renfermait une foule de tirailleurs.



Deux petites pièces de campagne ajoutaient encore à la force des Canadiens.



Leurs dispositions, leur bravoure, leur permettaient d’espérer la victoire.



Malheureusement, ils étaient commandés par un Anglais mécontent, un certain T. Brown, – un lâche, – qui déserta son poste à l’heure même du combat.



Le signal de l’attaque donné, le colonel Wetherell canonne les retranchements, et lance ses troupes autour du camp pour l’envelopper.



Les Canadiens se défendent avec une incroyable énergie; ils se montrent digne de cette poignée de héros leurs pères qui, semblables aux trois cents Spartiates, culbutèrent sept mille Américains, le 26 octobre 1813, sur les bords de la rivière Châteauguay.



Ah! si un Salaberry était à leur tête!



Mais, ils n’ont point de chef; ils ne savent à qui obéir; la confusion se met dans leurs rangs. Leurs faibles barrières sont enfoncées.



Les ennemis se précipitent sur eux, la baïonnette en avant… ils les cernent; ils les acculent; ils frappent impitoyablement ces malheureux, qui, manquant d’armes, pour la plupart, se défendent avec leurs mains, avec leurs pieds, avec leurs dents.



C’est une atroce boucherie!



De sa fenêtre, Léonie voit tout. Elle tremble, elle palpite; elle sent son cœur défaillir; elle ne respire plus, et elle ne peut, la pauvre enfant, s’arracher au plus effroyable des spectacles.



C’est que, dans la foule des combattants, elle a distingué le Petit-Aigle qui, brandissant un sabre de cavalerie, enlevé à un officier de police, l’assène, à droite, à gauche, en avant, partout, et, aidé de son père, tient encore bon, alors que tout